Béthanie, Goettmann et l'ésotérisme

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Claude le Liseur
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Béthanie, Goettmann et l'ésotérisme

Message par Claude le Liseur »

Cette nuit, j'ai trouvé des informations relatives au père Goettmann, actuel vicaire général de l'Eglise orthodoxe copte française de Mgr Markos (Blom Van Assendelft), dans un ouvrage médiocre, mais exhaustif, publié dans la collection Bouquins chez Robert Laffont en 1990: L'ésotérisme, par Pierre A. Riffard. Le livre de Riffard est insupportable de prétention et d'esbrouffe, mal écrit et bourré de fautes grossières (Riffard fait mourir le chancelier Hitler ... en avril 1944 - cf. note 9 p. 678), mais il a l'avantage de présenter (avec un regard complaisant) tout le bric-à-brac du gnosticisme, de l'adogmatisme et de l'ésotérisme de bazar. Or, page 914 du livre de Riffard, nous tombons nez-à-nez avec le vicaire général "Joseph-Alphonse", puisque Riffard reproduit trois pages d'extraits d'un livre de "A. Goettmann", Graf Dürckheim. Dialogue sur le chemin initiatique, publié chez Dervy-Livres (éditeur spécialisé dans les ouvrages sur la franc-maçonnerie - tiens, tiens...), dans la collection Béthanie (re- tiens, tiens ...) en 1984.

Je ne vous reproduis pas tout l'extrait, mais juste le premier paragraphe:

"Alphonse Goettmann: Graf Dürckheim, vous renconter a toujours été un événement pour moi. Si je suis aujourd'hui un homme libre et heureux, vous en êtes l'un des artisans. Ma vie est devenu un Chemin grâce à l'impulsion extraordinaire que vous m'avez donnée. J'aimerais vous demander quels sont les événements marquants de votre vie qui ont vraiment éveillé en vous le message que vous transmettez depuis de longues années et qui a bouleversé mon existence comme celle de tant d'autres?"

Fin de citation. On notera que la revue publiée par Béthanie s'appelle Chemin.

C'est tout de même beau, la façon dont fonctionne la mission copte en France. On imagine sans peine une France couverte de paroisses "coptes" célébrant la liturgie écofienne en français avec les chants sur les mélodies russes de Maxime Kovalevsky, rejetant les "spéculations théologiques" (cf. le dernier numéro de la revue de l'EOCF Le Lien), célébrant avec componction la solennité du Sacré Coeur (cf. le calendrier de l'EOCF à la date du 7 juin), écoutant dans la position du lotus l'enseignement de Karlfried Graf Dürckheim, le tout dans un esprit réellement fraternel sous la sage conduite de Mgr Markos assisté de Mgr Athanasios, du vicaire général Joseph-Alphonse Goettmann et de l'higoumène Michel Mendez.
Antoine
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Message par Antoine »

Texte de Jean-Claude Larchet mis à disposition par Jean-Louis Palierne sur un autre forum:


Rapport sur la communauté de Béthanie
rédigé par Jean-Claude Larchet
à la demande de clercs et de laïcs orthodoxes de diverses juridictions
à l’intention des membres de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France
et de sa Commission théologique.


Il nous apparaît, après la prise de connaissance, le recoupement et la synthèse de nombreux documents et témoignages, que la communauté de Béthanie, dont le siège est au prieuré Saint-Thiébaut à Gorze (Moselle) et qui est dirigée par le Père Alphonse Goettmann et son épouse Rachel, pose un certain nombre de problèmes au regard de l’Église orthodoxe à laquelle cette communauté désire être définitivement intégrée. Il est souhaitable que les membres de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France et de sa Commission soient informés de ces problèmes afin de prendre leur décision en toute conscience et de pouvoir ensuite assumer pleinement la responsabilité de ses conséquences.


A. Les stages organisés par Béthanie.

Une première série de problèmes est posée par la forme et la nature des stages (encore appelés sessions ou rencontres) organisés par la communauté de Béthanie.

1. Quant à la forme

a. Certains stages d'apparence orthodoxe sont manifestement étrangers à l’esprit et à la pratique de l’Église orthodoxe.
— C’est le cas par exemple du stage « Prière de Jésus. Prière du cœur ». La prière de Jésus n’a jamais fait, dans l’Église orthodoxe, l’objet de stages, ni a fortiori de stages collectifs (que cependant des communautés monastiques auraient la possibilité d’organiser). Il s’agit traditionnellement d’une prière dont l’initiative et les formes se définissent au cas par cas dans le cadre d’une relation personnelle entre un père spirituel et son enfant spirituel, en fonction de la situation propre de ce dernier, de ses besoins, de ses moyens particuliers, et aussi de son état d’avancement dans la vie spirituelle. Le Père spirituel peut proposer cette pratique à son enfant spirituel qu’il connaît, ou ce dernier en manifester le désir auprès de son Père spirituel ou d’un Ancien réputé pour ses qualités spirituelles et son expérience dans ce domaine ; mais cette pratique ne saurait être proposée par voie de mailing et de publicité par un organisateur de stages s’étant auto-proclamé maître spirituel et s’adressant à un public indéfini.
— C’est le cas également du stage « thérapie des maladies de l’âme ». Le combat contre les passions, dans l’Église orthodoxe, s’intègre à l’ensemble de la vie spirituelle ; il est un élément de l’ascèse quotidienne et permanente du chrétien ; il indissociable de la vie dans l’Église, il ne peut s’accomplir que dans la durée, moyennant un effort constant, avec l’assistance de la grâce qui seule en définitive peut purifier l’homme de ses passions et le guérir de ses maladies spirituelles.
Dans ce stage, comme dans le précédent et comme dans d’autres, la vie spirituelle semble au contraire être comprise par Alphonse et Rachel Goettmann comme un ensemble de techniques susceptibles d’être enseignées et acquises à la fois collectivement et sur un court laps de temps. Cette conception technique de la vie spirituelle est liée à leur adhésion à l’enseignement de leur maître Karlfried Graf Dürkheim en grande partie fondé sur les techniques du bouddhisme Zen (voir infra).

b. Il est particulièrement choquant de voir ces stages tarifés. Le Christ a dit : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ! » (Mt 10 , 8). Béthanie donne depuis longtemps à tous les observateurs, orthodoxes ou non, l’impression de faire du commerce avec la spiritualité, ce qui est particulièrement gênant lorsque cette spiritualité se prétend orthodoxe. Beaucoup de personnes n’hésitent pas à voir en Béthanie une entreprise à but lucratif, le Père Goettmann et son épouse tirant de ces stages leur principale source de revenus. C’est l’une des pratiques de Béthanie qui contribue à donner dans toute la région et bien au-delà (puisque les dépliants publicitaires concernant ces stages sont largement diffusés), une image négative de l’Orthodoxie.
La tarification est particulièrement scandaleuse quand elle s’applique au stage d’apprentissage de la prière de Jésus (tarif A = 1650 Francs selon le dernier programme, hiver-printemps 1999-2000), au stage de « thérapie des maladies de l’âme » ou guérison des passions (tarif G = 1500 Francs ), au stage « pratique de la louange » (Tarif B = 1000 Francs) …
On ne peut arguer (comme le fait A. Goettmann) qu’il s’agit de payer l’hébergement. Premièrement, les sommes demandées s’échelonnent de 330F à 550F par jour pour des prestations d’hébergement identiques. Deuxièmement, ces sommes sont très largement supérieures aux prestations matérielles fournies, lesquelles sont peu coûteuses à la communauté puisque la nourriture est exclusivement végétarienne, les draps sont apportés par participants et les tâches ménagères accomplies par eux (voir Programme, Document annexe n° 1). Troisièmement, les prestataires de stages (parmi lesquels les membres de la communauté, et des ecclésiastiques ou laïcs orthodoxes invités) sont rémunérés (pour les premiers sans qu’ils aient de frais de déplacement, pour ces derniers bien au-delà de leurs frais de déplacement).
À supposer qu’elle soit seule concernée, la pratique même d’un hébergement tarifé serait étrangère à la pratique orthodoxe, les communautés orthodoxes offrant traditionnellement l’hospitalité à leurs visiteurs comme une manifestation de la charité et veillant, comme l’Apôtre, à n’être à charge de personne (2 Co 11, 9 ; 12, 14 ; 1 Th 2, 9).

c. Une anomalie grave, qui s’ajoute à la précédente, est constituée par le fait que certains stages sont ouverts à tous sans distinction, non seulement orthodoxes et non-orthodoxes, mais croyants et non-croyants. Un agnostique (se présentant comme tel) nous a dit avoir récemment participé au stage « prière de Jésus ». On nous a rapporté que cela était monnaie courante (c’est le cas de le dire), ce qui semble logique vu que l’inscription n’est en fait subordonnée à aucune condition autre que le paiement d’un acompte.
On pourrait dire que la prière est nécessaire et bénéfique à tout à homme, croyant ou non, et qu’on ne doit a priori en exclure personne. Mais la prière de Jésus est une forme particulière de prière et on sait que dans la pratique traditionnelle de l’Église orthodoxe elle comporte un certain nombre de présupposés spirituels : non seulement la foi, l’appartenance à l’Église et la réception des sacrements (qui seules permettent la réception de la grâce), mais un certain degré d’avancement dans la vie spirituelle qui permette d’avoir les dispositions intérieures que suppose la pratique de cette prière particulière (purification, contrition, humilité…) et sans lesquelles elle peut, selon les Pères, être plus nuisible que profitable. Il existe d’autres formes de prière qui peuvent être pratiquées par tout le monde et sans condition, et que les Pères et les pères spirituels recommandent habituellement aux débutants.

