"Bienheureux les pauvres en esprit"

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Claude le Liseur
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"Bienheureux les pauvres en esprit"

Message par Claude le Liseur »

Chers membres du forum, chers lecteurs, voici un texte que j’ai lu dans le manuel de théologie morale écrit naguère par le métropolite de Transylvanie Docteur Nicolas Mladin, le diacre Professeur Oreste Bucevschi, le professeur Constantin Pavel et le diacre Docteur Jean Zặgrean, Teologia moralặ ortodoxặ, réimpression Editions Reîntregira, Alba Iulia 2003, tome I page 144.

Ce texte me semble particulièrement intéressant, car il donne l’explication d’une parole de Notre Seigneur qui a souvent été mal comprise, qui paraît difficile à comprendre et qui en laisse perplexe plus d'un.
Aussi je crois bon d’essayer de le traduire du roumain pour l’usage des lecteurs francophones. Je publie aussi le texte original roumain, de manière à ce que les lecteurs dont le roumain est la langue maternelle puissent corriger les insuffisances de ma traduction.

Le traitement de texte que j’utilise actuellement ne me permettant de reproduire qu’un seul signe diacritique, je n’en ai reproduit aucun dans le texte qui suit. Les lecteurs roumanophones voudront bien me pardonner ce massacre de l’orthographe.

Texte original roumain :

« FERICITI CEI SARACI CU DUHUL, CA A ACELORA ESTE IMPARATIA CERURILOR. »

Ce trebuie sa intelegem prin « saraci cu duhul » ? In nici un caz nu-i vorba aici de ceea ce se intelege in limbajul obisnuit, adica neintelepti, nestiutori, sau simpli, pentru ca Mantuitorul ne porunceste sa fim « intelepti ca serpii ». Crestinii care cunosc si urmeaza pe Hristos sunt « invatati de la Dumnezeu » (I Tes. IV, 9), « fii ai luminii, nu ai intunericului » (I Tes. V, 5), intrucit au primit invatatura dumnezeiasca de la Biserica prin harul Duhului Sfint (I Cor. II, 5 s. u. ; Col. IV, 3-6 ; III, 16). Unii parinti bisericesti inteleg prin « saracia cu duhul » saracia acceptata de buna voie pentru Hristos sau saracia nedorita, dar suportata cu rabdare buna. Dar, mai intii, saracia de buna voie pentru Hristos este un sfat nu o porunca asa cum este aceasta. Apoi, aceasta interpretare nu se acopera pe deplin cu ideea cuprinsa in cuvintele Mantuitorului, caci saracia, dintr-un motiv sau altul, nu are nici o valoare daca nu e insotita de iubire, cum arata Sfantul Apostol Pavel (I Cor. XIII, 3). De altfel, faptul ca termenul de saracie este aici intregit cu termenul « cu duhul » ne obliga sa cautam alta interpretare.

Cea mai potrivita este interpretarea data de Sfantul Ioan Gura de Aur si de Sfantul Chiril Alexandrinul, dupa care, prin « saracia cu duhul », se intelege « smerenia de buna voie ». Saraci cu duhul sunt, deci, cei care-si au mintea golita de cele vremelnice, spre a fi umpluta cu cele vesnice, cei care isi dau seama cat de departe sunt de desavirsirea divina si se straduiesc sa se apropie de ea. Acesti crestini, oricat ar fi de virtuosi, nu se cred niciodata desavirsiti, ci se straduiesc sa urce mereu pe scara desavirisirii. Convinsi ca nu poseda nimic de la sine si ca nu se pot mintui fara ajutorul lui Dumnezeu, implora necontenit harul Sau.

Smerenia este, deci, prima virtute, fara care nu se poate nici macar intra in viata crestina adevarata. Caci mandria se opune harului, fara care nu exista mantuire. Apoi, fara smerenie, crestinului ii lispesc motivul si dorinta de a combate pacatele si de a deprinde virtutile. »



Ma traduction :

« BIENHEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT, CAR LE ROYAUME DES CIEUX EST A EUX ».

Que devons-nous comprendre par « pauvres en esprit » ? En aucun cas il n’est ici question de ce que l’on entend dans le langage habituel, c’est-à-dire d’imbéciles, d’ignorants, ou de simplets, parce que le Sauveur nous a ordonné d’être « rusés comme des serpents ». Les chrétiens qui connaissent et suivent le Christ sont « enseignés par Dieu » (I Thess. IV : 9), « fils de la lumière, non des ténèbres » (I Thess. V : 5), étant donné qu’ils ont reçu l’enseignement divin de l’Eglise par la grâce de l’Esprit saint (I Cor II : V s. ; Col IV : 3-6 ; III, 16). Certains Pères de l’Eglise entendent par « pauvreté en esprit » la pauvreté acceptée volontairement pour le Christ, ou la pauvreté involontaire, mais supportée avec patience. Toutefois, en premier lieu la pauvreté volontaire pour le Christ est un conseil, pas un commandement comme c’est le cas ici. Ensuite, cette interprétation ne coïncide pas entièrement avec l’idée contenue dans les paroles du Sauveur, à savoir que la pauvreté, qu’elle qu’en soit la cause, n’a aucune valeur si elle n’est pas accompagnée de l’amour, comme le montre le saint Apôtre Paul (I Cor XIII :3). D’ailleurs, le fait que le terme de pauvreté est uni à celui de « en esprit » nous contraint à chercher une autre interprétation.

