Sans prétendre à être un expert, il faut peut-être rappeler ce que sont les canons. On peut les assimiler grosso modo à des lois qui régissent l’Eglise et différents aspects de son activité. Globalement, on les trouve dans le Pidalion et les Nomocanon. Comme le fait remarquer le lecteur Claude, l’orthodoxe francophone de base ne peut lire ce Pidalion en français que sur le site du Hiéromoine mathéiste Cassien (je précise qu’en contactant le dit hiéromoine on peut obtenir les canons sous la forme d’un livre). Il faut saluer cette initiative bien isolée, car pour obtenir les commentaires de ces canons par Saint Nicodème l’Athonite, il faut en revanche se reporter au site Russe hors frontière qui contient un pidalion complet mais hélas en anglais seulement. Cette faible diffusion en français explique peut-être le flou qui règne quand à la notion d’église canonique.
J’ai cru en voir quelques illustrations sur ce forum dans divers propos. Ainsi, il a été reproché à telle église russe d’être un schisme et de diviser l’église. L’affirmation en soi est respectable mais encore faut-il l’argumenter, en montrant en quoi sa situation est contraire aux canons et en quoi l’église russe « légitime » au yeux de l’auteur de cette assertion serait légitime. L’on ne peut asséner : Le Patriarcat de X est canonique parce qu’il s’appelle le Patriarcat de X. En effet, la légitimité de toute chose ne peut que se baser que sur un principe supérieur… Exemple, en démocratie, on pense que ce principe supérieur est la volonté du peuple (on y croit ou on y croit pas).
En matière de canonicité, il s’agit du respect des canons auxquels l’Eglise doit se soumettre car « elle n’est pas au dessus des canons ». Ainsi, une église canonique sera celle qui a été fondé conformément aux canons mais aussi qui garde fidèlement ces mêmes canons…
Dit comme cela, tout est absolument clair, mais si l’on passa aux cas pratiques, les choses deviennent un rien difficiles. Prenons un cas concret choisi dans les juridictions russes (je fais partie de l’une d’entre elle assez agitée en ce moment car en mai prochain elle doit décider de son avenir).
Sur le site officiel de la Rue Daru, je lis :
« L’Archevêché est le successeur légal et le continuateur direct de l’"Administration provisoire des paroisses russes en Europe occidentale" fondée par le saint patriarche Tikhon de Moscou et confiée à l’Archevêque Euloge (décrets du 8 avril 1921, n° 423 & 424) avec l’accord du saint Métropolite Benjamin de Pétrograd qui jusqu’alors exerçait la juridiction sur les institutions religieuses de l’Église orthodoxe russe en Europe occidentale (lettre datée du 21 juin 1921), puis remplacée par un "Exarchat orthodoxe russe temporaire du saint Trône apostolique et patriarcal de Constantinople en Europe occidentale" ouvert à titre provisoire par le patriarche œcuménique Photios II (charte du 17 février 1931) à la demande du Métropolite Euloge. »
http://www.exarchat.org/article.php3?id_article=14
Cela suscite des questions car cela laisse à entendre que la légitimité du dit exarchat vient du fait que les dites paroisses furent confiées au Métropilite Euloge par le Patriarcat de Moscou… Dès lors on insinue que le dit métropolite aurait été libre de choisir, suite aux événements en Russie le coupant de l’Eglise Mère, le rattachement de son choix… C’est faire une impasse un rien rapide sur une autre décision de l’Eglise Mère (avant qu’elle ne tombe entre les mains des communistes) la célèbre oukaze n°362 demandant aux russes coupés de l’église en Russie de se constituer en organisation structurée, la dite oukaze servant de base légale à l’Eglise Russe hors Frontière. Il faut noter que le Métropolite Euloge semble avoir accepté la dite oukaze vu qu’à 2 reprises, il a fait partie de l’Eglise Russe hors frontière dont il s’est séparé. Il faudrait peut-être s’interroger sur la canonicité de ces départs : un évêque est membre d’un synode et répond devant ce synode de ses actes et de surcroît aucune paroisse ne peut être transféré d’un diocèse à l’autre sans l’accord des deux évêques. Alors qu’on peut comprendre une séparation pour un motif de foi, les motifs soulevés dans ces cas précis m’ont l’air peu évidents et assez difficiles à cerner. Aussi, je ne manque pas de rire en lisant des intervenant du forum, membre de ce groupe Eulogien qui brandissent l’imprécation de schismatique contre l’ERHF…
Un autre élément assez récent a attiré mon attention : l’évêque russe hors frontière Ambroise de Genève a déclaré que le statut canonique de l’ERHF, était actuellement douteux… et posait des questions… L’implication est claire : pour bétonner notre canonicité, « rejoignons le Patriarcat de Moscou, qui, lui, a une canonicité à toute épreuve ». Ce sous-entendu à nouveau pose problème, venant surtout d’un évêque russe hors frontière qui doit être connaisseur de l’Eglise russe, bien plus que moi simple fidèle de base… Je note, à en croire ce que l’ERHF a toujours dit, qu’au moment des persécutions terribles, une partie du clergé a choisi de « s’accommoder » avec le pouvoir athée. Il en a résulté la création du Patriarcat de Moscou par Staline comme le dit lui-même ce même évêque Ambroise. Il est aberrant que personne ne signale le problème canonique grave. Un nombre d’évêques, rassemblés par un pouvoir athée pour former un Patriarcat ou une église, ne constitue pas l’église légitime russe de l’époque pour maintes raison; ou du moins il faut soulever des interrogations...
