Il me semble qu'il ne faut en rien dissocier la célébration de l'Exode de celle de notre Pâques, ce serait une faute liturgique exprimant une pensée insuffisante.
Où avez vous lu que ne pas fêter pâques selon le 15 nisan du calendrier juif aurait pour objectif de respecter une chronologie à cheval sur deux religions bien distinctes? C’est complètement absurde d’autant plus que ne pas fêter pâques selon le 15 nisan avait pour but justement de bien se démarquer de la synagogue et les prescriptions de Nicée avaient pour finalité d’unifier la pascalie dans le monde chrétien
selon des critères qui lui étaient propres.
Puisque vous faites référence à Andronikof , il ne vous aura pas échappé que lorsqu’il cite le canon de Nicée il le cite sans cette référence à la pâque juive et de plus la note1 de la page 319 ,que vous n’aurez pas manqué de lire puisque vous attirez notre attention sur les nombreuses notes, stipule expressément :
Quant à «l’interdiction der célébrer pâques avec les juifs (meta tôn Ioudaiôn), ,elle portait en fait sur le mode de comput hébraïque et non pas sur toute occurrence éventuelle. »
Il s’agit donc bien de distinguer ce que j’ai appelé « une intention volontaire de participer à la pâque juive » et une simple coïncidence calendaire, d’autant plus que le canon de Nicée n’y fait sans doute même pas allusion.
En revanche vous aurez remarqué l’importance de la pleine lune et de l’équinoxe qu’ Andronikof illustre avec
l’homélie anatolienne.
Force est de constater que le calendrier julien ne respecte plus aujourd’hui cette symbolique cosmique qui éclaire tous nos textes liturgique et qui me semble beaucoup plus importante qu’un respect à la lettre d’une prescription douteuse de ne pas fêter avec les juifs et dont vous forcer l’interprétation au-delà de ce que les Pères ont voulu nous indiquer.
Pour les lecteurs qui n’ont pas « le cycle pascal d’Andronikoff, je reproduis ci-dessous le passage en question des pages 10 à 13.
La date de Pâques et l'indétermination du temps
En particulier, l'affaire de la date : elle est dirimée par le décret de Nicée et par l'explication clarissime qu'en fournit une homélie anatolienne ». En voici l'essentiel :
la tradition rapporte que le concile avait fixé Pâques au dimanche qui suit la pleine lune après (ou le jour de) l'équinoxe de printemps. Tel est le principe. Le reste est empirique et dépend du calcul astronomique et calendaire.
Quant au sens véritable de l'événement, tel que les offices le développent, il n'est pas fondamental que Byzance, selon le comput alexandrin, ait fixé l'équinoxe au 21 mars et Rome, au 25, ni que l'une ait calculé les siècles à partir de la création du monde (le soleil et la lune étant créés le mercredi 25 mars, jour naturellement aussi de la Résurrection), tandis que l'autre les ait comptés ab U.C., le Christ étant né l'an 747, selon le comput, d'ailleurs erroné, de Denys le Petit, ce moins scythe qui était peut-être déjà un peu slave. De toute façon, Rome n'a utilisé l'ère chrétienne que depuis 1431... Mais jusqu'à la réforme de Grégoire XIII (1582), Pâque avait été célébrée le même jour dans toute la chrétienté, sans que l'on ait éprouvé le besoin d'en fixer une date précise. Pencherait-on généralement pour celle du 7 avril 30, comme jour de la Passion ? Maisquand Jésus est-il né ? Baptisé vers la trentaine, « la quinzième année de César Tibère », il aurait encore vécu trois ans selon Jean, une seule année selon les synoptiques. D'après Denys, il serait mort en 31 ; d'après Hippolyte, en 29...