L’interprétation la plus adéquate est celle donnée par saint Jean Chrysostome (P.G., LVII, 224) et saint Cyrille d’Alexandrie (Commentaire sur Luc, P.G., LXXII, 589), selon qui, par « pauvreté en esprit », il faut comprendre « humilité volontaire ». Les pauvres en esprit son ceux qui ont vidé leur esprit des préoccupations mondaines pour le remplir des préoccupations éternelles, ceux qui se donnent l’impression qu’ils sont loin de la perfection divine et qui s’efforcent de s’en approcher. Ces chrétiens, bien que vertueux, ne se croient jamais parfaits, mais luttent toujours pour monter l’échelle qui mène à la perfection. Convaincus qu’ils ne possèdent rien par eux-mêmes et qu’ils ne peuvent rien faire sans l’aide de Dieu, ils implorent sans cesse Sa grâce.

Ainsi, l’humilité est la première des vertus, sans laquelle on ne peut même pas entrer dans la vraie vie chrétienne. Car l’orgueil s’oppose à la grâce, sans laquelle il n’est pas de salut. Sans humilité, le chrétien est dépourvu du motif et du désir de combattre les péchés et de se familiariser avec les vertus. »
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Merci Claude pour ces enseignements!

Il y a dans l'Evangile de Luc un passage que je n'ai jamais bien compris, et qui est le suivant : "Eh bien! moi je vous dis : faites vous des amis avec le malhonnête Argent, afin qu'au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous acceuillent dans les tentes éterneles." Luc 16, 9-16.

Il s'agit du début de la conclusion de la Parabole de l'intendent infidèle. Luc 16, 1-8.

Pourrais-je avoir un enseignement orthodoxe sur ce passage?

Merci beaucoup!
Stephanopoulos
Antoine
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Message par Antoine »

L’interprétation la plus adéquate est celle donnée par saint Jean Chrysostome (P.G., LVII, 224) et saint Cyrille d’Alexandrie (Commentaire sur Luc, P.G., LXXII, 589), selon qui, par « pauvreté en esprit », il faut comprendre « humilité volontaire ».
Avant Cyrille (Ve siècle) et un peu avant Jean Chrysostome (IVe siècle) on trouve déjà cette même explication chez Grégoire de Nysse.(également IVe siècle)
Lire dans la collection "les Pères dans la foi" chez Migne le volume 10:"les béatitudes ,Grégoire de Nysse". Un commentaire complet de chacune des béatitudes. (15 euros)
<<La "pauvreté en esprit" me semble désigner l'humilité>> écrit Grégoire.

Ceci juste pour souligner qu'il s'agit d'un enseignement commun et répandu chez les Pères. Je n'ai pas rencontré dans mes modestes lectures une explication qui comme l'affirme le métropolite Nicolas Mladin s'attarderait à une "pauvreté involontaire".
Certains font des pauvres en Esprit des "mendiants de l'Esprit saint", thème de l'acquisition de l'Esprit Saint développé par St Séraphim de Sarov dans son entretien avec Motovilov

L'humilité est à la fois la condition et la manifestation de la présence de Dieu en nous. L'humilité est le mode de toute l'économie divine, ( "je suis doux et humble de cœur" Matt 11,29) et la condition initiale de la béatitude.
C'est pourquoi cette béatitude est placée en premier dans l'ordonnancement des béatitudes; elle englobe les sept autres béatitudes qui n'en sont qu'une décinaison, les conditionne et répond également au premier péché de l'homme, l'orgueil, qui englobe également tout péché et le conditionne. C'est par l'orgueil que l'homme a perdu la béatitude du paradis , c'est par l'humilité dans l'observance des commandements évangéliques qu'il la retrouvera. ("Et vous trouverez le repos pour vos âmes" fin de Matt 11, 29)
<< Comme presque tous les hommes sont naturellement portés à la superbe, le Seigneur commence les béatitudes, en écartant le mal initial de l'orgueil et en conseillant d'imiter le véritable Pauvre volontaire qui en vérité est bienheureux, de manière à lui ressembler, selon notre pouvoir, par une pauvreté volontaire pour avoir part à sa propre béatitude. <<ayez en vous, les sentiments qui furent ceux du Christ Jésus. Quoiqu'il fût de condition divine il ne s'est pas prévalu de son égalité avec Dieu mais il s'est anéanti lui-même et prit la condition d'esclave.>>(ph.2,5-7).

Grégoire de Nysse insiste sur la difficulté de son acquisition:<< Qu'on ne s’imagine pas qu'il est aisé et facile d'acquérir l'humilité. au contraire, ceci est plus difficile que l'acquisition de toute autre vertu. Pourquoi? Parce qu'à l'heure où se reposait l'homme qui avait semé le bon grain, l'ennemi sema la part la plus considérable de la semence, l'ivraie de l'orgueil, qui a pris racine en nous (matt. 13,25).
Comme celui qui se précipita dans la faute, tout le malheureux genre humain à sa suite fut entraîné dans la même chute. Il n'existe pas de ce fait de désastre plus grave pour notre nature que l'orgueil.>>
Thomas
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Message par Thomas »

Voici les passages de Pères que S. Thomas d'Aquin a regroupé à propos de ce verset de S. Matthieu dans sa Catanae Aurae :

S. Aug. (Cité de Dieu, 19, 1). La philosophie ne peut avoir d’autre raison d’être que la fin du bien lui-même. Or la fin du bien, c’est de nous rendre heureux, et c’est pour cela que Jésus-Christ commence son discours par la promesse de la béatitude : "Bienheureux les pauvres d’esprit".

S. Aug. (serm. sur la mont., 1, 2). La présomption d’esprit est un signe d’orgueil et d’arrogance. Or, on dit souvent des orgueilleux qu’ils ont un esprit étendu ; c’est avec raison, Car esprit est synonyme de vent, et qui ne sait qu’on dit aussi des orgueilleux qu’ils sont enflés, comme s’ils étaient gonflés par le vent. C’est pour cela qu’il faut entendre ici par pauvres d’esprit, les humbles qui craignent Dieu et qui n’ont pas cet esprit qui enfle.