2. Quant au fond

a. Beaucoup des stages proposés ont des contenus étrangers à l’Orthodoxie. Cela n’est pas étonnant si l’on regarde les statuts de la communauté qui, aussi bien dans leur forme originelle (27.09.1984) que dans leur forme dernière (12.07.1990) toujours en vigueur, ne comportent aucune référence à l’Orthodoxie, mais en revanche se montrent très ouverts aux courants spiritualistes extra-chrétiens (voir Document annexe n° 2). Cela n'empêche cependant pas Béthanie, dans son Programme officiel et dans ses placards publicitaires (notamment ceux qu’elle place dans les journaux locaux), d'affirmer que ses activités sont placées « sous l’égide de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France présidée par Monseigneur Jérémie, métropolite du Patriarcat œcuménique » (voir Document annexe n° 1).
— Parmi les stages étrangers à l’Orthodoxie, il faut citer en premier lieu les stages de Bouddhisme Zen organisés par l’un des membres de la communauté qui est par ailleurs prêtre orthodoxe (ordonné par l’ECOF) : le Père Francis Dekeyser. Celui-ci est professeur d’arts martiaux dans le cadre des activités sportives organisées à l’intention des étudiants de l’Université de Nancy ; mais il organise également, à sa propre initiative, des stages de Bouddhisme Zen et de thérapies extrême-orientales en dehors de son travail (voir Document annexe n° 3). Il est chaque année l’animateur, à Béthanie, d’un stage qui, bien qu’il se masque d’un vocabulaire sensiblement différent et s’intitule L’art d’être dans l’instant, est d’une nature identique (voir Document annexe n° 1). Dans ce stage l’enseignement de K. Graf Dürkheim (en très grande partie inspiré par le Bouddhisme Zen) est directement mis en application. Cela ressort d’ailleurs clairement du résumé du contenu du stage donné par le programme : « À partir d’exercices corporels intégrant l’attitude juste et la respiration, s’exercer à l’état de vigilance pour devenir disponible à l’instant. Découvrir à partir de cette manière d’être l’espace du silence intérieur ». On a là un bon exemple du vocabulaire spiritualiste utilisé couramment par les dirigeants et animateurs de la communauté.
— D’autres stages de même type sont organisés par le Père Goettmann lui-même et son épouse Rachel. Ainsi le stage « Méditation et sagesse du corps » dont le contenu est résumé en des termes aussi vaguement spiritualistes que le précédent, et où l’on trouve plusieurs concepts chers à Graf Dürkheim : « Face à l’insatisfaction qui engendre la violence, face au stress qui nous enchaîne, la traditionnelle voie du silence offre un chemin de pacification et de libération profonde. La sagesse du corps et la conscience du souffle ouvrent un accès privilégié à la découverte de l’instant présent où le désir humain rejoint le désir divin dans l’Au-delà au fond de nous-mêmes. » (Document annexe n° 1). On pourra avoir une idée plus précise de son contenu en lisant le livre d’A. et R. Goettmann : L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, éditions Albin Michel, Paris, mars 1997. Dans la partie centrale (p. 75-133) sont exposées, schémas des postures à l’appui, les techniques de « méditation » empruntées au Bouddhisme Zen via Graf Dürkheim, ce dont d’ailleurs les auteurs ne se cachent pas dans la courte introduction qu’ils ont ajoutée à cette dernière édition : « Nous essayons d’entrer dans la compréhension et l’expérience de la méditation telle que nous l’avons pratiquée avec Dürkheim des années durant » (p. 12). Dans le Complément à ce rapport, nous donnons une analyse détaillée de cet ouvrage et nous montrons l’incompatibilité de son contenu avec la foi et la spiritualité orthodoxes. À la dernière page du livre (p. 207), il est indiqué : « Le message et l’enseignement de ce livre sont mis en pratique à Béthanie au cours de sessions et de rencontres ». De telles cessions sont programmées pour fin décembre 1999, et mars-avril 2000 (voir Programme, document annexe n°1).
— Les stages d’apparence orthodoxe organisés par A. et R. Goettmann sont eux-mêmes fortement marqués par les enseignements de K. Graf Dürkheim où interviennent des notions et des pratiques empruntées au Bouddhisme Zen, mais où l’on relève aussi des éléments issus des autres sources d’inspirations du maître, comme la psychologie de C. G. Jung.
Cela apparaît clairement dans la partie technique de l’ouvrage d’A. et R. Goettmann, référence officielle du stage « Prière de Jésus » : Prière de Jésus. Prière du cœur (dernière édition, juin 1999, spécialement p. 84-107). Cela semble avoir échappé à Mgr Kallistos Ware (qui, comme chacun sait, a de multiples occupations et n’a sans doute pas lu le livre de très près) à qui les auteurs ont habilement demandé une préface pour servir de caution à cette nouvelle édition (où cependant rien n’a changé par rapport aux précédentes). L’intervention de pratiques étrangères non seulement à la tradition hésychaste, mais au christianisme lui-même apparaît de manière encore plus flagrante dans les stages mêmes de « Prière de Jésus » où par exemple, nous ont rapporté des participants, les stagiaires, assis en position de lotus face au Père Goettmann et à son épouse, sont invités d’abord à des exercices physiques, vocaux et respiratoires « pour libérer le hara », puis à des pratiques imaginatives (projections sur le Nom de Jésus, rêve éveillé dans la position couchée, etc.) et de visualisation intérieure du Nom de Jésus, en totale contradiction avec la tradition hésychaste authentique et à ses exigences de vigilance et de sobriété excluant toute pensée et toute imagination. Certaines de ces pratiques sont en revanche issues de techniques de méditation extrême-orientale prenant pour support des mandalas et des mantras. Il est d’ailleurs à noter que sur la 4ème de couverture du livre d’A. et R. Goettmann sur la prière de Jésus, celle-ci est présentée comme un « véritable mantra chrétien » (texte qui n’a pu figurer sur la couverture sans l’accord des auteurs).
— L’ignorance de la tradition hésychaste authentique au profit d’un hésychasme reconstitué à la lumière de techniques extrême-orientales non chrétiennes apparaît jusque dans le titre qu’A. et R. Goettmann ont longtemps donné à leur communauté : « Centre de méditation hésychaste ». Ce titre, qui figurait sur le Programme des stages et sessions jusqu’en 1996 y a été transformé à partir de cette date, à la demande des autorités orthodoxes qui suivaient la communauté, en « Centre de rencontre spirituelles ». Pourtant le titre de « Centre méditation hésychaste », qui continue à être le titre officiel de la communauté selon ses statuts d’association, continue aussi à être utilisé par A. et R. Goettmann quand cela leur semble utile. Ainsi dans la dernière édition (juin 1999) de leur livre Prière de Jésus. Prière du cœur, on peut lire p. 220 : « Le message et l’enseignement de ce livre sont mis en pratique à Béthanie au cours de sessions et de rencontres. […] Béthanie. Centre hésychaste de méditation. » Le Père Goettmann ne peut arguer qu’il s’agit d’une simple réédition d’un ouvrage ancien qui s’est faite sans son accord, puisqu’il a pris soin de munir cette édition d’une préface de Mgr Kallistos Ware, et qu’en outre, selon le droit français, tout auteur possède un droit moral sur son œuvre qui lui permet de s’opposer à la réédition d’un livre si sa pensée a évolué et ne s’accorde plus avec son contenu.
Ce titre de « Centre de méditation hésychaste » est évidemment absurde et irrecevable du point de vue de la spiritualité orthodoxe en général et de la spiritualité hésychaste en particulier. La méditation entendue au sens propre est une pratique que l’on peut trouver dans le catholicisme, que l’on trouve surtout dans les religions extrême-orientales, mais qui est étrangère à la spiritualité orthodoxe, et plus encore à la tradition hésychaste qui, recherchant la prière pure, exclut les pensées et donc toute forme de méditation. Le terme de « méditation » est cependant entendu par chez A. et R. Goettmann dans un sens différent, mais tout aussi inacceptable et étranger à la Tradition hésychaste authentique, puisqu’il recouvre (on le voit très nettement dans leur livre L’Au-delà au fond de nous-mêmes sous-titré : Initiation à la méditation) un ensemble de techniques somato-psychiques à prétention spirituelle (appelées souvent par A. et R. Goettmann « Sagesse du corps ») héritées du Bouddhisme Zen via Graf Dürkheim. Le mot « méditation » traduit d’ailleurs exactement le mot « Ch’an » qui est l’ancien nom (chinois) du Zen et désigne encore actuellement l’une de ses voies (voir E. Conze, Le Bouddhisme, Paris, 1971, p. 232). En fait on retrouve jusque dans le titre que se donne la communauté, un mélange confus de spiritualité « orthodoxe » et de spiritualité extrême-orientale.
— L’ignorance par le Père Goettmann et de son épouse de la tradition hésychaste authentique apparaît encore dans le fait que dans son Programme (Hiver-Printemps 1999-2000) il note à propos du stage « Thérapie des maladies de l’âme » : « Ce stage peut être un approfondissement pour ceux qui ont suivi la session de Méditation ou de Prière à Jésus ». On voit ici comme le P. Goettmann inverse l’ordre normal de la pratique spirituelle enseigné par les Pères (cet ordre inversé se retrouve dans le plan de son livre Prière de Jésus. Prière du cœur). Il entend apprendre à combattre les passions après avoir appris à pratiquer la prière de Jésus. Or tous les Pères enseignent le contraire : la pratique de la prière de Jésus exige, avant d’être mise en œuvre, que l’on ait combattu les passions, que l’on s’efforce de mener une vie vertueuse dans l’obéissance aux divins commandements. La pratique de la prière de Jésus évidemment n’exige pas que l’homme soit parfait ; mais les Pères enseignent qu’elle est incompatible avec une vie dans les passions, qu’elle requiert une purification préalable, qu’elle suppose au minimum un esprit de pénitence et d’humilité, et plus généralement une vie d’ascèse menée dans l’Église. Rien de tout cela n’est exigé par le P. Goettmann dans la conception purement technique, morcelée et non-ecclésiale qu’il a de la vie spirituelle, mais aussi dans la logique de sa conception bouddhiste selon laquelle « l’illumination » n’exige pas d’autres conditions que techniques, lesquelles visent à abolir les tensions et non pas les passions, la « thérapie des passions » apparaissant dans la conception d’A. Goettmann comme une pièce rapportée, visant au confort psychologique de l’individu (voir son livre Les passions qui nous tuent) plus qu’à sa pureté intérieure comme condition de l’union avec Dieu.
— Bien d’autres remarques pourraient être faites ici pour montrer comment le Père Goettmann et son épouse, dans leur enseignement théorique et pratique sur la prière de Jésus, utilisent le vocabulaire hésychaste tout en infléchissant sa signification dans le sens des théories du Bouddhisme et de K. Graf Dürkheim et dans un sens opposé à celui des Pères. Nous reviendrons sur ce point dans la section suivante.
— Le Père Goettmann affirme à qui veut l’entendre que son enseignement et celui de son épouse sur la prière de Jésus a été vérifié par le Père Sophrony qui aurait été son père spirituel. Or renseignements pris, si le P. Goettmann a bien visité le P. Sophrony (comme des milliers d’autres personnes, orthodoxes ou non), le Père Sophrony n’a jamais été à proprement parler son père spirituel. Si le Père Sophrony pouvait aujourd’hui s’exprimer sur cet enseignement syncrétiste, il le désapprouverait sans aucun doute. D’une part il n’accordait qu’une importance très secondaire et minime aux techniques dans la pratique de la prière de Jésus au point d’affirmer qu’elles ne sont à aucun degré indispensables. D’autre part il rejetait fermement les religions et philosophies extrême-orientales qui avaient, dans sa jeunesse, constitué pour lui une tentation qu’il avait surmontée après beaucoup de souffrance. Le Père Sophrony a ensuite consacré beaucoup de son temps et de son énergie à guérir de leurs blessures des personnes qui avaient été victimes de doctrines et de pratiques semblables à celles qu’enseigne le Père Goettmann à Béthanie.

