A propos de la langue arabe et de l'islam
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A propos de la langue arabe et de l'islam
Il y avait, il y a pas mal de temps il me semble, sur ce forum une ou plusieurs personnes qui se pausaient des questions à propos de l'islam et, d'après ce que je m'en souviens, les réponses étaient confuses.
Voilà pourquoi je désire publier ici un article de Christian-Julien Robin paru dans le n° 219 du magazine Science & Vie, hors-série “Comment est née l’écriture”, juin 2002. J’ai reproduis ici cet article de la page 107 (à partir du sous-titre Quelques particularités) à la fin (page 115). Ce dernier article est entre-coupé de passages du livre de Ibn Warraq, Pourquoi je ne suis pas musulman, 1999 Editions L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, pour éclairer le sujet (en italique après les initiales I.W.).
Les passages en gras sont de moi.
J'espère que ceci pourra aider les personnes en panne d'argument.
Quelques particularités
Un tel système graphique présentait de nombreuses ambiguïtés s’il était utilisé pour une langue telle que le français. Ce n’est pas le cas pour l’arabe. En effet, la grande majorité des mots reproduit des modèles relativement peu nombreux qui guident la vocalisation. Un lecteur arabe reconnaît aisément le modèle que suit le mot, grâce à sa place dans la phrase, et en déduit la vocalisation et le sens; si cette première lecture laisse subsister des obscurités, une deuxième permet de les lever.
D’un point de vue formel, l’écriture arabe est asset différente de l’alphabet latin. Les normes suivies, qui sont les mêmes que dans quelques écrituresdérivées de l’araméen (comme le syriaque), sont originales. Les mots sont séparés par un espace, mais leur reconnaissance s’appuie également sur une différence de forme entre la lettre qui est au début du mot et la même lettre qui est à la fin. La norme est de lier les caractères, mais six d’entre eux (‘alif, dal, dhal, râ’,zayn et wâw) ne s’attachent qu’à la lettre précédente et jamais à la suivante : cette règle permet notamment de différencier le alif (qui ne se lie pas) du lâm (qui se lie). L’écriture arabe, qui ne distingue pas majuscules et minuscules, ne possède aucune marque pour signaler les nom propres; quand c’est nécessaire, elle recourt à des artifices comme la parenthèse ou le soulignement. Contrairement au choix qui à été opéré pour de nombreuses écritures (latine, grecque, cyrillique, hébraïque, etc.), l’arabe imprimé est identique à l’arabe manuscrit même si, pour l’un comme pour l’autre, il existe une grande variété de styles : l’arabe n’oppose donc pas une forme cursive à une forme plus solennelle.
Une dernière particularité de l’écriture arabe est de compter des caractères qui partagent une même forme : s’écrivent de la même manière bâ’, tâ’,thâ’, nûn et yâ en position initiale ou médiane; jîm, hâ’ et khâ’; dâl et dhâl; râ’ et zayn; sîn et shîn; tâ’ et zâ’; ‘ayn et ghayn; fâ’ et qâf. Pour les distinguer, un, deux ou trois points (appelés “diacritiques”) sont ajoutés au-desus ou au-dessous de la lettre. Ces points sont omis dans certaines inscriptions monumentales et dans les anciens corans qui utilisent une écriture appelée communément “coufique” (nom tiré de la ville irakienne d’al-Kûfa).
Comme il aété dit, l’écriture arabe a été utilisée pour noter des langues très diverses. Elles est peu pratique pour les langues au vocalisme riche, comme les langues indo-européennes, même après diverses améliorations. En vérité, son adaptation à une langue non sémitique n’est pas facile. On voit là que ce ne sont pas des considérations pratiques, mais des arguments idéologiques, qui amènent à adopter une écriture plutôt qu’une autre.
Les débuts de l’arabe classique
La langue que nous connaissons sous le nom d’arabe (classique) a été élaborée progressivement pendant les deux premiers siècles de l’histoire musulmane (le point de départ de l’hégire de Muhamad, en 622), à partir des modéles qu’offraient la prose coranique et la poésie ancienne; elle trouve sa forme définitive au IXème s.è. chr. (IIème s. de l’hégire) quand fonctionnaires de la chancellerie impériale, grammairiens et gens de lettres s’accordent sur sa codification. C’est une langue artificielle, qui n’est parlée nulle part, mais qui est néanmoins d’usage courant: le culte musulman lui accorde une place privilégiée et c’est elle qui s’impose dans tous les échanges soutenus et dans les documents écrits. Elle est la langue de communication par excellence, alors que les dialectes (qui ne sont pas écrits d’ordinaire) sont confinés à la vie familiale et locale.
L’arabe classique, par définition, n’existe pas avant l’Islam. Cependant, on s’accorde à nommer “arabe (préislamique)” les langues qui s’en approchent le plus. Le principal critère est la forme de l’article (-al). A la veille de l’Islam, une grande partie de la péninsule Arabique parle des dialectes proches de l’arabe. Il en est de même de toutes les régions désertiques du Croissant fertile (en Jordanie, Palestine, Syrie et l’Irak actuels). Mais quelques siècles plus tôt, l’arabe n’était qu’un parler minoritaire en Arabie, dans un vaste ensemble de dialecte nommés nordarabiques (par opposition aux sudarabiques, dans le sud de la péninsule) note de l’article: Le référent de l’adjéctif “arabique” est de nature géographique; c’est l’Arabie (ou si l’on préfère, à la péninsule arabique). “Arabique” n’est pas synonyme d’”arabe” qui renvoie tout d’abord à une langue, et secondairement aux populations qui parlent cette langue. Les plus anciens documents écrits en langue arabe remontent aux trois derniers siècles av. è. chr. ; ils ont été trouvés à Qaryat al-Fâw, une oasis du sud de l’Arabie séoudite, à près de 300 kilomètres au nord-est de Narjân. Ces documents se servent de l’écriture sudarabique et suivent les règles orthographiques du sabéen (la langue du royaume de Saba’ au Yemen).
Entre les IIème et IVème siècles è. chr., on connais une deuxième série de documents en langue arabe. Ils ont été découverts dans le sud d’Israël, dans le nord-ouest de l’Arabie séoudite et en Syrie méridionale. Ces documents utilisent l’écriture nabatéenne, une variété de l’écriture araméenne élaborée par le royaume de Nabat (annexé par Rome en 106 è. chr.)
Il faut attendre le VIème s. è. chr. pour trouver des inscriptions en langue arabe, écrites dans un alphabet qui leur soit propre. Cet alphabet est incontestablement l’ancêtre de l’alphabet que nous appelons aujourd’hui “arabe”, mais sans en avoir toutes les caractéristiques:
1. Il ne distingue pas les lettres de même forme avec des points diacritiques.
2. Il ne possède aucun symbole pour noter la voyelle longue â en milieu de mot (en fin de mot, il utilise le alif comme l’araméen).
3. Pour noter la consonne réalisée t ou h (et non un signe unique, le h surmonté des deux points du f).
La lecture d’un documents rédigé dans un tel alphabet présente de grandes difficultés si le contexte ne guide pas l’interprétation.
On ne connaît que trois inscriptions qui illustrent cet alphabet, toutes trois trouvées en Syrie, à Zabad (au sud-est d’Alep : 512è. chr.), au jabal Usays (en Syrie centrale, à une centaine de kilomètres à l’est de Damas: 528-529è.chr.) et à Harrân (dans le sud de la Syrie : 568-569 è. chr.)
Un dernier texte mérite une mention, bien qu’il ne soit pas connu directement, mais seulement par la copie qu’en donnent deux savants arabes du Moyen Age. Il commémore la construction d’une église à al-Hîra au vième siècle., même si aucune n’a été retrouvée. Si les auteurs de ces inscriptions appartiennent bien au milieu qui a élaboré l’écriture arabe, celle-ci serait née en Syrie ou en Irak, probablement dans la vallée de l’Euphrate, et serait due à des Arabes chrétiens qui cherchaient à affirmer leur identité face aux églises de langues gecque et syriaque.
En 622, Muhammad quitte La Mecque, où sa prédication sucite une hostilité de plus en plus vive, pour s’établir dans l’oasis de Yathrib (appelée depuis Madînat al-Nabî, “la Ville du Prophète”, d’où Médine). Yathrib compte alors deux tribus païennes et trois tribus juives. Muhammad a été appelé par les deux tribus païennes pour arbitrer un conflit ancestral : en effet, seul un étranger est neutre dans un tel contexte. Par ailleurs, Muhammad appartient à une tribu (Quraysh) et à un clan (les banû Hâshim) qui jouissent d’un prestige tout particulier en Arabie et sont susceptibles d’apporter la baraka.
Peu après son arrivée à Yathrib, Muhammad conclut un accord avec les juifs de l’oasis.
