Publié : dim. 30 avr. 2006 19:58
Je me permets de revenir sur l'attitude du site internet anglophone d'où on a extrait cette citation de Pline pour l'envoyer à Vincenzo. C'est un exemple de désinformation et de ce que nous ne devons jamais faire dans la défense de la foi.lecteur Claude a écrit :A part le fait que je ne vois pas le rapport entre le message de Vincenzo et le sujet du fil (prémonitions des philosophes grecs à propos du Christ), la traduction qui nous est proposée est plus qu'approximative. Elle est erronée.hilaire a écrit :Christ est ressuscité !
Cher Vincenzo, lorsque vous dites :
"Ne jamais raconter de bobards" ... j'ai pensé que c'était bien trouvé pour un forum ...
vous voulez dire quoi exactement ?
parce que votre traduction est somme toute assez approximative.
D'abord parce que la traduction de l'anglais vers le français est fausse. "Bobards", en anglais, se dit tall stories; j'aurais encore compris une traduction par "ne pas raconter de bobards" s'il s'était agi d'un "not to tell lies". Mais il est question de "not to falsifiy their word". "My word", c'est "ma parole"; la traduction correcte, ce serait "ne pas faire de faux serments", ou "tenir sa parole", ou "tenir ses engagements", en aucun cas "ne pas raconter des bobards".
Ensuite, ce texte peut difficilement être compris comme un témoignage de Pline en faveur des chrétiens. Il s'agit d'un extrait de la lettre de Pline, alors gouverneur de Bithynie, à l'empereur Trajan, où Pline rapporte les déclarations faites par des chrétiens arrêtés et confirmées sous la torture par deux filles esclaves qui étaient probablement des diaconesses. C'est à cette lettre que Trajan a répondu par un célèbre rescrit déclarant que le christianisme resterait religion illicite, mais que l'on ne le pourchasserait pas activement.
Enfin et surtout, c'est bien la première fois que je vois Pline traduit vers le français à partir de l'anglais. D'abord, il est absurde de traduire un auteur latin en français à partir de l'anglais. Ensuite, les traductions au carré comprennent toujours un risque d'erreur... au carré. Enfin, je me méfie des traductions anglaises. Quand j'étais enfant et que je lisais le petit livre illustré de la collection Ladybird Books sur Rome (Great Civilisations Rome, de Clarence Greig, illustrations de Jorge Nunez, Ladybird Books, Loughborough 1974 - publié un an avant ma naissance mais qu'on m'a offert quand j'avais dix ou onze ans - p. 40), ce passage de Pline était reproduit dans une traduction où on mentionnait que les deux filles esclaves interrogées étaient des "Christian priestesses", des prêtresses chrétiennes (sic), tout simplement parce que le traducteur était probablement un anglican ou un protestant favorable à l'ordination des femmes...
Je suis quand même allé chercher le texte latin pour vérifier la traduction anglaise. Je n'ai pas eu à chercher trop loin, car le texte latin est reproduit sur internet à l'adresse http://www.educnet.education.fr/musagor ... textes.htm ; je rappelle encore une fois qu'il ne s'agit pas de l'opinion de Pline, mais d'un rapport que le fonctionnaire Pline fait à son supérieur où il reproduit des déclarations faites sous la torture. Voici le passage pertinent de cette lettre de Pline (Lettres,X, 96):
Affirmabant autem hanc fuisse summam uel culpae suae uel erroris, quod essent soliti stato die ante lucem conuenire, carmenque Christo quasi deo dicere secum inuicem seque sacramento non in scelus aliquod obstringere, sed ne furta ne latrocinia ne adulteria committerent, ne fidem fallerent, ne depositum appellati abnegarent. Quibus peractis morem sibi discedendi fuisse rursusque coeundi ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium; quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secundum mandata tua hetaerias esse uetueram. Quo magis necessarium credidi ex duabus ancillis, quae ministrae dicebantur, quid esset ueri, et per tormenta quaerere. Nihil aliud inueni quam superstitionem prauam et immodicam.
J'ai souligné le passage qui est traduit en anglais dans le texte que nous a rapporté Vincenzo. On notera que cette traduction anglaise coupe le "affirmabant autem", de telle sorte que le lecteur ne peut que croire que Pline rapporte ce qu'il a vu, alors qu'il rapporte le témoignage d'autrui (des chrétiens inculpés, dont les déclarations seront confirmées par celles des deux ancillae dont il est question à la fin). En clair, par ce seul choix de présentation, cette traduction anglaise me semble relever d'une subtile désinformation.
On notera au passage que Pline les qualifie de ministrae, c'est-à-dire de servantes (du culte), c'est-à-dire de diaconnesses; s'il avait voulu parler de prêtres, il aurait utilisé un mot comme sacerdotes ou antistitae. On voit à quel point la traduction anglaise publiée dans le livre pour enfants de la collection Ladybird cité plus haut sollicitait le texte latin pour faire accroire qu'il y aurait eu, à un moment ou à un autre, un sacerdoce des femmes dans l'Eglise.