B. La doctrine.

La plupart des problèmes présentés ci-dessus se rattachent à un unique problème : la dépendance étroite de la pensée et des pratiques des dirigeants de la communauté de Béthanie à la pensée et aux pratiques de Karlfried Graf Dürkheim.

L’attachement d’Alphonse Goettmann à Dürkheim est ancien, profond et, semble-t-il, définitif.
Rappelons que Karlfried Graf Dürkheim est un maître spirituel allemand, qui s’est installé dans la Forêt noire, où il a fondé un centre pour y dispenser son enseignement et y mettre en œuvres ses pratiques. Cet enseignement et ces pratiques sont en grande partie inspirées du bouddhisme Zen, plus précisément d’une forme particulière de celui-ci : le Zazen (ou Zen assis). Mais ils sont mélangés avec d’autres éléments issus d’autres courants philosophiques et religieux extrême orientaux, et aussi de la psychologie des profondeurs de C. G. Jung. Il s’expriment dans un vocabulaire spiritualiste aussi vague que général, dont on peut avoir déjà un aperçu dans les titres des livres de Graf Dürkheim parus en français. Graf Dürkheim ne s’oppose à aucune religion, mais les intègre toutes, considérant que toutes sont compatibles avec sa pensée, laquelle peut donc être assimilée, au choix, à un syncrétisme multireligieux, ou à un spiritualisme areligieux. Son concept de Tradition, que reprend volontiers le P. Goettmann jusque dans la sous dénomination de son Centre de méditation hésychaste : Bible et Tradition, est au fond identique à celui de l’ésotérisme : il suppose un enseignement commun, à la fois sous-jacent et transcendant à toutes les religions, et donc exprimant la quintessence de chacune tout en étant compatible avec toutes.
La postérité de Graf Dürkheim est aujourd’hui peu importante et se réduit à quelques instituts de psychothérapie et à quelques instituts de massage (« discipline » qui faisait partie des pratiques du maître). Sa pensée a cependant trouvé un écho dans le mouvement spiritualiste nord-américain qualifié de New Age, un éditeur de cette mouvance publiant ses livres.
A. Goettmann a consacré plusieurs ouvrages à Graf Dürkheim (Graf Dürkheim – Dialogue sur le chemin initiatique, Graf Dürkheim – Images et aphorismes, Mémoire éternelle à Graf Dürkheim), dont il a suivi les enseignements et par la personnalité duquel il a été profondément marqué. Dans l’Introduction à son livre Dialogue sur le chemin initiatique. Karlfried Graf Dürkheim. Entretiens avec Alphonse Goettmann (dernière édition, mars 1999), ce dernier compare de manière hallucinante ce que Graf Dürkheim a été pour lui à ce que le Christ ressuscité a été pour les disciples cheminant vers Emmaüs, ou ce que le Christ a été pour saint Paul sur le chemin de Damas : « Comme le Psalmiste, j’ai crié ma détresse au Seigneur. C’est alors que j’ai rencontré Graf Durkheim, tel le Pèlerin voilé sur la route d’Emmaüs. Ce fut en moi l’explosion… le jaillissement… je chuchotai de mon cheval comme Paul sur le chemin de Damas et les écailles tombèrent de mes yeux » (p. 7).
Le Père Goettmann, qui était alors prêtre catholique, dit que cette rencontre a été pour la source d’« une compréhension radicalement différente de la Bible et de la Tradition » (ibid., p. 8), ce qui signifie, en d’autres termes, qu’il commença à ce moment à interpréter la Bible et la Tradition à la lumière des enseignements de Graf Dürkheim.
Devenu orthodoxe dans le cadre de l’ECOF pour pouvoir, tout en restant prêtre, épouser Rachel Korzec, qu’il venait de rencontrer, le Père Alphonse Goettmann avoue que l’enseignement de Graf Dürkheim fut déterminant dans sa façon de comprendre et de vivre l’Orthodoxie. C’est au sein de l’Église orthodoxe, écrit-il, « que nous ne cessions de réaliser avec stupeur que l’intuition fondamentale de Graf Dürkheim rejoint au fond le noyau même du message biblique et qu’il peut s’approfondir en Église à travers la prière contemplative, la théologie mystique, la divine liturgie et la vie en communauté » (ibid., p. 8). La façon même dont ce texte est rédigé fait apparaître que pour A. Goettmann, les différentes manifestations de la vie de l’Église orthodoxe sont appelées à confirmer, à illustrer, à concrétiser et à prolonger l’enseignement de Graf Dürkheim.
Le P. Goettmann annonce alors clairement la raison d’être de la communauté Béthanie qu’il a fondée : « Mais peut-on “mettre la manière sous le boisseau” ? […] Un des premiers fruits fut la communauté de “Béthanie”, centre de rencontres spirituelles en Lorraine. Ici germa, dans l’expérience et les rencontres, le désir de faire connaître plus largement encore le puissant appel que Dürkheim lance à l’homme de notre temps » (ibid., p. 8). On ne saurait être plus clair.
On comprend mieux que l’enseignement et les pratiques de Béthanie soient, comme nous l’avons noté précédemment, profondément liées à l’enseignement de Dürkheim, qui reste pour A. Goettmann le Maître par excellence. À la fin du livre que nous avons cité dans les lignes précédentes, où il interviewe Graf Dürkheim de façon à lui permettre d’exposer sa doctrine, le P. Goettmann n’hésite pas à écrire (ibid., p. 152) : « Le message et l’enseignement de ce livre sont mis en pratique à Béthanie au cours de sessions et de rencontres » (rappelons que la dernière édition de ce livre date de mars 1999 et n’a pu être publiée sans l’accord de l’auteur). Aujourd’hui encore donc, le P. Goettmann considère que la raison d’être de Béthanie est de mettre en application et de diffuser l’enseignement de Graf Dürkheim.
Les livres du Père Goettmann, et plus encore ses enseignements oraux lors des stages qu’il dirige personnellement (selon les récits de personnes qui y ont participé), sont imprégnés de la pensée de Graf Dürkheim et s’expriment dans son vocabulaire spiritualiste (l’Être, l’Au-delà de nous-même, la profondeur, l’intériorité, le chemin, le silence, l’instant présent, les racines profondes de l’homme, le hara, la Force, l’énergie [comprise dans un sens extrême-oriental et non dans un sens orthodoxe], etc.) suffisamment général et vague pour pouvoir attirer et satisfaire des gens appartenant à divers courants religieux ou ne se rattachant à aucun. Ce vocabulaire est proche de celui d’un ami du P. Goettmann qui a longtemps animé ses stages : le P. Jean-Yves Leloup (qui se dit orthodoxe pour des raisons de convenance mais n’a rien à voir avec l’Orthodoxie). Il est proche aussi de celui du courant New Age : il est à noter que les livres d’A. et R. Goettmann ont été traduits en anglais et publiés au Etats-Unis, aux côtés de ceux de Graf Dürkheim, par un éditeur spécialisé dans la littérature New Age, et font à ce titre l’objet d’une publicité sur plusieurs sites Internet.
Le Père Goettmann argue de la dimension pastorale de son approche ; mais il semble que celle-ci aboutisse surtout à donner une vision déformée de l’Orthodoxie.
a. En effet, ce vocabulaire en apparence anodin recouvre une conception de la grâce et de son acquisition par l’homme qui est tout à fait incompatible avec celle de l’Église orthodoxe.
Disons en résumé que la grâce (qu’il ne distingue pas bien de Dieu lui-même) est considérée par le P. Goettmann comme une énergie (non au sens palamite, mais au sens d’une force, qu’il appelle aussi de divers autres noms) présente au fond de chaque homme (baptisé ou non, croyant ou non) qu’il s’agit de faire surgir au moyen de techniques mentales et corporelles appropriées et dont il s’agit de prendre conscience dans le silence, en faisant le vide des pensées, en laissant ses sens grands ouverts et en se montrant attentif à son expression. Cette « énergie » est désignée par le P. Goettmann par diverses expressions comme « l’Au-delà au fond de nous-même » (c’est le titre d’un de ses livres), « la grande Force », « la grande Vie » ou, plus souvent, à la suite de Dürkhiem, comme « l’Être » ; ces techniques somato-psychiques sont désignées comme « Sagesse du corps », « Méditation » ou même comme « prière de Jésus, prière du cœur » ; cette « énergie » a son siège dans le hara (localisé au niveau de l’abdomen), notion issue du Bouddhisme Zen que le P. Goettmann utilise couramment à la suite de Graf Dürkheim ; ce hara est considéré dans le bouddhisme Zen comme le « centre de la sagesse instinctive du corps » (R. Linssen, Le Zen, Verviers, 1969, p. 203), d’où le nom de « Sagesse du corps » donné par le P. Goettmann à l’un des stages qu’il dirige à Béthanie, d’où aussi l’usage fréquent par lui de cette expression et l’importance qu’il accorde, comme le Bouddhisme Zen, à la notion d’ « instinct ». L’homme permet en lui la libération de cette Force contenue dans le hara, en trouvant psychiquement et corporellement une attitude qui ne s’oppose pas à son expression, et qui est pour cela appelée « attitude juste » : il s’agit d’une attitude « instinctive », exempte de tension, où les sens de l’homme sont grands ouverts à ce qui est dans son propre corps. Une importance essentielle est accordée au souffle et à son contrôle, censés permettre