PierreTibur a écrit :En Roumanie, on dit quand même plus souvent Transilvania que Ardeal. Transilvania est la forme forgée sur le latin, Ardeal la forme forgée sur le hongrois Erdély (qui veut aussi dire "au-delà de la forêt").
J'ai la perception exactement inverse, les roumains de Transylvanie que je connais (région Brasov-Fagaras) se disent ardelen et parlent de l'Ardeal. je sais qu'effectivement le terme est d'origine hongroise mais curieusement il semble que quand ce sont des Hongrois de Transylvanie qui utilisent le terme
Transylvanie, les roumains de la région l'associent à des prétentions hongroises indues (j'ai assisté à quelques altercations à ce sujet) et quand un chanteur sur scène s'adresse à son public, il les appelle Ardelen. Je ne sais pas pourquoi. Entre outre, chaque fois que j'ai entendu un roumain utiliser Transilvania, c'était toujours en s'adressant en italien à un Italien. Toutefois vous avez raison,
Ardéal est inconnu en français mais mon "conditionnement" personnel me rend réticent à utiliser
Transylvanie.
Pour revenir à l'Orthodoxie, on parle de
metropoli Ardealului même si "a Transilvaniei" est effectivement équivalent et reconnu.
Mais je ne voudrais pas dévier outre-mesure du sujet.
Qu'Ardeal ait un usage sentimental ou identitaire important, je ne le nie pas.
Toutefois, dès que l'on est confronté à un usage un tant soit peu officiel, Transilvania l'emporte sur Ardeal. Il ya une Banca Transilvania, mais pas de Banca Ardeal; une société financière SIF Transilvania, mais pas de société financière SIF Ardeal; l'hôtel (d'ailleurs quelque peu décati) qui domine fièrement la belle ville de Cluj-Napoca (Kolozsvar / Klausenburg) s'appelle Hotel Transilvania, etc., etc. Si l'on s'arrête à la signalétique, vous pourriez traverser la Transylvanie sans savoir que la région s'appelle Ardeal.
Je doute fort que des Hongrois utilisent le terme latin. Les dictionnaires hongrois ne connaissent que le terme
Erdély pour traduire "Transylvanie" et
erdélyi pour traduire "transylvain" (Eckhardt Sandor [Alexandre Eckhardt],
Francia-Magyar Szótár, Akadémiai Kiadó, Budapest s.d. [réimpression de l'édition de 1968], p. 430). Je vois mal un peuple aussi conscient de l'originalité que lui donne le fait de parler une langue non indo-européenne au point de proclamer fièrement
nyelvében él a nemzet ("la nation réside dans la langue") utiliser un mot latin là où il dispose d'un terme autochtone.
Car Transylvanie (= "au-delà de la forêt") est un mot d'origine latine, forgé sur le latin
silva (forêt), comme dans sylviculture, Pennsylvanie (= "la forêt de [William] Penn"). Or,
Erdély en est le décalque exact en magyar:
erdő = forêt (cf. Eckhardt, op. cit., p. 214),
elé = devant, au devant-de (
A széket az asztal elé teszi - "Il met la chaise devant la table", cf. Thomas Szende et Georges Kassai,
Grammaire fondamentale du hongrois, L'Asiathèque, Paris 2007, p. 152 - on notera d'ailleurs que le mot hongrois semble dériver de l'allemand
Tisch). L'historien roumain Sorin Mitu, professeur à la célèbre université Babeş-Bolyai de Cluj, écrit que
Erdély est un "mot magique" (
cuvântul magic) pour les Hongrois (Sorin Mitu,
Transilvania mea, Polirom, Bucarest 2006, p. 9). Oui, à la vérité, je vois très mal des magyarophones utiliser un autre terme que
Erdély pour désigner la Transylvanie.
Il se développe actuellement en Roumanie toute une historiographie qui a pour but de faire dériver Erdély d'Ardeal et non l'inverse, et de nier l'origine hongroise du nom malgré l'étymologie évidente de Erdély (
erdő elé). Ces auteurs estiment qu'en reconnaissant qu'Ardeal découle d'Erdély ils porteraient atteinte à la thèse selon laquelle les Roumains sont les premiers occupants de la Transylvanie. Il n'y a pourtant aucune incompatibilité entre le fait que la région porte en roumain, que ce soit sous la forme Ardeal ou sous la forme Transilvania, des noms découlant de ceux que les Hongrois lui donnaient, en magyar, respectivement en latin, et le fait que les Roumains soient installés là depuis des temps immémoriaux. Ce ne serait pas la première fois qu'un peuple donnerait à sa terre le nom que lui a attribué une autre population arrivée plus tard.
Ceci étant, pas plus que je ne sais quels sont les sept forteresses qui ont donné le nom allemand de la Transylvanie (
Siebenbürgen) - certains pensent qu'il s'agirait de Kronstadt, Hermannstadt, Schäßburg, Klausenburg, Bistritz, Mediasch et Mühlbach, aujourd'hui Braşov, Sibiu, Sighişoara, Cluj-Napoca, Bistriţa, Mediaş et Sebeș -, je ne sais quelle est la forêt qui a donné le nom roumain (
Transilvania,
Ardeal) ou hongrois (
Erdély) de la Transylvanie; je ne sais au-devant ou au-delà de quelle fameuse forêt la province était supposée se trouver.
Si vous avez l'occasion de regarder un passeport roumain, vous verrez que la dénomination allemande de la Transylvanie a laissé une trace jusqu'à aujourd'hui: dans le coin des armoiries de la Roumanie qui correspond aux anciennes armoiries de la Transylvanie, on voit distinctement sept tours qui évoquent ces sept mystérieuses forteresses.