I.W: Médine, au moment de l’arrivée de Muhammad, était habitée par huit clans d’Arabes et trois de de juifs. Pendant des années, les inimitiés entre clans n’avaient fait que s’aggraver et elles avaient culminé en 618 dans une bataille qui s’était soldée par un mombre important de morts. Dans le but d’assurer une stabilité politique, Muhammad fonda une communauté (umma) composée de ses partisans de La Mecque et des gens de Médine. Tout problème important devait être réglé entre lui et Dieu. Toutes nouvelles dispositions qui régissaient la communauté sont contenues dans un document appelé la Constitution de Médine et Cook fait remarquer que “(l’un des intérêts majeurs) des parties du document est l’incitation à la guerre”. Après six mois à Médine, Muhammad commença à lancer des raids pour capturer des caravanes mecquoises en route vers la Syrie. Après quelques échecs, les hommes de Muhammad réussirent finalement à capturer une caravane en l’attaquant pendant le mois sacré païen. Muhammad s’appropria un cinquième butin. Les Médinois furent d’abord scandalisés par la profanation du mois sacré où l’on ne devait pas verser de sang, mais très vite leurs chefs lui apportèrent leur soutien et prirent part aux raids. C’est vers cette époque que les relations entre Muhammad et la communauté juive devinrent de plus en plus tendues. Il avait espéré que les juifs le reconnaîtraient. Il avait pourtant répété que son message ne différait pas de celui de Moïse avait prêché. Il avait, de plus, adopté de nombreuses coutumes juives, mais les juifs persistaient à ne pas voir en lui un vrai prophète. Muhammad rompit avec le judaïsme et commença à développer une religion qui se référait à l’autorité d’Abraham et non plus à celle de Moïse. L’islam était désormais une religion indépendante, de loin supérieure aux autres croyances judéo-chrétiennes. A la longue, il parvint à bannir les juifs de Médine et à les exterminer. (pp. 109-110)
C’est l’acte fondateur (souvent appelé la “Constitution de Médine”) de l’Etat musulman, encore bien modeste à cette époque. Cet Etat a besoin de consigner des documents par écrit, notamment cet accord. Le choix de l’écriture arabe semble s’être imposé naturellement, ce qui donne à penser qu’aucun autre alphabet n’était utilisé alors pour noter la langue arabe.
Cet alphabet présentait l’avantage d’être propre aux Arabes ; il s’accordait bien avec le souci de Muhammad de délivrer une révélation “en langue arabe pure” (Coran XXVI, 195). Cependant, il était terriblement inadapté avec seulement 17 consonnes (réduites à 15 en position initiale et médiane) pour noter 28 phonèmes consonantiques.
Un effort est bientôt entrepris pour que l’alphabet arabe, qui n’était pratiqué que par quelques personnes, soit enseigné au plus grand nombre. De nombreuses anecdotes mettent en scène des Compagnons de Muhammad qui cherchent à enregistrer par écrit la Révélation du , ou les décisions et commentaires du Prophète. L’impression qui en résulte est que l’usage de l’écriture se généralise à Médine durant les dernières années de la vie du Prophète, années qui sont les mieux connues. Le Prophète lui-même, ancien commerçant, savait probablement lire et écrire, contrairement à l’opinion répandue par des hagiographies tardives, qui veulent souligner le caractère miraculeux de la Révélation.
I.W. : Tout au long des vingt-trois années de sa mission prophétique, Muhammad a reçu directement de Dieu des révélations par lesquelles les rites et les obligations fondamentales de l’Islam furent établis et précisés : ablutions, dons d’aumônes, jeûnes, pèlerinages. Ses révélations traitaient aussi de problèmes pratiques, loi religieuse, héritages, mariages, divorces etc.
Telle est la tradition qui n'est désormais plus acceptées par Cook, Crone et Hinds.
Dans sa courte mais précise monographie sur Muhammad, publiée dans sa la collection Oxford Past Masters (p.65), Cook donne ses raisons :
“Nous avons des raisons de croire que ceux qui ont mis en circulation de nombreuses traditions relatives au dogmes et à la loi avaient pris soin de les authentifier par de fausse chaînes d’autorité. En même temps, nous savons qu’il existait au VIIème siècle de nombreuses controverses pour savoir s’il était admissible de réduire la tradition orale à l’écriture. Ce constat a des conséquences clairement négatives pour la fidélité de nos sources. Si nous ne pouvons pas nous fier aux chaînes d’autorité, alors nous ne pouvons plus prétendre que nous avons devant nous des récits transmis par des témoins objectifs, et si la connaissance de la vie de Muhammad fut transmise oralement pendant un siècle avant qu’elle ne fût fixée par écrit, alors grandes sont les chances pour qu’au cours de cette longue période, ce matériel ait subi de considérables altérations.” (p.111)
Controverses
Voilà comment se présenteraient les débuts de l’Etat musulman, à en croire les traditions arabes. Mais cette reconstruction historique est contestée. Un débat très vif oppose en effet les spécialistes. Les ouvrages rapportant les paroles et les actions du Prophète, tout comme les collections de traditions sur l’Arabie ancienne et les débuts de l’Islam, ont tous été rédigés à une date relativement tardive, plus de deux siècle après l’hégire. Ils reflètent évidemment les connaissances (ou les ignorances) et les préoccupations de leur époque. Mais permettent-ils de connaître véritablement l’islam des origines, avant la sortie de l’Arabie? De nombreux chercheurs répondent sans hésitation que ce n’est pas possible.
I.W. : A la mort de Muhammad en 632, il n’éxistait aucun texte de ses prophéties. Plusieurs de ses disciples tentèrent alors de recueillir toutes les révélations connues et d’en faire un codex. Très rapidement les textes se multiplièrent, tels ceux d’Ibn Masud, d’Ubai b. Kab, d’Ali, d’Abu Bakr, d’Al Ashari, d’Al Aswad et de bien d’autres encore. Les villes de La Mecque, Médine, Damas, Kouffa et Basra avaient chacune leur propre Codex Métropolitain. Nous avons vu qu’qu’Uthman avait tenté de mettre de l’ordre dans cette situation chaotique en officialisant le Codex de Médine et en ordonnant que tous les autres textes fussent détruits. Or, bien que le Codex d’Uthman était supposé standardiser le texte consonantique, il éxistait toujours au IVème siècle plusieurs versions. Le problème était aggravé par le fait que le texte consonantique n’était pas pointé, c’est-à-dire qu’il lui manquait les points qui auraient permis de distinguer par exemple un b d’un t. Plusieurs autres lettres (f et q, j, h et kh, s et d; r et z, s et sh, d et dh, t et z) étaient sources de confusion. Par conséquant, il était possible d’obtenir un très grand nombre d’interprétations différentes suivant la façons dont on pointait le texte. Les voyelles représentaient une difficulté encore plus grande car, à l’origine. les Arabes n’avaient pas de signepour transcrire les voyelles courtes - celles-ci ne furent introduites que bien plus tard. Donc, après avoir résolu le problème des consonnes, les musulmans devaient toujours décider quelles voyelles employer : choisir des voyelles différentes donnait, bien sûr, des lectures différentes. Cette difficulté conduisit inévitablement au développement de différentes écoles avec leurs propres traditions sur la vraie façon de pointer et de voyelliser le Coran. En dépit de l’ordre d’Uthman qui voulait détruire tout autre texte que le sien, il est évident que d’autres codex survécurent. Charles Adams insiste “sur le fait que plus d’un texte survécut intact à l’ordre d’Uthman. Il éxistait réellement des milliers de lectures différentes pour un même verset. Le codex d’Uthman faisait lui aussi l’objet de variante à tel point qu’il était difficile de reconnaître le texte original.” Certains musulmans préféraient d’autres Corans que celui d’Uthman, par exemple ceux d’Ibn Masud, d’Ubai ibn Kad et d’Abu Musa. Finalement, sous l’influence du grand érudit Ibn Mujahid (mort en 935), on adopta définitivement un seul système consonantique et on limita les interprétations à sept lectures :
1. Nafi de Médine (mort en 785)
2. Ibn Kathir de La Mecque (mort en 737)
3. Ibn Amir de Damas (mort en 736)
4. Abu Amr de Basra (mort en 770)
5. Asim de Kouffa (mort 744)
6. Hamza de Kouffa (mort en 772)
7. Al Kisai de Kouffa (mort en 804)
Certains érudits acceptaient malgré tout dix lectures, voire plus. Les sept interprétations d’Ibn Mujahid permettaient quatorze lectures, car chacune des sept était reconstituée par deux transmetteurs, à savoir :
1. Nafi de Médine d’après Warsh et Qain
2. Ibn Kathir de La Mecque d’après al Bazzi et Qunbui
3. Ibn Amir de Damas d’après Hisham et Ibn Dhakwan
4. Abu Amr de Basra d’après al Duri et al Susi
5. Asim de Kouffa d’après Hafs et Abu Bakr
6. Hamza de Kouffa d’après Khalaf et Khallad
7. Al Kisai de Kouffa d’après al Duri et Abdul Harith (pp. 144-146)
En vérité, toute version ou toute lecture différente pose de sérieux problèmes aux musulmans orthodoxes. Ils sont donc tentés d’occulter tout codex qui s’éloignerait du texte de Uthman. (p.146)
De même, les premières citations coraniques que l’on trouve sur des pièces de monnaie de la fin du VIIème siècle diffèrent du texte coranique. Les variations sont minimes, mais leur seul présence dans un contexte aussi formel prouve que le texte (du Coran) n’était pas figé.” (p.112)
La contestation du récit classique des débuts de l’Islam, fondé principalemnt sur la tradition arabe, ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Une autre remise en cause s’interroge sur l’homogénéité du texte coranique et crois reconnaître une compilation réalisée pendant une période assez longue, pouvant dépasser le siècle. L’analyse des thèmes développés dans le Coran mettrait en évidence des idées étrangères à l’Arabie, mais propres au judéo-christiannisme. La manière dont les sources proche-orientales du VIIème s. rendent compte de la conquête musulmanne ferait supposer que Muhammad se situait dans la continuité du messianisme juif. Une thèse récente, enfin, estime que le texte coranique a été réinterprététardivement, en modifiant les points qui distinguent les consonnes de même forme, et croit reconnaître derrière la graphie arabe actuelle des documents rédigés en araméen chrétien (ou syriaque).
