oecuménisme et école de paris

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Glicherie
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oecuménisme et école de paris

Message par Glicherie »

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Père Michel Evdokimov


à Séraphim Rehbinder




Le 26 novembre 2004.



Cher Séraphim,


Comme je te l’ai dit l’autre jour à l’Institut Saint-Serge, je suis consterné par le ton, bien éloigné de la douceur évangélique, de certains rédacteurs de feuilles intitulées OLTR, et effaré de te voir cautionner cette agitation. Tout esprit de division me répugne, il n’y a pas deux partis, il y a l’Eglise une, rassemblée avec ses pasteurs autour du même calice, autour du même Christ, seul garant de notre unité si nous voulons bien le reconnaître. Je me sens solidement ancré dans la Tradition russe qui m’a nourri, éclairé tout au long de ma vie, envers laquelle j’ai une dette de reconnaissance que j’essaie, sans doute bien maladroitement, d’honorer par mes travaux — j’ai même eu l’honneur de concélébrer un jour avec SS le Patriarche Alexis II —, et je me sens aussi solidement ancré dans une Eglise ouverte au monde et appelée, comme à toutes les étapes de son développement dans l’histoire, à se mettre à l’écoute de ce que l’Esprit Saint veut nous dire aujourd’hui, lui qui doit nous « enseigner toutes choses » (Jn 14, 26).

Il y a la Loi et il y a la foi en Jésus-Christ qui permet à l’homme de se transformer : « Nul ne sera justifié par la pratique de la Loi, mais seulement par la foi en Jésus-Christ » (Ga 2, 16-17). La Loi c’est l’institution de l’Eglise, sa hiérarchie, ses rites, ses règles. Ils sont nécessaires pour notre vie dans le monde, pour permettre à chacun de s’unir au Christ. La foi, c’est ce qui nous rapproche du plus petit de nos frères pour le nourrir s’il a faim (Mt 25) car c’est au Christ lui-même que nous donnons à manger. Dans les papiers de l’OLTR je ne lis que des arguments lancés contre notre institution diocésaine, avec le danger d’une dérive où le « politique » prend le pas sur le « spirituel », et je me demande : où donc est le Christ en tout cela ? Quand on écrit « le vrai débat sera celui du rite, de la tradition et de son choix » on risque de verser dans une sécheresse purement scolastique d’où toute profondeur mystique est bannie, mais peut-être en aurait-on peur ? Ce ton de mépris, d’arrogance imbue d’elle-même — les « fossoyeurs de l’orthodoxie » ! — génère un ennui profond et devrait bien vite lasser les lecteurs.

Lorsqu’on dit que feu Monseigneur Serge, de bienheureuse mémoire, désirait un rapprochement avec le patriarcat de Moscou, il faut ajouter qu’il ne s’est jamais exprimé publiquement sur ce sujet lors des réunions pastorales ou Assemblées générales du diocèse, car il voulait laisser agir le temps et surtout, en homme prudent, éviter un schisme au sein de notre entité ecclésiale. En évoquant ce sujet, le Métropolite Kirill, dans une interview à La Pensée Russe, s’exprime en homme mal informé, ignorant la situation. L’Eglise est fragile. Il est très facile d’ouvrir des brèches, de creuser des divisions, tu t’exposes toi-même à être entraîné par un courant qui ne reconnaît pas la légitimité du pasteur actuellement en place, et qui risquerait de provoquer ce schisme que, je n’en doute pas, tu ne souhaites pas, mais qui deviendrait inévitable dans l’état actuel de notre corps représentatif.

J’aimerais éclairer non pas ta lanterne, dont je ne doute pas qu’elle soit lumineuse, mais celle de ceux qui gravitent autour de toi et qui, tout en croyant défendre la Tradition russe, la méconnaissent étrangement. Je rappellerai que saint Jean de Cronstadt avait scié les portes de l’iconostase pour rendre accessible aux fidèles les évolutions du clergé : il ne s’agit nullement de supprimer l’iconostase (!), comme on a méchamment accusé Monseigneur Gabriel d’en avoir l’intention, mais de donner un peu de visibilité à l’espace sacré où se déroulent les saints mystères ; il lisait à haute voix les prières « secrètes » — il y a paraît-il un canon qui interdit de les lire à voix basse ! — ; il demandait à ses fidèles de venir communier tous les dimanches en réponse à l’appel du Seigneur : « Avec crainte de Dieu, foi et amour approchez ! ». Quelle tête ferais-tu, ou plutôt ta femme, si tes invités à un repas chez vous se récusaient : nous n’avons pas faim ! Et dans l’église, ils n’auraient pas faim de Dieu, tout en étant invités au repas eucharistique qui donne son sens à la liturgie ?

