Pascal-Yannick a écrit :Bonjour à tous sur ce fil consacré au patriarcat d'Alexandrie je souhaiterai en savoir plus sur l'Eglise d'Afrique aux plans historique, géographique et doctrinal.Je l'avoue mes connaissances y sont parcellaires.Si parmi nous il y en a qui peuvent les partager notamment en y associant des références bibliographiques je ne saurais assez les en remercier.
Dans le
domaine historique j'aimerai connaître les dates approchées de "naissance" du patriarcat d'Alexandrie, de décadence (éventuellement les principales raisons de cette disparition).
Au
plan géographique:l'aire d'influence en Afrique du patriarcat d'Alexandrie au cours de l'histoire(de nos jour on l'appelle patriarcat d'Alexandrie et de toute l'Afrique si j'ai bonne mémoire).Ensuite, c'est peut-être pare là que j'aurai du commencer en demelant l'écheveau des dénominations, un point de lumière sur la confusion rencontrée par les termes: église copte orthodoxe, église copte catholique, église orthodoxe et patriarcat latin (tous d'Alexandrie!)
qui est qui?En parcourant par ailleurs le fil relatif à "Islam/Orthodoxie" ouvert par "totocapt" j'ai lu un passage relatif à la rivalité entre Alexandrie et Carthage.Si jamais rivalité eut lieu quels en étaient les causes?
Enfin pour ce qui est du
volet doctrinal:quel fut l'apport édifiant d'Alexandrie lors des premiers siècles de la chrétienté?Pourrai-je avoir des informations sur la "liturgie" et le didascalée d'Alexandrie?
Aspects tristes de cette église:pour la tragédie de Chalcédoine les coptes parlent de méprise par rapport au concile d'Ephèse(cf
http://site.voila.fr/eucharistie/page1.html ) comment les orthodoxes reçoivent-ils cette argumentation?-si tant elle en est une- et pour terminer qu'est-ce que le donatisme?
PS:Pour éviter de mobiliser inutilement les uns et les autres j'ai fais usage de la fonction "rechercher" sur les mots-clés conciles d'Ephèse,de Chalcédoine, Chalcédoine,patriarcat d'Alexandrie,donatisme,et copte; avec respectivement 344,0,87,397,4,et 83 réponses.Mes recherches courageuses ne m'ont pas apporté réponses à ces interrogations.
Votre question est vaste et intéressante et il faudrait plusieurs messages pour vous répondre.
Je vous prie de vous contenter pour le moment d'une première réponse générale, avant de venir à des réponses détaillées pour les différents points que vous abordez.
1. En effet, à l'heure actuelle, le patriarcat d'Alexandrie est vraiment de "toute l'Afrique", car son territoire englobe tout le continent africain et ses dépendances (diocèse orthodoxe de Madagascar qui recouvre aussi la Réunion et l'île Maurice). A noter que le patriarche d'Alexandrie, qui est le deuxième par rang d'honneur dans l'Eglise orthodoxe, porte le titre de "pape".
Toutefois, dans les premiers siècles chrétiens, il n'en était pas ainsi: la juridiction du patriarcat d'Alexandrie recouvrait l'Egypte, la Cyrénaïque, la Nubie et l'Ethiopie.
Dès lors, ce que l'on entend par "Eglise d'Afrique" pour les premiers siècles chrétiens est l'Eglise orthodoxe locale qui était centrée sur la province romaine d'Afrique (correspondant en gros à l'actuelle Tunisie), bref l'Eglise dont le siège métropolitain était Carthage. Cette Eglise était autocéphale, sans avoir jamais eu le titre de patriarcat. Elle a ensuite été considérée comme faisant partie du ressort d'Alexandrie à partir de la fin du VIe siècle.
Sur l'autocéphalie de l'Eglise d'Afrique, il existe une intéressante étude canonique en français, écrite par le canoniste roumain Nicolas Dură, sous le titre "Synodalité et primauté dans l'Eglise d'Afrique (romaine)", pp. 916-982 de son chef d'oeuvre
Le régime de la synodalité selon la législation canonique, conciliaire, oecuménique du Ier millénaire, Editions Ametist 92, Bucarest 1999.
(L'ouvrage a été passé sous silence et l'éditeur a fait faillite. Il s'agit pourtant de l'étude canonique orthodoxe la plus importante jamais écrite en français. Précisons pour l'anecdote que si ce livre fut écrit directement en français - alors qu'on s'attendrait plutôt au roumain, à tout le moins à l'anglais, vu le contexte - c'est qu'il s'agissait du cadeau du patriarche Théoctiste de Roumanie au pape Jean-Paul II lors de son voyage à Bucarest en 1999. Or, Jean-Paul II ne lisait pas le roumain, et il semble qu'il avait une nette préférence pour le français par rapport à l'anglais, préférence fréquente chez les gens cultivés qui avaient connu l'Europe avant le cataclysme.)
