eliazar a écrit :Claude suggère dans son Calendrier, pour le 5 janvier : « Mémoire de Louis XVI, roi de France (1793), et de tous les rois martyrs; je fais cette unique exception à la règle de ne pas inscrire de catholiques-romains au calendrier ecclésiastique, du fait qu'une icône le représentant était vénérée au skite de Gethsémani à Saint-Pétersbourg avant 1917, aussi du fait que sa mort préfigura celle de saint Nicolas II, tsar de Russie, en 1918, et celle de l'empereur d'Ethiopie Haïlé Sélassié en 1975 »
Hum, hum.
1° D’abord, il a été exécuté le 21 janvier et non le 5
2° S'il été condamné par son propre frère, il avait tout de même encouru cette condamnation pour entente avec l'ennemi qui envahissait la France; il n'a pas été tué pour sa foi (même si elle n'était pas orthodoxe)
3° Dans ce cas, je ne vois pas pourquoi nous ne célébrerions pas aussi bien la reine Marie-Antoinette, qui supporta à son procès des souffrances bien plus terribles pour une mère que celles d’un roi délictueux, trahi par son propre frère.
4° Si c’est un problème de préfiguration, il faudra certainement célébrer encore un autre roi papiste martyr, dont la mort a préfiguré celle de Louis XVI : Charles Ier d’Angleterre a été lui aussi décapité en Janvier, mais le 30, et en 1648; son procès a été bien plus inique que celui de Louis XVI même s'ils étaient tous deux également pieux... (kto)
4° Quant à Haïlé Sélassié, je ne crois pas que son appartenance officielle à l’Église éthiopienne suffise a faire de lui un martyr ; comme il appartenait à la franc-maçonnerie, je pense que l’orthodoxie, voire même la simple pureté de sa doctrine chrétienne peut être sérieusement mise en doute.
Il me semble que cela fait beaucoup de problèmes et d’ambiguïtés…
On risquerait de remonter jusqu'à Jules César...
1. D'abord j'ai mis sa mémoire à la date du 21 janvier et non pas à celle du 5 janvier.
2. Il n'a pas été mis à mort par son propre frère, puisque ses deux frères Artois et Provence étaient en émigration depuis 1789 et 1791; c'est son cousin Philippe d'Orléans, dit Philippe Egalité, qui a voté la mort, et ceci au nom de son serment maçonnique de venger les Templiers (Philippe d'Orléans était Grand Maître du Grand Orient) ce qui ne l'a pas empêché de se faire raccourcir dans l'année qui a suivi.
3. L'accusation de collusion avec l'étranger reposait sur les documents trouvés dans la fameuse "armoire en fer", dont on sait qu'il s'agissait de faux fabriqués sur ordre du ministre de l'Intérieur Roland, ce qui n'a pas évité à celui-ci non plus d'être proscrit et de finir par se suicider pour ne pas être raccourci.
4. Ce n'est pas l'ennemi qui envahissait la France; ce sont les révolutionnaires français qui ont déclaré la guerre le 20 avril 1792, et qui auraient envahi le monde entier pour y prêcher leur catéchisme s'ils l'avaient pu. A Lucerne, il y a le monument aux gardes suisses dépecés par ces hordes aux Tuileries le 10 août 1792 - parmi d'innombrables victimes allemandes, autrichiennes, espagnoles, russes, suisses, etc. de la Révolution française et de son fils Bonaparte.
5. De toute façon, la Convention, en condamnant à mort Louis XVI, ne faisait qu'exécuter la résolution du convent maçonnique de Wilhelmsbad (1784) condamnant à mort le roi de France.
6. Il s'agissait d'un tribunal arbitraire, illégal, d'une assemblée législative élue au cours d'élections truquées avec en plus 90% d'abstentions, usurpant les pouvoirs exécutif et judicaire, et d'un procès qui était naturellement la préfiguration des grandes liturgies judiciaires des régimes communistes, Robespierre ayant charitablement averti les députés qui voteraient contre la mort du roi de ce qui les attendait: "J'éprouverais une trop vive douleur si une partie de la Convention était obligée de faire violence à l'autre"; commentaire du général Dumouriez: "Il n'y a qu'une seule chose qui m'étonne, c'est qu'il se soit trouvé tant de députés pour avoir eu le courage de ne pas voter la mort du roi".