à l’énergie du hara d’être « libérée », de sortir et de se répandre dans l’homme. La prière n’est qu’un moyen de libérer cette énergie présente en nous et d’en prendre conscience. Cette doctrine est exprimée de manière explicite dans les livres de K. Graf Dürkheim, en particulier dans son livre Hara, Paris, 1960. Elle est exprimée également dans les livres d’A. et R. Goettmann : dans L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation (Paris, 1997) et de manière diffuse et un peu voilée du fait de son mélange avec plus d’éléments chrétiens, mais néanmoins aisément reconnaissable par un lecteur averti dans Prière de Jésus. Prière du cœur (dernière édition : juin 1999). Dans ce dernier, A. et R. Goettmann écrivent p. 102, dans un style où se confondent le naturel et le surnaturel, le spirituel et le psychique, les effets de la technique et les fruits de la grâce : « La respiration est le grand mouvement de la Vie, non seulement de sa naissance, mais encore de sa métamorphose continuelle en nous. En devenir conscients dans la Prière, qui allie le Verbe au Souffle, fait de notre manière de respirer un chemin de transparence au Mystère. L’écoute intérieure et consciente de la respiration non volontaire conduit peu à peu au calme du corps et de l’âme, à une déconnexion de l’ego avec les tensions. On peut exprérimenter alors à la fin de l’expiration ce moment mystérieux d’un Silence abyssal, étrange mais bientôt familier. Il faut goûter cet instant furtif qui se prolonge à mesure qu’on s’y abandonne ; il va progressivement se révéler comme une Présence : c’est Quelqu’un. Et ce Silence se fait Source au fond de moi quand Il m’insuffle l’inspiration. Celle-ci s’exprime en moi, me structure et me donne forme ; c’est le Verbe qui devient chair en moi, ma filiation unie à la Sienne. À la fin de l’inspir : nouveau Silence ; de là va procéder l’expiration qui fait pénétrer jusque dans mes cellules et la moelle des os le Souffle vivifiant, l’Énergie créatrice, le Peuma-Esprit. » Un peu plus loin on peut lire : «L’inspir qui vient de l’abdomen » (cf. le hara, nommément désigné ibid., p. 87) « est une visitation : Dieu expire en moi son “haleine” et je l’inspire ; la recevoir consciemment, et à chaque instant s’y abandonner, se détendre en Lui. » On pourrait multiplier de telles citations où la part d’illusion spirituelle est immense.
La doctrine précédemment résumée est exprimée de manière beaucoup plus explicite dans les stages du P. Goettmann à Béthanie. Dans les stages « Prière de Jésus », le P. Goettmann et son épouse invitent notamment les participants assis dans la position du lotus à fixer leur attention sur le hara, et à dire la prière de Jésus sur « l’inspir » et sur « l’expir » pour libérer « l’énergie » qui est contenue dans le hara et en prendre conscience. L’Esprit Saint est censé se répandre en chacun à la suite de ces manœuvres, qu’il soit croyant ou non, chrétien ou non, baptisé ou non, orthodoxe ou non, et quelles que soient ses disposition morales et spirituelles.
Le P. Goettmann cite régulièrement l’Écriture et les Pères, mais on peut voir qu’il les interprète, d’une manière qui pervertit totalement leur sens, à la lumière de l’enseignement durkheimien (nous avons vu que le P. Goettmann affirmait que la rencontre de Graf Dürkheim avait été pour lui la source d’« une compréhension radicalement différente de la Bible et de la Tradition »). Pour ne prendre qu’un exemple caractéristique, dans Prière de Jésus. Prière du cœur, p. 131, le commandement du Christ : « Ne jugez pas ! » (Mt 7, 1) est interpété par le P. Goettmann comme signifiant que nous devons laisser nos sens (sensés nous ouvrir à « l’Être », à « la profondeur » et au « mystère ») grands ouverts, « ne pas interpréter la sensation, ne pas réfléchir sur ce que nos sens perçoivent, mais recevoir simplement ». Les Pères, qui recommandent « la garde des sens », et pendant la prière, leur fermeture complète, apprécieront ! Les citations scripturaires et patristiques que fait le P. Goettmann se limitent d’ailleurs le plus souvent à quelques mots ou à une simple expression de manière à pouvoir facilement, en dehors de leur contexte, être utilisées à illustrer ou à justifier ses propres thèses.
Il est à noter qu’autre membre important de Béthanie, puisqu’il en est le second prêtre, le Père Francis Dekeyser, lui aussi ordonné dans le cadre de l’ECOF, partage les idées du Père A. Goettmann et contribue à répandre les mêmes pratiques. Se présentant comme enseignant le Do-In, le Tai-Chi-Chuan et le Zazen, il organise, en dehors de Béthanie (mais aussi, nous l’avons vu, au sein de Béthanie) des stages relatifs à des disciplines du bouddhisme Zen, et à des thérapies psycho-corporelles d’origine extrême-orientales, mais toutes revues et corrigées à l’aune de la pensée de Graf Dürkheim. Le placard publicitaire joint (Document annexe n° 3) illustre cela de manière éloquente, le lien avec « le Chemin » (nom par lequel le Père Goettmann désigne depuis toujours ce qui est enseigné à Béthanie, qui est aussi le titre de sa revue, mais est également un synonyme de « la Voie » du bouddhisme Zen) apparaissant clairement, et le vocabulaire spiritualiste que nous évoquions tout à l’heure étant largement utilisé : « Enseignement : 1) Découvrir le quotidien comme Chemin à partir des racine profondes de l’homme ; 2) Les techniques corporelles proposées sont enseignées dans l’esprit du travail de Karlfried Graf Dürkheim ; 3) L’assise, en silence dans le style Zen est un exercice que chacun peut renouveler quotidiennement. Il est au cœur de toutes les Sagesses. C’est l’exercice de l’instant présent ; 4) Le Do-In, la relaxation, le recentrage dans le hara, le travail sur le souffle, sont des techniques de remise en ordre corporel et psychique, un travail en profondeur sur le corps que je suis. »
b. Si les enseingements d’A. et R. Goettmann véhiculent un enseignement hétérodoxe sur la grâce, ils véhiculent aussi un enseignement hétérodoxe sur la Trinité. Dans leur livre L’Au-delà au fond de nous-même. Initiation à la méditation (édition de 1997), voici comment, Dieu étant appelé l’Être, ils présentent la Sainte Trinité : « Toute réalité, tout ce qui vit est animé, pénétré, centré par la trinité de l’Être, et rien ne se comprend ni à l’homme ni à l’univers en dehors de ce grand dynamisme qui est la clé de tout : [1] La source qui donne la Vie : ce qui vit ne vit pas par soi-même, mais se reçoit de la Force et de la Plénitude de l’Être, qui veut se donner et se manifester dans l’existence. [2] La parole qui donne la Forme : ce qui vit tend à se réaliser profondément dans sa forme particulière, à devenir soi-même jusqu’à l’achèvement. C’est le sens de la vie, la Lumière, l’Être qui cherche à se manifester dans une image différenciée à travers chaque être. [3] Le souffle qui donne l’Harmonie et le Mouvement : il reconduit à nouveau tout ce qui vit, au-delà et à travers toute différenciation, vers la Totalité et l’Unité de l’Être à laquelle tout être participe. Énergie qui reréée l’unité en nous-même » (p. 61-62). Cette conception étrange et confuse, où les propriétés hypostatiques sont remplacées par des attributs de la nature divine communs aux trois personnes, et où l’on professe une conception métaphysique, dépersonnalisée de la Trinité, dont la Trinité chrétienne apparaît comme une illustration particulière, s’inspire elle aussi des théories de Graf Dürkheim qui affirme (Dialogue sur le chemin initiatique. Entretiens avec Alphonse Goettmann, p. 78) : « La plénitude est la vie universelle en tant que vie créatrice, le créateur, Celui qui engendre à la vie, et que la Bible appelle Père. La loi, c’est la Loi intérieure qui structure, ordonne, forme toutes choses et leur donne un sens, c’est le Verbe, le Christ. Le Verbe est le principe de toute formation, il donne forme à tout ce qui existe en tant que créature. Enfin l’Unité, qui s’exprime dans l’amour et réunit dans l’harmonie tout ce qui a été séparé, c’est le Saint-Esprit. » Avec cette précision (p. 79) : « Mais vous le savez sans doute, la Trinité n’est pas un privilège du christianisme. Il n’existe pas de religion sans Trinité. La Trinité chrétienne est la façon chrétienne de mettre en images la Trinité de l’Être : la Plénitude, la Loi et l’Unité, c’est-à-dire Père, Fils, Esprit. Dans le bouddhisme, on parle de Bouddha, Dharma, Samgha. Dans l’hindouisme, vous avez Brahma, Vishnou, Shiva. Dans le shintoïsme on a le sabre pour exprimer la force, le miroir pour la loi et cette fameuse chaîne, ce bijou qui avec la souplesse représente la douceur de l’amour. »
On a suffisamment montré que A. et R. Goettmann (ralayés par F. Dekeyser), sous couvert d’appartenance à l’Église orthodoxe enseignent en fait un syncrétisme hétérodoxe, où la foi orthodoxe se trouve déformée sur plusieurs points essentiels et où la foi chrétienne elle même se trouve relativisée dans le cadre d’une métaphysique non chrétienne d’inspiration durkheimienne.