S. Chrys. (homél. 15). Ou bien le mot esprit signifie ici orgueil et volonté. Que des hommes soient humiliés malgré eux et par la force des circonstances, il n’y a ni mérite ni gloire ; aussi Notre-Seigneur ne proclame bienheureux que ceux qui s’humilient par le choix de leur volonté. Il veut ici couper et arracher jusqu’aux dernières racines de l’orgueil, comme étant lui-même la racine et la source de tous les maux. Il lui oppose l’humilité comme un fondement inébranlable sur lequel on lient bâtir avec solidité, tandis que si elle vient à crouler, tous les biens que vous aurez amassés tombent avec elle.

S. Chrys. (sur S. Matth). Notre-Seigneur dit ouvertement : " Bienheureux les pauvres d’esprit ", et il désigne par là les âmes humbles qui demandent toujours à Dieu l’aumône de sa grâce. Aussi on lit dans le grec : " Bienheureux les mendiants ou les nécessiteux ". Il en est plusieurs, en effet, qui sont naturellement humbles, mais qui ne le sont point par un principe de foi, parce qu’ils n’implorent pas le secours de Dieu. Le Sauveur ne veut parler ici que de ceux qui sont humbles en vertu de la foi.

S. Chrys. (homél. 15). Peut-être ici par les pauvres d’esprit, Notre-Seigneur entend-il ceux qui sont saisis de crainte et qui tremblent en présence des commandements de Dieu, comme Dieu le recommande par le prophète Isaïe. Mais qu’ont-ils de plus que ceux qui sont simplement humbles ? Ils possèdent la vertu d’humilité à un plus haut degré.

S. Aug. Que les orgueilleux désirent les royaumes de la terre, le royaume des cieux est pour les humbles.

S. Chrys. (Sur S. Matth). De même, en effet, que tous les vices conduisent à l’enfer, mais principalement l’orgueil, aussi toutes les vertus nous conduisent aux cieux, mais surtout l’humilité, car c’est une des récompenses propres à l’humilité que celui qui s’humilie soit élevé.

S. Jér. Ou bien encore les pauvres d’esprit sont ceux qui par l’inspiration de l’Esprit saint embrassent la pauvreté volontaire.

S. Amb. (des Offices, liv. 1, chap. 16). Au jugement de Dieu, le bonheur commence là où au jugement des hommes on ne trouve que misère et affliction.

[La Glose. C’est avec justice que les richesses du ciel sont ici promises à ceux qui sont pauvres dans la vie présente.]

Cordialement,

Thomas.
hilaire
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Message par hilaire »

De Saint Jean Chrysostome, commentaire du Saint Evangile selon Saint Matthieu:

(...) « Bienheureux, dit-il, les pauvres d’esprit; parce que le royaume du ciel est à eux (3). » Qui sont ceux qu’il appelle « pauvres d’esprit »? Ce sont les humbles et ceux qui ont le coeur contrit. Car par le mot d’esprit, il entend le coeur et la volonté. Comme il y en a beaucoup qui sont humiliés non par leur volonté, mais seulement par la nécessité de leur état, il ne les comprend point dans cette béatitude, puisque l’involontaire ne saurait être méritoire, et il ne l’étend que sur ceux qui s’abaissent et s’humilient volontairement. C’est à ceux-là qu’il donne le premier rang entre tous ceux qu’il appelle heureux.

Mais pourquoi Jésus-Christ ne dit-il pas bienheureux les humbles d’esprit, mais « bienheureux les pauvres d’esprit » ? C’est parce que ce mot de pauvres, dit beaucoup (Le mot pauvres ne traduit que très imparfaitement le grec (ptokos) qui signifie étymologiquement (ptoso) craintif, timide, tremblant, et par extension chétif, misérable, pauvre. C’est au sens étymologique que saint Chrysostome s’attache ici, de sorte que selon lui l’expression (oi ptoxoi to pneumati) veut dire ceux qui ont l’esprit, la conscience timide, tremblante.) plus que celui d’humbles. Car il entend ici cette sorte de personnes qui sont tout abattues devant Dieu, et qui écoutent avec frayeur tout ce qu’il leur dit. Ce sont ces personnes que Dieu regarde favorablement, comme il dit lui-même par le prophète Isaïe : « Sur qui jetterai-je les yeux, sinon sur celui qui est humble et paisible, et qui tremble à la moindre de mes paroles? » (lsaïe, LXVI, 2.)

2. L’humilité a plusieurs degrés. Les uns ne sont que médiocrement humbles; les autres le sont parfaitement. David loue cette humilité parfaite, qui ne consiste pas seulement dans un abaissement, mais dans un entier brisement de coeur, lorsqu’il dit : « Le sacrifice agréable à Dieu, est un esprit abattu d’affliction et de repentir, ô Dieu, vous ne mépriserez point un coeur contrit et humilié. »(Ps. L, 19.) C’est cette humilité que les trois enfants de là fournaise offrirent à Dieu comme un grand sacrifice, lorsqu’ils lui dirent: « Recevez-nous, Seigneur, dans un esprit contrit, et dans un coeur humilié. » (Dan. III, 39.)

C’est à cette humilité que Jésus-Christ donne le premier rang dans ses béatitudes, parce que ce déluge de maux qui inonde toute la terre n’a point d’autre source que l’orgueil. Le diable n’était pas tel d’abord : c’est par l’orgueil qu’il est devenu le diable. Saint Paul l’assure lorsqu’il dit d’un néophyte: « De peur que s’élevant d’orgueil il ne tombe dans la même condamnation que le démon. » (1 Tim. III, 6) C’est ainsi que le premier homme, pour s’être laissé enfler par les orgueilleuses espérances que le démon lui avait fait concevoir, tomba dans le précipice, et devint sujet à la mort. En s’imaginant qu’il deviendrait Dieu, il perdit l’état qu’il possédait. Dieu même lui reprocha sa folie, et lui dit en lui insultant: « Voilà Adam devenu comme l’un de nous. » (Gen. III, 22.) Cet ange orgueilleux fait tomber depuis tous les ambitieux dans la même impiété, en les abusant de l’illusion qu’ils deviendront semblables à Dieu.

