CORPS & ESPRIT

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Makcim
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CORPS & ESPRIT

Message par Makcim »

Comme mon propos va s’éloigner un peu du « sort des juridictions russes en Occident » je pense plus judicieux de créer un nouveau fil bien que mon texte fasse écho aux propos eux-mêmes suscités en partie par mon envoi précédent.
Libre au modérateur de le placer où il lui semble préférable de le faire.

Merci Cher Jean-Louis pour vos savantes et indispensables lumières.
Chère Anne Geneviève, je suis vraiment désolé de vous avoir blessé d’une quelconque manière et je vous prie de m’en excuser mais personnellement c’est ce que je vois trop souvent qui me fait mal et c’est surtout de nous et de notre devenir avant tout que je me préoccupe et m’inquiète, cher Lecteur Claude.

Nous parlons toujours de tradition soit au sens fort de transmission soit au sens secondaire de coutume. Mais nous avons oublié ce qu’est vraiment la Tradition chez nous et pas seulement les mots et les rites mais la matière et la chair mêmes de la tradition. Evidemment je ne veux parler en aucun cas d’ésotérisme. Je vais donner un exemple concret et qui concerne un domaine qui m’est particulièrement cher : la musique sacrée.
La musique traditionnelle (dégénérée quelquefois en « folklorique ») a cette particularité première d’être, partout où elle a existé et où elle existe encore, construite sur les résonances naturelles des corps en vibration ; c'est-à-dire que les intervalles des modes utilisés par les musiques authentiquement traditionnelles du monde entier qu’elles soient sacrées ou profanes, sont non tempérés, c'est-à-dire qu’ils échappent pour une part suffisante (et nécessaire je vais expliquer pourquoi) à la construction culturelle de chaque peuple et correspondent à une réalité première, sensoriellement reconnaissable par tous (quand elle n’a pas été reléguée depuis trop longtemps) non construite.

A quoi bon me direz-vous ?

Eh bien je rappellerais d’abord que la musique dite byzantine (prototype de la musique orthodoxe) conserve toujours ces caractéristiques et que même s’il est bien difficile pour nous « occidentaux », particulièrement si l’on est musicien, de retrouver ces intervalles naturels pour pouvoir chanter cette musique et encore plus d’y adapter nos langues, cela reste possible, c’est une question de promotion de nos hiérarques et de travail de la communauté. Cela a été commencé en France même si c’est si peu soutenu par la hiérarchie hellène paradoxalement. Mais il faut écouter ce qui se fait en Amérique, particulièrement à la suite du travail inspiré et colossal du Père Ephraïm qui a créé 17 monastères depuis son monastère de St Antoine Le Grand en Arizona.
Voir http://www.stanthonysmonastery.org/index.html .

Ensuite il faut parler de la musique russe qui, bien qu’ayant perdu avec la polyphonie et son tempérament son caractère naturel et donc réellement traditionnel, a conservé malgré tout souvent, particulièrement dans les lignes d’alto (qu’on entend trop peu par rapport aux sopranes), le rappel des mélodies traditionnelles et puis de manière évidemment occidentalisée, une autre caractéristique de la musique sacrée orthodoxe : c’est le support d’une ligne de basse qui conserve avec l’isson traditionnel un rapport évident.

Quel point commun entre ces deux caractéristiques ?
Le rapport du corps, de la matière, de l’âme et de l’esprit. L’équilibre, l’harmonie, l’interpénétration, la continuité.
Pas de construction vers le haut au mépris du bas mais plutôt une transfiguration de la matière et du corps. Ce n’est pas de la théorie, c’est de l’expérimentation concrète. Les sons graves sont des sons de la terre, du bas du corps : les tambours africains, les basses de la musique de danse, la grosse caisse des musiques de marche. Trop développées, ou seules, elles peuvent nous mener au péché bien sûr, exacerbation du désir sexuel ou entreprise guerrière. Mais les basses quels que soient les instruments qui les produisent nous relient à la terre, à la marche et à la danse, elles nous conservent les pieds sur terre ; ainsi pas d’erreur spirituelle, pas d’élucubration faussement angélique. Le corps étant présent, enraciné, les mélodies et leurs mélismes se chargent du mouvement ascendant ou spirant comme l’on voudra, en tout cas celui de la demande et de la réception de l’esprit saint transfigurant.