En dehors de quelques chercheurs, notamment israéliens, qui poursuivent patiemment l’édition et l’étude des sources musulmanes, et recherchent toutes données vérifiables grâce à des recoupements, la tendance est à la contestation radicale : l’Islam que nous connaissons aurait été élaboré en Irak, après le milieu du VIIème s., par des intellectuels d’origine juive ou chrétienne, pour répondre aux besoins idéologiques d’un empire en voie de stabilisation. Il n’aurait pas retenu grand chose de la prédication de Muhammad. D’ailleurs, est-il vraissemblable qu’une telle religion ait eu son berceau en Arabie occidentale, région qui de signale par son arriération (la misère matérielle et intellectuelle du monde nomade) et de son isolement?
Dans ce débat compliqué et passionné, l’étude des évolutions de l’écriture arabe est susceptible d’appoeter quelques correctifs. Les plus anciens documents dans cette écriture, les inscriptions de Syrie antérieures à l’Islam, sont extrêment difficiles à lire et à comprendre quand on ignore leur contenu. Une telle écriture est manifestement inadaptée pour l’administration de l’Empire que fondent les musulmans après la conquête de l’irak (637), de la Syrie (635-638) et de l’Egypte (640-642). Elle ne permet pas d’avantage d’enregistrer un texte sacré, comme la Révélation que Muhammad transmet aux Arabes.
Les documents datés permettent de mettre en évidence plusieurs réformes. Trois sont particulièrement significatifs à cause de leur date et de la teneur du texte. Le plus intéressant est aussi le plus ancien. Il s’agit du reçu qu’un chef arabe remet à deux fonctionnaires bysantins d’Hérakléopolis (Fayyûm, Egypte) pour une livraison de 65 moutons. Le reçu est écrit sur papyrus, rédigé en grec et daté conformément aux pratiques bysantines ; le greffier est un clerc, nommé Jean, qui a composé le texte à la première personne, comme s’il était de la main du chef arabe. Un texte arabe qui donne la teneur du texte grec, a été ajouté en dessous, dans l’espace laissé libre ; il ajoute quelques détails, comme le fait que les moutons se répartissent en deux lots de 50 et 15 têtes, et en omet d’autres ; écrit par un autre scribe, nommé Ibn Hadîd, il porte la jumâdà I de l’an 22 (mars-avril 643). Les deux textes commencent par une invocation d’inspiration musulmane : “Au nom de Dieu” en grec, et “au nom de Dieu, al-Rahmân le compatissant” en arabe.
Le plus ancien texte sur pierre vient d’être découvert en Arabie séoudite, dans la région de tay-mâ’, par l’archéologue ‘Ali Hamad Ghabbân; il s’agit d’un modeste graffite, gravé sur un rocher par un voyageur, qui évoque la mort du calife ‘Umar (assassiné le 26 dhû 1-hijja 23h., 3 nov. 644). Ce document, daté de 24 h. (644-645) est notablement plus ancien que les inscriptions connues précédemment, datées de 29 et 31.
La première inscription sur pierre présentant une forme soignée et un contenu significatif commémore l’édification d’un barrage par le premier calife umayyade Mu’âwiya (41-60 h./ 661-680) aux environs d’al-Tâ’if (Arabie séoudite); elle est datée de 58 h. (677-678).
A ces documents, il convient d’ajouter quelques papyrus trouvés en fouille à Nessana, dans la région de Gaza, quelques stèles funéraires, et, pour finir, les textes du règne de l’umayyade ‘Abd al-Mlik fils de Marwân (685-705), à savoir la fameuse inscription sur mosaïque du Dôme du Rocher à Jérusalem (datée de 72 h. /691-692 è. chr.) et quelques bornes militaires.
Les piliers d’une refondation
Ces premiers écrits arabes islamiques illustrent trois étapes majeures. La première est l’invention des points diacritiques permettant de distinguer les consonnes de même forme. Le système est mis au point avant 22 h. (643) puisqu’il est déjà employé dans le plus ancien papyrus d’Egypte et dans le graffite de Taymâ’. Il ne sera jamais modifié. Ce fait capital n’a jamais été souligné, parce que le diacritisme reste d’emploi facultatif, pendant plus de deux siècles dans les textes manuscrits, plus longtemps encore dans l’épigraphie et la calligraphie coranique. Il prouve cependant qu’une autorité, probablement le calife ‘Umar (634-644), a jugé nécessaire de réduire les ambiguïtés de l’alphabet utilisé.
Une deuxième innivation intervient peu après ; il s’agit de l’utilisation de la première lettre de l’alphabet (le alif, qui avait jusqu’alors valeur d’attaque vocalique) pour noter la voyelle longue â. Sa première attestation se trouve dans un papyrus de Nesana, daté de 54 h. (674 è. chr.). Désormais, l’alphabet arabe peut noter toutes les voyelles longues; mais il ne sait pas encore écrire les voyelles brèves.
Le fait que la voyelle â n’est jamais notée ( sauf en fin de mot) dans les documents arabes les plus anciens n’a jamais été signalé explicitement. les éditeurs de texte, qui constatent qu’un â manque, interprètent d’ordinaire cette absence comme un oubli ou une faute. Ce critère est un bon moyen de juger de l’authenticité des documents supposés remonter au Prophète. Il s’agit notament de correspondances diplomatiques de Muhammad, conservées dans de diverses collections. Ces correspondances, écrites dans un alphabet archaïsant, font illusion dans un premier temps. Mais on s’aperçois bien vite que le texte a été copié dans les biographies du Prophète et qu’il suit l’orthographe arabe classique; la présence de alif pour noter le â dans le corps du mot est une preuve supplémentaire qu’il s’agit de pieuses falsifications. La troisième innovation du premier siècle de l’Islam est l’invention d’une forme calligraphiée de l’écriture arabe, dont les plus anciennes attestations datées se trouvent sur des bornes militaires umayyades du calife ‘Abd al-Malik (685-705). Elle révèle la recherche d’un effet esthétique, mais plus encore un changement de statut, avec un début de sacralisation.
L’introduction de points diacritiques et d’un signe pour la notation du â montre que le besoin d’améliorer l’écriture arabe est ressenti dès les débuts de l’Islam, avant même que le califat ne se déplace de Médine à la Damas (vers 660), avec les U mayyades. Il peut s’agir de rendre les communications administratives plus fiables ou de permettre une notation plus sûre de la Révélation et des enseignements religieux.
L’apparition d’une forme calligraphiée de l’écriture est en rapport avec la stabilisation de l’empire et l’affirmation d’une identité arabe et musulmane qui se cherche encore sous le règne de ‘Abd al-Malik. C’est alors que la personne de Muhammad commence é être sacralisée : son nom, qui n’était pas invoqué dans les papyrus et les inscriptions des premières décennies, apparaît pour la première fois dans l’inscription du Dôme du Rocher. C’est aussi le moment où l’arabe devient seule langue officielleet où d’importants projets architecturaux sont lancés. L’Islam institutionnel commence à prendre la forme que nous lui connaissons.
La notation du texte coranique évolue de manière asset différente. Pour dater les copies du Livre saint, l’un des meilleurs repères est l’utilisation de l’écriture calligraphiée, qui est élaborée et se généraliserait sous le règne de ‘Abd al-Malik (685-705).
Les plus anciens feuillets coraniques, dont l’écriture laisse encore reconnaître la main du copiste, pourraient ainsi remonter aux années 690. Dans ces corans, les hampes des lettres sont souvent inclinées, d’où l’appellation d’écriture “penchée” (arabe mâ’il) qu’on rencontre parfois ; cependant, les spécialistes préfèrent la nommer “hijâzite”.
Sur Sur hijâzites, il est inhabituel que les consonnes de même forme soient distinguées par des points diacritiques. Le développement de la calligraphie n’apporte aucune amélioration de ce côté, mais une autre innovation se fait jour, avec les débuts d’un système cohérent pour noter les trois voyelles brèves. Un premier procédé a recours à de gros points ronds de couleur, permettant d’indiquer quelques voyelles significatives. Il diffère du système qui s’est généralisé à partir du IXème s. è. chr. qui se sert d’autres symboles (et un petit traitincliné au-dessus pour le a , ou au-dessous, pour le i; une petite boucle au-dessus pour le u).
