Permettez-moi encore de poursuivre avec saint Jean Chrysostome qui s'évertue de répondre à cette question :
pourquoi l’arbre est-il nommé arbre de la connaissance du bien et du mal ?
5. Aujourd’hui il est nécessaire de dire pourquoi l’arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal, alors que l’homme n’a pas reçu de cet arbre sa connaissance ; car apprendre pourquoi l’arbre est ainsi dénommé n’est pas sans importance !
là il nous prévient qu’il ne faut pas se fier au témoignage du diable,
En effet, n’est-ce pas le diable qui a dit : « Le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn 3, 5). Comment donc, me dira-t-on, peux-tu prétendre, toi, que le diable n’a pas mis dans l’homme la connaissance du bien et du mal ? Car, dites-moi, qui l’a mise ? est-ce le diable ? certains l’affirment, en citant : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » (Gn. 3, 5). M’apporterez-vous un témoignage probant en faveur de l’ennemi et du félon ? Certes il a dit : « Et vous serez des dieux » ; mais sont-ils, pour cela, devenus des dieux ? De même donc qu’ils ne sont pas devenus des dieux, de même ils n’ont pas reçu à ce moment-là la connaissance du bien et du mal. Car celui-ci est un menteur qui ne dit rien de vrai. En effet « dans la vérité », dit-il, « il ne s’est pas maintenu » (Jn 8, 44).
mais qu’il nous faut plutôt interroger l’Ecriture pour définir le bien et le mal
6. Alors, ne produisons pas le témoignage de l’ennemi mais voyons à partir des événements eux-mêmes pourquoi l’arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal.
Et d’abord, si vous le voulez bien, examinons ce que sont le bien et le mal. Le bien, qu’est-ce donc ? l’obéissance. Et le mal ? la désobéissance. Cependant, afin de ne pas nous fourvoyer au sujet de la nature du bien et du mal, scrutons cette question dans les Ecritures. En effet, le prophète confirme notre hypothèse : « Qu’est-ce qui est le bien et qu’est-ce que le Seigneur réclame de toi ? Dis ce qu’est le bien : aimer le Seigneur ton Dieu » (cf. Mi 6, 8). Comprenez-vous que l’obéissance c’est le bien ? car l’obéissance vient de l’amour.
Et à nouveau : « Ce peuple, qui est mien », dit-il, « a commis deux actions mauvaises : ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, et ils ont creusé pour eux des citernes fendues qui ne pourront pas retenir l’eau » (Jr 2, 13). Comprenez-vous que la désobéissance et l’oubli, c’est cela le mal ?
…pour préciser la fonction tenue par l’arbre dans l’acquisition de la conscience morale
7. Maintenant donc tenons pour acquis que l’obéissance est le bien et la désobéissance le mal et ainsi nous saurons le reste aussi. Car c’est le commandement qui permet l’obéissance ou la désobéissance et fait de l’arbre un arbre de la connaissance du bien et du mal.
En effet, si Adam savait dès le début que l’obéissance est le bien et que la désobéissance est le mal, il l’apprit plus tard de façon plus claire par l’expérience même. Caïn aussi savait, avant d’égorger son frère, que le fratricide est un mal – écoutez en effet ce qu’il dit, parce qu’il savait que cette action était mauvaise : « Maintenant, allons aux champs » (Gn 4, 8). Et certes pourquoi appelles-tu ton frère, l’entraînant et l’arrachant à la maison paternelle ? Pourquoi vas-tu dans un lieu désert ? pourquoi le dépouilles-tu de tout secours ? pourquoi l’emmènes-tu loin de la présence paternelle ? pourquoi dissimules-tu ton audacieux forfait si tu n’as pas peu de ton péché ? et pourquoi, lorsqu’on t’interroge à ton tour, une fois le meurtre accompli, te fâches-tu et mens-tu ? En effet, alors que Dieu t’a dit : « Où est Abel ton frère ? » (Gn 4, 9) tu réponds : « Suis-je le gardien de mon frère, moi ? » (Gn 4, 9).