A propos de l'autocéphalie de l'Eglise d'Afrique:
"Si l'on étudie la législation canonique conciliaire de l'Eglise d'Afrique, on est d'abord frappé du fait qu'elle ne fait aucune mention d'une juridiction étrangère. Par exemple, le concile de Carthage de 397, "ne fait aucune allusion à la juridiction du pape sur les métropolitains, que la constitution de Gratien avait reconnue." Ceci montre bien, non seulement l'état d'autocéphalie de l'Eglise d'Afrique, mais aussi, à l'évidence, qu'à la fin du IVe siècle Rome n'exerçait aucune juridiction dans l'Eglise africaine. Sa juridiction ne s'exerçait encore que sur l'Eglise d'Italie. Quant à l'Afrique, les synodes généraux réunis à Carthage en 418, 419 et 426 ont réaffirmé d'une manière assez
évidente l'autocéphalie de leur Eglise, y compris leur autonomie judiciaire, qu'il n'y ait aucun doute de cela. Les canons des conciles romains, réunis sous la présidence du pape, et qui furent envoyés à l'Eglise d'Afrique, ne furent reçus par cette Eglise qu'à la suite de leur lecture et examen lors des synodes africains." (p. 969)
Cum grano salis, j'ajouterais que le patriarcat d'Alexandrie, à cette époque, n'exerçait pas plus de juridiction que celui de Rome sur l'Eglise de Carthage. Comme on est loin du mythe de la pentarchie et du néo-papisme patriarcal avec des patriarcats défendant farouchement leur territoire canonique promu pour des raisons tactiques par certain évêque orthodoxe...
Le christianisme maghrébin, affaibli par le donatisme et l'arianisme (nous y viendrons), a été totalement submergé par l'Islam entre le VIIe et le XIVe siècles. Par exemple, pour la Tunisie, les dernières traces du christianisme local disparaissent au cours du XIe siècle.
Toutefois, le titre métropolitain de Carthage a survécu jusqu'à nos jours, et le retour d'une petite présence européenne au Maghreb à partir du XIXe siècle ont abouti à ce que cette métropole, réduite aujourd'hui à un diocèse sans suffragants, ait une existence autrement que sur le papier, avec 6 paroisses et 3 prêtres. C'est tout ce qui reste de cette Eglise d'Afrique qui fut si glorieuse. Ces paroisses se trouvent toutes au Maroc et en Tunisie et ne regroupent en général que des personnes d'origine grecque et russe. Il faut rappeler que les conversions de l'Islam au christianisme ne sont autorisées qu'en Tunisie, l'Algérie ayant, par une loi votée en août 2006, mis fin à la liberté de conversion qui existait depuis le temps de la présence française.
Cette présence orthodoxe était plus florissante avant l'indépendance du Maroc et de la Tunisie en 1956, à l'époque où beaucoup de Russes vivaient dans la grande base navale française de Bizerte. Si le Maroc et la Tunisie, contrairement à l'Algérie, ont toléré le maintien de leur population d'origine européenne après l'indépendance, il est clair que le niveau de vie limité de ces pays en comparaison de la France, de l'Italie et de l'Espagne a accéléré le mouvement d'émigration des Européens de toutes origines qui s'y étaient installés.
En Algérie, il n'y avait à ma connaissance pas de paroisse orthodoxe avant l'indépendance, même s'il y avait quelques Grecs à Oran.
La situation n'est donc pas comparable à celle que le patriarcat d'Alexandrie connaît en Afrique subsaharienne, où la liberté de changer de religion est entière et où il existe des missions dynamiques au Kenya, en Ouganda, en République démocratique du Congo, au Ghana, etc.
La métropole de Carthage ne peut quant à elle espérer aucun développement en l'absence d'une liberté religieuse réelle dans son environnement.
Ceci étant dit, le patriarcat d'Alexandrie lui-même est d'origine apostolique, fondé par le saint apôtre Marc vers l'an 40. Son déclin est dû au schisme des monophysites coptes, puis à la conquête islamique au VIIe siècle. Il faut toutefois mentionner que s'il est devenu insignifiant en Egypte même (environ 18'000 fidèles, en écrasante majorité des Arabes du Machrek), ce patriarcat se trouve aujourd'hui, grâce au développement d'une Orthodoxie "noire" depuis 1946, dans la situation la plus favorable qu'il ait connue depuis quinze siècles.