Le chrétien orthodoxe « honore les formes rituelles de piété, sans oublier un seul instant qu’elles sont secondaires par rapport à l’amour pour Dieu et pour les hommes… Il pense qu’un ordre hiérarchique et canonique est important pour l’Eglise… Il sait que les prescriptions en matière liturgique et canonique ont changé au cours des siècles et qu’elles ne pourront (ni ne doivent) à l’avenir rester absolument immuables. (Jn 3,8) ». (Alexandre Men, Le christianisme ne fait que commencer, p. 39). Les orthodoxes sont les seuls à se diviser pour une question de calendrier, chose conventionnelle, car « il a été inventé par le savant païen Erastothène trois siècles avant Jésus-Christ ; son usage a été imposé partout par un autre païen, Jules César. C’est pourquoi il n’a rien de sacré, ni d’ecclésial. » (ibid., p. 64). Ce même père Alexandre Men, mort en martyr de l’Eglise russe, émet également des pensées telles que : « Le chrétien considère tout ce qui est beau, créateur, bon, comme appartenant à Dieu, comme l’action cachée de la grâce du Christ. » (ibid. p. 41) ; « il est ouvert à tout ce qui est valable dans les confessions chrétiennes et les croyances non chrétiennes » (ibid. p. 40). Pour ce prêtre russe « la diversité, la contradiction au sein de l’Eglise du Christ et, a fortiori, entre les différentes confessions chrétiennes — protestante, catholique et orthodoxe — n’est pas une cassure, une dislocation, mais seulement la manifestation des parties d’un tout unique à appréhender dans sa profondeur. » (ibid. pp. 76-77).

Comme on est loin de ceux qui, rêvant d’une orthodoxie frileusement repliée sur elle-même, stigmatisent l’½cuménisme comme « la grande hérésie du XXe siècle ! ». Je t’avoue préférer le langage du dialogue, de l’amour, dans une humble obéissance au commandement du Seigneur : « Qu’ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi… pour que le monde croie » (Jn 17,21). Ne penses-tu pas que nous avons une responsabilité en tant que chrétiens à l’égard de tout ce qui divise et tourmente le monde parce que nous étalons nos divisions aux yeux de tous, et pire encore en tant que membres à l’intérieur d’une Eglise lorsque nous nous épuisons à faire de la politique ecclésiale au lieu de remplir la mission qui nous est confiée, être ensemble les témoins du Père qui envoie son Fils pour sauver ce monde ? Dostoïevski ne disait-il pas que « nous sommes tous responsables pour tous » ?

Dans son livre Mes missions en Sibérie, l’Archimandrite Spiridon rapporte les propos d’un paysan au cours d’un pèlerinage à Kiev : « Pour moi, les souffrances ne me font pas peur ; ce qui me fait peur, c’est que Dieu privera les pécheurs de sa grâce… Je suis prêt à prier Dieu non seulement pour les chrétiens, mais aussi pour ceux qui ne sont pas baptisés. J’ai tant pitié d’eux tous ! J’ai pitié des Juifs, des Tatars, des pendus, des suicidés… De tout les morts j’ai pitié. » (p. 26).

Le Métropolite Kirill a raison de dire, dans l’interview à La Pensée Russe que, « après la révolution de 1917, pour la première fois depuis des siècles, eut lieu une véritable rencontre entre l’Occident et l’orthodoxie » : notre dialogue avec les autres Eglises ne vient-il pas de cet aspect providentiel de rapprochement que n’avaient pas prévu les révolutionnaires bolchéviques ? Le Métropolite parle également de « l’apparition de la remarquable “école de théologie de Paris” ». Je ne suis pas personnellement un théologien, mais je puis dire que cette « école de Paris » a toujours guidé mes pas, mes pensées, dans la recherche d’un sens de la vie au service de l’Eglise.

