Icônes et Pères de l'Eglise
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Quelques mises au point
Le bobard du baptême au nom de saint Jean Baptiste est directement décalqué des thèses de Picknett et Prince, donc du traficotage de l’histoire qui a servi pour la réalisation du Da Vinci Code. Ce qui laisse entrevoir, même si ce n’est que dans le choix des armes idéologiques, des complicités de pensée pour le moins surprenantes de la part de gens qui se disent tout de même chrétiens et défendent le principe de la sola scriptura.
Contrairement aux affirmations de messire « Augustinus », il existe bel et bien une influence indirecte de l’islam au concile de Francfort. En effet, une part non négligeable des clercs carolingiens qui comptaient étaient des Wisigoths originaires d’Espagne. Ils ne l’avaient pas quittée lors de l’invasion de 711 mais après diverses révoltes de la seconde moitié du VIIIe siècle, pour échapper à la répression. Depuis 711, cela fait des années relativement paisibles dans la péninsule, où les archéologues ne trouvent pas trace en tout cas de massacre systématique des chrétiens. Dhimmitude sans doute, mais rien de plus sanglant, sauf martyrs isolés ou flambée locale, surtout à Tolède. C’est lors de telles périodes de calme après l’invasion que se voient toutes les compromissions de pensée. D’autre part, Charlemagne lui-même a entretenu des relations diplomatiques très ambiguës avec l’islam, que ce soit en Espagne ou en orient. Il y eut des guerres territoriales mais aussi des pourparlers et l’échange d’ambassades avec Haroun al-Rachid fut des plus cordiales. Officiellement, le concile de Francfort de 794 devait régler le cas de Félix d’Urgell, évêque hérétique et… espagnol. Tous les Wisigoths du regnum étaient présents et l’on sait que la plupart étaient influencés par l’islam, judaïsants et iconoclastes.
Profitons de ces mises au point (que je ne fais pas pour Augustinus ouvertement de mauvaise foi, mais pour nos autres lecteurs) pour régler la question de l’iconoclasme de saint Epiphane. C’était un homme zélé, un chasseur d’hérésies surtout acharné à nettoyer l’Eglise des idées gnostiques qui revenaient dans l’enseignement d’Evagre à partir de sa lecture d’Origène, et qui n’a pas hésité à voyager, à rencontrer bien au delà de Salamine ceux qu’il tenait à avertir, en particulier Jérôme. Mais un homme a toujours les défauts de ses qualités : un zélateur au franc-parler redoutable et qui ne s’embarrasse pas de fioritures (tiens ! le style Antoine ?) risque parfois d’aller trop loin dans le coup de rogne. Jérôme rapporte dans une de ses lettres (pardonnez moi, je ne les ai pas sous la main pour référencer de manière plus précise et J fut un grand épistolier) qu’Epiphane, lors de son voyage en Palestine, entrant un soir dans une église vit un rideau sur lequel était peinte une image du Christ ; il se mit en colère, l’arracha et le jeta dans les mains du prêtre dont on imagine l’effarement en lui disant d’en faire un linceul pour un pauvre. Sa réputation d’iconoclasme tient sur cet unique épisode. Mais le récit de Jérôme est très sobre et les motivations d’Epiphane pas davantage précisées. Il n’est pas clair si c’est l’image en elle-même ou la richesse du rideau qui déclenche son ire ; on ne sait pas où se trouvait ce rideau (ancêtre de l’iconostase ou séparation d’une sorte de narthex d’avec l’église elle-même ?), on ne sait pas non plus à quoi ressemblait cette image, si elle suivait les canons de l’iconographie tels qu’ils se fixaient à l’époque. Le dossier est donc fort mince. Mais en admettant une méfiance d’Epiphane envers toute image, une crainte de leur voir favoriser un retour d’attitudes païennes, il ne s’agirait que d’un évêque isolé et non de l’Eglise, cf. la citation de saint Photios qu’a rappelée Claude.