C. Le comportement des dirigeants de Béthanie.

Une troisième série de problèmes est liée à la personnalité et aux pratiques personnelles des fondateurs et dirigeants de Béthanie.

1. Dans les témoignages que nous avons recueillis, la personnalité et le comportement de Rachel Goettmann font l’objet de critiques unanimes et le plus souvent très vives.
a. Plusieurs témoins femmes nous ont dit qu’elle avait cherché d’emblée à s’imposer à elles comme leur « mère spirituelle » et évoquent sa très forte volonté d’emprise et de domination sur les âmes. Tous les visiteurs de Béthanie ont constaté qu’elle est le véritable « patron » de la communauté et que son époux est très nettement sous sa dépendance psychologique et spirituelle ; il la désigne, devant les membres de la communauté et les stagiaires, comme « notre Mère ». Il y voit sans doute l’équivalent orthodoxe de Ma Ananda Mai, surnommée « la Mère », sage hindoue pour laquelle Graf Dürkheim avait une profonde admiration. Le P. Goettmann semble en tout cas très occupé à faire la promotion de son épouse, y compris en lui attribuant la maternité de textes qu’elle n’a pas écrits. Autour d’elle s’est développé à Béthanie un véritable culte de la personnalité.
b. Rachel Goettmann ne prétend pas seulement au rôle de directrice spirituelle mais veut être une « mère » spirituelle au sens propre, c’est-à-dire entend permettre aux âmes de renaître spirituellement. Plusieurs témoins nous ont parlé de sa pratique du « Rebirth » (en anglais : renaissance) que l’on rencontre également dans divers groupes sectaires. On nous a rapporté que cette pratique s’accompagne d’actes étranges (comme le fait pour Rachel Goettmann de se coucher sur les personnes qu’elle prétend faire renaître). À la suite d’un tel « travail » (mot qui en français classique désigne l’accouchement) avec Rachel Goettmann, de nombreuses personnes ont malheureusement été fortement déstabilisées spirituellement et psychologiquement, certaines d’entre elles, nous a-t-on rapporté, étaient au bord du suicide, tandis que d’autres ont sombré dans la folie.
Rachel Goettmann se livre à d’autres pratiques étranges, comme celle « rêve éveillé » qu’elle dirige lors de stages où les participants doivent, selon elle, accéder aux profondeurs de leur inconscient. Cette pratique, où l’on retrouve la confusion du psychique et du spirituel que nous dénoncions ci-dessus, a également eu des effets très négatifs sur certaines personnes, au dire de plusieurs témoins.
Au vu des fruits de ces pratiques, on peut penser qu’elles ne sont pas exemptes d’éléments démoniaques.
Rachel Goettmann, qui a derrière elle un lourd passé, n’est sans doute pas très bien placée pour prétendre diriger les autres. En s’érigeant en « mère spirituelle », elle ressemble plutôt, selon la parole de l’Évangile, à un aveugle qui conduit d’autres aveugles et les fait tomber avec lui dans une fosse (Mt 15, 14).
c. Plusieurs personnes nous ont dit que Rachel Goettmann avait prétendu, pour asseoir son pouvoir sur elles, avoir des révélations ou des visions surnaturelles à leur sujet. On nous a rapporté également qu’elle prétend couramment bénéficier d’expériences intérieures exceptionnelles et de pouvoirs surnaturels. On retrouve ici l’atmosphère d’exaltation pseudo-mystique dont s’alimentent beaucoup de membres et d’ex-membres de l’ECOF.
d. On nous a rapporté que la croyance aveugle dans les pouvoirs thérapeutiques de Madame Goettmann avait conduit certaines personnes à renoncer à recourir à la médecine classique et qu’elles avaient ainsi mis leur santé en péril.

