Glicherie,
Ma remarque voulait simplement dire qu’il n’y a jamais eu de décision canonique formelle de l’Église orthodoxe en sa plénitude concernant l’Église catholique. Il y a eu des prises de positions très importantes et très vigoureuses, par exemple par les patriarches d’Orient réunis, mais le Corpus canonique, qui n’a pas été mis à jour depuis le IXème siècle, reste muet. Et ce silence est tout de même un élément important. Un Concile œcuménique peut à nouveau se tenir. Je crois et j’espère qu’il se tiendra, mais nul ne peut dire quand. Il pourra (à mon sens il devra) non seulement prendre ses propres décisions, mais aussi canoniser un certain nombre de décisions qui ont été prises depuis la dernière mise à jour du Corpus canonique. Mais pour l’instant, sur une question comme celle que pose à l’Église orthodoxe l’existence de cette organisation qui prétend au titre d’Église catholique-romaine et qui est l’héritière infidèle d’un Patriarcat antique, sur cette question nous pouvons présenter des arguments et des convictions, pas des certitudes canoniques.
Je ne comprends pas pourquoi vous pouvez m’écrire :
Jean-Louis, votre analyse me semble vraiment pertinente. Mais ce que j'ai du mal à comprendre, c'est la relation avec l'Eglise catholique romaine: il n'y aurait pas de schisme ? Les russes reconnaitraient la validité des ordres ?
Je n’ai jamais eu la prétention de parler au nom de l’Église russe, qui se défend très bien toute seule, et à laquelle je n’appartiens pas. Alors pourquoi me poser cette question ?
Pourquoi alors, lors d'une conversion, l'on chrisme ou ("re") baptise le catéchumène ?
Je crois m’être longuement étendu sur cette question il y a un certain temps dans un autre fil de notre Forum. Saint Basile a clairement établi que la Tradition apostolique interdit de reconnaître les saints Mystères célébrés par des hétérodoxes. Mais cette même Tradition apostolique impose également de respecter la forme vide (nécessairement vide puisque donnée par des hétérodoxes) d’un saint Mystère célébré dans les règles (car les hétérodoxes généralement ne bouleversent pas totalement l’ensemble de la foi de l’Église qu’ils quittent, mais en gardent certains éléments) et de ne par réitérer le Baptême. Dans ce cas la Grâce baptismale, que l’hétérodoxe repenti n’avait pas reçue, lui est conférée par un autre geste de l’Église, par exemple la Chrismation.
Saint Basile a d’autre part rappelé que la Tradition apostolique ne place pas les hétérodoxes dans leur ensemble sur le même plan, et distingue, suivant l’ampleur de leur écartement, entre hérétiques, schismatiques et parasynagogues (et les définitions qu’il en donne ne coîncident pas avec la terminologie contemporaine). Le problème qui se pose dès lors est de savoir où classer les catholiques. Il semble évident qu’on ne peut les classer parmi les hérétiques, c’est-à-dire parmi ceux qui ont altéré la formule traditionnelle, trinitaire, du Baptême. Alors où ?
Les prêtres catholiques devenant ortodoxes ne sont ils pas ("re") ordonnés ? Le père Guetté par exemple ?
Ici le question posée est de savoir par quel saint Mystère on donne à un hérétique repenti la Grâce des sacrements dont il n’a reçu que la forme vide chez les hétérodoxes. Usuellement, si on ne les baptise pas (on ne devrait rebaptiser que ceux qui ont altéré la forme du Baptême), on leur confère la Chrismation. Mais les Conciles admettent aussi qu’on reçoive des “clercs” hétérodoxes en leur conférant le sacerdoce (qui leur confère alors la grâce baptismale et chrismale), ne serait-ce qu’en les réadmettant à l’autel. Je crois que c’est ainsi que le père René (devenu Vladimir) Guettée a été admis dans l’Orthodoxie.
Comme dans cas du Baptême, il ne s'agit pas de "reconnaître" le sacerdoce des hétérodoxes (donc dans ce cas des catholiques) mais d'apporter la Grâce des saints Mystères de l'Église orthodoxes à des gestes sans effocacité que des hétérodoxes avaient accomplis.
Comment la succession apostolique peut-elle validement se transmettre lorsque la confession de la foi est altérée ?
Je n’avais absolument pas l’intention de prétendre que la “succession apostolique” garde un sens en l’absence de la foi et de la communion orthodoxe. C’est le patriarcat de Moscou qui le dit, et je crois que mon texte le lui attribuait clairement. Si le PM accorde de l’intérêt à cette succession (qui d’ailleurs pour les orthodoxes n’est pas “apostolique”, mais “épiscopale”), c’est probablement parce que depuis le XVIIIème siècle l’Église russe, faisant sienne les vues “latinisantes” du métropolite de Kiev Pierre Moghila (qui appartenait au patriarcat de Constantinople), considéraient que pour la réception des ex-catholiques entrant dans l’Église orthodoxes, il convenait de tenir compte de cette prétendue succession et de les recevoir selon la procédure des parasynagogues. L’Église russe continue à agir ainsi jusqu’aujourd’hui pour les ex-catholiques, cependant que pour les ex-protestants elle pratique la Confirmation.
Le motif en serait que puisque les évêques catholiques ont la succession apostolique, ils confèrent une “Confirmation” valide et qu’on ne peut donc pas leur administrer la Chrismation orthodoxe.
Cette confusion doctrinale explique qu’Antoine puisse poser la question :
comment l'Eglise Russe peut-elle reconnaître une succession apostolique et une validité sacramentelle aux catholiques romains et professer en même temps dans le même document que l'Eglise Orthodoxe est la seule et unique véritable Eglise du Christ?
Mais c’est justement là que l’on retrouve l’augustinisme sacramentel transmis par l’influence de Pierre Moghila.
Glicherie se demande aussi comment dans ce cas l’Église russe a pu accorder l’autocéphalie aux États-Unis à l’OCA (qui était antérieurement une métropole de l’Église russe). Effectivement c’est un paradoxe, d’autant que l’Église russe reconnaît que la primauté romaine s’étend à tout l’Occident. Par ailleurs cette reconnaissance ne l’a pas empêchée de créer depuis lors des diocèses du patriarcat de Moscou aux USA.