Usages (signe de la croix et métanies)

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Jean-Serge
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Usages (signe de la croix et métanies)

Message par Jean-Serge »

Bonjour,

J'ai à nouveau un certain nombre de questions concernant le signe de la croix. Quelqu'un pourrait-il m'expliquer pourquoi l'on ne se signe pas quand le diacre encense (quoi que certains se signent d'ailleurs)? Et pourquoi également quand le prêtre bénit depuis l'ambon, l'on ne se signe pas (quoi que à nouveau certains se signent).

S'agit-il de pratiques toutes correctes mais qui ne varient en fait qu'en fonction des régions?

Pour ce qui est des métanies, lors des vêpres, matines et Divines Liturgies, à quels moments exacts sont-elles prescrites :

- lors du Trisagion
- de "Venez adorons et prosternons nous"
- lors de l'Alleluïa Alleluïa Alleluïa Gloire à toi Dieu (3 fois)

Quelqu'un pourrait-il m'indiquer si c'est bien exact?

Merci à l'avance...
Priidite, poklonimsja i pripadem ko Hristu.
Geoffroy le Bouillonnant

Explications possibles

Message par Geoffroy le Bouillonnant »

D'après ce qui m'a été appris, il est incorrect de se signer quand le prêtre béit, car il fait lui-même le signe de la croix sur les fidèles... L'explication m'a l'air satisfaisante... Qu'en pensent nos spécialistes?

Il est aussi incorrect de se signer pendant l'encensement d'après ce qui m'a été dit et que j'ai lu, mais je ne dispose pas d'explications. Il s'agit là me semble-t-il d'une pratique catholique... De même que le fait de se signer quand le prêtre bénit...
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Il me paraît exact qu'il soit demandé de faire le signe de Croix aux moments qui sont indiqués. Il serait faux de croire qu'il soit obligatoire de le faire quand le prêtre bénit ou lorsque le diacre encense. Pour le reste, quand on voit les orthodoxes "pur sucre" vivre au jour le jour dans les pays de tradition orthodoxe, on peut remarquer qu'ils se signent fréquemment. C'est à la fois une prière et une profession de foi et ce n'est jamais interdit.

À noter que ces mêmes orthos "pur sucre" n'ont pas de scrupule pour bénir eux-mêmes le repas qu'ils vont prendre quand il n'y a pas de prêtre ou les outils dont ils vont se servir pour leur travail, ce que l'Église catholique interdit à ses fidèles ("seul le prêtre peut bénir, saud que le père de famille peut bénir ses enfants).
Jean-Louis Palierne
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eliazar
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Message par eliazar »

Lorsque le prêtre bénit les fidèles, ou qu'il les encense, c'est eu égard à leur qualité de Baptisés, et d'icônes du Dieu incarné.

Il est de ce fait logique que le Baptisé qui est béni ou encensé à ce moment-là "reçoive" pour ainsi dire passivement la bénédiction ou l'encens - qui s'adressent (à travers sa personne pécheresse) au Dieu dont il est l'icône. Il n'est plus à cet instant que le réceptacle de la grâce, et se concentre tout entier à la recevoir le plus intensément qu'il lui est donné de faire.

Généralement, le fidèle fait une légère inclination de tête, presque imperceptible : elle lui permet d'exprimer par une discrète motion jubilatoire de son corps la re-connaissance de la Grâce qu'il a reçue (et aussi sa reconnaissance=gratitude envers Celui qui la lui a octroyée) en étant constitué "icône vivante" ( c à d "à l'image et à la ressemblance") du Dieu qui l'a créé en cet état, et qui de surcroît lui restitue la pureté de son état à travers les saints mystères, chaque fois que besoin en est.

Mais cela ne saurait être un remerciement du paroissien envers son prêtre, qui ne fait que son devoir d'officiant en honorant au moment prescrit toutes les icônes qui sont dans cette église, icônes vivantes ou icônes "écrites". C'est à dire que le prêtre honore à travers elles Dieu, qu'elles figurent. Il n'y a donc pas lieu (théoriquement) de redoubler soi-même, sur soi-même, la bénédiction ou l'encensement que le prêtre réalise au même moment : l'acquiescement, ou la gratitude, ou la Joie que le fidèle ressent gagnent à rester intérieures.

