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Vous trouverez ci-dessous un article paru dans le S.O.P. 287 Avril 2004.
Dommage que le Père Thomas Hopko n'ait pas détaillé davantage sa critique car le lecteur reste un peu sur sa faim. Il ne fait qu'ébaucher des grandes lignes telles que la réduction de la passion à l'évènementiel et la dissimulation du sens de la kénose.
Dommage également qu'il n'ait pas pris le temps d'informer le spectateur sur les erreurs scripturaires et se contente de mentionner:
Et nous ne dirons rien de la façon dont l’auteur établit des liens entre la description par lsaie du serviteur souffrant de Dieu, où il puise, semble-t-il, sa principale source d’inspiration, et certains autres éléments tirés des descriptions de la Passion dans les évangiles canoniques et d’autres sources apocryphes ou légendaires.
Je passe aussi sous silence les libertés prises par l’auteur avec les Écritures, de même qu’avec l’histoire et la langue de l’époque.
Mais sans doute n'a-t-il pas voulu justement apporter sa contribution à rectifier des erreurs dans un évènementiel qui lui semble accessoire en regard d'une vision orthodoxe de la passion.
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“LA PASSION SELON MEL GIBSON EST FAUSSE ET ENNUYEUSE”
Père Thomas HOPKO
La sortie très médiatisée du film de l’acteur et réalisateur américain Mel GIBSON, “La Passion du Christ’, a suscité, aux États-Unis comme en France, de nombreuses réserves dans certains milieux juifs et chrétiens, voire des polémiques, reprochant surtout au réalisateur son “antijudaisme larvé” ou encore un parti pris de “dolorisme et de violence morbide”. En France, en arrière-plan du film de GIBS0N, ainsi que de la nouvelle série de Gérard MORDILLAT et Jérôme PRIEUR sur Arte, “L’origine du christianisme”, Jean-François COLOSIMO, enseignant à l’institut Saint-Serge, a proposé, dans Le Figaro Magazine du 27 mars, une synthèse de ce que l’on sait réellement de Jésus : deux mille ans d’exégèse “sans parvenir à épuiser la vie de celui qui reste pour des milliards de croyants le Christ ressuscité”. En Grèce, l’archevêque CHRISTODOULOS d’Athènes, primat de l’Église orthodoxe de Grèce, a dénoncé le film, selon lui, beaucoup trop violent. À New York, l’institut de théologie orthodoxe Saint-Vladimir a demandé à son ancien doyen, le père Thomas HOPKO, de donner son point de vue sur ce film. Le SOP reproduit ici ce texte, disponible, dans sa version originale anglaise, sur le site Internet de l’institut Saint-Vladimir (
http://www.svots.edu).
Âgé de 64 ans, le père Thomas HOPKO enseigne la théologie dogmatique à l’institut de théologie orthodoxe Saint-Vladimir, à New York, dont il a été le doyen de 1992 à 2002 (SOP 171 .12, 262.10). Auteur d’une thèse de doctorat en théologie soutenue à l’université de Fordham, il a souvent été invité à parler de l’orthodoxie dans des universités américaines. li est l’auteur de plusieurs études sur la foi et la spiritualité orthodoxes, dont notamment The Orthodox Faith : An Elementary Handbook on the Orthodox Church, en quatre fascicules (1972-1976), The Spirit of God (1976), Ail the Fullness of God (1982), The Lenten Spring(1983), Women and the Priesthood (1983, nouv. éd. 1999), The Winter Pascha (1984), toutes parues en anglais aux éditions St. Vladimir’s Seminary Press. Le premier de ces ouvrages est paru partiellement en traduction française, sous le titre La foi orthodoxe, dans la collection des fascicules de la Formation par correspondance (FTC) de l’institut Saint-Serge, à Paris, ainsi qu’en plusieurs autres langues.
Quels que soient les mérites cinématographiques et artistiques du film de Mel Gibson, “La Passion du Christ”, et bien qu’il suscite çà et là des propos positifs, il serait faux de dire que ce film décrit amplement et en profondeur le Christ, dont l’Eglise dit que “Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude et, par lui, à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix” (Col 1,19-20).
Une passion réduite aux souffrances physiques
Il me semble que “La Passion” de Mel Gibson est une oeuvre fortement ,exagérée et ennuyeuse, dans la mesure où elle s’attarde surtout sur un seul aspect des Ecritures, les souffrances et la mort du Christ, en en parlant de manière excessive et faussée. Son Jésus est un serviteur de Dieu qui souffre et dont la passion se réduit en fait aux humiliations et aux sévices subis par un homme battu avec une brutalité sadique, qui excède au demeurant tout ce que les quatre évangiles relatent. La lourde insistance du film sur les souffrances physiques du Christ, qui ici, et contrairement aux Ecritures, commencent dès le jardin de Gethsémani, lors de l’arrestation de Jésus, et la laideur quasi caricaturale des méchants — les prêtres, les soldats, Judas, Hérode, Barabbas —, la figure du diable et de ses enfants, les visages dans la foule, tout cela retient l’attention du spectateur et sert plus à dissimuler qu’à révéler ta plénitude et la profondeur de la Passion du Christ dans toute sa polysémie. Et nous ne dirons rien de la façon dont l’auteur établit des liens entre la description par lsaie du serviteur souffrant de Dieu, où il puise, semble-t-il, sa principale source d’inspiration, et certains autres éléments tirés des descriptions de la Passion dans les évangiles canoniques et d’autres sources apocryphes ou légendaires.