Comme donc l’orgueil était, pour ainsi dire, le mal culminant de l’homme, et la racine et la source de tous les péchés du monde, Jésus-Christ, pour le guérir par un remède contraire,

établit d’abord cette loi d’humilité , comme le fondement inébranlable de l’édifice qu’il veut bâtir. (112) Quand ce fondement sera posé, celui qui bâtit pourra sans crainte élever le reste de l’édifice; mais s’il vient à manquer, quand l’édifice monterait jusqu’au ciel, il faut nécessairement qu’il se renverse et qu’il tombe en ruine. Jeûne, prière, oeuvres de miséricorde, chasteté, réunissez toutes les vertus, si vous exceptez l’humilité, tout vous échappe, tout périt.

Le pharisien de l’Evangile est une preuve de ce que je dis. Après s’être déjà élevé jusqu’au plus haut degré de la vertu, il tomba et il perdit tout, parce qu’il n’avait point en lui cette mère de tous les biens. Car comme l’orgueil est la source de toute malice, l’humilité est le principe de toute sagesse. C’est pourquoi Jésus-Christ commence par elle ce discours, afin d’arracher de nos coeurs jusqu’aux moindres racines de la vanité.

Mais d’où vient, me direz-vous, qu’il parle de l’humilité à ses disciples qui étaient dans un état si humble ? Quel sujet avaient-ils de s’élever, étant pêcheurs, pauvres, grossiers, et méprisables? Je vous réponds que si Jésus-Christ ne disait pas ces paroles pour ses disciples, il les disait pour les autres qui étaient présents, et pour tous ceux qui devaient écouter un jour ses apôtres, afin que personne ne méprisât leur humilité. Mais plutôt, c’était aussi pour ses disciples qu’il disait ces choses. Car en admettant qu’ils n’eussent pas besoin alors de cette instruction, elle leur était néanmoins bien nécessaire pour l’avenir, lorsqu’ils feraient tant de prodiges et de miracles, qu’ils seraient si honorés de toute la terre, et qu’ils auraient tant de crédit et de confiance auprès de Dieu. Ni les richesses, ni la puissance, ni même la royauté ne seraient en état d’enfler le coeur autant que .toutes les grâces qui furent dans la suite accordées aux apôtres. Et avant même que de faire des miracles, n’avaient-ils pas dès lors quelque sujet de s’élever en voyant cette multitude de peuple, et ce concours de monde qui venait écouter leur Maître? Ne pouvaient-ils pas ressentir déjà quelque effet de la fragilité humaine? C’est pourquoi Jésus-Christ commence d’abord par les porter à l’humilité.

Il ne prend pas la forme de l’exhortation, ni le ton impératif pour introduire sa révélation, il la propose sous forme de béatitude, manière plus attrayante de présenter sa parole et d’ouvrir à tous le stade de la doctrine. Il ne dit pas en particulier: Celui-ci, ou celui-là; mais généralement tous ceux qui feront ce que je dis, seront bienheureux: quand vous seriez misérable, pauvre, esclave, étranger, ignorant, rien ne vous empêchera d’être heureux si vous êtes humble.
hilaire
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Message par hilaire »

De Saint Ambroise de Milan, commentaire du Saint Evangile selon Saint Luc, sur les béatitudes, dont la première, la pauvreté en esprit.
sur le site:http://www.jesusmarie.com/ambroise_trai ... _luc1.html