Ceci dit, Jean-Louis Palierne a raison de rappeler qu'il n'est jamais interdit d'inscrire sur son corps le signe de la Croix de Celui qui nous a sauvés par elle. Et plus on le fait avec amour, et en pensant à ce qu'on fait, et plus on en reçoit "don sur don, et grâce sur grâce", c'est évident. Mais ... il y a temps pour tout.

Je pense parfois au Roi-Prophète qui ne pouvait se retenir de danser devant l'Arche, malgré le mépris qu'en ressentait sa propre épouse !
Ce sont, me semble-t-il des problèmes d'amour, plus que de bienséance convenue d'avance. On fait ce qu'on doit faire au moment où cela doit être fait - et il est bien de savoir quand et pourquoi il convient de faire ainsi.

Et après cela, comme disent les gens simples : "à la Grâce de Dieu" !

Le même Roi David savait parfaitement que les pains de proposition ne devaient être touchés, manduqués, que par les prêtres; mais quand la faim les tenaillait, lui et ses hommes, ils ont dévoré de bon cœur les pains qui ne leur étaient pas destinés. Et Dieu ne leur en a pas tenu rigueur.

La Faim, la Soif et l'Amour ont ceci en commun d'exercer une vive et profonde exigence, un "appétit" qui bouscule souvent les règles plus rationnelles du savoir-vivre... voire même de la Sainte Liturgie.

"Le Sabbat a été fait pour l'homme, et non l'homme pour le Sabbat".

Je voudrais ajouter une petite remarque sur le fait d'inscrire ce Signe de la Croix en tout petit (de la bouche à la gorge en quelque sorte) en "papillonnant" à toute vitesse comme font certains - ou au contraire lentement, en marquant avec une certaine gravité le "trajet" depuis le sommet du front jusqu'à la poitrine, et même jusqu'à la ceinture.

Certes, il y a là des questions liées à la coutume, au mimétisme de tout un peuple. Et par exemple, venant de ma première paroisse, qui était russe, mes amis grecs trouvaient que "je faisais du théâtre" en exécutant mes métanies devant les icônes (un exemple entre autres). Peut-être en effet. Il n'en reste pas moins que ce "trajet" n'est pas sans signification profonde, et le réduire à des gestes hâtifs est dommage :

- du Père au Fils - c'est à dire du sommet du front à la ceinture, voire au ventre (et pourquoi pas ? n'est-il pas le lieu corporel de l'Incarnation ?) - nous dessinons ainsi le mouvement d'abaissement, de kénose de Celui qui ne s'est pas satisfait de demeurer dans son Ciel de gloire, mais est descendu jusqu'au plus profond des entrailles ; de Marie la vierge, d'abord - puis de la terre elle-même, à Son ensevelissement;

- le second mouvement, horizontal, qui accompagne le Nom du Saint-Esprit, on me l'a expliqué d'une manière qui me parle : le Saint-Esprit est celui qui "fait", qui "réalise", qui "accomplit toute chose", et il me semble parlant qu'il soit nommé en allant d'une épaule à l'autre, c'est à dire d'un bras à l'autre, puisque c'est par ces membres supérieurs que nous accomplissons notre travail; mais de plus, je suis intimement certain que le signe qu'inventèrent les premiers chrétiens ne pouvait être que de l'épaule droite à l'épaule gauche, comme il a déjà été dit ici même, et je le crois pour deux raisons qui se complètent l'une l'autre.

Lorsque Dieu apparut à notre père Élie, Il lui recommanda de se cacher dans son manteau afin de ne pas Le voir passer ( et de ne pas mourir). Or celui qui s'enveloppe de son manteau ramasse le pan de sa main droite et l'envoie vers son côté gauche, en s'en recouvrant le visage et la tête. C'est donc un premier sens, celui de la mise "à l'abri dans le creux du rocher", dont parle aussi le Psalmiste. Car notre Dieu n'est pas un petit copain, comme chantent parfois certains écervelés qui se croeint charismatiques - mais Il est un Dieu magnifique et terrible. Que le Saint Esprit daigne nous épargner Sa colère ! Amin ! Amin !