Enfin, chacun peut constater que le mot latin est bien "sacramentum", c'est-à-dire le serment. Sur ce point, la traduction anglaise est donc bien correcte, et c'est la traduction de l'anglais vers le français par Vincenzo qui est fausse.
La phrase veut ainsi dire "ils s'engagaient à respecter leur serment", pas "à ne jamais raconter de bobards". Ce n'est pas la même chose, et ce n'est pas si bien trouvé pour un forum, internet n'étant pas le lieu des grands engagements solennels. D'autant plus que, si l'on peut toujours lui dire la vérité, je vois mal comment on peut faire un serment à un pseudo sur un forum...
Cette page en anglais prétend donner des preuves (evidence) tirées d'auteurs antiques, païens ou juifs, à propos du christianisme. On reproduit donc un passage tronqué de la lettre de Pline, qui laisse supposer que Pline a appris des chrétiens que ceux-ci prêtaient le serment de ne jamais mentir, etc., etc., bref que des choses positives. Le lecteur qui n'a pas accès à la source originale ne peut qu'en retirer l'impression que Pline avait une opinion positive des chrétiens.
Or, si nous nous reportons à ce que Pline a vraiment écrit, que dit-il comme opinion personnelle - et non opinion rapportée - à propos des chrétiens:
Nihil aliud inueni quam superstitionem prauam et immodicam.
Je n'ai rien trouvé d'autre qu'une superstition ridicule et excessive.
Donc, on voit bien que Pline le Jeune ne tenait nos pères dans la foi que dans une toute petite estime. Le terme de "supersition" ne doit pas nous surprendre: le paganisme romain était arrivé en bout de course, donc il est probable que Pline était en fait sceptique et que la ferveur des chrétiens le choquaient. (Ce n'est pas le paganisme romain qui a persécuté le christianisme. C'est l'Etat. Quand Dioclétien ou Julien l'Apostat ont voulu insuffler une nouvelle vie au paganisme, ils n'ont pu le faire que sous la forme d'une caricature de l'Eglise. On notera au passage que, là où le christianisme s'est trouvé confronté à un paganisme encore vivant, mais qui n'était pas instrumentalisé par un pouvoir politique, dans l'Irlande du Ve siècle ou la Scandinavie du Xe, la conversion s'est fait pratiquement sans martyrs.)
Pour revenir à Pline, on voit bien le danger des textes tronqués comme celui qui est reproduit sur le site anglophone en question. Le chrétien qui aurait cette page comme seule information sur ce que Pline écrivait à propos des chrétiens va avoir la tentation d'utiliser ce qui lui est présenté comme un témoignage personnel de Pline à des fins apologétiques: "d'ailleurs, cet illustre écrivain païen ne disait-il pas qu'il avait appris que les chrétiens s'engageaient à ne pas nier un dépôt reçu (et non pas "trahir une confidence lorsqu'ils seraient appelés à la délivrer", comme traduit Vincenzo); quel témoignage en faveur de la pureté de nos moeurs"... et il risquerait de se retrouver face à un contradicteur qui aurait vraiment lu le texte de Pline et qui pourrait lui rétorquer ce que Pline pensait personnellement de nos coreligionnaires.
Par conséquent, nous devons fuir à tout prix la désinformation et nous en tenir à la vérité. Tant pis pour nous, car il serait flatteur d'annexer Pline à notre cause; mais la vérité est qu'il ne nous appréciait pas. Alors, tenons-nous en à la vérité, même si elle ne nous arrange pas. Car la Vérité nous rendra libres (cf. Jn 8, 32).
N.B. : La traduction est un exercice difficile. Je me rends compte que, dans mon message de hier sur la lettre de Pline, j'ai fait mention des deux "filles esclaves" mises à la question pour obtenir confirmation des interrogatoires des citoyens arrêtés. Mais le texte latin dit ex duabus ancillis. Il parle bien de ancillae, pas de ancillulae. Je n'ai donc aucune raison de traduire par "filles esclaves" quand le texte latin dit "femmes esclaves". Pourquoi ai-je commis cette faute de traduction? Parce que j'ai lu ce texte pour la première fois dans la traduction anglaise des livres pour enfants de la collection Ladybird Books, où ancillae était traduit par slave girls. L'erreur du traducteur anglais s'est imprimée dans mon esprit jusqu'à aujourd'hui. Et c'est ainsi que les erreurs de traduction se perpétuent de traducteur en traducteur. Cela suffit peut-être à expliquer la suite d'erreurs qui ont abouti à l'invraisemblable traduction dite oecuménique du Notre Père dont nous avons souvent parlé sur le présent forum. Par rapport à ce texte de Pline, j'ai donc moi aussi été traduttore, traditore.