"Bienheureux, pauvres, parce que le Royaume de Dieu est à vous. Bienheureux ceux qui ont maintenant faim et soif, parce qu'ils seront
rassasiés. Bienheureux, vous qui pleurez à présent, parce que vous sourirez. Bienheureux serez-vous, quand les hommes auront pour vous de la haine. »
S. Luc n'a noté que quatre béatitudes du Seigneur, S. Matthieu huit ; mais dans les huit il y a les quatre, et dans les quatre les huit. L'un s'est attaché aux quatre, comme aux vertus cardinales ; l'autre a, dans huit, main-tenu le nombre mystérieux : car beaucoup de psaumes sont intitulés : pour l'octave ; et il vous est prescrit de faire les parts pour huit, peut-être les Béatitudes ( Eccl., XI, 2 ). De même, en effet, que l'octave est l'accom-plissement de notre espérance, l'octave est aussi la somme des vertus.
Mais voyons d'abord le plus développé .
« Bienheureux les pauvres en esprit, dit-II, parce que pour eux est le Royaume des cieux. » Cette béatitude a été placée la première par l'un et l'autre évangéliste. Elle est en effet la première selon l'ordre, et comme mère et génératrice des vertus : car c'est en méprisant les biens du monde qu'on méritera les éternels ; et nul ne saurait obtenir la récompense du Royaume des cieux, si, cap-tif de la convoitise de ce monde, il est incapable d'en émerger. Seconde béatitude : «Bienheureux, dit-II, les doux» ; troisième : « Bienheureux ceux qui pleurent » ; quatrième : « Bienheureux ceux qui ont faim » ; cinquième : « Bien-heureux les miséricordieux » ; sixième : « Bienheureux les cœurs purs » ; septième : « Bienheureux les pacifiques
et c'est bien la septième, car c'est au jour correspondant que Dieu s'est reposé de tout l'ouvrage du monde : c'est le jour du repos et de la paix ; huitième : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice. »
Venez, Seigneur Jésus ; enseignez-nous l'ordre de vos béatitudes. Car ce n'est pas sans ordre que vous avez dit d'abord : bienheureux les pauvres en esprit, en second lieu bienheureux les doux, en troisième bienheureux ceux qui pleurent. Bien que j'en sache quelque chose, je ne le sais qu'en partie ; car si Paul a su en partie (I Cor., XIII, 9), que puis-je, moi, savoir ? Je suis au-dessous de Paul par ma vie, et tout autant par la parole : car la vie produit et acquiert la parole ; la parole sans la vie n'est pas la parole de Dieu. Comme Paul est plus sage que moi ! lui se glorifie des périls (II Cor., XII, 5), moi des succès ; lui se glorifie de n'être pas exalté par ses révélations ; moi, s'il m'arrivait des révélations, je m'en glorifierais. Mais cependant Dieu peut des pierres susciter des hommes (Matth., III, 9), tirer la parole des bouches closes, faire produire un langage aux muets ; s'II a ouvert les yeux de l'ânesse pour qu'elle vît l'ange (Nombr., XXII, 27), II a le pouvoir de nous ouvrir aussi les yeux, afin que nous puissions voir le mystère de Dieu.
« Bienheureux, dit-II, les pauvres. » Les pauvres ne sont pas tous bienheureux ; car la pauvreté est chose neutre : il peut y avoir de bons et de méchants pauvres. A moins d'entendre que le pauvre bienheureux est celui qu'a décrit le Prophète en disant que « mieux vaut un pauvre juste qu'un riche menteur » (Prov., XIX, 22). Bienheureux le pauvre qui a crié et que le Seigneur a exaucé (Ps. 33, 7) : pauvre de faute, pauvre de vices, pauvre chez qui le prince du monde n'a rien trouvé (Jn, XIV, 30) ; pauvre à l'imitation de ce pauvre qui, étant riche, s'est fait pauvre pour nous (II Cor., VIII, 9). Aussi Matthieu donne-t-il l'explication complète : « Bien-heureux, dit-il, les pauvres en esprit » : car le pauvre en esprit ne se gonfle pas, ne s'exalte pas en sa pensée char-nelle. Telle est donc la première béatitude. Ayant laissé tout péché, dépouillé toute malignité, étant content de ma simplicité, dénué de mal, il me reste à modérer
mon caractère. A quoi me sert-il de manquer des biens du monde si je ne suis doux et tranquille ? Car suivre le droit chemin, c'est bien entendu suivre Celui qui dit : « Appre-nez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Matth., XI, 29). Donc quittez toute improbité, soyez dépourvu de vices, conformément à la véritable pauvreté ; adoucis-sez vos sentiments, pour ne pas vous irriter ou du moins ne pas pécher en vous irritant, ainsi qu'il est écrit : « Irri-tez-vous, mais ne péchez pas » (Ps. 4, 5). Il est glorieux de calmer l'émotion par la sagesse ; et il n'est pas réputé moins vertueux de contenir son irritation, de réprimer son indignation, que de ne pas s'irriter du tout : encore que généralement le premier soit jugé plus calme, le second plus courageux. Cela fait, souvenez-vous que vous êtes pécheur : pleurez vos péchés, pleurez vos fautes. Et il est bien que la troisième béatitude soit pour qui pleure ses péchés, car c'est la Trinité qui pardonne les péchés. Purifiez-vous donc par vos larmes et lavez-vous par vos pleurs. Si vous pleurez sur vous-même, un autre n'aura pas à vous pleurer : car si Saûl avait pleuré ses péchés, Samuel n'aurait pas pleuré sur lui (I Sam., XV, 35). Chacun a ses morts à pleurer. Nous sommes morts quand nous péchons, quand nous nous rassasions des ossements des morts. Morte est la parole mauvaise qui sort de la bouche : car elle sort d'un mauvais tombeau : « Leur gorge est un tombeau béant » (Ps. 5, 11). Aussi l'Apôtre dit-il : « Soyez mes imitateurs » (I Cor., IV, 16) : il veut que nous ayons la mémoire de nos fautes. Paul n'avait rien à déplorer à partir du moment où il crut au Christ ; et pourtant il pleurait sa vie passée : « Je ne suis pas digne, dit-il, d'être appelé apôtre, parce que j'ai per-sécuté l'Église de Dieu » (I Cor., XV, 9). Lui donc fut pécheur avant de croire, mais nous péchons, nous autres, même après avoir cru. Que celui qui est pécheur pleure donc sur soi et se reprenne, afin de devenir juste ; car « le juste s'accuse lui-même » (Prov., XVIII, 17).
Poursuivons donc par ordre, puisqu'il est écrit : « Ordonnez en moi la charité » (Cant., II, 4). J'ai quitté le péché, modéré mon caractère, pleuré mes fautes : je me prends à avoir faim et soif de la justice. Quand on est souffrant, en proie à une maladie grave, on n'a pas faim, parce que la douleur du mal exclut la faim. Mais quelle est cette faim de la justice ? Quels sont ces pains dont le juste est affamé ? Ne seraient-ce pas les pains dont il est dit : « J'ai été jeune, et j'ai vieilli, et je n'ai pas vu le juste abandonné, ni sa postérité quêtant son pain » (Ps, 36, 25). Qui a faim cherche bien entendu à accroître ses forces : or y a-t-il réconfortant plus grand pour la vertu que la règle de la justice ? Après cela, « bienheureux, dit-II, les misé-ricordieux » : car après la justice vient la miséricorde. Aussi est-il dit : « II a distribué, donné aux pauvres ; sa justice demeure à jamais » (Ps. 111, 9). Mais celui même qui fait miséricorde perd sa récompense s'il n'a le cœur pur en sa miséricorde : car s'il cherche à se faire valoir, c'est sans aucun fruit. Purifiez donc l'intime de votre âme, et quand vous aurez soigneusement purifié le secret de votre cœur, ayez compassion de ceux qui ont à lutter, et comprenez combien d'hommes, combien de vos frères réclament votre aide. Mais si d'abord vous ne déga-gez votre intérieur de toute souillure de péché, en sorte que ni dissentiments ni contestations ne naissent de vos dispositions, vous ne pouvez porter remède aux autres. Commencez donc par vous l'œuvre de paix, en sorte qu'une fois pacifique vous-même, vous portiez la paix aux autres. Comment pourriez-vous purifier le cœur des autres si vous n'avez d'abord purifié le vôtre ? Vous avez donc rendu service aux autres, vous avez été secourable à beaucoup : hâtez-vous de tendre au but. Alors qu'il existait bien des moyens de sortir de la vie, un seul convenait au Seigneur — car, étant né selon la chair, il Lui fallait aussi mourir selon la chair — : II a choisi la souffrance, afin de mourir pour nous. Vous aussi, à propos de tout ce qu'il vous a donné, dites : « Je prendrai le calice du salut et j'invo-querai le nom du Seigneur » (Ps. 115, 13), ce qui veut dire la souffrance ; aussi a-t-il dit à ceux qui souhaitaient siéger à sa droite ou à sa gauche : « Pouvez-vous boire le calice que moi je dois boire ? » (Matth., XX, 22). Il vous conduit jusqu'au terme, II vous accompagne jusqu'au martyre, et II en fait la palme des béatitudes.
Donc voyez l'ordre : il vous faut devenir pauvre en esprit, car l'humilité d'esprit, c'est la richesse en vertus — si vous n'êtes pauvre, vous ne pourrez être doux — celui qui est doux peut pleurer sur le présent — qui pleure sur les biens inférieurs peut en désirer de meilleurs — qui recherche les biens supérieurs délaisse ceux d'en bas, afin d'être à son tour aidé par ceux d'en haut — qui est compatissant purifie son cœur [qu'est-ce en effet que pu-rifier son âme, sinon effacer la souillure de mort ? car « l'aumône délivre de la mort » (Tob., IV, 11)] — quant à la patience, c'est l'achèvement de la charité — et celui qui souffre persécution, engagé dans le combat suprême, est éprouvé par l'adversité, afin d'être couronné après avoir « lutté selon les règles » (II Tim., II, 5).
Tels sont, au sentiment de plusieurs, les degrés des ver-tus, par lesquels nous pouvons monter du plus bas aux sommets.
De même, d'ailleurs, qu'il y a accroissement de vertus, il y a aussi accroissement de récompenses : être fils de Dieu, c'est plus que posséder la terre et obtenir consolation. Mais, du moment que la première récompense est le Royaume des cieux, et la dernière récompense le Royaume des cieux, y a-t-il récompense égale pour les commençants et pour les parfaits ? Ne s'agit-il pas de nous apprendre qu'au sens mystique il y a un premier Royaume des cieux, celui de l'Apôtre :« Me dissoudre et être avec le Christ ? » Voilà le premier royaume, où les saints sont ravis dans les nuées à la rencontre du Christ dans les airs ; car la multitude de ceux qui reposent se lèvera, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte (I Thess., IV, 17 ; Dan., XII, 2). Donc un premier Royaume des cieux est promis aux saints par la libéra-tion du corps ; le second Royaume des cieux, c'est, après la résurrection des corps, d'être avec le Christ. Lorsque vous serez dans le Royaume des cieux, alors il y a progres-sion dans les demeures : bien que le royaume soit unique, il y a pourtant diversité de récompenses dans le Royaume des cieux. Après la résurrection vous commencerez à pos-séder votre terre, étant libéré de la mort ; car celui à qui il est dit : « Tu es terre, et en terre tu iras » (Gen., III, 19) ne possède pas sa terre : on ne saurait être possesseur si on ne recueille les fruits. Donc libéré par la croix du Seigneur — si toutefois vous vous trouvez sous le joug du Seigneur, vous trouverez consolation dans la posses-sion même. La consolation a pour suite la jouissance ; la jouissance, la miséricorde divine ; or celui dont le Sei-gneur a pitié, II l'appelle ; qui est appelé voit Celui qui l'appelle ; qui a vu Dieu est admis aux droits de la filia-tion divine : et alors enfin, comme fils de Dieu, il jouit des richesses du Royaume des cieux. Donc l'un commence, l'autre est comblé : car, même en ce monde, beaucoup font partie de l'Empire romain ; mais ceux-là tirent un plus grand profit de l'Empire qui sont plus proches de l'Empereur.
hilaire
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Message par hilaire »