On voit que dans la sphère religieuse, l’exigence de la clarté et de précision est moindre, en ce qui concerne l’écriture, que dans la sphère profane. La raison en est simple. Dès l’origine, il aété exigé que le Coran soit récité et non pas lu, apparemment pour que les musulmans se distinguent des juifs. Par ailleurs, il n’est pas encouragé de constituer des collections écrites des dits du Prophète, de crainte de faire apparaître un Livre sacré qui concurrence le Coran. Ce sont donc apparemment l’administration et les exigences d’une vie intellectuelle naissante qui seraient les moteurs du progrès.
Dans quelle mesure ces quelques remarques sur la formation de l’écriture arabe éclairent-elles les débuts de l’Islam? La réforme qui intervient dès l’époque médinoise, afin de créer un instrument de communication mieux adapté, montre que l’écrit joue un rôle important sous le règne des premiers califes. La présentation traditionnelle de la société arabique, qui insisite sur l’importance de l’oralité, doit être révisée: il est manifeste que des archives sont constituées dès cette époque. Il faut ajouter que des données factuelles de plus en plus nombreuses, relevées dans les traditions, sont confirmées par les inscriptions du Yémen, pour des époques qui peuvent remonter jusqu’au IIIème s. è. chr. C’est une seconde preuve qu’il existait des archives écrites, au moins sous une forme sommaire. Dans un tel contexte, le rejet en bloc de la validité des traditions historiques paraît arbitraire ; il relève d’avantage de la provocation que de l’analyse historique.
L’affirmation que le texte coranique a trouvé sa forme définitive à une date très tardive semble également excessive. Les théories qui supposent une collation à l’ époque abbasside, en milieu irakien, sont contredites par l’existence de très anciens manuscrits coraniques, comme ceux trouvés en 1972 dans la Grande Mosquée de San’a’ au Yémen, même si la date précise de ces manuscrits (apparemment le règne de ‘Abd al-Malik) est encore discutée.
Les recheches dur les débuts de l’islam sont encore dominées par les théologiens, les philosophes et les historiens des idées, qui travaillent sur les textes fondateurs, et se préoccupent asset peu des données factuelles à tirer d’autres sources. Il importe qu’elle soient aussi abordées avec une approche d’historien, qui réintroduise le facteur temps et prenne en compte le contexte culturel de l’Arabie.
Voilà pourquoi je désire publier ici un article de Christian-Julien Robin paru dans le n° 219 du magazine Science & Vie, hors-série “Comment est née l’écriture”, juin 2002. J’ai reproduis ici cet article de la page 107 (à partir du sous-titre Quelques particularités) à la fin (page 115). Ce dernier article est entre-coupé de passages du livre de Ibn Warraq, Pourquoi je ne suis pas musulman, 1999 Editions L’Age d’Homme, Lausanne, Suisse, pour éclairer le sujet (en italique après les initiales I.W.).
Les passages en gras sont de moi.
J'espère que ceci pourra aider les personnes en panne d'argument.
Quelques particularités
Un tel système graphique présentait de nombreuses ambiguïtés s’il était utilisé pour une langue telle que le français. Ce n’est pas le cas pour l’arabe. En effet, la grande majorité des mots reproduit des modèles relativement peu nombreux qui guident la vocalisation. Un lecteur arabe reconnaît aisément le modèle que suit le mot, grâce à sa place dans la phrase, et en déduit la vocalisation et le sens; si cette première lecture laisse subsister des obscurités, une deuxième permet de les lever.
D’un point de vue formel, l’écriture arabe est asset différente de l’alphabet latin. Les normes suivies, qui sont les mêmes que dans quelques écrituresdérivées de l’araméen (comme le syriaque), sont originales. Les mots sont séparés par un espace, mais leur reconnaissance s’appuie également sur une différence de forme entre la lettre qui est au début du mot et la même lettre qui est à la fin. La norme est de lier les caractères, mais six d’entre eux (‘alif, dal, dhal, râ’,zayn et wâw) ne s’attachent qu’à la lettre précédente et jamais à la suivante : cette règle permet notamment de différencier le alif (qui ne se lie pas) du lâm (qui se lie). L’écriture arabe, qui ne distingue pas majuscules et minuscules, ne possède aucune marque pour signaler les nom propres; quand c’est nécessaire, elle recourt à des artifices comme la parenthèse ou le soulignement. Contrairement au choix qui à été opéré pour de nombreuses écritures (latine, grecque, cyrillique, hébraïque, etc.), l’arabe imprimé est identique à l’arabe manuscrit même si, pour l’un comme pour l’autre, il existe une grande variété de styles : l’arabe n’oppose donc pas une forme cursive à une forme plus solennelle.
Une dernière particularité de l’écriture arabe est de compter des caractères qui partagent une même forme : s’écrivent de la même manière bâ’, tâ’,thâ’, nûn et yâ en position initiale ou médiane; jîm, hâ’ et khâ’; dâl et dhâl; râ’ et zayn; sîn et shîn; tâ’ et zâ’; ‘ayn et ghayn; fâ’ et qâf. Pour les distinguer, un, deux ou trois points (appelés “diacritiques”) sont ajoutés au-desus ou au-dessous de la lettre. Ces points sont omis dans certaines inscriptions monumentales et dans les anciens corans qui utilisent une écriture appelée communément “coufique” (nom tiré de la ville irakienne d’al-Kûfa).
Comme il aété dit, l’écriture arabe a été utilisée pour noter des langues très diverses. Elles est peu pratique pour les langues au vocalisme riche, comme les langues indo-européennes, même après diverses améliorations. En vérité, son adaptation à une langue non sémitique n’est pas facile. On voit là que ce ne sont pas des considérations pratiques, mais des arguments idéologiques, qui amènent à adopter une écriture plutôt qu’une autre.
Les débuts de l’arabe classique
La langue que nous connaissons sous le nom d’arabe (classique) a été élaborée progressivement pendant les deux premiers siècles de l’histoire musulmane (le point de départ de l’hégire de Muhamad, en 622), à partir des modéles qu’offraient la prose coranique et la poésie ancienne; elle trouve sa forme définitive au IXème s.è. chr. (IIème s. de l’hégire) quand fonctionnaires de la chancellerie impériale, grammairiens et gens de lettres s’accordent sur sa codification. C’est une langue artificielle, qui n’est parlée nulle part, mais qui est néanmoins d’usage courant: le culte musulman lui accorde une place privilégiée et c’est elle qui s’impose dans tous les échanges soutenus et dans les documents écrits. Elle est la langue de communication par excellence, alors que les dialectes (qui ne sont pas écrits d’ordinaire) sont confinés à la vie familiale et locale.
L’arabe classique, par définition, n’existe pas avant l’Islam. Cependant, on s’accorde à nommer “arabe (préislamique)” les langues qui s’en approchent le plus. Le principal critère est la forme de l’article (-al). A la veille de l’Islam, une grande partie de la péninsule Arabique parle des dialectes proches de l’arabe. Il en est de même de toutes les régions désertiques du Croissant fertile (en Jordanie, Palestine, Syrie et l’Irak actuels). Mais quelques siècles plus tôt, l’arabe n’était qu’un parler minoritaire en Arabie, dans un vaste ensemble de dialecte nommés nordarabiques (par opposition aux sudarabiques, dans le sud de la péninsule) note de l’article: Le référent de l’adjéctif “arabique” est de nature géographique; c’est l’Arabie (ou si l’on préfère, à la péninsule arabique). “Arabique” n’est pas synonyme d’”arabe” qui renvoie tout d’abord à une langue, et secondairement aux populations qui parlent cette langue. Les plus anciens documents écrits en langue arabe remontent aux trois derniers siècles av. è. chr. ; ils ont été trouvés à Qaryat al-Fâw, une oasis du sud de l’Arabie séoudite, à près de 300 kilomètres au nord-est de Narjân. Ces documents se servent de l’écriture sudarabique et suivent les règles orthographiques du sabéen (la langue du royaume de Saba’ au Yemen).
Entre les IIème et IVème siècles è. chr., on connais une deuxième série de documents en langue arabe. Ils ont été découverts dans le sud d’Israël, dans le nord-ouest de l’Arabie séoudite et en Syrie méridionale. Ces documents utilisent l’écriture nabatéenne, une variété de l’écriture araméenne élaborée par le royaume de Nabat (annexé par Rome en 106 è. chr.)
Il faut attendre le VIème s. è. chr. pour trouver des inscriptions en langue arabe, écrites dans un alphabet qui leur soit propre. Cet alphabet est incontestablement l’ancêtre de l’alphabet que nous appelons aujourd’hui “arabe”, mais sans en avoir toutes les caractéristiques:
1. Il ne distingue pas les lettres de même forme avec des points diacritiques.
2. Il ne possède aucun symbole pour noter la voyelle longue â en milieu de mot (en fin de mot, il utilise le alif comme l’araméen).