2. La seule Eglise orthodoxe sur le continent africain est le patriarcat grec-orthodoxe d'Alexandrie et de toute l'Afrique, "grec-orthodoxe" (contrairement à orthodoxe grec) ne voulant pas dire de langue ou de culture grec, mais en fait "chalcédonien".
L'Eglise copte orthodoxe ("orthodoxe" étant ici un titre revendiqué par cette Eglise, mais il est clair pour nous que nous ne la considérons pas comme orthodoxe par sa foi) est de foi monophysite et a formé un patriarcat rival depuis le VIe siècle. A l'heure actuelle, le siège de ce patriarcat est au Caire, tandis que le patriarcat orthodoxe a conservé son siège à Alexandrie.
Le patriarcat latin d'Alexandrie était un titre purement honorifique qui n'est actuellement plus attribué.
L'Eglise copte catholique est une Eglise uniate que les missionnaires envoyés par le Vatican ont détaché de l'Eglise copte orthodoxe. Elle en conserve le rit.
3. Sur le plan liturgique, le patriarcat d'Alexandrie a abandonné la liturgie de saint Marc (bien que celle-ci soit encore occasionnellement célébrée) pour le rit byzantin (liturgies de saint Jean Chrysostome, de saint Basile le Grand et de saint Grégoire Dialogue) à partir des Xe-XIe siècles. Ses langues liturgiques sont le grec, l'arabe, l'anglais, le français, le swahili et le kikuyu (d'autres langues sont peut-être utilisées, mais je n'en sais guère plus).
L'Eglise copte, de son côté, a conservé la liturgie de saint Marc. Contrairement au patriarcat orthodoxe d'Alexandrie, elle utilise encore le copte dans sa liturgie (même si elle est ouverte à la traduction dans d'autres langues).
4. La question de la séparation entre orthodoxes et monophysites dans le siècle qui a suivi Chalcédoine devrait faire l'objet d'un message entier. Disons simplement que les monophysites nous considèrent comme des nestoriens, et considèrent comme nestorien le Tome de Léon, malgré la condamnation des Trois Chapitres au Ve concile oecuménique, qui devait manifester à la face de l'univers que l'Eglise orthodoxe réprouve le nestorianisme.
Il est dommage de constater que les multiples dialogues que les orthodoxes ont eu avec les monophysites n'ont toujours pas dissipé cette légende du nestorianisme prétendu du concile de Chalcédoine.
Il y aura sans doute d'autres occasions d'en parler sur le présent forum.
5. Le donatisme: merci beaucoup d'avoir posé cette question, et je m'étonne que nous n'ayons jamais abordé le sujet avant!
Disons que le donatisme était une variante ecclésiastique du
résistantialisme. "Le donatisme tire son origine immédiate de l'élection contestée d'un évêque de Carthage peu après la grande persécution ordonnée par les édits de Dioclétien de 303/304." (Professeur Pierre Maraval,
Le christianisme de Constantin à la conquête arabe, PUF, Paris 1997, p. 298.) En fait, les donatistes contestaient l'ordination du métropolite Cécilien, parce que l'un des évêques consécrateurs, Félix d'Abthugni, aurait été un
traditor, c'est-à-dire un clerc qui avait livré les livres des saintes Ecritures aux persécuteurs (
tradere = livrer, transmettre; les langues néolatines en ont fait du traditor le traître,
traditore en italien, alors que "traître" se dit
proditor en latin).
Les donatistes formèrent très vite une Eglise séparée, qui adopta une théologie sacramentelle hérétique à nos yeux (ils considéraient que la validité des saints mystères dépendait de la rectitude morale du prêtre qui les célébrait). Le schisme donatiste, sur fond d'affrontement ethnique (les donatistes recrutant plutôt chez les Berbères et les orthodoxes plutôt chez les Latins) aboutit à un siècle de chaos qui mena l'Eglise d'Afrique sur la pente d'un déclin dont elle ne se relèverait jamais. Par exemple, à une époque, les donatistes avaient des bandes armées (les circoncellions) qui semaient le chaos.
Les donatistes furent persécutés par le pouvoir impérial, puis ils semblent avoir collaboré avec les ariens après la conquête vandale. Ils sont encore attestés en 594. Mais, en tant qu'Eglise organisée, un coup fatal leur avait été porté par la conférence de Carthage (1er-8 juin 411), où on leur montra une pièce qui prouvait que Félix n'avait jamais été un
traditor.
La collection Sources chrétiennes des Editions du Cerf a publié (nos 194 et 195) la version bilingue (latin - français) des actes de la conférence de Carthage de 411.
J'espère que cet embryon de réponse correspond en partie à vos attentes. N'hésitez pas à nous demander d'aller plus dans les détails si certains sujets abordés retiennent plus votre attention.