2. Certains témoignages font appraître que les dirigeants de la communauté exercent sur ses membres une emprise qui s’apparente à celle que l’on rencontre dans la plupart des sectes. Comme dans ces sectes, les membres n’en prennent conscience que lorsqu’ils en sortent, comme s’ils sortaient d’une illusion ou se réveillaient d’un mauvais rêve.

3. La communauté tend à vivre repliée sur elle-même. On nous a dit que les relations de ses membres avec le monde extérieur et avec leur famille sont fortement découragés par ses dirigeants. On nous a rapporté également que les relations des membres avec d’autres orthodoxes sont déconseillées et que seuls « le noyau dur » de la communauté est habilité à avoir de telles relations en cas de nécessité. Certaines « sorties » se font collectivement, mais en goupe compact. Les dirigeants de la communauté craignent sans doute que ceux qui fréquentent Béthanie ne découvrent l’Orthodoxie.

4. La communauté se singularise par un mode de vie marginal qui donne aux habitants de la région l’idée que l’Orthodoxie est une religion pour marginaux. Comme beaucoup de groupes sectaires, elle valorise fortement la nourriture végétarienne et les médecines parallèles, en particulier la médecine anthroposophique (fondée par R. Steiner, avec une base pseudo-religieuse). Un stage intitulé « Les médecines parallèles » est d’ailleurs organisé cette année par Béthanie, dont le Programme résume le contenu en ces termes qui montrent que l’on va bien au-delà du domaine médical pour entrer dans celui d’un spiritualisme paganisant : « La naturopathie est une philosophie, une science et un art. Par elle, nous apprenons à nous rebrancher aux forces de la vie et donc à cultiver la santé d’après les grandes lois qui régissent la création cosmique » (voir Programme, Document annexe n°1).

5. Comme on nous l’a rapporté et comme nous avons pu l’observer nous-même, beaucoup de personnes qui ont fréquenté Béthanie ont été fortement perturbées, troublées, déséquilibrées lorsqu’elles en sont sorties, développant soit des troubles mentaux (parfois importants), soit une haine farouche à l’encontre de la communauté et en particulier de ses dirigeants, soit les deux à la fois. On n’observe pas de tels phénomènes chez des personnes qui quittent une paroisse ou une communauté orthodoxe normale, et ce n’est pas l’effet que fait habituellement sur ceux qui l’ont fréquentée une communauté authentiquement orthodoxe. Cela nous donne une fois de plus à penser que l’on est ici en présence d’un phénomène de type sectaire.
Nous avons été particulièrement sensible (et c’est en grande partie ce qui nous a poussé à accepter d’écrire ces lignes) au fait que beaucoup d’anciens membres de Béthanie en sont sortis avec une profonde souffrance, intérieurement traumatisés, déchirés, disloqués, parfois totalement détruits, avec ensuite une très grande difficulté à réintégrer la vie courante, à se reconstruire intérieurement, hantés par la peur et parlant difficilement de leurs problèmes.
Nous espérons que les Pasteurs qui se montrent sensibles à la détresse des dirigeants de Béthanie en quête de reconnaissance se montreront également sensibles à la détresse de leurs victimes.

6. On nous a rapporté que d’anciens membres de la communauté avaient été psychologiquement harcelés après leur départ de la communauté, et que l’un d’entre eux avait même dû se séparer de sa famille et se réfugier parfois à plusieurs centaines de kilomètres pour échapper à l’emprise du groupe. Cela nous paraît également significatif d’un phénomène de type sectaire.

D. Caractère sectaire de Béthanie.

Nous avons appris par des voies officielles au mois de mars dernier que Béthanie avait été classée comme secte par les Renseignements généraux du département de la Moselle.
Cette classification peut paraître exagérée si on compare Béthanie à des sectes dures. Néanmoins elle peut paraître justifiée dans la mesure où Béthanie répond, à des degrés divers, aux critères qui permettent, selon la méthodologie sociologique actuelle, de définir un groupe comme sectaire, à savoir :
— enseignement d’une spiritualité marginale ou syncrétiste, ne s’identifiant pas à celle d’une religion particulière ;
— lien de la spiritualité et de l’argent (monnayage de prestations « spirituelles » ou pseudo-spirituelles) ;
— présence d’un « maître spirituel » (« gourou » ou « gourelle ») à la tête du groupe ayant une forte emprise sur ses membres et les dominant psychologiquement ;
— repli de la communauté sur elle-même ; limitation des rapports avec l’extérieur imposés par les dirigeants du groupe à ses membres ;
— rejet ou méfiance à l’égard des thérapeutiques classiques ; privilège accordé aux thérapeutiques parallèles quitte à mettre en danger la santé des membres du groupe ;
— déstabilisation psychologique en cas de sortie hors du groupe ;
— pressions exercées par le groupe sur les membres qui l’ont quitté, allant jusqu’au harcèlement et à l’intimidation.

E. Problèmes canoniques.

1. Béthanie vient de créer récemment une communauté monastique dirigée par Alphonse et Rachel Goettmann dans des conditions totalement non canoniques.

2. La communauté se réclame de l’appartenance à l’Orthodoxie mais n’a en fait aucune existence canonique, puisqu’elle ne relève d’aucune juridiction. La communauté semble avoir été placée, lorsque Mgr Stéphane s’en occupait, sous la protection provisoire de l’Assemblée des évêques de France (alors qu’elle aurait dû logiquement l’être sous celle de la Métropole grecque) ; mais cette situation, outre qu’elle est gênante dans la mesure où elle engage tous les évêques alors que certains d’entre aux sont très critiques vis-à-vis de la communauté, est elle-même non canonique, car cette Assemblée ne saurait être considérée ni comme une juridiction à côté des autres, ni comme une juridiction supérieure à toutes les autres. Il nous semble donc indispensable de mettre fin à une telle situation, toute intégration envisagée ne pouvant l’être, d’un point de vue canonique, que dans le cadre d’une juridiction particulière, sous la responsabilité personnelle d’un évêque nommément désigné.

F. Remarques diverses

1. La communauté a sur le plan local une très mauvaise image de marque. Elle est boycottée par les médias régionaux (journaux, radios, télévision) malgré ses tentatives réitérées d’infiltration (dont nous avons des preuves de plusieurs côtés) ; elle fait l’objet d’une appréciation très négative de la part de l’évêché catholique de Metz et du clergé catholique de la région, et est très mal vue par les communautés orthodoxes de Lorraine et d’Alsace.
Néanmoins la communauté a réussi a faire passer plusieurs encarts publicitaires dans le principal journal local (Le Républicain lorrain) en ne manquant pas d’indiquer que ses activités étaient placés sous l’égide de l’Assemblée des évêques de France. Si la communauté était officiellement et définitivement reconnue, elle ne manquerait pas d’utiliser cette reconnaissance comme un précieux label à des fins publicitaires, et cela rejaillirait très négativement sur l’image que le public peut avoir de l’Orthodoxie.

2. Le suivi officiel de Béthanie a été fait ces dernières années par des personnes habitant loin, très occupées, ne s’y rendant que ponctuellement, et n’ayant pas la possibilité de connaître réellement le fonctionnement de la communauté. Le P. Goettmann prétend être suivi aujourd’hui par Mgr Kallistos Ware, mais on peut s’interroger sur la nature et la précision de ce suivi, étant donné la multiplicité des occupations et l’éloignement géographique de ce dernier.

3. Le soutien apporté à Béthanie par plusieurs personnalités orthodoxes paraît sujet à caution.
Celles-ci ont été peu de temps à Béthanie ; elles y ont été accueillies dans des conditions particulièrement flatteuses et n’ont pas eu la possibilité de connaître la réalité des enseignements et des pratiques des dirigeants de la communauté, ni d’avoir de contacts avec ceux qui avaient à s’en plaindre.