3. Pour noter la consonne réalisée t ou h (et non un signe unique, le h surmonté des deux points du f).
La lecture d’un documents rédigé dans un tel alphabet présente de grandes difficultés si le contexte ne guide pas l’interprétation.
On ne connaît que trois inscriptions qui illustrent cet alphabet, toutes trois trouvées en Syrie, à Zabad (au sud-est d’Alep : 512è. chr.), au jabal Usays (en Syrie centrale, à une centaine de kilomètres à l’est de Damas: 528-529è.chr.) et à Harrân (dans le sud de la Syrie : 568-569 è. chr.)
Un dernier texte mérite une mention, bien qu’il ne soit pas connu directement, mais seulement par la copie qu’en donnent deux savants arabes du Moyen Age. Il commémore la construction d’une église à al-Hîra au vième siècle., même si aucune n’a été retrouvée. Si les auteurs de ces inscriptions appartiennent bien au milieu qui a élaboré l’écriture arabe, celle-ci serait née en Syrie ou en Irak, probablement dans la vallée de l’Euphrate, et serait due à des Arabes chrétiens qui cherchaient à affirmer leur identité face aux églises de langues gecque et syriaque.
En 622, Muhammad quitte La Mecque, où sa prédication sucite une hostilité de plus en plus vive, pour s’établir dans l’oasis de Yathrib (appelée depuis Madînat al-Nabî, “la Ville du Prophète”, d’où Médine). Yathrib compte alors deux tribus païennes et trois tribus juives. Muhammad a été appelé par les deux tribus païennes pour arbitrer un conflit ancestral : en effet, seul un étranger est neutre dans un tel contexte. Par ailleurs, Muhammad appartient à une tribu (Quraysh) et à un clan (les banû Hâshim) qui jouissent d’un prestige tout particulier en Arabie et sont susceptibles d’apporter la baraka.
Peu après son arrivée à Yathrib, Muhammad conclut un accord avec les juifs de l’oasis.
I.W: Médine, au moment de l’arrivée de Muhammad, était habitée par huit clans d’Arabes et trois de de juifs. Pendant des années, les inimitiés entre clans n’avaient fait que s’aggraver et elles avaient culminé en 618 dans une bataille qui s’était soldée par un mombre important de morts. Dans le but d’assurer une stabilité politique, Muhammad fonda une communauté (umma) composée de ses partisans de La Mecque et des gens de Médine. Tout problème important devait être réglé entre lui et Dieu. Toutes nouvelles dispositions qui régissaient la communauté sont contenues dans un document appelé la Constitution de Médine et Cook fait remarquer que “(l’un des intérêts majeurs) des parties du document est l’incitation à la guerre”. Après six mois à Médine, Muhammad commença à lancer des raids pour capturer des caravanes mecquoises en route vers la Syrie. Après quelques échecs, les hommes de Muhammad réussirent finalement à capturer une caravane en l’attaquant pendant le mois sacré païen. Muhammad s’appropria un cinquième butin. Les Médinois furent d’abord scandalisés par la profanation du mois sacré où l’on ne devait pas verser de sang, mais très vite leurs chefs lui apportèrent leur soutien et prirent part aux raids. C’est vers cette époque que les relations entre Muhammad et la communauté juive devinrent de plus en plus tendues. Il avait espéré que les juifs le reconnaîtraient. Il avait pourtant répété que son message ne différait pas de celui de Moïse avait prêché. Il avait, de plus, adopté de nombreuses coutumes juives, mais les juifs persistaient à ne pas voir en lui un vrai prophète. Muhammad rompit avec le judaïsme et commença à développer une religion qui se référait à l’autorité d’Abraham et non plus à celle de Moïse. L’islam était désormais une religion indépendante, de loin supérieure aux autres croyances judéo-chrétiennes. A la longue, il parvint à bannir les juifs de Médine et à les exterminer. (pp. 109-110)
C’est l’acte fondateur (souvent appelé la “Constitution de Médine”) de l’Etat musulman, encore bien modeste à cette époque. Cet Etat a besoin de consigner des documents par écrit, notamment cet accord. Le choix de l’écriture arabe semble s’être imposé naturellement, ce qui donne à penser qu’aucun autre alphabet n’était utilisé alors pour noter la langue arabe.
Cet alphabet présentait l’avantage d’être propre aux Arabes ; il s’accordait bien avec le souci de Muhammad de délivrer une révélation “en langue arabe pure” (Coran XXVI, 195). Cependant, il était terriblement inadapté avec seulement 17 consonnes (réduites à 15 en position initiale et médiane) pour noter 28 phonèmes consonantiques.
Un effort est bientôt entrepris pour que l’alphabet arabe, qui n’était pratiqué que par quelques personnes, soit enseigné au plus grand nombre. De nombreuses anecdotes mettent en scène des Compagnons de Muhammad qui cherchent à enregistrer par écrit la Révélation du , ou les décisions et commentaires du Prophète. L’impression qui en résulte est que l’usage de l’écriture se généralise à Médine durant les dernières années de la vie du Prophète, années qui sont les mieux connues. Le Prophète lui-même, ancien commerçant, savait probablement lire et écrire, contrairement à l’opinion répandue par des hagiographies tardives, qui veulent souligner le caractère miraculeux de la Révélation.
I.W. : Tout au long des vingt-trois années de sa mission prophétique, Muhammad a reçu directement de Dieu des révélations par lesquelles les rites et les obligations fondamentales de l’Islam furent établis et précisés : ablutions, dons d’aumônes, jeûnes, pèlerinages. Ses révélations traitaient aussi de problèmes pratiques, loi religieuse, héritages, mariages, divorces etc.
Telle est la tradition qui n'est désormais plus acceptées par Cook, Crone et Hinds.
Dans sa courte mais précise monographie sur Muhammad, publiée dans sa la collection Oxford Past Masters (p.65), Cook donne ses raisons :
“Nous avons des raisons de croire que ceux qui ont mis en circulation de nombreuses traditions relatives au dogmes et à la loi avaient pris soin de les authentifier par de fausse chaînes d’autorité. En même temps, nous savons qu’il existait au VIIème siècle de nombreuses controverses pour savoir s’il était admissible de réduire la tradition orale à l’écriture. Ce constat a des conséquences clairement négatives pour la fidélité de nos sources. Si nous ne pouvons pas nous fier aux chaînes d’autorité, alors nous ne pouvons plus prétendre que nous avons devant nous des récits transmis par des témoins objectifs, et si la connaissance de la vie de Muhammad fut transmise oralement pendant un siècle avant qu’elle ne fût fixée par écrit, alors grandes sont les chances pour qu’au cours de cette longue période, ce matériel ait subi de considérables altérations.” (p.111)
Controverses
Voilà comment se présenteraient les débuts de l’Etat musulman, à en croire les traditions arabes. Mais cette reconstruction historique est contestée. Un débat très vif oppose en effet les spécialistes. Les ouvrages rapportant les paroles et les actions du Prophète, tout comme les collections de traditions sur l’Arabie ancienne et les débuts de l’Islam, ont tous été rédigés à une date relativement tardive, plus de deux siècle après l’hégire. Ils reflètent évidemment les connaissances (ou les ignorances) et les préoccupations de leur époque. Mais permettent-ils de connaître véritablement l’islam des origines, avant la sortie de l’Arabie? De nombreux chercheurs répondent sans hésitation que ce n’est pas possible.