7. En ce qui concerne son papisme, il devait être bien modéré: "Je meurs dans l'union de notre Sainte Mère l'Eglise Catholique Apostolique et Romaine, qui tient ses pouvoirs par une succession apostolique non interrompue de St Pierre auquel Jésus Christ les avait confiés. Je crois fermement et je confesse tout ce qui est contenu dans le Symbole et les commandements de Dieu et de l'Eglise, les Sacrements et les Mystères tels que l'Eglise Catholique les enseigne et les a toujours enseignés.
Je n'ai jamais prétendu me rendre juge dans les différentes manières d'expliquer les dogmes qui déchirent l'Eglise de Jésus Christ (souligné par moi - NdL), mais je m'en suis rapporté, et m'en rapporterai toujours, si Dieu m'accorde vie, aux décisions que les supérieurs Ecclésiastiques
(il est gallican: il parle de sa soumission aux évêques, pas au Pape! - NdL) unis à la Sainte Eglise Catholique donnent et donneront conformément à la discipline de l'Eglise suivie depuis Jésus Christ
(ce qu'il attaque ici, c'est la Constitution civile du clergé, aussi contraire à la discipline ecclésiastique que le fut plus tard l'ultramontanisme - NdL). Je plains de tout mon coeur mes frères qui peuvent être dans l'erreur, mais je ne prétends pas les juger, et je ne les aime pas moins tous en Jésus Christ suivant ce que la charité Chrétienne nous l'enseigne. " (Extrait du testament de Louis XVI, du 25 décembre 1792, dont la possession d'une copie était un crime puni de mort sous la Ière République française.)
8. C'est assez cocasse que tu écrives en 2004 que Louis XVI n'était pas mort pour sa foi, alors que c'était le sentiment général des contemporains: on pensait à l'époque qu'il était mort pour avoir refusé l'hérésie de l'érastianisme promue par la Constitution civile du clergé en déclarant qu'il n'avait pas d'autorité en matière spirituelle. Au lendemain de la décapitation du roi, le journaliste républicain Prudhomme écrivit dans sa feuille
Les Révolutions de Paris: "Les prêtres et leurs dévotes, qui déjà cherchent sur leur calendrier une place à Louis XVI parmi leurs martyrs, ont fait un rapprochement de son exécution avec la passion de leur Christ. A l'exemple du peuple juif de Jérusalem, le peuple de Paris déchira en deux la redingote de Louis Capet -
scinderunt vestimenta sua - et chacun voulut en emporter chez soi un lambeau. (...) Liancourt l'engageait à ne pas mettre un certain veto. - Eh bien! que me feront-ils? dit le ci-devant; ils me trahiront, et j'acquerrai une couronne immortelle pour une périssable."
Je constate que le roi de France Louis XVI a fait l'objet d'un culte populaire constant dès sa mort. Le 12 mars 1793, Clément Duhelm dénonce à la Convention une médaille qui connaissait un grand succès: "Elle est de la grandeur d'un écu de six livres; l'on y voit la face du ci-devant roi avec ces mots: - Roi de France et de Navarre. - Sur le cordon
(la tranche - NdL) on lit: - Louis XVI, né à Versailles le 23 août 1754, roi le 10 mai 1774, MARTYRISE LE 21 JANVIER 1793." Ce culte gagne la Belgique, le Canada, la Suisse, l'Autriche, l'Allemagne, la Russie. Le 2 juin 1793, une dépêche de Vienne annonce la parution d'un ouvrage "Poème composé avant et après la mort de saint Louis XVI". Le 1er janvier 1794, on guillotinait l'abbé Pierre-Joachim Vancleemputte parce qu'on avait trouvé chez lui lors d'une perquisition, parmi les reliques des saints, un petit papier cacheté sur lequel était écrit: "Sang de Louis XVI." Le 28 avril 1794, le tribunal révolutionnaire de Paris condamnait à mort une vieille dame, la veuve Paris-Lebrun, pour avoir écrit dans une lettre privée du 21 juin 1793: "Louis XVI a souffert le martyre sur la place de la Révolution. Dieu veuille le récompenser des maux qu'il a soufferts et du jugement injuste que les représentants de la nation ont prononcé contre lui. Dieu veuille nous délivrer des turbulents, favoriser le succès des armes de nos princes
(Artois et Provence - NdL) et ramener l'ordre et la tranquillité." Le 5 mai 1794, le même tribunal condamne à mort la modiste Claude-Françoise Loisillier, arrêtée pour avoir collé des affiches manuscrites. Voici le début de celle qu'elle avait préparée pour le cimetière de la Madeleine où Louis XVI avait été enterré: "Âme juste, ici repose l'innocent opprimé, le plus grand des rois Chrétiens. Dieu écoute la voix du sang innocent et si cruellement répandu."