Il faut s’occuper du corps, toujours revenir à cela pour ne pas redevenir ce que nous étions devenus, rester orthodoxes et non rester seulement des chrétiens occidentaux. Peu importe sinon que l’Occident ait été orthodoxe !

A quoi servent la sollicitation des sens dans nos chef-d’œuvres d’art total que sont nos liturgies ? Notre odorat doit être pris par les encens, notre vue par la chorégraphie du rite et les icônes de Notre Dieu de sa Toute Sainte Mère et de tous nos Saints, notre ouïe par les carillons, les grelots des encensoirs (que méprisent si fort les modernistes) et bien sûr toutes les cantilations et tous les chants, quant à la part kinesthésique elle n’est pas oubliée dans notre vénération des icônes comme dans nos prosternations et nos postures sans oublier tous nos contacts avec l’eau et l’huile de tous les mystères.
Tous nos sens sont constamment sollicités et tout cela dans un seul but « oublier tous les soucis du monde » afin que nous puissions également goûter les saintes espèces, pain et vin, c’est à dire physiquement goûter notre Dieu condescendant descendu en notre chair glébeuse pour la transfigurer.
Plus nous nous ancrons dans ce que ressent notre corps, plus nous faisons silence, nous faisons taire cet esprit toujours occupé de toutes les préoccupations du monde, plus nous touchons la terre et plus nous sommes humbles évidemment et plus nous nous rendons présents et réceptifs à la Parole et à la Présence de Dieu.

Tout cela vous le savez, mais il faut le rappeler et l’appliquer à tout ce que nous faisons. Nous sommes régulièrement appelés à l’attention, à la vigilance, à la réceptivité et le plus sûr moyen est de s’ancrer dans notre corps, pas dans ce qui nous en éloigne, comme les chants pseudo angéliques, pas dans notre intelligence, pas dans notre imagination, pas dans nos interprétations. Tout ce qui nous éloigne de cela risque bien de nous fourvoyer. La meilleure façon d’entendre ce qui nous concerne dans les textes que nous entendons n’est pas dans la tension qui ne produit pas de réelle attention ni l’analyse qui finit par produire le jugement et l’orgueil et qui nous éloignent, elle est dans la présence réelle de notre être là, corps et âme. Tout ce qui peut contribuer et nous aider à nous faire demeurer là nous rend disponible à l’Esprit de Dieu et à la communion réelle en Dieu avec nos frères et sœurs présents et de toute la terre et du Ciel.

Peut-être trouverez-vous que tout cela ne ressemble pas beaucoup à de la théologie ou bien que j’enfonce des portes ouvertes ou bien que j’extrapole un peu, mais je sens que tout est lié, tout est cohérent et que nous ne pouvons réitérer les mêmes erreurs que nos pères depuis des siècles, nous ne pouvons nous fourvoyer à nouveau dans les mêmes ornières. C’est une perception directe et une réaction qui me fait me sentir proche du peuple orthodoxe qui tout au long de l’histoire sans connaissance théologique profonde a senti que des hiérarques et/ou diplomates mal intentionnés le menaient à la perdition et a ainsi maintenu l’orthodoxie de la foi sans écrits mais avec son corps.
Makcim
Pascal-Yannick
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Re: CORPS & ESPRIT

Message par Pascal-Yannick »

Makcim a écrit : Ce n’est pas de la théorie, c’est de l’expérimentation concrète. Les sons graves sont des sons de la terre, du bas du corps : les tambours africains, les basses de la musique de danse, la grosse caisse des musiques de marche. Trop développées, ou seules, elles peuvent nous mener au péché bien sûr, exacerbation du désir sexuel ou entreprise guerrière.