4. Les concession faites par les dirigeants de Béthanie au cours de ces dernières années paraissent très limitées et très formelles. On peut noter : l’adoption de la liturgie de saint Jean Chrysostome (ce qui est le fait de toutes les paroisses de l’ECOF qui ont intégré l’Église orthodoxe) ; l’abandon, sur la première page des programmes des sessions, d’un symbole spiritualiste vagement oriental au profit d’une icône puis d’une aquarelle représentant le prieuré ; le renoncement à inviter J.-Y. Leloup comme conférencier ; l’enlèvement des photos de Graf Dürkheim dans les locaux publics du prieuré ; l’intervention de quelques personnalités orthodoxes reconnues parmi lesquelles Mgr Stéphanos, O. Clément…). Mais c’est à peu près tout. Ceux qui ont connu Béthanie avant et ceux qui connaissent Béthanie maintenant affirment : « Rien n’a changé fondamentalement. Le Père Alphonse et son épouse continuent à faire ce qu’ils ont toujours fait ».

5. Béthanie a conservé l’essentiel de ce qui fait sa raison d’être : la philosophie et les pratiques héritées de Graf Dürkheim. En invitant des conférenciers orthodoxes, Béthanie n’a pas substitué leurs conférences à ses anciens stages, mais a en quelque sorte cherché à « noyer le poisson », et à faire accepter le moins bon par le biais du meilleur. En invitant des personnalités orthodoxes à animer des stages, il s’agissait aussi d’apporter à Béthanie la caution de ces personnalités. Ce n’est qu’un des aspects de la stratégie développée à cet égard par le P. Goettmann et son épouse.
Un deuxième aspect de cette stratégie a été de faire préfacer leurs livres par des personnalités orthodoxes pour leur apporter la caution de l’autorité dont ils jouissent. C’est ainsi qu’ils ont fait préfacer par le Père Placide Deseille L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, et par Mgr Kallistos Ware Prière de Jésus. Prière du cœur, deux ouvrages écrits du temps de leur séjour à l’ECOF et réédités presque sans modifications, et que plus récemment ils ont fait préfacer par O. Clément Ces passions qui nous tuent, ouvrage qui est, aux dires de certains lecteurs, un médiocre plagiat de mon livre Thérapeutique des maladies spirituelles, où langage de la Tradition patristique a été remplacé par celui d’un psychologisme racoleur. Une question se pose : les autorités orthodoxes qui ont accepté de préfacer ces ouvrages et de les couvrir de leur autorité sont-elles effectivement d’accord avec les théories et les pratiques qui y sont exposées, ou bien A. et R. Goettmann, par leur pratique d’un double langage, ont-il réussi à leur faire prendre des vessies pour des lanternes ?
Un troisième aspect de cette stratégie d’A. et R. Goettmann a été d’inviter — de manière répétée et insistante, par des lettres flatteuses et surtout propres à leur inspirer de la pitié vis-à-vis de sa situation — des personnalités orthodoxes à fournir des articles à sa revue : Le Chemin. Plusieurs d’entre elles ont accepté dans le souci d’aider la communauté à intégrer l’Orthodoxie à une époque où, venant de quitter l'ECOF, elle paraissait en manifester sincèrement le désir ; elles n’ont cependant pas tardé à constater que leur texte avait été amputé et modifié au gré des éditeurs, et qu’en fait on avait voulu tout simplement utiliser leur nom pour cautionner Béthanie (la liste des auteurs ayant fourni un article au cours des dernières années est publiée dans chaque numéro de la revue et, de manière tapageuse, sur le site Internet de la communauté).
Le Père Goettmann s’est sans doute souvenu que le soutien de quelques personnalités orthodoxes avait facilement permis à son amie Annick de Souzenelle d’être intégrée dans l’Église orthodoxe sans qu’elle ait rien eu à changer de la pensée qu’elle diffuse largement dans ses livres et ses conférences (notamment à Béthanie), et qui est aussi syncrétiste et aussi peu orthodoxe que la sienne, quoique dans un genre différent.

Conclusions

Le constat est à tous égards accablant. Il est évident que Béthanie diffuse des enseignements et des pratiques profondément étrangères à l’Église orthodoxe et que ses dirigeants ont des comportements incompatibles avec l’ethos orthodoxe, avec comme circonstances aggravantes que ces comportements engendrent autour d’eux beaucoup de souffrance.
Nous sommes plutôt pessimistes sur la capacité du P. Goettmann et de son épouse à renoncer à ce qui au fondement de leur hétérodoxie et de leur hétéropraxie : la pensée de Graf Dürkheim. Non seulement celle-ci les a profondément marqués, mais elle a donné un sens à leur vie et à leur œuvre qui s’exprime dans Béthanie.
Le temps de la pénitence et du changement (plusieurs années) a été donné par vous avec patience et miséricorde aux dirigeants de Béthanie. Ceux-ci ont multiplié les promesses mais n’ont rien changé de fondamental à leurs croyances, à leurs pratiques et à leurs comportements, cherchant seulement à leur apporter la caution d’autorités orthodoxes ou à les masquer en pratiquant un double langage. Leur but semble en vérité d’obtenir une reconnaissance officielle comme orthodoxes, sans rien céder sur ce qui est pour eux l’essentiel : la pensée et les pratiques héritées de Graf Dürkheim.
Si une telle reconnaissance leur était accordée, elle serait immédiatement exploitée par eux dans un sens qui inspire beaucoup de craintes. Forts du label « reconnus par l’Assemblée des évêques de France », ou par tel évêque dans telle juridiction particulière, les dirigeants et membres de Béthanie verraient de nouveau les médias s’ouvrir à eux et leur activisme médiatique porter ses fruits ; la méfiance des orthodoxes et des non-orthodoxes qui hésitaient jusqu’alors à fréquenter Béthanie diminuerait. Béthanie pourrait, selon le rêve du P. Goettmann, devenir une vitrine officielle de l’Orthodoxie. Mais quelle vitrine ? de quelle Orthodoxie ? En vérité d’un syncrétisme orthodoxo-durkheimien qui répandra autour de lui les erreurs doctrinales, le dérèglement spirituel et les troubles psychologiques, mais avec cette fois la bénédiction de l’Assemblée des évêques orthodoxes et sous la couverture de leur autorité.
Il ne nous semble pas possible d’accepter dans l’Orthodoxie les dirigeants de Béthanie sans qu’ils aient totalement et définitivement reconnu et dénoncé leurs errements dans un acte de pénitence public (c’est-à-dire connu de tous), sans qu’ils aient demandé pardon à leurs victimes, et sans qu’ils aient renoncé à organiser les stages tarifés de spiritualité par le biais desquels, tout en donnant l’image très négative et préjudiciable d’une Orthodoxie commerciale, ils répandent leurs erreurs et jettent le trouble dans les âmes.

Que le Saint-Esprit éclaire et inspire dans leur décision les évêques orthodoxes de France, gardiens de la foi et du mode de vie orthodoxes, et pasteurs du troupeau du Christ.


Écrit le 15 décembre 1999,
En la fête du saint prophète Habacuc.
Antoine
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Message par Antoine »

Toujours de Jean-claude Larchet, un deuxième texte mis à disposition par Jean-Louis Palierne sur un autre forum.


Analyse et critique, par Jean-Claude Larchet, du livre d’Alphonse et Rachel Goettmann, L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, préface de l’Archimandrite Placide Deseille, éditions Albin Michel, Paris, 1997.

Cette analyse complète et précise l’exposé de la doctrine théologique et spirituelle d’A. et R. Goettmann que nous avons présenté dans notre Rapport aux membres de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France.

Exposé.