Sans parler de la portée de la mort exemplaire de Louis XVI pour toute la chrétienté, puisque tu avances qu'il n'était même pas mort pour le romano-catholicisme auquel il était supposé appartenir, tu voudras peut-être lire l'opinion du pape de cette époque: " Pour terminer, nous vous invitons à vous réunir à nous, selon l'usage, pour les obsèques solennels du feu roi. Il est vrai que
d'après la conviction où nous sommes que Louis XVI a mérité le titre de martyr (
souligné par nous - NdL), une pompe funèbre et des prières expiatrices semblent superflues (...)" (Pie VI, allocution
Quare Lacrymae du 24 juin 1793). C'est une opinion qui vaut ce qu'elle vaut, mais qui me paraît clore le débat en ce qui concerne le point de vue papiste, non?
9. Naturellement, le caractère exemplaire de la mort de Louis XVI déborde largement le contexte papiste et c'est en cela qu'elle nous intéresse. En effet, la roue rouge qui s'ébranlait ce jour-là était la même que celle qui emporterait la famille impériale de Russie et qui dévasterait tant et tant de nations jusqu'à laisser une moitié de l'Europe exsangue et l'autre moitié démoralisée. La mort de Louis XVI marquait le début de la fin pour la monarchie constantinienne. En outre, il est significatif que le Vatican ne l'ait jamais porté sur les autels: sa mort pour avoir refusé la Constitution civile du clergé était la condamnation de la lâcheté et de l'ambition de Pie VII signant le Concordat de 1801 et acceptant les Articles organiques de 1802 qui soumettaient l'Eglise catholique romaine en France à une sujétion totale au pouvoir de Napoléon (une sujétion encore plus humiliante que tout ce que prévoyaient les décrets soviétiques en matière de rapports entre l'Eglise et l'Etat), ce qui lui permettait de venir à bout des gallicans abhorrés qui ne purent effectivement survivre à la chute de la monarchie. Ce qui fait aujourd'hui que les fidèles de la Petite Eglise sont les derniers héritiers légitimes de l'organisme qui s'est fait appeler Eglise catholique apostolique romaine et qui a existé, au moins sur le plan matériel, en France entre 1054 et 1801.
La fin de Louis XVI portait aussi en elle la chute définitive de l'ECAR et l'impossibilité finale de tout retour du Vatican dans le giron de l'Orthodoxie: morte la monarchie française, c'était la chute du pays qui s'était opposé aux ambitions papales depuis le XIIIème siècle, c'était l'espoir de pouvoir enfin imposer partout l'ultramontanisme (mort le gallicanisme français, le fébronianisme allemand et le joséphisme autrichien n'ont pas tenu très longtemps) et la possibilité d'en arriver enfin au dogme de l'infailllibilité pontificale. Proclamé comme par hasard en 1870 alors qu'une nouvelle catastrophe avait entraîné le départ des prélats français et allemands des travaux du concile Vatican I...
Cette signification prophétique de la mort de Louis XVI (et sans même parler du symbolisme de cette mort, fort bien analysé voici 12 ans dans l'ouvrage pertinent de Christophe Levalois) justifie à elle seule d'en faire mémoire - ce qui ne revient pas à une canonisation que nous ne pouvons de toute façon pas accorder à quelqu'un qui n'est pas mort dans le sein de l'Orthodoxie.