1° cela viole le principe de la conciliarité : à l’époque et les années précédentes d’autres évêques croupissaient en prison ou dans les goulags plutôt que d’accepter une telle « compromission ». Certains sont morts pour l’avoir refusé. Combien furent-il, je l’ignore mais peut-être étaient-ils même plus nombreux que les sergianistes. Si l'Eglise a un fonctionnnement synodal, le choiux de ces évêques martyrs ne peut être mis sous siulence
2° Quid des canons interdisant les nominations d’évêques par le pouvoir civil ?
3° Ces évêques ainsi nommés n’étaient-ils pas des « lapsi »
4° Vu le nombre élevés d’évêques martyrisés, ne peut-on pas supposer que les opposants à la compromission étaient majoritaires, ce qui feraient en fait des sergianistes, des schismatiques ? (Notez que je ne sous entend pas que la Vérité est dans le nombre et la majorité).
5° Enfin, n’est-ce pas insulter l’église des catacombes qui a choisi la clandestinité plutôt que de se compromettre et dont on peut montrer la permanence jusqu’aux années 90 (date à laquelle elle est sortie des catacombes, ce qui n’a pas donné un fort joli résultat il faut l’admettre) ; n’est-elle donc pas l’Eglise russe légitime ?
J’avoue ne pas pouvoir répondre à mes propres question, mais je souhaite simplement les poser car on en arrive je pense à des simplification extrêmes en terme de canonicité. De telles simplifications conduisent à des propos à l’emporte-pièce où volent les charmants qualificatifs que sont « schismatiques », « secte » et « extrémistes », qualificatifs qui méritent une explication à la lumière de l’histoire et des canons… et qui, sans cela sont en fait des insultes gratuite et visent parfois à des objectifs de politiques ecclésiastiques, ou à un simple dénigrement...
Une dernière erreur fort commune à mes yeux réside dans la trop classique expression « la plénitude de l’orthodoxie ». Récemment suite à la visite d’une délégation ERHF Rue Daru, le communiqué de l’Exarchat russe s’est réjoui du rapprochement de l’ERHF avec la plénitude de l’orthodoxie ; on aurait pu entendre aussi « l’universalité de l’orthodoxie ». Il apparaît que la plénitude est conçue de façon purement démocratique et majoritaire : « Nous sommes dans la plénitude de l’orthodoxie car nous sommes en communion avec la majorité de ceux qui se disent orthodoxes ». Si telle est bien le sens de ce mot, cela pose problème. La plénitude ou l’universalité de la vérité ne peut être que dans la façon de la vivre pleinement, à 100%, dans la fidélité vis-à-vis de la foi, des dogmes et des canons… Et il peut arriver qu’une église à elle seule incarne cette plénitude, les autres étant tombées dans l’hérésie.
Pour terminer sur une note de qualité après mon verbiage, je renvoie au texte du Père Schmeman disponible en anglais avec un extrait traduit :
«
Je précise qu’Archibald est un pseudo en l’honneur du capitaine Haddock.Il y a ceux qui résolvent par exemple le complexe et dramatique problème de l’orthodoxie aux Etats-Unis par une règle simple qui, à leurs yeux semble une évidence : pour être « canonique » on doit être « sous » un Patriarche, ou en général dans une église autocéphale établie dans le « vieux monde » ; La Canonicité est ainsi réduite à une subordination érigée en principe de l’organisation de l’église. Cela implique l’idée qu’un « haut pouvoir ecclésiastique (Patriarche, Synode…) est en lui-même et par lui-même source de canonicité. : tout ce qu’il décide est ipso facto canonique et le critère de canonicité. Mais dans la tradition orthodoxe authentique, le pouvoir ecclésiastique est lui-même soumis aux canons et ses décisions sont valides et obligatoires seulement quand elles sont conformes aux canons. Autrement dit, ce n’est pas la décision du Patriarche ou de son Synode qui crée ou garantit la canonicité mais au contraire, c’est la canonicité de la décision qui lui donne sa véritable autorité et son pouvoir. La Vérité et non le pouvoir est le critère et les canons, à l’instar des dogmes, expriment la vérité de l’église ».
LIENS WEB
Pour le texte du Père Schmeman
http://www.orthodoxinfo.com/ecumenism/schmem_canon.aspx )
Le Pidalion intégral en anglais avec commentaire par Saint Nicodème l’Athonite :
http://www.holytrinitymission.org/index.php
dans le tableau voir la rubrique « canonical law » (droit canon)
Le Pidalion en français :
http://membres.lycos.fr/orthodoxievco/
cliquer sur publications puis sur divers écrits et ensuite sur Pidalion
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Je serais heureux qu'un débat puisse s'engager sur ce thème. En effet, il me semble qu'une des questions majeures qui se pose pour l'Eglise est la question ecclésiologique que ce soit à travers l'oecuménisme, la superposition de plusieurs juridictions et j'en passe...