Toujours de Saint Jean Chrysostome dans son commetaire sur les béatitudes:

(...)Par où commence-t-il, quels fondements donne-t-il à sa législation
nouvelle ? Écoutons bien ce qu'il va dire ; car, si la parole était pour les
contemporains, l'écriture est pour toutes les générations suivantes. S'il
paraît faire l'éducation spéciale de ses disciples, il ne circonscrit pas son
enseignement dans un cercle aussi restreint ; c'est à vous indistinctement
qu'il adresse ses béatitudes.

Il ne dit pas, en effet : " Vous serez bienheureux, vous, si vous êtes
pauvres". Non; il dit : "Bienheureux les pauvres". Assurément, bien que
son instruction eût une direction spéciale, elle était de nature à devenir un
bien commun. Lorsqu'il disait encore : "Voilà que je suis avec vous tous
les jours jusqu'à la consommation des siècles", (Matth., XVIII, 20) ce n'est
pas seulement aux disciples alors présent qu'il parlait, il voit en eux le
monde entier. De même, lorsqu'il les proclame heureux parce qu'ils auront
à souffrir la persécution, l'exil et toute sorte de traitements intolérables, ce
n'est pas pour eux seuls, c'est aussi pour tous ceux qui subiront avec
courage les mêmes maux qu'il tresse ses couronnes.

