Mathématicien et martyr

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Claude le Liseur
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Mathématicien et martyr

Message par Claude le Liseur »

Extrait de Bertrand Hauchecorne et Daniel Suratteau, Des mathématiciens de A à Z, Ellipses, Paris 2019 (réimpression au format poche de l'édition originale de 2008), pp. 137 sq.

EGOROV Dimitri Fedorovitch

Moscou 1869 - Kazan 1931

En 1891, le mathématicien russe Dimitri EGOROV achève ses études à l'université de Moscou, où il enseigne à parti de 1903. LOUSINE est alors l'un de ses élèves. Élu président de la Société mathématique de Moscou en 1922, il devient l'année suivante directeur de l'Institut de mécanique et de mathématiques de l'université de Moscou. Pénétré de sa foi orthodoxe, EGOROV s'élève publiquement contre la répression qui s'abat sur le clergé après la révolution de 1917. Il tente également d'apporter son aide aux universitaires démis de leurs fonctions pour des raisons politiques, et combat la volonté de l'Etat soviétique d'imposer ses directives dans la recherche scientifique. Il est évidemment limogé de son poste de directeur de l'Institut de mécanique et de mathématiques, en 1929. Il est arrêté comme "religieux sectaire" en 1930, on l'incarcère. En prison, il entreprend une grève de la faim; transféré à la prison-hôpital de Kazan, il meurt peu après.
Les travaux d'EGOROV concernent la géométrie différentielle, la théorie des équations intégrales, le calcul des variations et les fonctions d'une variable réelle, essentiellement dans le cadre de la théorie de la mesure.
(Suit la description du théorème d'Egoroff, que le lecteur intéressé pourra aussi retrouver ici sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9o ... %27Egoroff )

Le cas est très intéressant, puisqu'il s'agit là d'un laïc (et non d'un membre du clergé), pourtant bel et bien liquidé pour des raisons religieuses et non politiques (arrêté par les communistes comme "religieux sectaire", donc chrétien orthodoxe militant), en une année qui n'est pas restée dans les annales comme l'une des plus marquantes de l'ère marxiste-léniniste (1930, ce n'est ni la Terreur rouge de 1918-1921, ni la dékoulakisation de 1931, ni le Holodomor de 1932-1933, ni la Grande Terreur de 1937-1938, ni les répressions du temps de guerre, ni l'épuration d'après-guerre, ni , ni...). Mort dans un hôpital, Iegorov ne figure ni dans les listes des fusillés, ni dans les listes des morts du Goulag. C'est pourtant bel et bien une victime du communisme. Il illustre aussi le peu de cas que le régime communiste faisait des savants... du moins jusqu'au jour où la Wehrmacht a posé à l'Union soviétique un problème qui ne pouvait se résoudre au moyen de slogans, mais au moyen de spécialistes en balistique. Enfin, il rappelle qu'il n'y avait pas, aux yeux du régime communiste, du plus grand crime que d'être chrétien orthodoxe.

Mais pour un Jegorow dont nous connaissons le destin, combien d'autres victimes de la répression dont nous ignorons tout et qui n'apparaissent ni sur les statistiques des fusillés, ni celles des morts en camp de concentration ? Après cela, qui peut croire que les statistiques de la répression communiste que les historiens (spécifiquement francophones) basent sur les archives soviétiques (ou ceux qu'on a bien voulu leur en montrer...) soient plus crédibles que les statistiques de la même répression que des démographes comme Chesnais et Rummell tirent de l'effondrement de la démographie au pays des Soviets?
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