Et puis le côté droit est traditionnellement aussi celui du bras qui manie l'épée, qui frappe, qui punit. Le côté de la Justice divine. Tandis que le côté gauche est celui du cœur, de l'amour, de la Miséricorde de Dieu: le disciple que Jésus aimait a posé sa tête sur le cœur de son Maître, à la dernière Cène. Et qu'en invoquant le Saint Esprit qui doit nous révéler tout ce que nous ne savions pas encore, nous allions de la droite vers la gauche, c'est à dire que nous partions de la Justice pour aller nous mettre à l'abri dans la Miséricorde de Celui qui nous a dit lui-même : Je ne suis pas venu pour condamner, mais pour sauver - cela me semble d'une si lumineuse évidence que je me suis toujours demandé par quelle funeste aberration le catholicisme romain a décidé un jour d'inverser ce geste sacré, en faisant partir ses fidèles de la Miséricorde pour mieux aller se jeter sous le coup de la Justice - au contraire de toute logique et peut être même de l'humilité de qui ne se sait que trop pécheur !

Mais un jour, nous saurons tout ce qui nous a été caché...

"Prions sans cesse pour être jugés dignes d'échapper à ce qui doit arriver..." dit notre cher évangéliste Luc!
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Éliazar,

Je suis mille fois d’accord que le signe de Croix procède d’un mouvement profand de tout notre être et qu’il doit donc être parfaitement authentique. Mais.....

Ce ne sont tout de même pas les chrétiens, si saints soient-ils, qui inventent le signe de Croix, et je ne puis que réagir quand tu parles de ce signe qu'inventèrent les premiers chrétiens. Non je crois pour ma part (mais je ne tenterai d’apporter aucune preuve) que toutes ces coutumes grandes et petites que l’on voit apparaître dans la communauté des premiers chrétiens, dans “l’Église primitive”, ne procédaient pas de leur libre invention, mais que l’Esprit saint a utilisé l’Église (tout au long des temps d’ailleurs) comme le réceptacle d’une révélation qui ne s’est jamais arrêtée.

Je crois que j’ai rappelé ici, dans je ne sais plus quel “fil” le merveilleux texte où saint Basile nous parle de la Révélation non-écrite, supérieure à l’Écriture sainte et plus large qu’elle, qui inclut aussi bien les rites du Baptême et de l’onction, les paroles de l’épiclèse et tant d’autres choses encore. Elle contient aussi le rite du signe de Croix.

Lorsque nous cherchons à commenter les gestes et les paroles de l’Église, plutôt que de chercher à les expliquer par une nécessité logique , par un syllogisme apodictique ou une définition utilitaire comme l’eût voulu la Scolastique (Il faut faire son signe de Croix afin de montrer que l’on prend sur soi les souffrances du Christ et que l’on accepte le sceau de la sainte Trinité), mais il faut accepter le geste que nous transmet la Tradition non-écrite, et qui dès l’origine connaissait plusieurs variants. Libre après aux chrétiens de se donner la peine de réfléchir à ce que cette Tradition nous révèle et de chercher à en tirer quelques enseignements (l’intelligence n’a pas été donnée à l’homme pour qu’il ne s’en serve pas).

Ce que les premiers chrétiens ont découvert (et non inventé), c’est que ce modeste geste que nous a enseigné la Révélation est riche d’innombrables applications et variantes et interprétations.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Toujours du même ouvrage déjà cité à la rubrique "métanies":

Ignace Briantchaninov
Introduction à la vie ascétique de l'Eglise d'Orient
Les Miettes du Festin
Ed Présence p 290 à 292
(J'ai enlevé du texte ce qui ne concerne que les moines)

24. — Lors de la célébration des offices, on fait les métanies (15) aux moments suivants : lorsque le hiéromoine qui célèbre sort du sanctuaire et va se placer devant les portes royales pour bénir la lecture de None ou de l’Office de minuit, ou lorsqu’il se prépare à bénir depuis le sanctuaire la lecture des Heures, avant l’exclamation Béni soit notre Dieu, il fait trois petites métanies ; les frères doivent faire de même. La même règle s’applique aussi au début de la Liturgie. Au début de la Vigile nocturne, on fait trois petites métanies lorsque le chef du choeur s’exclame Venez, adorons. D’une manière générale, à tous les offices chaque fois qu’on dit le Trisagion ou Venez, adorons on fait trois petites métanies, à l’exception du Venez, adorons et du Trisagion tout au début des Matines quand la coutume est simplement de faire trois fois le signe de la croix, tout comme au début de l’Hexapsalme lorsqu’on dit trois fois le verset Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et aussi au milieu de l’Hexapsalme lorsqu’on dit trois fois Alleluia, alleluia, alleluia, gloire à Toi, ô Dieu. Habituellement on fait une fois le signe de la croix avant le commencement du Symbole de la foi au cours de la Divine Liturgie. Lors du chant des stichères et des versets de psaumes, on fait une petite métanie chaque fois que les paroles de la stichère incitent à un acte d’adoration. Cependant, ni au milieu de l’église ni dans les choeurs, on ne doit faire de métanies d’une manière désordonnée et arbitraire, mais toujours en suivant le chef du choeur. Lorsqu’on chante trois fois Alleluia, alleluia, alleluia, gloire à Toi, ô Dieu pendant la lecture des cathismes, et qu’on le dit à la fin des cathismes et de l’Hexapsalme, on fait trois petites métanies, à l’exception des dimanches et des grandes fêtes, des samedis et des fêtes « avec polyeleos », quand ces métanies sont omises.