…pour montrer l’utilité du châtiment dans le développement de cette conscience morale
8. Il ressort de cela qu’il commit son crime en toute connaissance de cause. De même donc que Caïn savait, avant même d’en avoir fait l’expérience que le meurtre est un mal, il l’apprit aussi après, de façon plus claire, quand il reçut son châtiment et entendit : « Tu seras gémissant et tremblant de peur sur la terre » (Gn 4, 12) ; de même son père avait la connaissance du bien et du mal avant même d’avoir mangé de l’arbre, même s’il ne le savait pas encore de façon aussi claire qu’après en avoir mangé.
Pourquoi dis-je cela ? Parce que tous nous savons ce qui est mal avant même d’agir, mais que nous l’apprenons de façon plus claire quand nous agissons, et de façon encore plus claire quand nous sommes châtiés.
De même Caïn savait que le fratricide est un mal avant même de la commettre, mais il l’apprit plus tard de façon plus claire par le châtiment. Et, bien que nous sachions que la santé est un bien et que la maladie est insupportable avant d’en avoir fait l’expérience, combien plus faisons-nous la différence entre les deux quand nous tombons malades ! De la même façon Adam savait que l’obéissance est un bien et que la désobéissance est un mal ; mais plus tard il l’apprit de façon plus claire quand il fut chassé du paradis après avoir goûté de l’arbre, et banni de ce lieu de félicités.
Donc, parce qu’il fut frappé d’un châtiment pour avoir goûté du fruit de l’arbre malgré l’interdiction de Dieu, il apprit, de façon plus claire, par l’expérience du châtiment, quel mal c’est de désobéir à Dieu et quel bien c’est de lui obéir ; c’est pourquoi l’arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal.
…pour justifier l’explication donnée au surnom de l’arbre
9. Et si l’arbre n’avait pas, par sa nature même, la connaissance du bien et du mal, et si l’homme l’a acquise par le châtiment qu’il a reçu en désobéissant au sujet de l’arbre, pourquoi l’arbre est-il appelé arbre de la connaissance du bien et du mal ? Parce que c’est l’habitude de l’Ecriture d’appeler les lieux et les temps par les événements, qui les ont marqués.
Maintenant il nous donne des exemples pour éclairer et illustrer sa thèse
Isaac creusa un jour des puits ; ses voisins s’en emparèrent pour les boucher ; de là survint une certaine détestation et il appela le puits Haine (cf. Gn 26, 19-22) ; non pas que le puits lui-même éprouvait de la haine mais parce que la haine survint à son sujet. De même l’arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal, non pas qu’il ait lui-même la connaissance, mais parce que le moyen de mettre à l’épreuve la connaissance du bien et du mal survint à son sujet.
Abraham à son tour creusa un puits, et Abimélech complota contre lui ; ils se rencontrèrent, ils désamorcèrent la haine et après s’être fait l’un à l’autre des serments, ils appelèrent ce puits Puits du Serment (cf. Gn 21, 22-33) ; non pas que le puits ait juré mais parce qu’il fut l’objet d’un serment.
Voyez-vous comment les lieux ne sont pas les auteurs des événements, même si c’est des événements qu’ils reçoivent leurs noms ? Il est tout à fait nécessaire de fournir un exemple pour appuyer ma thèse.
Jacob, à son tour, vit des anges qui venaient à sa rencontre et il vit le campement de Dieu, aussi appela-t-il ce lieu Campement (cf. Gn 32, 2-3). Certes ce lieu n’était pas le campement, pourtant Jacob l’appela Campement parce qu’il vit là le campement. Comprenez-vous comment il a nommé ce lieu par l’événement qui s’était déroulé là ? De même l’arbre est appelé arbre de la connaissance du bien et du mal, non qu’il ait en lui-même la connaissance du bien et du mal, mais parce que c’est à son sujet que survint l’occasion de mettre à l’épreuve la connaissance du bien et du mal et d’exercer la désobéissance ou l’obéissance.
Extraits de l'homélie
sur la Genèse 7(PG 54, 581-620), du livre que j'ai mentionné dans mon premier message, p.93-97, dont je me suis aussi servi des intertitres que j’ai légèrement modifiés pour rendre le message plus vivant et c'est moi-même qui mets en gras dans les citations.
PS: ça fait également suite au message de Sylvie publié en première page.