I.W. : A la mort de Muhammad en 632, il n’éxistait aucun texte de ses prophéties. Plusieurs de ses disciples tentèrent alors de recueillir toutes les révélations connues et d’en faire un codex. Très rapidement les textes se multiplièrent, tels ceux d’Ibn Masud, d’Ubai b. Kab, d’Ali, d’Abu Bakr, d’Al Ashari, d’Al Aswad et de bien d’autres encore. Les villes de La Mecque, Médine, Damas, Kouffa et Basra avaient chacune leur propre Codex Métropolitain. Nous avons vu qu’qu’Uthman avait tenté de mettre de l’ordre dans cette situation chaotique en officialisant le Codex de Médine et en ordonnant que tous les autres textes fussent détruits. Or, bien que le Codex d’Uthman était supposé standardiser le texte consonantique, il éxistait toujours au IVème siècle plusieurs versions. Le problème était aggravé par le fait que le texte consonantique n’était pas pointé, c’est-à-dire qu’il lui manquait les points qui auraient permis de distinguer par exemple un b d’un t. Plusieurs autres lettres (f et q, j, h et kh, s et d; r et z, s et sh, d et dh, t et z) étaient sources de confusion. Par conséquant, il était possible d’obtenir un très grand nombre d’interprétations différentes suivant la façons dont on pointait le texte. Les voyelles représentaient une difficulté encore plus grande car, à l’origine. les Arabes n’avaient pas de signepour transcrire les voyelles courtes - celles-ci ne furent introduites que bien plus tard. Donc, après avoir résolu le problème des consonnes, les musulmans devaient toujours décider quelles voyelles employer : choisir des voyelles différentes donnait, bien sûr, des lectures différentes. Cette difficulté conduisit inévitablement au développement de différentes écoles avec leurs propres traditions sur la vraie façon de pointer et de voyelliser le Coran. En dépit de l’ordre d’Uthman qui voulait détruire tout autre texte que le sien, il est évident que d’autres codex survécurent. Charles Adams insiste “sur le fait que plus d’un texte survécut intact à l’ordre d’Uthman. Il éxistait réellement des milliers de lectures différentes pour un même verset. Le codex d’Uthman faisait lui aussi l’objet de variante à tel point qu’il était difficile de reconnaître le texte original.” Certains musulmans préféraient d’autres Corans que celui d’Uthman, par exemple ceux d’Ibn Masud, d’Ubai ibn Kad et d’Abu Musa. Finalement, sous l’influence du grand érudit Ibn Mujahid (mort en 935), on adopta définitivement un seul système consonantique et on limita les interprétations à sept lectures :
1. Nafi de Médine (mort en 785)
2. Ibn Kathir de La Mecque (mort en 737)
3. Ibn Amir de Damas (mort en 736)
4. Abu Amr de Basra (mort en 770)
5. Asim de Kouffa (mort 744)
6. Hamza de Kouffa (mort en 772)
7. Al Kisai de Kouffa (mort en 804)
Certains érudits acceptaient malgré tout dix lectures, voire plus. Les sept interprétations d’Ibn Mujahid permettaient quatorze lectures, car chacune des sept était reconstituée par deux transmetteurs, à savoir :
1. Nafi de Médine d’après Warsh et Qain
2. Ibn Kathir de La Mecque d’après al Bazzi et Qunbui
3. Ibn Amir de Damas d’après Hisham et Ibn Dhakwan
4. Abu Amr de Basra d’après al Duri et al Susi
5. Asim de Kouffa d’après Hafs et Abu Bakr
6. Hamza de Kouffa d’après Khalaf et Khallad
7. Al Kisai de Kouffa d’après al Duri et Abdul Harith (pp. 144-146)
En vérité, toute version ou toute lecture différente pose de sérieux problèmes aux musulmans orthodoxes. Ils sont donc tentés d’occulter tout codex qui s’éloignerait du texte de Uthman. (p.146)
De même, les premières citations coraniques que l’on trouve sur des pièces de monnaie de la fin du VIIème siècle diffèrent du texte coranique. Les variations sont minimes, mais leur seul présence dans un contexte aussi formel prouve que le texte (du Coran) n’était pas figé.” (p.112)
La contestation du récit classique des débuts de l’Islam, fondé principalemnt sur la tradition arabe, ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Une autre remise en cause s’interroge sur l’homogénéité du texte coranique et crois reconnaître une compilation réalisée pendant une période assez longue, pouvant dépasser le siècle. L’analyse des thèmes développés dans le Coran mettrait en évidence des idées étrangères à l’Arabie, mais propres au judéo-christiannisme. La manière dont les sources proche-orientales du VIIème s. rendent compte de la conquête musulmanne ferait supposer que Muhammad se situait dans la continuité du messianisme juif. Une thèse récente, enfin, estime que le texte coranique a été réinterprététardivement, en modifiant les points qui distinguent les consonnes de même forme, et croit reconnaître derrière la graphie arabe actuelle des documents rédigés en araméen chrétien (ou syriaque).
En dehors de quelques chercheurs, notamment israéliens, qui poursuivent patiemment l’édition et l’étude des sources musulmanes, et recherchent toutes données vérifiables grâce à des recoupements, la tendance est à la contestation radicale : l’Islam que nous connaissons aurait été élaboré en Irak, après le milieu du VIIème s., par des intellectuels d’origine juive ou chrétienne, pour répondre aux besoins idéologiques d’un empire en voie de stabilisation. Il n’aurait pas retenu grand chose de la prédication de Muhammad. D’ailleurs, est-il vraissemblable qu’une telle religion ait eu son berceau en Arabie occidentale, région qui de signale par son arriération (la misère matérielle et intellectuelle du monde nomade) et de son isolement?
Dans ce débat compliqué et passionné, l’étude des évolutions de l’écriture arabe est susceptible d’appoeter quelques correctifs. Les plus anciens documents dans cette écriture, les inscriptions de Syrie antérieures à l’Islam, sont extrêment difficiles à lire et à comprendre quand on ignore leur contenu. Une telle écriture est manifestement inadaptée pour l’administration de l’Empire que fondent les musulmans après la conquête de l’irak (637), de la Syrie (635-638) et de l’Egypte (640-642). Elle ne permet pas d’avantage d’enregistrer un texte sacré, comme la Révélation que Muhammad transmet aux Arabes.
Les documents datés permettent de mettre en évidence plusieurs réformes. Trois sont particulièrement significatifs à cause de leur date et de la teneur du texte. Le plus intéressant est aussi le plus ancien. Il s’agit du reçu qu’un chef arabe remet à deux fonctionnaires bysantins d’Hérakléopolis (Fayyûm, Egypte) pour une livraison de 65 moutons. Le reçu est écrit sur papyrus, rédigé en grec et daté conformément aux pratiques bysantines ; le greffier est un clerc, nommé Jean, qui a composé le texte à la première personne, comme s’il était de la main du chef arabe. Un texte arabe qui donne la teneur du texte grec, a été ajouté en dessous, dans l’espace laissé libre ; il ajoute quelques détails, comme le fait que les moutons se répartissent en deux lots de 50 et 15 têtes, et en omet d’autres ; écrit par un autre scribe, nommé Ibn Hadîd, il porte la jumâdà I de l’an 22 (mars-avril 643). Les deux textes commencent par une invocation d’inspiration musulmane : “Au nom de Dieu” en grec, et “au nom de Dieu, al-Rahmân le compatissant” en arabe.
Le plus ancien texte sur pierre vient d’être découvert en Arabie séoudite, dans la région de tay-mâ’, par l’archéologue ‘Ali Hamad Ghabbân; il s’agit d’un modeste graffite, gravé sur un rocher par un voyageur, qui évoque la mort du calife ‘Umar (assassiné le 26 dhû 1-hijja 23h., 3 nov. 644). Ce document, daté de 24 h. (644-645) est notablement plus ancien que les inscriptions connues précédemment, datées de 29 et 31.
La première inscription sur pierre présentant une forme soignée et un contenu significatif commémore l’édification d’un barrage par le premier calife umayyade Mu’âwiya (41-60 h./ 661-680) aux environs d’al-Tâ’if (Arabie séoudite); elle est datée de 58 h. (677-678).
A ces documents, il convient d’ajouter quelques papyrus trouvés en fouille à Nessana, dans la région de Gaza, quelques stèles funéraires, et, pour finir, les textes du règne de l’umayyade ‘Abd al-Mlik fils de Marwân (685-705), à savoir la fameuse inscription sur mosaïque du Dôme du Rocher à Jérusalem (datée de 72 h. /691-692 è. chr.) et quelques bornes militaires.
Les piliers d’une refondation
Ces premiers écrits arabes islamiques illustrent trois étapes majeures. La première est l’invention des points diacritiques permettant de distinguer les consonnes de même forme. Le système est mis au point avant 22 h. (643) puisqu’il est déjà employé dans le plus ancien papyrus d’Egypte et dans le graffite de Taymâ’. Il ne sera jamais modifié. Ce fait capital n’a jamais été souligné, parce que le diacritisme reste d’emploi facultatif, pendant plus de deux siècles dans les textes manuscrits, plus longtemps encore dans l’épigraphie et la calligraphie coranique. Il prouve cependant qu’une autorité, probablement le calife ‘Umar (634-644), a jugé nécessaire de réduire les ambiguïtés de l’alphabet utilisé.
Une deuxième innivation intervient peu après ; il s’agit de l’utilisation de la première lettre de l’alphabet (le alif, qui avait jusqu’alors valeur d’attaque vocalique) pour noter la voyelle longue â. Sa première attestation se trouve dans un papyrus de Nesana, daté de 54 h. (674 è. chr.). Désormais, l’alphabet arabe peut noter toutes les voyelles longues; mais il ne sait pas encore écrire les voyelles brèves.
Le fait que la voyelle â n’est jamais notée ( sauf en fin de mot) dans les documents arabes les plus anciens n’a jamais été signalé explicitement. les éditeurs de texte, qui constatent qu’un â manque, interprètent d’ordinaire cette absence comme un oubli ou une faute. Ce critère est un bon moyen de juger de l’authenticité des documents supposés remonter au Prophète. Il s’agit notament de correspondances diplomatiques de Muhammad, conservées dans de diverses collections. Ces correspondances, écrites dans un alphabet archaïsant, font illusion dans un premier temps. Mais on s’aperçois bien vite que le texte a été copié dans les biographies du Prophète et qu’il suit l’orthographe arabe classique; la présence de alif pour noter le â dans le corps du mot est une preuve supplémentaire qu’il s’agit de pieuses falsifications. La troisième innovation du premier siècle de l’Islam est l’invention d’une forme calligraphiée de l’écriture arabe, dont les plus anciennes attestations datées se trouvent sur des bornes militaires umayyades du calife ‘Abd al-Malik (685-705). Elle révèle la recherche d’un effet esthétique, mais plus encore un changement de statut, avec un début de sacralisation.