A la première demande de chaque ecténie et pendant l’exclamation par laquelle le hiéromoine célébrant la termine, on fait une petite métanie. Avant et après la lecture de l’Evangile, pendant qu’on chante Gloire à Toi, Seigneur, gloire à Toi, on fait une petite métanie. A la neuvième ode du canon des Matines lorsqu’on chante Toi qui es plus vénérable que les Chérubins, à chaque répétition de ces mots, on fait une petite métanie. A la Divine Liturgie, après Venez, adorons et prosternons-nous devant le Christ, on fait une petite métanie. Tout à la fin de l’Hymne des Chérubins, c’est-à-dire après Alleluia, trois petites métanies. Comme durant la Grande entrée les saints Dons ne sont pas encore consacrés, on les honore par une petite métanie et ensuite en inclinant la tête. A la fin de Nous te chantons, on fait trois profondes petites métanies, mais ceux qui ne sont pas au choeur en font une grande jusqu’à terre c’est en effet pendant le chant de cette hymne qu’a lieu la consécration des saints Dons qui ont été offerts. Après Il est digne en vérité, une petite métanie. Avant l’oraison dominicale ceux qui ne sont pas dans les choeurs font une grande métanie, mais les choristes font simplement le signe de la croix parce qu’ils doivent immédiatement commencer à chanter. Après l’oraison dominicale, lorsque le hiéromoine célébrant dit Car à toi appartiennent le Règne et les autres paroles de l’exclamation, on fait une petite métanie. A l’exclamation Les choses saintes aux saints, on fait trois petites métanies. Quand le prêtre sort avec les saints Mystères en disant Avec crainte de Dieu et foi, approchez, les choristes font pieusement une petite métanie en s’inclinant profondément comme devant le Christ lui-même invisiblement présent dans les saints Mystères ; quant à ceux qui ne sont pas dans les choeurs, ils font une grande métanie. Il faut agir exactement de la même manière lorsque le calice est présenté pour la seconde fois avec l’exclamation En tous temps, maintenant et toujours et aux siècles des siècles, A la fin de la Liturgie, on fait trois petites métanies .
Les dimanches et les samedis, aux grandes fêtes et aux jours de fête «avec polyeleos », les grandes métanies sont supprimées dans l’église.

26, — D’une manière générale, on doit observer à l’église une profonde piété et le plus grand ordre possible, tant pour la gloire de Dieu que pour son propre profit spirituel. Il ne faut pas sortir de l’église quand ce n’est pas le moment ; il ne faut pas se permettre la moindre infraction aux règles du bon ordre et de la révérence. Quand on est négligent pour les choses secondaires et minimes, on le devient facilement et rapidement même pour celles qui sont importantes, et finalement pour tout. Afin de garder son attention pour ses devoirs importants, il faut constamment veiller sur soi-même et être attentif à l’égard de tout, même de ses actions les plus insignifiantes (17).
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Notes:

(15) Ce paragraphe tient compte du Typicon, du Psautier et des coutumes des monastères russes les mieux organisés.

(17) Cf. Dorothée De Gaza, Instructions, III, Sur la conscience.
Jean-Serge
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Merci beaucoup

Message par Jean-Serge »

Merci beaucoup pour ce texte exhaustif qui décrit manifestement les usages russes... Tout est clair et précis...

Ce livre m'a l'air bien intéressant...
Priidite, poklonimsja i pripadem ko Hristu.
Antoine
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Message par Antoine »

"Les miettes du festin" n'est pas un manuel liturgique des usages en vigueur dans l'Eglise orthodoxe comme les deux extraits cités pourraient le laisser penser. C'est un recueil de conseils écrit par un higoumène pour les moines dont il avait la direction spirituelle.
Nous ne l'avons pas référencé à tort sur notre site dans la liste de livres proposés car nous avons fait une sélection subjective dans notre bibliothèque, mais c'est un ouvrage qu'il faut absolument lire.