.
Vous pourrez aussi conclure que la raison est hellène et que l'émotion est nègre.Je trouve que nous sommes très loin de la théologie et beaucoup plus proche de l'anthropologie.Sachez qu'aucune culture n'a le monopole de la sainteté, qui de fait la mettrait en état de surgrâce par rapport à d'autres ."c'est par la grâce que vous êtes sauvés par le moyen de la foi et cela ne vient pas de vous c'est le don de Dieu"."Ce n'est point par les oeuvres afin que personne ne se glorifie".Puisque vous vous embarquez dans une expérimentation anthropologique il serait logique de faire une démonstration de cette assertion gratuite(sons graves=luxure),que du reste je trouve non avenue dans un forum orthodoxe.Cela me rappelle ces neurobiologistes qui s'attellent rechercher les gènes de la méchanceté.Arretons avec ces farces.En passant je vous signale que l'Africain que je suis n'a jamais ressenti toutes ces pulsations ,que vous décrivez,en exécutant ces sons "graves".Avant de juger il faut connaître et comprendre.Je ne sais pas d'où vous tirez cette "expérimentation concrète"?Peut-être de votre imagination.
Et la Vérité vous rendra libre
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Il ne faut pas croire que le corps est la partie méprisable, lourde, inférieure de nous-mêmes. Ce qui nous a été promis, ce qui choquait si fort les membres de l’Aréopage d’Athènes lorsque saint Paul vint leur annoncer la Résurrection, ce que saint Paul leur abbobçait que le Christ est venu par sa mort nous apporter la Résurrection de notre être total, notre chair et notre âme. La vie éternelle de l’âme, les philosophes de l’Antiquité étaient déjà parvenus sagement à cette conclusion. Mais la Résurrection de la chair ? Allons, à d’autres ! et ils s’esclaffèrent et tournèrent le dos à Paul.

Mais le corps n’est pas méprisable. Il nous a été offert en cadeau lors de la Création du monde et représente le chef-d’œuvre de toute la Création, du Cosmos et de la Vie végétale et animale, qui a été conçue pour s’élever jusqu’à l’homme. L’homme doit don apprendre à maîtriser tout son être, corps et âme, pour l’orienter tout entier vers Dieu.

De toutes les activités de l’homme, la musique est sans doute celle qui est la plus directement liée à la prière. C’est pourquoi elle culmine dans la musique sacrée, au service de la prière. Je ne crois pas que les basses soient moins nobles que les aigus. La musique byzantine sait très bien exprimer dans l’ison l’unanimité du peuple priant. Quant à l’apport des Africains à la musique, il est immense, et tous s’inclinent et sont émus devant la beauté des négro-spirituals. Quel dommage qu’ils ne connaissent pas (encore) la musique orthodoxe !

L’homme n’a pas à renier ses possibilités, il ne fait que les mettre au service de Dieu. Dieu ne nous a pas demandé d’être tous identiques. Il nous demande de faire usage de notre liberté pour aller vers lui. L’homme a librement créé (oui : créé) des cultures, des langues, des œuvres d’art, très diverses, qu’il doit et peut orienter vers son Créateur. Pour cela il faut que nous sachions dans quel état de gloire Dieu nous a créés afin de comprendre l’absurdité et le tragique de notre déchéance présente. « Si nous ne savons pas dans quel état Dieu nous a faits, nous ne pourrons jamais comprendre ce que le péché a fait de nous. » (St Grégoire le Sinaïte)

Et pour finir je trouve très beau ce que vous répétez à chaque signature ; Et la vérité vous rendra libre.
Jean-Louis Palierne
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Makcim
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Message par Makcim »

Cher Pascal Yannick, j’ai bien peur que vous ne m’ayez pas bien lu et que vous adressiez à quelqu’un d’autre que le rédacteur du message incriminé.

Une des façons de s’extraire d’une douleur et d’une souffrance – qu’elles proviennent d’une blessure physique ou psychique est la colère. C’est quelquefois une question de survie, c’est un moyen qui vient naturellement et qui a son efficacité même si cela est éphémère et illusoire. Mais la colère c’est comme « l’amour » cela peut rendre aveugle et cela nous fait voir n’importe quoi toujours sous le même angle, quitte à déformer la réalité… Bref.

Vous n’avez lu que deux mots dans mon message, ceux-là mêmes qui ravivent peut-être en vous une blessure qui vous met en colère. Du coup vous avez « zappé » sur tout le reste et vous me faîtes dire même le contraire de ce que j’ai écrit. Aussi ne m’engagerai-je pas dans une vaine polémique, encore moins dans un conflit virtuel. Je vous invite à me relire et à suivre honnêtement le cheminement de ma pensée.