Je crois qu’il est dangereux de se moquer des « minuscules communautés russophobes » (sic ! ! ) de province, que l’on oppose aux grandes paroisses parisiennes, comme si la « vraie » orthodoxie y était cantonnée à l’instar d’une armée assiégée dans des forteresses ! Il est dangereux d’ignorer que le corps du Christ ne saurait être divisé, qu’il est le même dans une paroisse de banlieue ou de province que dans la cathédrale du Saint-Sauveur à Moscou où officie le Patriarche. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, dit le Seigneur, je suis au milieu d’eux » : quelle imprudence, par conséquent, de prévoir non sans perfidie le déclin de ces communautés alors que le Christ est invoqué au milieu d’elles ! N’est-ce pas tenter le Christ ? Mais alors, gare ! Il est dangereux d’ignorer qu’une Eglise qui reste assise sur ses acquis risque de dépérir. Car c’est dans l’ouverture au monde, à la beauté et à la souffrance du monde, c’est dans l’esprit missionnaire qui doit nous porter vers ceux qui ont faim, et pas seulement de pain mais aussi faim de Dieu, qu’une Eglise peut vivre et se développer. Pense à deux grandes figures de missionnaires : l’Archimandrite Spiridon déjà cité, et le Métropolite Vladimir, destiné au départ à être missionnaire en Sibérie. Il est dangereux de se railler des « petites » paroisses quand on ignore l’ébranlement qui se produit dans la vie d’un homme lorsqu’il fait une vraie rencontre avec le Seigneur. Et même si un seul homme était sauvé, cela ne vaudrait-il pas la peine d’ouvrir une « petite » paroisse même au sein des rires des moqueurs ? La fondation d’une paroisse dans la banlieue ou en province se fait dans le sang et les larmes, c’est vrai, mais elle est aussi source d’une joie profonde, la seule vraie que donne le Christ.

Par ma fille et sa famille, je sais que toi et les tiens fréquentez la même paroisse de Chambésy, et je m’en réjouis. Tu peux ainsi participer à des liturgies devant des portes royales ouvertes, où les prières « secrètes » sont dites à voix haute, où les fidèles savent encore faire des signes de croix, où la langue utilisée est le français. A propos, sais-tu que j’ai été le premier chef de ch½ur à qui le Métropolite Antoine a fait appel, en 1953, pour diriger un service hebdomadaire de vêpres, à Londres ? La Tradition russe c’est aussi l’ouverture à la langue du peuple pour lui permettre de parler avec Dieu.

Depuis l’époque où tu apportais ton concours, ô combien efficace, au SOP en qualité de trésorier, j’ai peu eu l’occasion de m’entretenir avec toi et suis contraint de le faire dans des conditions qui ne me plaisent guère. Si j’ai pû te blesser, je te prie de me pardonner. Je souhaite que nous puissions nous retrouver dans l’amitié à l’avenir. D’ici là, veuille le Seigneur te bénir, ainsi que tous les tiens.


En toute et bien cordiale amitié,


Père Michel Evdokimov
Jeanne Saint Gilles
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Inscription : mar. 03 août 2004 18:20
Localisation : Paris 08

Beaucoup de commentaires

Message par Jeanne Saint Gilles »

Beaucoup de commentaires sont possibles à la lecture de ce texte :

- d'abord sur l'iconostase, je persiste à croire que les gens ne comprennet pas l'iconostase car ils ne comprennent pas le sens de l'icône. Entre voir les évolutions du clergé et voir une icône, je préfère l'icône. Personnellement, voir le clergé communier ne me passionne pas de façon excesive...

- pour l'oecuménisme, l'auteur est responsable de l'oecuménisme. Logique qu'il plaide sa cause. Toutefois, la citation d'Alexandre Men frise le relativisme. Tout ce vaut, tous les chemins mènent à Dieu.

Pour l'instant je me limite à ça...
Jérusalem quand pourrai-je te voir?
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