En revanche vous trouverez dans notre liste un autre ouvrave du même auteur:
"approches de la prière de Jésus"spiritualité orientale abbaye de Bellefontaine n°35 .
A lire également. Le style peut sembler un peu sec mais c'est la sécheresse de la sobriété , de l'humilite, et de la pudeur spirituelle de celui qui a reçu la grâce de percevoir la lumière incréée.

Nous reproduisons ci-dessous l'avant propos de l'auteur à son testament "les miettes du festin" en souhaitant que ce texte donne envie à ceux qui ne connaissent pas Ignace Briantchaninov de le découvrir plus en profondeur.

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Approchant du terme de mon pèlerinage terrestre, j’ai cru nécessaire de rédiger le testament des richesses spirituelles que Dieu m’a généreusement accordées. Par testament, j’entends un recueil de conseils pour le salut de l’âme. Ceux qui les suivront connaîtront, eux aussi, les mêmes trésors spirituels. Ce testament, je l’offre à mes pères et à mes frères bien-aimés, les moines d’aujourd’hui, car je considère le monachisme comme un bien spirituel qui récapitule tous les autres biens. Quant à moi, j’y ai été attiré dès ma jeunesse par un merveilleux appel, selon une inexprimable miséricorde. Autant que je n’étais pas destiné à offrir ma vie en sacrifice à la vanité et à la corruption, j’ai été saisi, arraché de la voie large qui mène à la mort éternelle et jeté sur la voie étroite et pénible qui mène à la Vie. Cette voie étroite a un sens très profond : elle élève de la terre, elle fait sortir des ténèbres de la vanité, elle mène au Paradis, elle conduit vers Dieu, elle nous place devant sa Face dans la Lumière sans déclin pour la béatitude éternelle. Afin d’assurer à ce testament une présentation aussi satisfaisante que possible, j’ai dû lui donner la forme d’un livre qui comprenne tout à la fois des règles relatives au comportement extérieur des moines et des conseils pour leur vie spirituelle.

L’enseignement que j’y expose est entièrement puisé dans les écrits des saints Pères de l’Eglise orthodoxe, eux qui se sont assimilé la doctrine de l’Evangile tant par une connaissance théorique que par une expérience vécue. Cependant je peux, en vérité, appeler cette oeuvre ma confession intime. Et je demande qu’on la reçoive avec attention et avec indulgence : elle mérite l’une et l’autre. Mes négligences et mes emballements, ma mollesse à suivre les instructions des Pères, le manque d’un vrai guide spirituel et, à l’inverse, la rencontre fréquente, pour ne pas dire constante, de guides atteints d’aveuglement spirituel sous l’influence desquels je me suis trouvé que je le veuille ou non), tout cela fut pour moi la cause de bien des ébranlements. J’ai aussi souffert d’être entouré, de toutes parts, d’occasions de chute et non d’édification. Je me suis intéressé à des doctrines que le monde hostile à Dieu considère comme la suprême expression de la sagesse et de la sainteté, alors qu’en réalité elles ne sont que ténèbres et ordures, et ne méritent que d’être rejetées avec mépris.

Les épreuves par lesquelles j’ai passé étaient amères et pénibles à supporter; écrasantes, elles duraient et se prolongeaient obstinément. Les épreuves extérieures ne sont rien, à mon avis, en comparaison de celles auxquelles mon âme a été soumise. Violentes sont les vagues qui soulèvent l’océan de la vie ; sur lui règnent l’obscurité et les ténèbres ; des vents violents — les esprits réprouvés — y déchaînent constamment des tempêtes ; les navires perdent leur gouvernail les ports sûrs se transforment en tourbillons, en abîmes fatals; toutes les montagnes et les î1es sont arrachées de leur place (Apoc. 6, 14) spirituelle; le naufrage semble inévitable. Et il serait inévitable si l’insondable providence de Dieu et sa miséricorde ne venaient au secours de ses élus.