Vous vous trompez d’autant plus d’interlocuteur que vous adressez à un musicien de jazz qui a vécu, travaillé et joué en Afrique même, avec des musiciens dans des dancings, et qui a même eu la chance d’être invité à jouer avec des musiciens dans des villages de « brousse » et qui aime depuis sa prime jeunesse toutes les musiques du monde (donc toutes les cultures sans exclusive aucune) et particulièrement les africaines et afro américaines. De même j'ai toujours eu l'idée que les profondes liturgies éthiopiennes qui n'ont pas attendu l'évangélisation européenne pour exister seraient de merveilleux exemples pour les missions africaines. Je le répète je vous invite à me relire attentivement et vous apercevrez qu’au lieu de dévaloriser ces cultures il s’agit plutôt de les citer en exemple pour nous.
Mais comme je ne dispose pas d’énormément de temps à consacrer au forum je ne le perdrai surtout pas dans de vaines polémiques et justifications.
J’ajouterai tout de même que pour un orthodoxe, la « sainteté » n’a pas forcément de rapport avec la vertu.
Paix donc si vous le voulez bien dans notre recherche commune, je pense, de la vérité, de la justice, de la justesse, de l'amour, tous noms de Dieu
Makcim
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Cher Makcim

La musique traditionnelle est construite sur les résonances naturelles, en particulier la quinte juste, et cela ne date pas d’hier. Iegor Reznikoff, grand musicologue et animal d’université s’il en est, a pu démontrer que, dans les grottes peintes du paléolithique, les bisons, ours et autres chevaux ne sont pas placés au hasard sur la roche malgré leur apparent désordre et leurs chevauchements mais exactement sur les points de résonance à certains sons. Il a mené cette recherche avec un paléontologue et tous les capteurs désirables. Cela n’empêche pas cette musique traditionnelle d’être souvent polyphonique, comme on l’a entendu avec les enregistrements réalisés par des ethnologues dans des cultures de chasseurs-cueilleurs, c’est à dire ceux qui ont gardé le mode de vie d’avant l’agriculture, comme les Pygmées ou les Papous de Bornéo.
Le chant de type byzantin – ou « grégorien », c’est-à-dire romain de l’antiquité tardive, wisigoth, etc. – constitué d’une mélodie avec teneurs basse (isson ou bourdon) ou haute n’est pas l’unique façon traditionnelle de chanter. Le chant hébreu de la liturgie du Temple était polyphonique. Il en allait de même du grand chant liturgique aquitain que décrit Venance Fortunat et qui semble avoir été à deux voix d’adultes et une au moins d’enfants. Mais dans tous les cas où une polyphonie modale, non tempérée, s’est développée, il s’agit plutôt de l’enchevêtrement harmonieux de deux, trois ou quatre lignes mélodiques et non d’une harmonie « verticale » d’accords. Ecoutez le chant berbère ou les chansons corses – ou les Gaïnés du Népal, une de mes dernières découvertes discographiques – c’est évident.
Pourquoi ces deux manières traditionnelles que sont le chant avec teneur et les mélodies entretissées ? Pascal et moi nous étions posé la question et je vais vous livrer notre embryon de réponse. Le chant, dans la nature, est porté soit par les oiseaux soit par les insectes. Dans les pays méditerranéens ou de climat apparenté, on entend souvent un oiseau sur fond de cigales ou d’abeilles : mélodie + isson. Dans les climats plus humides et forestiers, ce sont les chants d’oiseaux qui s’entrecroisent : polyphonie.

Vous posez aussi le problème de la résonance des sons dans le corps humain. C’est un problème immense qui demande de vérifier car, au delà des premiers ressentis, il y a tous les effets secondaires. Les exemples de basses que vous avez donnés sont des percussions (même la contrebasse de jazz peut agir comme une percussion), il y a donc un double aspect : la hauteur du son et l’importance du rythme. Or c’est le rythme qui va mener à la marche ou à la danse, alors que l’oreille enregistrera plutôt les harmoniques hautes de ces sons bas…
Les contes et les mythes ainsi que les romans médiévaux qui appartiennent au même univers gardent l’écho d’un art ou d’une science de la musique et de son action sur l’homme. Tristan est un maître harpiste : il peut à volonté faire rire, pleurer ou dormir ceux qui l’écoutent.