L’introduction de points diacritiques et d’un signe pour la notation du â montre que le besoin d’améliorer l’écriture arabe est ressenti dès les débuts de l’Islam, avant même que le califat ne se déplace de Médine à la Damas (vers 660), avec les U mayyades. Il peut s’agir de rendre les communications administratives plus fiables ou de permettre une notation plus sûre de la Révélation et des enseignements religieux.
L’apparition d’une forme calligraphiée de l’écriture est en rapport avec la stabilisation de l’empire et l’affirmation d’une identité arabe et musulmane qui se cherche encore sous le règne de ‘Abd al-Malik. C’est alors que la personne de Muhammad commence é être sacralisée : son nom, qui n’était pas invoqué dans les papyrus et les inscriptions des premières décennies, apparaît pour la première fois dans l’inscription du Dôme du Rocher. C’est aussi le moment où l’arabe devient seule langue officielleet où d’importants projets architecturaux sont lancés. L’Islam institutionnel commence à prendre la forme que nous lui connaissons.
La notation du texte coranique évolue de manière asset différente. Pour dater les copies du Livre saint, l’un des meilleurs repères est l’utilisation de l’écriture calligraphiée, qui est élaborée et se généraliserait sous le règne de ‘Abd al-Malik (685-705).
Les plus anciens feuillets coraniques, dont l’écriture laisse encore reconnaître la main du copiste, pourraient ainsi remonter aux années 690. Dans ces corans, les hampes des lettres sont souvent inclinées, d’où l’appellation d’écriture “penchée” (arabe mâ’il) qu’on rencontre parfois ; cependant, les spécialistes préfèrent la nommer “hijâzite”.
Sur Sur hijâzites, il est inhabituel que les consonnes de même forme soient distinguées par des points diacritiques. Le développement de la calligraphie n’apporte aucune amélioration de ce côté, mais une autre innovation se fait jour, avec les débuts d’un système cohérent pour noter les trois voyelles brèves. Un premier procédé a recours à de gros points ronds de couleur, permettant d’indiquer quelques voyelles significatives. Il diffère du système qui s’est généralisé à partir du IXème s. è. chr. qui se sert d’autres symboles (et un petit traitincliné au-dessus pour le a , ou au-dessous, pour le i; une petite boucle au-dessus pour le u).
On voit que dans la sphère religieuse, l’exigence de la clarté et de précision est moindre, en ce qui concerne l’écriture, que dans la sphère profane. La raison en est simple. Dès l’origine, il aété exigé que le Coran soit récité et non pas lu, apparemment pour que les musulmans se distinguent des juifs. Par ailleurs, il n’est pas encouragé de constituer des collections écrites des dits du Prophète, de crainte de faire apparaître un Livre sacré qui concurrence le Coran. Ce sont donc apparemment l’administration et les exigences d’une vie intellectuelle naissante qui seraient les moteurs du progrès.
Dans quelle mesure ces quelques remarques sur la formation de l’écriture arabe éclairent-elles les débuts de l’Islam? La réforme qui intervient dès l’époque médinoise, afin de créer un instrument de communication mieux adapté, montre que l’écrit joue un rôle important sous le règne des premiers califes. La présentation traditionnelle de la société arabique, qui insisite sur l’importance de l’oralité, doit être révisée: il est manifeste que des archives sont constituées dès cette époque. Il faut ajouter que des données factuelles de plus en plus nombreuses, relevées dans les traditions, sont confirmées par les inscriptions du Yémen, pour des époques qui peuvent remonter jusqu’au IIIème s. è. chr. C’est une seconde preuve qu’il existait des archives écrites, au moins sous une forme sommaire. Dans un tel contexte, le rejet en bloc de la validité des traditions historiques paraît arbitraire ; il relève d’avantage de la provocation que de l’analyse historique.
L’affirmation que le texte coranique a trouvé sa forme définitive à une date très tardive semble également excessive. Les théories qui supposent une collation à l’ époque abbasside, en milieu irakien, sont contredites par l’existence de très anciens manuscrits coraniques, comme ceux trouvés en 1972 dans la Grande Mosquée de San’a’ au Yémen, même si la date précise de ces manuscrits (apparemment le règne de ‘Abd al-Malik) est encore discutée.
Les recheches dur les débuts de l’islam sont encore dominées par les théologiens, les philosophes et les historiens des idées, qui travaillent sur les textes fondateurs, et se préoccupent asset peu des données factuelles à tirer d’autres sources. Il importe qu’elle soient aussi abordées avec une approche d’historien, qui réintroduise le facteur temps et prenne en compte le contexte culturel de l’Arabie.
Dernière modification par Stephanopoulos le dim. 27 juin 2004 22:55, modifié 1 fois.
Stephanopoulos
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J'ai remarqué que j'ai fait une erreur de manipulation dans le texte.
Vers la fin de ce dernier j'ai écrit : Sur Sur hijâzites, il est inhabituel...;
il fallait lire : Sur les corans hijâzites, il est inhabituel...
Aussi, je voulais dire, en disant "les passages en gras sont de moi", que je n'ai fait que mettre en évidence certains passages du texte. Ainsi, je n'ai rien ajouté au texte de Christian-Julien Robin et de Ibn Warraq.
J'en profite pour ajouter que les musulmans considèrent le Coran comme incrée et écrit en arabe pur, les recherches relevées dans l'article de Christian-Julien Robin montre la fausseté de cette "doctrine".
On peut signaler aussi que le seul passage du Coran qui cite un passage de l'Evangile (selon les musulmans) est en réalité tiré d'un manuscrit apocyphe relatant l'enfance de Jésus qui est un faux manifeste du IVème siècle.
Vers la fin de ce dernier j'ai écrit : Sur Sur hijâzites, il est inhabituel...;
il fallait lire : Sur les corans hijâzites, il est inhabituel...
Aussi, je voulais dire, en disant "les passages en gras sont de moi", que je n'ai fait que mettre en évidence certains passages du texte. Ainsi, je n'ai rien ajouté au texte de Christian-Julien Robin et de Ibn Warraq.
J'en profite pour ajouter que les musulmans considèrent le Coran comme incrée et écrit en arabe pur, les recherches relevées dans l'article de Christian-Julien Robin montre la fausseté de cette "doctrine".
On peut signaler aussi que le seul passage du Coran qui cite un passage de l'Evangile (selon les musulmans) est en réalité tiré d'un manuscrit apocyphe relatant l'enfance de Jésus qui est un faux manifeste du IVème siècle.
Dernière modification par Stephanopoulos le sam. 26 juin 2004 12:15, modifié 1 fois.
Stephanopoulos
Je me permets de vous signaler, au cas où vous l'ignoreriez, que vous pouvez rectifier l'un de vos messages, même lorsque vous l'avez envoyé :
vous vous connectez, vous allez sur le message concerné, vous cliquez sur "editer" en haut à droite, vous rectifiez votre message et vous l'envoyez de nouveau.
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Le fait que le Coran ne présente du christianisme qu'une image tronquée et ne cite l'Evangile qu'à travers un texte apocryphe ne s'explique que si l'on tient enfin compte des travaux d'une école d'historiens arabisants français "islamo-sceptiques" marginalisés par l'Université et les media. Pour ces historiens, la version officielle des origines de l'Islam, enseignée à l'école et tenue pour dogme intangible par le pouvoir médiatique, pèche du fait qu'elle ne s'appuie que sur la tradition islamique elle-même, au lieu de chercher des sources extérieures. Pourquoi les historiens occidentaux sont-ils en quête de tout témoignage païen ou juif sur les origines du christianisme, et sont-ils incapables du même esprit critique sur les origines de l'Islam?
Or, pour cette école, les vraies origines de l'Islam sont à chercher en Syrie dans le milieu ébionite (secte judéo-chrétienne refusant de reconnaître la divinité du Christ, mais lui reconnaissant un statut prophétique - c'est-à-dire exactement la doctrine islamique actuelle). Mahomet aurait été le prédicateur de l'ébionitisme dans la péninsule arabique. Le Coran est en fait la traduction arabe d'un lectionnaire ébionite en syriaque. (L'année dernière, même Le Monde, journal de la non-information, a quand même dû parler des recherches d'un universitaire allemand qui a été frappé du nombre de phrases du Coran qui sont des décalques du syriaque.) On sait que des contingents ébionite et juif ont participé en 614 à l'assaut des Perses contre Jérusalem et au massacre des chrétiens de Jérusalem. L'hégire de 622 ne représenterait donc pas la fuite de Mahomet de La Mecque à Médine, mais le repli des Ebionites de Syrie vers le désert arabique, dans le but de préparer la conversion des Arabes à l'ébionitisme (rebaptisé Islam) et la revanche devant les armées de l'Empire chrétien orthodoxe. En effet, 622 est l'année où Héraclius Ier commence la reconquête de l'Asie mineure, et l'on sait que la guerre s'achèvera par la victoire de l'Empire contre les Perses en 628.