Enfin, venons en à l’argument du silence du judaïsme. Les fouilles de Jérusalem et de Dura-Europos y répondent car elles montrent sans ambiguïté que jusqu’au VIe siècle inclus, des synagogues furent décorées de scènes bibliques avec représentation humaine. Vers la fin du VIe siècle et surtout au VIIe commence une réaction « intégriste » qui verra à la fois la révision du texte biblique, la réduction de son canon et le renouvellement de l’interdit de représentation de la figure humaine. Il s’agit bien entendu du mouvement massorète qui va finir par s’imposer et donc devenir la racine du judaïsme actuel. Donc quand l’icône se généralise dans l’Eglise, les Juifs ne risquent pas de la condamner à cor et à cris puisqu’ils ont admis l’image dans leurs propres lieux de culte. Le resserrement intégriste iconoclaste commence dans le monde juif à peu près en même temps que la prédication de Mahomet puis les premières conquêtes islamiques, la déferlante arabe. Il est probable que Mahomet ou ses successeurs immédiats ont adopté le point de vue que les massorètes s’employaient alors à répandre et qui, au fond, les arrangeait : la peinture est un art de sédentaires, pas de guerriers en campagne.
Le calife Yazid, lorsqu’il interdit l’icône en 723 dans les églises du califat, tranche un débat que la pression des massorètes et de l’islam avait introduit entre certains évêques. Mais ce débat restait relativement courtois et Yazid n’étant pas chrétien, l’interdit fut vécu comme un joug, pas comme une question théologique. C’est l’édit de l’empereur de Byzance Léon l’Isaurien après le séisme de 726 qui déclencha ce siècle de répression sanglante que l’on appelle par euphémisme ou par litote la « querelle » des icônes. C’est l’émeute qui suivit immédiatement le décret et son début d’application qui poussa Léon à chercher vainement l’approbation des deux patriarches restés dans l’empire, Germain de Constantinople et Grégoire II de Rome qui, tous deux, prirent position en faveur des icônes. C’est l’effervescence venue du sang versé qui poussa le moine Jean de Damas à clarifier la question sur le plan théologique.
Un point technique pour Apostolos : j’avais réalisé pour des étudiants des chronologies comparées qui couvrent jusqu’au Xe siècle. Il pourrait être intéressant de les mettre sur le forum pour donner des repères mais c’est sous forme de tableaux Word et ça ne passe pas au copier/coller. Y a-t-il une possibilité de les reprendre sans passer par un scanner ?
Contrairement aux affirmations de messire « Augustinus », il existe bel et bien une influence indirecte de l’islam au concile de Francfort. En effet, une part non négligeable des clercs carolingiens qui comptaient étaient des Wisigoths originaires d’Espagne. Ils ne l’avaient pas quittée lors de l’invasion de 711 mais après diverses révoltes de la seconde moitié du VIIIe siècle, pour échapper à la répression. Depuis 711, cela fait des années relativement paisibles dans la péninsule, où les archéologues ne trouvent pas trace en tout cas de massacre systématique des chrétiens. Dhimmitude sans doute, mais rien de plus sanglant, sauf martyrs isolés ou flambée locale, surtout à Tolède. C’est lors de telles périodes de calme après l’invasion que se voient toutes les compromissions de pensée. D’autre part, Charlemagne lui-même a entretenu des relations diplomatiques très ambiguës avec l’islam, que ce soit en Espagne ou en orient. Il y eut des guerres territoriales mais aussi des pourparlers et l’échange d’ambassades avec Haroun al-Rachid fut des plus cordiales. Officiellement, le concile de Francfort de 794 devait régler le cas de Félix d’Urgell, évêque hérétique et… espagnol. Tous les Wisigoths du regnum étaient présents et l’on sait que la plupart étaient influencés par l’islam, judaïsants et iconoclastes.