Du reste, pour vous mieux assurer de cette vérité, pour que vous sachiez
bien quelles choses dites vous regardent, regardent le genre humain tout
entier, pourvu qu'on veuille y prêter une oreille attentive, voyez sous quelle
forme se produit cet admirable discours : "Heureux les pauvres en esprit,
parce que le royaume des cieux leur appartient." (Matth., V, 3) Qui sont les
pauvres en esprit? Les humbles, ceux dont le coeur est contrit. L'esprit
désigne ici l'âme, l'intention, la volonté. Il y a des pauvres qui le sont
involontairement et par nécessité; ce n'est pas de ceux-là qu'ils parle, vu
qu'ils ne méritent aucun éloge: sa première béatitude est pour ceux qui
s'humilient et s'abaissent de leur propre mouvement et par un libre choix.

Pourquoi met-il la pauvreté à la place de l'humilité? C'est parce que l'une de
ces vertus est renfermée dans l'autre. Il désigne pas là les hommes qui
craignent et respectent les préceptes du Seigneur; les mêmes que Dieu
déclare par la bouche du prophète Isaïe mériter tout son amour: "Sur qui
porterai-je un regard favorable, si ce n'est sur l'homme doux et paisible, qui
reçoit mes paroles avec un religieux tremblement?" (Isaïe, LXVI, 2).

L'humilité se présente sous différentes formes: Il y a des hommes qui sont
modérément humbles, et d'autres qui le sont au suprême degré. C'est à ces
derniers que s'appliquent les louanges du bienheureux prophète, et non à
ceux dont l'âme est simplement humiliée, mais n'est pas entièrement
contrite, quand il dit: "Un sacrifice agréable à Dieu, c'est une âme brisée;
vous ne dédaignerez pas, Seigneur, un coeur contrit et humilié." (Psalm., L.
19) Telle est la vertu que les trois enfants offraient à Dieu comme un grand
sacrifice, en priant en ces termes: "Que nous soyons reçus avec une âme
contrite et un esprit humilié." (Daniel, III, 39). Voilà celle que le Christ
proclame bienheureuse.

Les plus grands maux qui ravagent le monde entier proviennent de
l'orgueil, puisque le diable lui-même, qui ne méritait pas auparavant ce
nom, est par là devenu diable, ce que que Paul nous fait entendre en disant:
"De peur qu'en s'enorgueillissant il ne subisse la condamnation du diable."
(I Tim., III, 6) Le premier homme également, poussé par la même ambition
que le diable, tomba de sa hauteur réelle. Dieu lui reproche ce fol espoir et
met à nu sa démence, quand il parle ainsi: "Voilà qu'Adam est devenu
semblable à nous." (Gen., III, 32) Tous ceux qui vinrent après lui
tombèrent dans l'impiété pour la même raison, en prétendant à la nature
divine. Puisque c'était là le centre et le foyer de tous les maux, la source et
le principe de toutes les iniquités, le Christ nous donne un remède en
rapport avec la maladie, lorsqu'il nous impose l'humilité comme le
fondement inébranlable de toutes les vertus.

Celle-là posée, l'architecte peut en toute sécurité construire son édifice: si
vous l'ôtez, au contraire, on aurait beau s'élever jusqu'au ciel par la
sublimité de sa conduite, tout croule et doit avoir une malheureuse fin.
Auriez-vous accumulé tous les biens possibles, le jeûne, l'oraison,
l'aumône, la charité même et les autres, sans l'humilité, tous ces biens s'en
iront en fumée. C'est ce qu'éprouva le Pharisien : après avoir atteint le faîte,
il roula jusqu'au fond, ne possédant plus rien, parce que la mère des vertus
n'était pas avec lui. De même donc que l'orgueil est la source de tous les
vices, l'humilité est la base de toute philosophie. Vous comprenez
maintenant pourquoi le Christ commence par là son oeuvre: il arrache du
coeur de ses auditeurs la mauvaise racine de la superbe...

Que vous soyez esclave, mendiant, réduit à la dernière indigence, étranger,
sans considération aucune, rien ne vous empêchera d'être heureux, pourvu
que vous embrassiez cette vertu. Après avoir commencé par ce qui devait
nécessairement passer avant tout, il pose un autre principe, qui contredit
aussi toutes les idées reçues dans le monde. Tous les hommes, en effet,
regardent comme heureux ceux qui sont dans la joie, et comme
malheureux ceux dont la vie s'écoule dans la tristesse, la misère et le deuil:
et ce sont ces derniers qu'il proclame heureux en ces termes: "Heureux
ceux qui pleurent." (Matth., V. 5)
Claude le Liseur
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Re: "Bienheureux les pauvres en esprit"

Message par Claude le Liseur »

Et de saint Grégoire Palamas, dans sa lettre à la moniale Xénie:

- Pourquoi après avoir dit : « Bienheureux les pauvres », ajoute-t-il « en esprit » ?
- C’est pour montrer son estime et son amour pour la modestie de l’âme.
- Pourquoi n’a-t-il pas dit : « Bienheureux ceux dont l’esprit est pauvre », ce qui indiquerait, également, l’idée de modestie, mais « Bienheureux les pauvres en esprit ? »
- C’est pour nous apprendre que la pauvreté, dans le corps, est également bienheureuse et qu’elle nous procure le Royaume des Cieux, à condition bien entendu qu’elle accompagne l’humilité de l’âme, qu’elle leur soit unie et qu’elle prenne sa source en elle.
En proclamant « bienheureux » les pauvres en esprit, le Seigneur a clairement indiqué la cause, la racine de la pauvreté extérieure qui fut celle des saints, c’est-à-dire leur esprit humble.