Pendant que les Romaioi et les Perses s'épuisaient dans leur guerre, les Ebionites convertissaient les tribus de la péninsule arabique, et, dès 634, ils étaient en mesure de prendre leur revanche sur les chrétiens. On connaît la suite: conquête de la Mésopotamie en 634, de la Palestine et de la Syrie en 636, de l'Egypte en 642 et de la Perse en 651. L'Empire, affaibli par des décennies de guerre contre les Perses et par les dissidences monophysites, n'était plus en état de garder ces provinces. Mais l'hypothèse selon laquelle l'Islam ne serait que la forme arabisée du judéo-christianisme ébionite permettrait d'expliquer pourquoi les populations chrétiennes du Moyen-Orient ont, au début, assimilé les conquérants à une nouvelle hérésie chrétienne parmi beaucoup d'autres.
Pour plus de renseignements, un livre passionnant et d'une lecture aisée qui résume ces thèses et donne des indications bibliographiques:
Maxime Lenôtre et Grégoire Félix
La création de l'Islam
Publications M.C., BP 16, 34270 Les Matelles, France, 2003
Prix: 21,10 euros
Diffusion par la maison de diffusion de livres kto intégriste D.P.F., BP 1, 86 190 Chiré-en-Montreuil, France (téléphone 00-33-(0)5-49-51-83-04, télécopie 00-33-(0)5-49-51-63-50)
Naturellement, toutes les propositions de ces chercheurs n'emportent pas la conviction, mais force est de constater que certaines de leurs hypothèses expliquent beaucoup de choses (par exemple, quelles étaient les vraies convictions religieuses de l'empereur Alexandre Sévère).
Or, pour cette école, les vraies origines de l'Islam sont à chercher en Syrie dans le milieu ébionite (secte judéo-chrétienne refusant de reconnaître la divinité du Christ, mais lui reconnaissant un statut prophétique - c'est-à-dire exactement la doctrine islamique actuelle). Mahomet aurait été le prédicateur de l'ébionitisme dans la péninsule arabique. Le Coran est en fait la traduction arabe d'un lectionnaire ébionite en syriaque. (L'année dernière, même Le Monde, journal de la non-information, a quand même dû parler des recherches d'un universitaire allemand qui a été frappé du nombre de phrases du Coran qui sont des décalques du syriaque.) On sait que des contingents ébionite et juif ont participé en 614 à l'assaut des Perses contre Jérusalem et au massacre des chrétiens de Jérusalem. L'hégire de 622 ne représenterait donc pas la fuite de Mahomet de La Mecque à Médine, mais le repli des Ebionites de Syrie vers le désert arabique, dans le but de préparer la conversion des Arabes à l'ébionitisme (rebaptisé Islam) et la revanche devant les armées de l'Empire chrétien orthodoxe. En effet, 622 est l'année où Héraclius Ier commence la reconquête de l'Asie mineure, et l'on sait que la guerre s'achèvera par la victoire de l'Empire contre les Perses en 628.
Pendant que les Romaioi et les Perses s'épuisaient dans leur guerre, les Ebionites convertissaient les tribus de la péninsule arabique, et, dès 634, ils étaient en mesure de prendre leur revanche sur les chrétiens. On connaît la suite: conquête de la Mésopotamie en 634, de la Palestine et de la Syrie en 636, de l'Egypte en 642 et de la Perse en 651. L'Empire, affaibli par des décennies de guerre contre les Perses et par les dissidences monophysites, n'était plus en état de garder ces provinces. Mais l'hypothèse selon laquelle l'Islam ne serait que la forme arabisée du judéo-christianisme ébionite permettrait d'expliquer pourquoi les populations chrétiennes du Moyen-Orient ont, au début, assimilé les conquérants à une nouvelle hérésie chrétienne parmi beaucoup d'autres.
Pour plus de renseignements, un livre passionnant et d'une lecture aisée qui résume ces thèses et donne des indications bibliographiques:
Maxime Lenôtre et Grégoire Félix
La création de l'Islam
Publications M.C., BP 16, 34270 Les Matelles, France, 2003
Prix: 21,10 euros
Diffusion par la maison de diffusion de livres kto intégriste D.P.F., BP 1, 86 190 Chiré-en-Montreuil, France (téléphone 00-33-(0)5-49-51-83-04, télécopie 00-33-(0)5-49-51-63-50)
Naturellement, toutes les propositions de ces chercheurs n'emportent pas la conviction, mais force est de constater que certaines de leurs hypothèses expliquent beaucoup de choses (par exemple, quelles étaient les vraies convictions religieuses de l'empereur Alexandre Sévère).
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- Messages : 269
- Inscription : ven. 05 mars 2004 12:14
- Localisation : Vaud, Suisse
Merci Claude pour ce post!
J'ignorait qu'il existait une secte nommée ébionite!
Ibn Warraq (qui n'est pas pour autant favorable au christianisme)
pense de son côté que les Arabes "furent énormément influencés par les Samaritains." (Pourquoi je ne suis pas musulman, p.115)
"Influencés par les Samaritains, les Arabes commencèrent à projeter Muhammad dans le rôle de Moïse, comme leader d'un exode (hégire), comme porteur d'une nouvelle révélation (le Coran) reçue sur une montagne sainte ad hoc (et Arabe), le Mont Hira. Il leur restait à composer in livre sacré." (Idem, p.116)
"Michael Cook constate que les croyances des musulmans et des Samaritains se ressemblent (...). Il montre que l'idée fondamentale développée par Muhammad sur la religion d'Abraham était déjà présente dans un texte juif apocryphe appelé La petite Genèse ou Livre des Jubilés (environ -140, -100) et que ce texte pourrait bien avoir influencé la formation du dogme musulman. Nous avons également le témoignage de Sozomenus, un chroniqueur chrétien du Vème siècle, "qui reconstruit un monothéisme ismaélite primitif identique à celui des hébreux à l'époque de Moïse" et qui en déduit que les lois d'Ismaël ont été "corrompues par le passage du temps et l'influence des paganismes voisins".
Sozomenus continue en expliquant comment des tribus arabes avaient adopté des coutumes juives en apprenant leurs origines ismaélites de la bouche même des israélites. Là encore, la communauté musulmane a fort bien pu subir l'influence de cette source." (Idem, p.113)
Y aurait-il eu un téléscopage de doctrine avec le samaritanisme (si ce mot existe!)?
A part ça, la thèse que vous évoquez me paraît très vraisemblable!
J'ignorait qu'il existait une secte nommée ébionite!
Ibn Warraq (qui n'est pas pour autant favorable au christianisme)
pense de son côté que les Arabes "furent énormément influencés par les Samaritains." (Pourquoi je ne suis pas musulman, p.115)
"Influencés par les Samaritains, les Arabes commencèrent à projeter Muhammad dans le rôle de Moïse, comme leader d'un exode (hégire), comme porteur d'une nouvelle révélation (le Coran) reçue sur une montagne sainte ad hoc (et Arabe), le Mont Hira. Il leur restait à composer in livre sacré." (Idem, p.116)
"Michael Cook constate que les croyances des musulmans et des Samaritains se ressemblent (...). Il montre que l'idée fondamentale développée par Muhammad sur la religion d'Abraham était déjà présente dans un texte juif apocryphe appelé La petite Genèse ou Livre des Jubilés (environ -140, -100) et que ce texte pourrait bien avoir influencé la formation du dogme musulman. Nous avons également le témoignage de Sozomenus, un chroniqueur chrétien du Vème siècle, "qui reconstruit un monothéisme ismaélite primitif identique à celui des hébreux à l'époque de Moïse" et qui en déduit que les lois d'Ismaël ont été "corrompues par le passage du temps et l'influence des paganismes voisins".
Sozomenus continue en expliquant comment des tribus arabes avaient adopté des coutumes juives en apprenant leurs origines ismaélites de la bouche même des israélites. Là encore, la communauté musulmane a fort bien pu subir l'influence de cette source." (Idem, p.113)
Y aurait-il eu un téléscopage de doctrine avec le samaritanisme (si ce mot existe!)?
A part ça, la thèse que vous évoquez me paraît très vraisemblable!
Stephanopoulos
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Rappelons le texte de Rémi Brague , publié sur le forum rubrique:
"a ce qui veut parler sur muhamed et l'is..."
Il s'agit d'un compte rendu de :
LUXENBERG, Christoph. Die syro-aramâische Lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlûsselung der Koransprache. Berlin : Das Arabische Buch, 2000, IX-311 p. ;
PRÉMARE, Alfred-Louis de . Les Fondations de l'Islam.. Entre écriture et histoire. Paris : Le Seuil, 2000, 535 p.
viewtopic.php?p=11612&highlight=brague#11612
"a ce qui veut parler sur muhamed et l'is..."
Il s'agit d'un compte rendu de :
LUXENBERG, Christoph. Die syro-aramâische Lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlûsselung der Koransprache. Berlin : Das Arabische Buch, 2000, IX-311 p. ;
PRÉMARE, Alfred-Louis de . Les Fondations de l'Islam.. Entre écriture et histoire. Paris : Le Seuil, 2000, 535 p.
viewtopic.php?p=11612&highlight=brague#11612