Profitons de ces mises au point (que je ne fais pas pour Augustinus ouvertement de mauvaise foi, mais pour nos autres lecteurs) pour régler la question de l’iconoclasme de saint Epiphane. C’était un homme zélé, un chasseur d’hérésies surtout acharné à nettoyer l’Eglise des idées gnostiques qui revenaient dans l’enseignement d’Evagre à partir de sa lecture d’Origène, et qui n’a pas hésité à voyager, à rencontrer bien au delà de Salamine ceux qu’il tenait à avertir, en particulier Jérôme. Mais un homme a toujours les défauts de ses qualités : un zélateur au franc-parler redoutable et qui ne s’embarrasse pas de fioritures (tiens ! le style Antoine ?) risque parfois d’aller trop loin dans le coup de rogne. Jérôme rapporte dans une de ses lettres (pardonnez moi, je ne les ai pas sous la main pour référencer de manière plus précise et J fut un grand épistolier) qu’Epiphane, lors de son voyage en Palestine, entrant un soir dans une église vit un rideau sur lequel était peinte une image du Christ ; il se mit en colère, l’arracha et le jeta dans les mains du prêtre dont on imagine l’effarement en lui disant d’en faire un linceul pour un pauvre. Sa réputation d’iconoclasme tient sur cet unique épisode. Mais le récit de Jérôme est très sobre et les motivations d’Epiphane pas davantage précisées. Il n’est pas clair si c’est l’image en elle-même ou la richesse du rideau qui déclenche son ire ; on ne sait pas où se trouvait ce rideau (ancêtre de l’iconostase ou séparation d’une sorte de narthex d’avec l’église elle-même ?), on ne sait pas non plus à quoi ressemblait cette image, si elle suivait les canons de l’iconographie tels qu’ils se fixaient à l’époque. Le dossier est donc fort mince. Mais en admettant une méfiance d’Epiphane envers toute image, une crainte de leur voir favoriser un retour d’attitudes païennes, il ne s’agirait que d’un évêque isolé et non de l’Eglise, cf. la citation de saint Photios qu’a rappelée Claude.
Enfin, venons en à l’argument du silence du judaïsme. Les fouilles de Jérusalem et de Dura-Europos y répondent car elles montrent sans ambiguïté que jusqu’au VIe siècle inclus, des synagogues furent décorées de scènes bibliques avec représentation humaine. Vers la fin du VIe siècle et surtout au VIIe commence une réaction « intégriste » qui verra à la fois la révision du texte biblique, la réduction de son canon et le renouvellement de l’interdit de représentation de la figure humaine. Il s’agit bien entendu du mouvement massorète qui va finir par s’imposer et donc devenir la racine du judaïsme actuel. Donc quand l’icône se généralise dans l’Eglise, les Juifs ne risquent pas de la condamner à cor et à cris puisqu’ils ont admis l’image dans leurs propres lieux de culte. Le resserrement intégriste iconoclaste commence dans le monde juif à peu près en même temps que la prédication de Mahomet puis les premières conquêtes islamiques, la déferlante arabe. Il est probable que Mahomet ou ses successeurs immédiats ont adopté le point de vue que les massorètes s’employaient alors à répandre et qui, au fond, les arrangeait : la peinture est un art de sédentaires, pas de guerriers en campagne.
Le calife Yazid, lorsqu’il interdit l’icône en 723 dans les églises du califat, tranche un débat que la pression des massorètes et de l’islam avait introduit entre certains évêques. Mais ce débat restait relativement courtois et Yazid n’étant pas chrétien, l’interdit fut vécu comme un joug, pas comme une question théologique. C’est l’édit de l’empereur de Byzance Léon l’Isaurien après le séisme de 726 qui déclencha ce siècle de répression sanglante que l’on appelle par euphémisme ou par litote la « querelle » des icônes. C’est l’émeute qui suivit immédiatement le décret et son début d’application qui poussa Léon à chercher vainement l’approbation des deux patriarches restés dans l’empire, Germain de Constantinople et Grégoire II de Rome qui, tous deux, prirent position en faveur des icônes. C’est l’effervescence venue du sang versé qui poussa le moine Jean de Damas à clarifier la question sur le plan théologique.
Un point technique pour Apostolos : j’avais réalisé pour des étudiants des chronologies comparées qui couvrent jusqu’au Xe siècle. Il pourrait être intéressant de les mettre sur le forum pour donner des repères mais c’est sous forme de tableaux Word et ça ne passe pas au copier/coller. Y a-t-il une possibilité de les reprendre sans passer par un scanner ?