L'important, c'est qu'au savoir de tous, « il est ressuscité le troisième jour ». Sans vouloir du tout être cavalier, il nous semble que malgré leur grand intérêt historique, de tels problèmes ne concernent pas directement le liturgiste, car la réalité et la signification de sa matière n'en dépendent nullement. Il serait même tenté d'avancer une opinion pour ainsi dire contraire : que le fait central de l'économie divine et de l'histoire humaine reste insaisissable dans le temps est hautement significatif. La Résurrection du Dieu-Homme et donc son Ascension et la descente de l'Esprit Saint, dont les échéances sont comptées depuis Pâques, ne relèvent pas, en un certain sens, du temps de l'histoire. Elles le dominent et lui donnent son sens vrai, qui est au-delà de l'histoire. De même que l'origine de tout, la création de l'univers, n'est pas incluse dans la continuité causale de celui-ci, qu'elle est supérieure à toute notion d'espace et de temps, et que l'acte créateur est transcendant, en tant que tel, par rapport à toute connaissance de la créature, mais qu'il n'est possible de parler de Dieu comme cause première qu'afin de disposer d'une représentation conceptuelle du début du créé et de la manifestation originelle de Dieu, c'est-à-dire afin de permettre à l'homme son exploration du pensable, de même la re-création pascale, la palingénésie ou l'origine de la vie éternelle, n'est pas insérée dans la suite du temps chronologique, comme une de ses parties inhérentes, quand même elle lui serait initiale. Elle est au-delà du temps, et pourtant elle est au cœur du chronos, comme son kairos eschatologique, comme le « moment » événementiel et providentiel qui en est ensemble la source et la fin
Justification et sanctification du temps des hommes, le « moment », le « kairos » de Pâques échappe au compte du sablier ou de la clepsydre, qui laissent s'écouler une durée sans changement, car il impartit au temps sa dimension d'éternité, tout en restant transcendant à l'histoire, comme l'est l'acte créateur par rapport au monde.
Correspondance cosmique et huitième jour
Cependant, loin de forcer l'ordre du cosmos et le temps symbolique du devenir humain, la Pâque s'inscrit dans l'harmonie de l'univers, dans le rythme créé des saisons et des sphères : elle a précisément lieu le dimanche qui suit la pleine lune après l'équinoxe de printemps, en tenant ainsi compte des deux corps célestes qui forment le cycle circadien de notre vie : le luminaire de la nuit, dont la lueur est un reflet de la terre, et le luminaire du jour, qui porte en lui-même la lumière, le mouvement du premier étant fonction de celui de notre planète, dont la giration dépend du mouvement du soleil, lequel est lié au centre de l'univers, là où s'est produit le « big bang » des origines. L'immense circulation cosmique n'est pas sans relation signifiante avec l'incommensurable économie du Créateur et du Sauveur.
« Comme le Fils unique de Dieu voulut procurer à l'homme tombé la résurrection, le rénover, et par sa propre Passion le recréer dans l'état originel, vois ce qu'il fait ». L'auteur de l'admirable
« Homélie anatolienne » va nous l'expliquer : « Puisque Dieu était le créateur du premier homme, il devait être aussi, après la chute de celui-ci, son guérisseur, pour redresser la nature entière. D'une part, il se livre lui-même à la Passion ; d'autre part, il prend pour la rénovation la totalité des temps qu'il avait pris pour la création... afin de prouver, par le symbolisme même des temps, que le réparateur de la nature était son créateur lui-même. Quel est donc le premier temps ?... L'équinoxe, frère... le partage égal du jour et de la nuit ; et l'équinoxe de printemps, point de départ de cette saison, d'après la logique même de l'histoire... Puisque, d'une part, la première création de l'homme eut lieu après l'équinoxe, le sixième jour de l'équinoxe — car c'est le vendredi que l'homme fut créé — puisque, d'autre part, la pleine lune elle aussi fut créée après l'équinoxe, le quatrième jour, puisqu'enfin se produisit la chute de l'homme consécutive à son péché, à cause de cela il entreprend le redressement et la rénovation de l'homme à la date de sa création, en rassemblant à la fois l'équinoxe (le quatrième jour)... et le sixième jour, afin de manifester par toutes ces dates que la Résurrection de celui qui souffrit la Passion était aussi la rénovation et la récapitulation de la nature. C'est pourquoi l'apôtre disait...: "En toute sagesse et intelligence, nous faisant connaître le mystère de sa volonté, selon le libre dessein qu'il s'est proposé en lui-même pour l'économie de la plénitude des temps, à savoir : la récapitulation de tout dans le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre" (Eph. 1, 8-10)... Lorsque le Fils de Dieu a rassemblé les temps, lorsqu'il a conformé la semaine à la création originelle, et que se sont rencontrés l'équinoxe, la pleine lune et le vendredi, jour où il devait souffrir et, en souffrant, manifester la rénovation, alors il se livre lui-même à la Passion... De la même manière, une fois que le Seigneur a accompli la récapitulation en souffrant le Vendredi et qu'il a achevé les oeuvres du redressement... il se repose le septième jour et demeure dans le sein de la terre, faisant désormais à ceux qui sont dans les enfers la grâce d'être délivrés par la Passion... Ayant ainsi observé l'équinoxe et le vendredi et le samedi selon l'ordre originel, il fait apparaître au premier jour des sabbats la lumière de la Résurrection, et cela en vertu de l'enchaînement du temps ; car c'était à nouveau le premier jour du temps total, jour qu'il a préposé autrefois comme début de la lumière sensible, et maintenant, en conséquence, comme origine de la lumière noétique de la Résurrection... Voilà pourquoi nous observons, nous aussi, tous les temps pour montrer les raisons mystiques, en étant attentifs à l'imitation».