(...)

Saint Grégoire Palamas, Lettre à Xénie la moniale, traduction du grec par l'archimandrite Ambroise Fontrier, L'Âge d'Homme, Lausanne 2012, pp. 65 s. (à suivre).
Claude le Liseur
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Re: "Bienheureux les pauvres en esprit"

Message par Claude le Liseur »

(suite du message précédent...)

Dès que l'esprit des saints reçoit la grâce de la prédication évangélique, il fait jaillir de lui-même les eaux abondantes de la pauvreté spirituelle, qui arrosent «toute la face de notre terre» (Gen. 2,6), autrement dit l'homme extérieur, le transformant en paradis de vertus. Cette pauvreté, Dieu la proclame bienheureuse (Lc 6,20).
Le prophète dit que le Seigneur a donné, sur la terre, une sentence brève, c'est-à-dire qu'Il a révélé la raison de la pauvreté volontaire aux aspects si nombreux. En déclarant bienheureux les pauvres en esprit, Il enseigne en peu de mots et indique la cause qui l'engendre et la garde de toute altération. Car on peut, en effet, par vaine gloire et pour être vu des hommes, se faire volontairement pauvre et extérieurement humble et retenu; mais cela n'est pas la pauvreté en esprit, c'est une hypocrisie engendrée par l'orgueil et tout à fait contraire à l'esprit de pauvreté.

Celui dont l'esprit est humble, modeste, contrit, ne peut cacher la richesse de son humilité, ni l'empêcher de se manifester au dehors, parce qu'il se considère comme indigne de la gloire, de la richesse er du bien-être. Celui qui s'estime indigne des honneurs et du bien-être corporel est vraiment et pleinement pauvre en esprit, et Dieu le proclame bienheureux.

(à suivre...)
Claude le Liseur
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Re: "Bienheureux les pauvres en esprit"

Message par Claude le Liseur »

(... suite du message précédent...)

«Bienheureux les pauvres», dit Luc le divin (Lc 6,20), sans ajouter «en esprit»; ceux-là ont entendu, ont suivi et ont imité le Fils de Dieu qui a dit: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes» (Mt 11,29); ceux-là sont les «cohéritiers du Christ» (Rom 8,17), le «Royaume de Dieu est à eux».
Claude le Liseur
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Re: "Bienheureux les pauvres en esprit"

Message par Claude le Liseur »

Et maintenant le texte complet du luminaire de l'Orthodoxie:


Le Seigneur appelle « heureux » le contraire de ce que le monde appelle bon. « Bienheureux, dit-Il, les pauvres en esprit, car le Royaume des Cieux est à eux » (Mt 5,3).
- Pourquoi après avoir dit : « Bienheureux les pauvres », ajoute-t-il « en esprit » ?
- C’est pour montrer son estime et son amour pour la modestie de l’âme.
- Pourquoi n’a-t-il pas dit : « Bienheureux ceux dont l’esprit est pauvre », ce qui indiquerait, également, l’idée de modestie, mais « Bienheureux les pauvres en esprit ? »
- C’est pour nous apprendre que la pauvreté, dans le corps, est également bienheureuse et qu’elle nous procure le Royaume des Cieux, à condition bien entendu qu’elle accompagne l’humilité de l’âme, qu’elle leur soit unie et qu’elle prenne sa source en elle.
En proclamant « bienheureux » les pauvres en esprit, le Seigneur a clairement indiqué la cause, la racine de la pauvreté extérieure qui fut celle des saints, c’est-à-dire leur esprit humble.
Dès que l'esprit des saints reçoit la grâce de la prédication évangélique, il fait jaillir de lui-même les eaux abondantes de la pauvreté spirituelle, qui arrosent «toute la face de notre terre» (Gen. 2,6), autrement dit l'homme extérieur, le transformant en paradis de vertus. Cette pauvreté, Dieu la proclame bienheureuse (Lc 6,20).
Le prophète dit que le Seigneur a donné, sur la terre, une sentence brève (Is 10,23 dans la Septante), c'est-à-dire qu'Il a révélé la raison de la pauvreté volontaire aux aspects si nombreux. En déclarant bienheureux les pauvres en esprit, Il enseigne en peu de mots et indique la cause qui l'engendre et la garde de toute altération. Car on peut, en effet, par vaine gloire et pour être vu des hommes, se faire volontairement pauvre et extérieurement humble et retenu; mais cela n'est pas la pauvreté en esprit, c'est une hypocrisie engendrée par l'orgueil et tout à fait contraire à l'esprit de pauvreté.
Celui dont l'esprit est humble, modeste, contrit, ne peut cacher la richesse de son humilité, ni l'empêcher de se manifester au dehors, parce qu'il se considère comme indigne de la gloire, de la richesse er du bien-être. Celui qui s'estime indigne des honneurs et du bien-être corporel est vraiment et pleinement pauvre en esprit, et Dieu le proclame bienheureux.
«Bienheureux les pauvres», dit Luc le divin (Lc 6,20), sans ajouter «en esprit»; ceux-là ont entendu, ont suivi et ont imité le Fils de Dieu qui a dit: «Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes» (Mt 11,29); ceux-là sont les «cohéritiers du Christ» (Rom 8,17), le «Royaume de Dieu est à eux».
Saint Grégoire Palamas, Lettre à Xénie la moniale, traduction du grec par Père Ambroise Fontrier, L'Âge d'Homme, Lausanne 2012, pp. 65-67.
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