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Anne Geneviève, si vous voulez bien me faire parvenir ce travail à mon adresse personnelle, je le mettrai sur le forum.Un point technique pour Apostolos : j’avais réalisé pour des étudiants des chronologies comparées qui couvrent jusqu’au Xe siècle. Il pourrait être intéressant de les mettre sur le forum pour donner des repères mais c’est sous forme de tableaux Word et ça ne passe pas au copier/coller. Y a-t-il une possibilité de les reprendre sans passer par un scanner
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- Messages : 4369
- Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13
Re: Quelques mises au point
Non, cette complicité de pensée n'est pas surprenante.Anne Geneviève a écrit :Le bobard du baptême au nom de saint Jean Baptiste est directement décalqué des thèses de Picknett et Prince, donc du traficotage de l’histoire qui a servi pour la réalisation du Da Vinci Code. Ce qui laisse entrevoir, même si ce n’est que dans le choix des armes idéologiques, des complicités de pensée pour le moins surprenantes de la part de gens qui se disent tout de même chrétiens et défendent le principe de la sola scriptura.
En effet, l'icône est la conséquence logique de l'Incarnation, qui est tout de même le fondement de la foi chrétienne.
L'iconoclasme est une importation d'origine juive et / ou musulmane dans le christianisme.
L'iconoclaste finit ainsi forcément, à un moment ou à un autre, par rejeter la Nouvelle Alliance et l'Incarnation. Et, par là-même, il finit par ne plus être chrétien.
Le refus de l'icône mène ainsi d'une manière inévitable à l'apostasie et au rejet du Christ. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'on trouve des parentés entre les arguments et le mode de pensée d'iconoclastes qui se disent encore chrétiens ou qui peuvent de bonne foi croire qu'il sont encore chrétiens et les arguments et le mode de pensée des pires ennemis du christianisme: par le seul choix de l'iconomachie, l'iconoclaste a déjà adopté un mode de pensée qui comprend en lui-même la négation de la foi chrétienne.
http://fr.ch.msnusers.com/a137pqe7a2aq8 ... HRONEG.DOC
Vous pouvez toujours allez lire ce très intéressant document fourni par Anne Geneviève, mais mon but est de le copier ici. Patience ...
Vous pouvez toujours allez lire ce très intéressant document fourni par Anne Geneviève, mais mon but est de le copier ici. Patience ...
Ceci est un essai ...







Anne Geneviève a eu l'extrême gentillesse de fournir une documentation
très intéressante que je vous mettrai ici selon le temps dont je dispose.
C'est pour moi un gros travail car je dois retravailler chaque feuille, la mettre chez un hébergeur avant de la transférer sur le forum.
Aussi je vous conseille vivement - étant donné que les conditions de stockage chez un hébergeur peuvent être aléatoires - d'imprimer cette documentation si elle vous intéresse.
Merci encore à Anne Geneviève et ses commentaires seront les bienvenus.







Anne Geneviève a eu l'extrême gentillesse de fournir une documentation
très intéressante que je vous mettrai ici selon le temps dont je dispose.
C'est pour moi un gros travail car je dois retravailler chaque feuille, la mettre chez un hébergeur avant de la transférer sur le forum.
Aussi je vous conseille vivement - étant donné que les conditions de stockage chez un hébergeur peuvent être aléatoires - d'imprimer cette documentation si elle vous intéresse.
Merci encore à Anne Geneviève et ses commentaires seront les bienvenus.
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Merci, Irène, de ce gros travail. Je commenterai à la fin mais déjà une indication: ce sont des chronologies comparées que je distribuais à mes étudiants de première année quand j'enseignais l'histoire de l'Eglise. Je trouve intéressant de mettre ainsi les événements en parallèle, année par année autant que faire se peut, car nous en avons souvent une représentation spontanée très différente. Un des points qui étonnait toujours les étudiants, par exemple, c'est que Mahomet soit contemporain de Dagobert.
C'est juste un petit aide-mémoire mais d'avoir tout sur une page, c'est plus pratique que de consulter une dizaine de bouquins.
C'est juste un petit aide-mémoire mais d'avoir tout sur une page, c'est plus pratique que de consulter une dizaine de bouquins.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."