Cette longue citation nous permettra de ne plus revenir à la question de la date de Pâques.
Or, ce dimanche par lequel commence notre semaine de jours et auquel, à la fois, elle aboutit, échappe lui-aussi, par sa signification profonde, au strict calcul calendaire. Celui-ci retarde ou avance immanquablement, qu'il soit établi selon le cycle lunaire du nombre d'or, ou solaire de 95 ans ou de 532 ou de quelque autre nombre que l'on cherche à renouveler perpétuellement... Mais les chrétiens savent que si « le jour du Seigneur est au bout et au début de la semaine, c'est qu'il en figure le premier et le dernier, l'alpha et l'oméga, qu'il est « le seigneur des jours », le Huitième. Et « le peuple nouveau et divin », celui de l'Eglise, est alors « dansl'allégresse, car ce jour porte terriblement le type du siècle futur, en tant que l'Ogdoade qui achève ce qui est à venir (ogdoas telousa tou mellontos, osmitsa soverchaia boudoustchago) » (dimanche de Thomas, matines, 7° ode).
Or, le fondement du Huitième jour, le dimanche de la Résurrection, est lui-même insaisissable dans notre temps, dont il est le seigneur, comme un événement certainement passé quant au Christ et sûrement futur quant à nous, mais que nous ne sommes pas en mesure de fixer ponctuellement, car il est lui-même le symbole du Royaume dont nous serons et nous sommes les co-héritiers avec le fils et le Dieu-Homme. Cependant, « il ne vous appartient par de connaître les temps et les moments, chronous hé kairous, que le Père a fixés » (Acte. 1,7). Alors, pour nous qui sommes soumis à la temporalité du créé, mais forts de la « certitude sacrée » de l'éternel, l'histoire mortelle dans sa durée inexorable est sublimée par le temps eschatologique et actuel de l'Eglise du Christ ressuscité.
C'est ce que la liturgie du cycle pascal nous permet éminemment de vivre, en contemplant et en éprouvant les événements et leur sens, à la fois temporel et sub specie aeternitatis. Nous avons entrepris d'en suivre simplement le déroulement.
Et nous avons eu le bonheur de constater en le faisant que la courbe continue de ce cycle, avec ses chutes et ses remontées, formait la ligne de crête du christianisme, avant comme après la division de l'Eglise. Le mystère de Pâques constitue l'essence du christianisme, sans séparation ni confusion, quand même la sensibilité et la pensée théologique de l'Orient et de l'Occident auraient divergé depuis des siècles. Elles se rejoignent dans le Sacramentum paschale. Quelles qu'eussent été les dérives réciproques, l'on peut sereinement affirmer qu'un approfondissement commun du mystère pascal, dont le Cardinal Daniélou disait qu'il était «tout le mystère chrétien», les fait immédiatement se rejoindre dans l'unité de la foi orthodoxe.
Qu'un lecteur éventuel partageât ce sentiment serait déjà une justification de ces pages.