Mon âme a longtemps vécu (Ps. 119, 6) sans trouver un havre sûr ni au-dehors, ni au-dedans de moi-même. J’enfonce dans la boue profonde, et rien qui tienne — pas de disposition d’âme correcte et stable, inébranlable dans la vertu. J’arrive au profond des eaux et le flot m’emporte. Je m’épuise à crier, ma voix devient rauque, mes yeux s’éteignent tandis que j’attends mon Dieu (Ps. 68, 3-4) car l’Ennemi a poursuivi mon âme, écrasé contre terre ma vie, il m’a couché dans les ténèbres (Ps. 142, 3). Comme l’eau je m’écoule et tous mes os se disloquent.., ma force est desséchée comme un tesson (Ps. 21, 15-16). Les flots de la mort m’enveloppaient, les torrents de l’injustice m’épouvantaient; les filets de l’enfer me cernaient, devant moi les pièges de la mort (Ps. 17, 5-6) ; le souffle en moi s’éteint, mon coeur au fond de moi s’épouvante (Ps. 142, 4).

De cet état j’élève ma voix, la voix d’un sérieux avertissement à l’adresse de mes pères et de mes frères. C’est ce que fait un voyageur qui a enduré de terribles malheurs au cours d’un long et difficile voyage. Ses notes sont un trésor précieux qu’il transmet à ceux qui ont l’intention d’entreprendre un voyage semblable, ou qui s’y sont déjà engagés sans en connaître le parcours, ou qui ne le connaissent que superficiellement d’après d’anciennes descriptions.

On attirera ici l’attention sur les changements survenus non dans la nature profonde de la vie spirituelle, mais dans les circonstances de son exercice, car celles-ci ont une influence sensible sur elle. J’indiquerai de quelle manière on doit utiliser les écrits des anciens et comment il faut les adapter à l’époque actuelle, afin de ne pas en arriver aux conséquences où entraîne l’erreur de ceux qui n’ont ni compris ni remarqué la nécessité d’une telle adaptation.

Saint Jean Climaque rapporte que des gens, passant par des endroits marécageux, s’étaient embourbés ; encore empêtrés dans la fange, ils racontèrent comment cela leur était arrivé à d’autres qui passaient par là, afin de leur épargner pareille mésaventure. Parce qu’ils avaient sauvé leur prochain, le Tout-Puissant délivra du marécage ceux qui s’y étaient enlisés et qui avaient mis les autres en garde contre une telle chute (1).

Nivelle le chemin de tes pas, et que toutes tes voies soient affermies. Ne dévie ni à droite ni à gauche, détourne ton pied du mal. Car Dieu connaît les voies à droite, mais celles qui sont à gauche sont perverses. Il rendra droit ton chemin, et guidera tes pas en pair (Prov. 4, 26-29). Amen.

Evêque IGNACE.


(1) Echelle,XXVI, 14
eliazar
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Message par eliazar »

Cher Jean-Louis,
Je suis bien évidemment entièrement d'accord avec toi. Et quand je tente mon explication, c'est parce que je crois que le "mouvement" nous a d'abord été "infusé", et que tout notre vie ne suffit pas à découvrir toutes les "analogies" que peut avoir ce mouvement sacré avec d'autres "indications" de même orientation (ou dans les Psaumes, ou dans l'histoire du peuple hébreu, ou... ou... et même parfois dans certains évènements apparemment insignifiants de notre vie personnelle, mais qui pour nous seuls en prennent désormais un sens lumineux).

Tu as eu raison de souligner que j'avais bêtement oublié de mettre entre guillemets mon "inventèrent". Je suis tellement habitué à utiliser ce mot dans son sens étymologique latin (celui de l'Invention de la Sainte Croix, par exemple) que j'omets très souvent les guillemets ! C'est une confusion dûe à la chaleur - et à ma première éducation doublement "latine"...

Ceci dit, la langue française n'a pas entièrement versé du côté de son sens moderne et contemporain : "inventer" au sens de "créer de toute pièce" - comme par extension on en arrive à dire "c'est une histoire complètement inventée", par exemple. En supposant à la rigueur l'intention de tromper autrui : "un inventeur de fausses nouvelles"...

Je te rappelle en effet que le sens étymologique n'est pas seulement usité dans le langage religieux, mais qu'il est également utilisé en droit jurisprudentiel : par exemple pour les dispositions qui régissent les droits "des inventeurs", et qui peuvent découler de "l'invention d'un trésor". C'est moi qui mets ces guillemets, du reste, et pas le Code.

Merci de t'être donné la peine de m'avoir lu : ici, on étouffe de chaleur et cela pourrait bien me servir de début d'excuse...!
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