Je suis entièrement d’accord avec vous sur l’importance du corps et des vécu sensoriels dans la liturgie. Et sur l’importance de l’écoute. C’est bien pour cela aussi que je partage les inquiétudes de Mihaela lorsque le peuple est totalement laissé de côté et n’a plus de rôle liturgique clair. Parce qu’alors l’attention demande un effort et donc engendre des tensions et tous les effets parasites qu’on voudra. Ou bien elle baisse, la passivité s’installe et la distraction avec elle. Dans les deux cas, on n’est plus dans la prière ni dans l’anticipation du Royaume.

Cher Pascal-Yannick, c’est de l’anthropologie, certes, puisque c’est l’homme qui doit autre sauvé, redressé dans sa nature tordue par le péché. Mais l’anthropologie en question n’est pas l’ethnologie, n’est pas le comparatisme des cultures. Il s’agit plutôt de ce qui est commun à tous les hommes, quelles que soient leur couleur de peau et leur musique préférée. Makcim ne faisait pas de racisme. Et la petite fille que j’ai été se plaçait tout au bord du trottoir pour voir passer les défilés de Carnaval quand elle pouvait, pour sentir les tambours des fanfares résonner dans son ventre. A huit ans, c’est une sensation à explorer. A quinze ?
Je co-signe des deux mains ce que Jean Louis Palierne vous a répondu.
J’ajouterais que, pour ma part, je n’oppose pas raison et émotion, surtout quand il s’agit de musique. Aimé Michel, un philosophe qu’on redécouvrira un jour, a montré que toute notre raison, toute notre logique et notre mathématique, n’a pu se déployer que grâce à la perfection de notre oreille, à sa sensibilité extrême par rapport à celle des animaux. En effet, on ne trouve de rapports exacts dans la nature que dans l’univers des sons et plus précisément du chant. L’homme est un être de raison parce qu’il en a l’instrument dans son corps : oreilles avec colimaçon, cordes vocales et voile du palais.
Et c’est bien Dieu qui nous l’a donné.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Makcim
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Message par Makcim »

Oui bien sûr ! Le rythme ! Voilà ce que j’avais oublié et qui demeure si important dans le chant traditionnel et byzantin particulièrement. Oui ! bien sûr ! Merci d’avoir complété Anne Geneviève. Le rythme c’est premier dans le rapport au corps et au cœur bien sûr ce qui n’est pas rien ! Habitant maintenant la Provence j'ai même fait à un moment le projet de jouer du fifre et du tambour dans les farandoles mais j'ai bien d'autres choses à faire.
Je connais Iegor Reznikoff, j’ai même fait dans le temps un stage de…grégorien avec lui et de chant harmonique. Une des écoles rivales de « Grégorien » avec celle de Marcel Pérès, des Bénédictins de Solesmes, de Gilles Binchois et d’autres sans doute que je ne connais pas.

Vous avouerai-je qu’il m’est même arrivé quelquefois de me demander pourquoi on n’avait pas traduit la Divine Liturgie de St Jean Chrysostome et tous les textes liturgiques orthodoxes en latin et qu’on n’avait pas utilisé les tons grégoriens pour mettre en musique tout cela. Cela aurait été irréprochable du point de vue textuel donc doctrinal et cela aurait permis d’utiliser le chant sacré occidental traditionnel. Il aurait suffi de le viriliser un peu d’y ajouter un isson comme l’a fait Marcel Pérès et même en le chantant selon le tempérament cela aurait sûrement produit un effet certain sur le public occidental, je crois que cela aurait eu fière allure et touché les cœurs de beaucoup de chrétiens. Bien sûr il aurait fallu faire des livrets avec la traduction en français en regard mais c’est tout simplement ce qu’ont fait les moines de Solesmes et qui avait été fait avant eux d’ailleurs… On a préféré un ethnophylétisme de bric et de broc…
Makcim
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Sauf erreur de ma part la Liturgie de saint Jean Chrysostome a été traduite en latin, et je pense depuis assez longtemps. J'avoue que je ne l'ai jamais vue. J'ai utilisé des langues que j'ai étudiées et même que je n'ai pas étudiées, mais depuis mon bac je n'ai jamais eu l'occasion de me remettre au latin et je n'en ai aucune envie

Mais même si on voulait utiliser le texte latin, il resterait à traduire ce gigantesque trésor que représente l'hymnographie orthodoxe. Alors pitié ! c'est déjà assez difficile à traduire en français, alors ne compliquons pas le problème. Mais c'est vrai que les productions de Marcel Perès donnent une bonne équivalence du chant byzantin. De même que dans les polyphonies corses nous sommes dans un monde infiniment plus spirituel que la tétraphonie palestrino-pétersbourgeoise.