Je passe aussi sous silence les libertés prises par l’auteur avec les Écritures, de même qu’avec l’histoire et la langue de l’époque. Les divers témoignages scripturaires relatifs au Christ et à sa mort ignominieuse par crucifixion, exécuté par l’occupant romain à l’instigation des chefs de son peuple, sont présentés et expliqués par la tradition orthodoxe de trois façons différentes, qui sont intimement liées l’une à l’autre et qui s’éclairent mutuellement
Le Christ des Écritures
Le Christ des Écritures est tout d’abord l’ultime prophète qui annonce l’ultime parole de Dieu. Il est également le Verbe de Dieu qui s’est fait chair. Sa mort sur la croix est, en fin de compte, l’accomplissement de la prophétie épiphanique de Dieu qui est amour. C’est là la révélation insurpassable d’un Dieu qui est miséricordieux, longanime, lent à la colère, qui offre son amour infini, qui ne garde pas sans cesse de rancoeur contre les hommes, qui ne les traite pas selon leurs péchés et ne leur rend pas en fonction de leurs iniquités (Exode 34, Psaume 103, etc.).
Le Christ des Écritures est également l’ultime grand prêtre, non pas selon la lignée d’Aaron, mais choisi par Dieu suivant l’ordre de Melchisédech. Il s’offre lui-même sur la croix comme sacrifice parfait à Dieu son Père pour le salut du genre humain, symbolisé dans les évangiles par les chefs des Juifs et des Gentils, dont les discours sont si pitoyables, ainsi que par ses propres disciples, qui s’avèrent faibles et infidèles. Le paiement de la dette dont Jésus s’acquitte sur la croix pour racheter le genre humain n’est pas une contribution de douleur et de punition, que Dieu devrait obtenir des pécheurs pour assouvir sa colère et satisfaire sa volonté de justice. Il s’agit plutôt du paiement de la dette de la vérité, de la justice, de la miséricorde et de l’amour, que Dieu demande à ses créatures, quand il leur dit de suivre les dix commandements (voir, par exemple, l’Epître aux Hébreux).
Le Christ des Écritures, finalement, est l’ultime roi, qui accomplit l’ultime combat victorieux de Dieu pour sauver l’humanité et l’ensemble de la création, à travers sa crucifixion, en prenant sur lui les péchés du monde. Le Messie de Dieu devient le serviteur de tous, tel un esclave pauvre et méprisé. II s’identifie avec toutes les victimes de l’injustice et du mal à travers les âges. Par ses souffrances et sa mort sur la croix, il détruit tous les ennemis du genre humain le mensonge, l’injustice, la folie, l’arrogance, la lâcheté, la maladie, la méchanceté sous toutes ses formes, toutes les sortes d’esprits démoniaques ainsi que l’ennemi ultime, qui est la mort elle-même.
La souveraineté de Jésus-Christ, Dieu et Homme, manifestée dans sa Parole prophétique, son sacrifice sacerdotal et sa victoire royale sur la croix
Les Écritures relatives à Jésus, tout comme l’ensemble des textes de la Bible, ne sont pas des minutes historiques. Elles sont des proclamations et des explications de ce que les premiers chrétiens savaient de l’Evangile de Dieu. Les descriptions de la Passion, telles qu’elles sont contenues dans les quatre évangiles, ne peuvent pas être harmonisées entre elles du point de vue historique, ni vérifiées. Elles divergent de manière significative sur des détails importants. Mais quelle que soit la façon dont se sont déroulés les événements lors de la passion du Christ, une chose est sûre : personne ne peut nier l’existence de Jésus de Nazareth, pas plus que sa mort sur la croix pour le motif de trouble à l’encontre des autorités religieuses et civiles, ni qu’une partie de son peuple ait eu la certitude que Dieu, son Père, l’avait relevé des morts et l’avait révélé comme Messie et Seigneur à travers ses souffrances, “selon les Ecritures”, ce qui veut dire selon la loi de Moise, les psaumes et les prophètes.
Dans cette lecture de la Bible, telle que la fait la Tradition de l’Église, le Christ devait refuser les tentations du pouvoir terrestre, les honneurs, les biens matériels et les plaisirs de ce monde. Il devait être pauvre, doux, humble de coeur et méprisé par les hommes. Il devait mourir de la mort honteuse sur la croix, exécuté par des pécheurs, au nom de pécheurs, dont la méchanceté apparaît plutôt misérable, banale et pathétique que violente, spectaculaire et dramatique. Nous ne devons pas oublier que la crucifixion était une punition courante en Judée à l’époque de Jésus et que, finalement, le rejet de Jésus tant par les Juifs que par les Gentils ne tenait pas tant à sa crucifixion. C’était surtout — et cela reste vrai jusqu’à aujourd’hui — un rejet de l’annonce de sa souveraineté en tant que Dieu et Homme, manifestée dans sa Parole prophétique, son sacrifice sacerdotal et sa victoire royale sur la croix. Certaines personnes ont vu cela dans le film étrange et violent de Mel Gibson, malheureusement pas moi.
Article paru dans le S.O.P. 287 Avril 2004