10. Ton paragraphe sur Charles Ier d'Angleterre me surprend: tout le monde sait que
Charles Ier était anglican, et non papiste comme tu l'écris (c'est son fils Jacques II qui est devenu papiste); la décapitation de Charles Ier a eu lieu le 30 janvier 1649, et non 1648; il est en effet considéré comme martyr par beaucoup d'anglicans, certaines paroisses célébrant un office de commémoration chaque 30 janvier (cf. Suzanne Martineau,
Les Anglicans, Brepols, Tournai 1996, p. 179); je ne comprends pas pourquoi tu t'acharnes à présenter comme pieux kto un martyr anglican (voudrais-tu te moquer de moi?); je te ferai en outre remarquer que tu peux considérer que Charles Ier est compris dans le "... et de tous les rois martyrs"; il n'est cependant pas précurseur de la mort de Louis XVI, de saint Nicolas II et de Haïlé Sélassié, puisque Charles Ier fut assassiné en haine de l'épiscopat par des gens qui étaient quand même chrétiens, mais d'une autre secte, tandis que les trois autres furent assassinés dans le but d'éradiquer le christianisme de leur pays. Le père Denis Guillaume écrivait excellemment en 1992, in
Quand les chefs d'Etat étaient des saints, p. 16: "Dans une troisième catégorie
(parmi les chefs d'Etat officiellement canonisés - NdL), nous mettons un cas unique, celui du tzar Nicolas II. Certes, pour lui, il s'agit toujours de l'acceptation tranquille de la mort, pour imiter la passion et le calvaire du Christ. Mais, au regard des meurtriers, sa mort prend une autre signification. Ici, nous ne voyons pas un rival, un membre de la même famille, qui veut s'emparer du trône; on ne lui demande pas de renier le Christ, d'embrasser une autre foi; ce n'est pas la vengeance personnelle de quelque fou qui, en d'autres temps, aurait subi la peine des parricides. Il s'agit ici de tuer Dieu lui-même, dans la personne sacrée qui le représente le mieux pour la conscience populaire; c'est une sorte de déicide, à l'image de ce qu'avaient fait les révolutionnaires français en tuant Louis XVI, ce roi paisible et débonnaire, ainsi que toute la famille royale, comme pour dire: "Il n'y a plus de Dieu, nous avons enlevé son icône!""
11. Pourquoi pas une mémoire de la reine Marie-Antoinette? Mais, là, on ne peut se baser sur aucun précédent. Il n'y a pas eu d'icône de Marie-Antoinette (ni de Charles Ier non plus!), il y a eu au moins trois icônes de Louis XVI: celle vénérée au skite de Gethsémani à Sergiev Possad (et non à Saint-Pétersbourg, comme je l'avais écrit par inattention) avant 1917, celle peinte à Lavardac en 1993 et celle peinte par Marie-Thérèse Vesco que l'historien orthodoxe Jean Besse reproduit in
Chantilly et Noyon dans l
'Histoire, L'Âge d'Homme 2001, p. 363, sans compter l'icône que le moine Joseph (Munoz), gardien de l'icône miraculeuse d'Iviron, assassiné en 1997, avait promis de peindre; Alexandre Ier de Russie (probablement lui aussi au calendrier des saints sous le nom de saint Théodore Kouzmitch) fit célébrer en 1814 un office de requiem solennel pour Louis XVI, pas pour Charles Ier; et enfin, c'est la mémoire de Louis XVI, et non celle de Charles Ier ou de Marie-Antoinette, que j'ai trouvé sur le calendrier édité par une mission vieille-calendariste suisse aujourd'hui disparue.
Et je ne vois pas pourquoi tu qualifies Louis XVI de "roi délictueux".
12. C'est bien la première fois que je lis que Haïlé Sélassié était franc-maçon. Même s'il l'avait été, il semblerait que cela n'ait pas la même signification dans les Eglises orientales, qui ont l'air d'entretenir d'excellentes relations avec la maçonnerie (cf. le franc-maçon de la Grande Loge d'Italie nommé métropolite de France par le patriarche copte), que dans l'Eglise orthodoxe. En tout cas, les Eglises arménienne, copte, éthiopienne, syriaque et indienne le considéraient comme"défenseur de la Foi" et l'avaient proclamé à la conférence d'Addis-Abeba en janvier 1965. Son assassinat survint dans le contexte d'une campagne anti-chrétienne d'une extrême violence, avec pour but (alors qu'il avait renoncé au pouvoir depuis plus d'un an) de faire disparaître le dernier monarque constantinien. Les défauts de l'homme (j'ai pourtant connu deux personnes, un diacre de l'Eglise russe hors frontières et un prêtre de l'Eglise copte, qui l'avaient rencontré et qui m'ont dit qu'il leur avait fait une forte impression sur le plan religieux) s'effacent devant les raisons pour lesquelles il a été mis à mort.
13. Il sera difficile de remonter jusqu'à Jules César, mais, si tu veux, on peut remonter jusqu'à saint Abgar V le Noir d'Edesse, premier roi chrétien... et en tout cas à saint Constantin le Grand. Des rois martyrs de la chrétienté, il y en a pas mal, et Paul Ier de Russie me paraît un excellent candidat au titre.