Le problème est que les adaptations du chant byzantin sont le plus souvent le fait de gens dont le français n'est pas la langue maternelle, et qui n'ont pas conscience des exigences rythmiques de la prosodie française. C'est encore plus difficile que les nasales ou l'accord du participe passé. Je connais pas mal d'orthodoxes d'origine étrangère qui se donnent un mal de chien pour parler correctement notre langue (et j'essaie de les y aider) et je constate que la dernière chose la plus difficile à assimiler est cette foutue prosodie française. On s'en aperçoit en particulier quand on entend des lectures liturgiques faites en français. Ils n'arrivent pas à caser correctement les mélismes ?
Jean-Louis Palierne
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Traduire en latin n’aurait fait que remplacer une langue incompréhensible à nos compatriotes (le grec) par une autre langue devenue incompréhensible (le latin). Moi qui suis pourtant latiniste en tant qu’historienne, qui ai travaillé longtemps sur des textes latin, je rejoins complètement Jean Louis Palierne dont ce n’est pas la tasse de thé !
J’ai été une élève de Iegor Reznikoff durant 3 ans et j’ai fait partie du petit groupe « avancé » puisque son cours était à deux niveaux. Une des choses intéressantes dans ses cours, c’était de chanter de manière modale dans différentes langues : en grec, en latin, en hindi, en hébreu, en occitan – très rarement en français moderne. Quand nous, les élèves, commencions d’être au point sur un morceau, il improvisait (?) souvent une seconde voix selon les principes traditionnels.

Jean Louis, vous dites une chose très importante en parlant de la prosodie. C’est pourquoi j’apprécie la traduction des psaumes faite par Michel Mendez à Bois Aubry, parce qu’il s’est lancé dans ce travail pour avoir à la fois le sens du texte et un phrasé que l’on peut cantiler ou chanter sans se faire des nœuds à la langue. Que l’homme ait mal tourné en rejoignant les Coptes est un autre problème, je ne suis pas dans la polémique mais dans la technique. J’apprécie aussi fortement votre traduction de « Roi du ciel, consolateur… », il peut se chanter, se dire recto tono, le rythme est juste. Cette aisance n’est pas toujours possible avec les traductions de Denis Guillaume dont le français est pourtant la langue maternelle mais j’ai le sentiment qu’il oublie l’exercice de Flaubert, passer « au gueuloir », et reste à se relire les yeux sur le blanc du papier ou le gris bleu de l’écran. Cela n’aide certainement pas des gens non francophones à l’origine à célébrer dans notre langue.
Le « grégorien », je parle ici, très précisément, du chant romain ancien (cf. Marcel Pérès) et du chant colombanien tel qu’on le retrouve dans les anciens manuscrits de Saint-Gall, est assez proche du chant byzantin dans son principe. Monodique avec teneurs, une rythmique indiquée par la prosodie. Il est parfaitement adapté au latin. Pour le grand chant aquitain, un problème musicologique se pose puisque les manuscrits sont neumés, donc monodiques, alors que la description qu’en donne Venance Fortunat suggère une triphonie. Mais là encore, l’adaptation de la ligne mélodique au latin est parfaite.
Je n’ai jamais été très satisfaite des transpositions en français, que ce soit à partir des tons russes, des tons grecs ou du « grégorien ». Mais ça ne marche pas davantage avec les chants de troubadours ou les chants bretons. Cela vient de la différence de prosodie, c’est évident, mais le savoir ne rend pas les choses plus simples. Il ne suffit pas de traduire les textes, il faut aussi, si j’ose cette expression, traduire la musique, replacer sur le texte les articulations mélodiques et rythmiques. Pour aider à poser les mélismes au bon endroit, je vous suggère un exercice préparatoire : une simple psalmodie recto tono avec quelques inflexions. Cela peut aider à prendre conscience de la prosodie.
Mais en fait, il faudrait peut-être réapprendre à neumer autrement qu'avec slash pour monter et anti-slash pour descendre !
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