Le principe de base des pages centrales de ce livre, qui est aussi celui de l’enseignement et des pratiques du Père A. Goettmann et de son épouse lors des stages qu’ils organisent à Béthanie, peut être résumé par cette affirmation de leur maître K. Graf Dürkheim dont la pensée s’inspire essentiellement du bouddhisme Zen : « L’homme participe dans la profondeur de son être à l’Être divin et peut en devenir conscient dans des expériences particulières. […] Tel est le sens de tout exercice spirituel, tel que je l’entends : s’ouvrir à une saisie de notre être essentiel à travers des expériences qui le manifestent » (cité par A. et R. Goettmann, op. cit., p. 47-48).
Il apparaît que pour A. et R. Goettmann (l’idée est omniprésente dans leur livre), comme pour Graf Dürkheim et pour le Bouddhisme, l’homme ne participe pas seulement, mais s’identifie au fond de lui-même, en son « être essentiel » à l’Être (c’est-à-dire à la Vie cosmique, au grand Tout pour les bouddhistes, à Dieu pour A. et R. Goettmann, qui l’appellent d’ailleurs aussi « la grande Force », « la grande Vie » [op. cit., p. 109-110] ou « l’Absolu »). Le principe de base du Bouddhisme, emprunté à l’Hindouisme, est exprimé par la célèbre formule des Upanishads : « ta tvam asi, toi aussi tu es Cela »
Cette participation/identité est cependant masquée à l’homme par différentes tensions de son corps et par les pensées de son âme, tensions et pensées qui sont la marque d’un centrage sur son ego, lequel n’est qu’un mirage psychologique résultant de l’ignorance.
Trouver au fond de soi « l’Être que l’on est » demande un effort minime. L’Être tend de lui-même à se manifester et à se répandre en nous. Il s’agit seulement de le lui permettre en s’ouvrant à lui, en s’y rendant pleinement disponible, et tout d’abord en prenant conscience de sa présence, en faisant attention à lui. Cela n’implique aucun effort de volonté de la part de l’homme, mais seulement la mise en œuvre d’une « attitude juste » (notion bouddhiste reprise par A. et R. Goettmann), corporelle et mentale, qui se réalise par un certain nombre de techniques somato-psychiques auxquelles A. et R. Goettmann donnent le nom de « méditation ». Cette dénomination peut paraître étrange ; elle est expliquée par eux comme venant du latin meditari = itari in medio = être conduit vers le centre (op. cit., p. 73), mais elle est aussi la traduction exacte de Ch’an, le mot chinois qui désigne le Bouddhisme Zen.
« L’attitude juste » consiste d’abord en des postures corporelles, enseignées par A. et R. Goettmann lors des stages qu’ils organisent, mais déjà décrites par eux, schémas à l’appui, dans leur livre p. 77-102. Parmi ces postures : le lotus (qu’A. et R. Goettmann considèrent comme « la découverte la plus géniale de l’humanité », op. cit., p. 79), le demi-lotus, la coupe, la posture de l’orant (posture traditionnelle au Japon). Ces postures sont exactement celles enseignées par Graf Dürkheim et par le Zazen (voir par exemple Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, Paris, 1983, p. 124-126).
« L’attitude juste » consiste ensuite à éviter tout ce qui peut faire obstacle à l’émergence et à la prise de conscience de l’Être.
Un premier obstacle est constitué par les mauvaises tensions, qui expriment un centrage de l’homme sur son ego, et qu’il faut donc éviter, car « elles empêchent la transformation de s’accomplir » (L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, p. 93-94) ; c’est un enseignement fondamental du Bouddhisme Zen (voir R. Linssen, Le Zen, Verviers, 1969, p. 106). Pour éliminer les tensions, il faut s’exercer à « la détente », au « lâcher prise » ou, comme dit encore le P. Goettmann, « se lâcher » (L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, p. 94-95) : on retrouve ici, bien que cela ne soit pas dit, la notion, fondamentale dans le Bouddhisme Zen, de sutemi (de sute : abandon, et mi : corps) [voir Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, p. 80-81, chapitre intitulé : « Lâcher prise »]. Cela déjà, selon A. et R. Goettmann, conduit l’homme à une transformation intérieure profonde et à une renaissance (L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, p. 95) qui « l’amènent à sa réalisation dernière par la manifestation de l’Être à travers toutes ses attitudes » (op. cit., p. 95-96). D’une manière générale, « le corps, écrivent A. et R. Goettmann, exprime toujours soit une manière juste d’être là, soit une manière fausse. Elle est fausse quand elle empêche, par toutes les tensions situées dans la partie supérieure du corps, le contact avec l’Être et la possibilité à celui-ci de se manifester ; elle est juste au contraire quand, par l’attitude précédemment décrite, elle permet le lâcher prise du moi dominateur et l’ouverture à la plénitude de l’être » (op. cit., p. 91, section intitulée : « Transparence pour le transcendant » ; voir aussi p. 94-95).
Un autre obstacle est constitué par les pensées (d’où l’attitude anti-intellectuelle et anti-rationnelle que développent A. et R. Goettmann dans leurs livres, dans la ligne du Bouddhisme) : il faut adopter au contraire une attitude « intuitive » ou « instinctive » (notions fondamentales du Bouddhisme [voir E. Conze, Le Bouddhisme, Paris, 1971, p. 94-95, 235 ; L. Benoist, L’ésotérisme, P.U.F., Paris, 1965, p. 78 ; Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, p. 107-109]), ouvrir grand ses sens sur tous les organes de son corps parcourus successivement, afin de bien sentir de l’intérieur la détente du corps en chacune de ses parties (L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, p. 97-102), puis finalement sur « le Hara, les entrailles, qui ouvrent l’accès à l’Être » (op. cit., p. 92, citation de Graf Dürkheim) ; le Hara, situé dans la région de l’abdomen, est en effet le lieu du corps où réside l’énergie, la Force de l’Être, et à partir duquel il se répand. Cet exercice produit selon A. et R. Goettmann — qui n’ont pas fini de s’enfoncer et d’enfoncer leurs lecteurs non avertis dans l’illusion spirituelle — une transformation de l’être humain et l’amène à la sensation du divin : «En fait, il s’agit simplement d’écouter son corps. Sentir et écouter sont ici synonymes. Par la simple écoute, le corps s’ouvre à des couches de plus en plus profondes et entre en paix. L’importance est l’écoute sans interférence mentale, sans rien vouloir objectiver. L’écoute libre et profonde donne au corps expansion et légèreté, son énergie se dilate et rayonne. Cette énergie est alors sentie et lorsque, tout au long de l’assise la sensation s’approfondit, elle entraîne une modification de la structure physique et des états d’âme. On expérimente comme une absence de frontières : la domination unilatérale du petit moi est exclue. C’est le seuil de notre être réel, la conscience pure et sans objet, présence à soi, présence à Dieu, mais sans aucune objectivation de l’un et de l’Autre : présence sentie, perception immédiate. Il n’y a plus la conscience d’être séparé de Dieu » (op. cit., p. 98). Ainsi, « la détente au sens initiatique ouvre les portes du mystère intérieur » (p. 104), et puisque « notre corps est le sanctuaire de la Présence divine » et que l’on peut dire que « nous sommes “chair de Sa chair et os de Ses os” [citation attribuée à Grégoire Palamas, donnée sans référence et bien évidemment hors contexte], […] nous pouvons Le “toucher” (Lc 24, 39) » (op. cit., p. 104). Ainsi s’il demeure dans la sensation de son corps pour l’approfondir, « le méditant entre peu à peu dans ce que Claudel appelle à la suite des Pères (de l’Église) la sensation du Divin » (op. cit., p. 105). Le P. Goettmann recourt alors à une conception typiquement bouddhiste, comparant « la sensation reliée à l’infini de notre conscience intérieure » et donc à Dieu, à « la vague reliée à l’immensité profonde de l’océan tout entier » (op. cit., p. 105).
Outre les exercices exposés précédemment visant à obtenir « la bonne tension », A. et R. Goettmann enseignent des exercices respiratoires. En effet, « l’attitude juste, la bonne tension et la respiration forment un tout, se provoquent mutuellement, s’interpénètrent dans une fusion grandissante qui engage toute la personnalité sur un autre plan » (op. cit., p. 96) ». A. et R. Goettmann veulent donner à croire que ces exercices respiratoires sont d’inspiration hésychaste ; en réalité, dans leur enseignement, ils sont quant à leur forme et quant à leur sens d’inspiration bouddhiste, la concentration sur les mouvement respiratoires étant, dans la pratique du bouddhisme Zen (voir Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, p. 63, 134-136) et de Graf Dürkheim (voir Hara, Paris, 1960) d’une importance essentielle. Quant au lien nécessaire, affirmé par A. et R. Goettmann, entre les postures et les exercices respiratoires, il est également un grand principe du Zazen : « Quand on fait Zazen, il faut se concentrer sur la posture et la respiration » (Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, p. 107). Le chapitre de leur livre L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation où A. et R. Goettmann exposent leur conception des exercices respiratoires s’intitule « Méditer dans le souffle de Dieu ». En effet, pour eux « ce n’est pas nous qui faisons la respiration, mais ça respire en nous » (p. 109), et « ça », c’est « cette grande Force qui nous habite », « la grande Vie », autrement dit Dieu (p. 109-110). « Dans la méditation, il s’agit d’en devenir conscient » et, « en épousant intérieurement ce mouvement de vie, de se laisser saisir par lui » (p. 109). On retrouve ici, on pouvait s’y attendre, la conception du Bouddhisme Zen (voir Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, p. 134). Ici aussi le « lâcher-prise » est un élément fondamental du « Chemin » (L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, p. 111) qui mène l’homme à la transformation de son être, à la renaissance et à la béatitude. Selon A. et R. Goettmann, en effet, « chacune de nos expirations, dans la mesure où nous nous y abandonnons, nous conduit aux sources cachées de notre être profond et là, nous recrée dans une nouvelle inspiration. Mort-renaissance, mouvement incessant qui nous fera entrer progressivement dans une plénitude indescriptible, et si nous y sommes fidèles, l’être essentiel nous envahira de sa présence » (op. cit., p. 109-110). A. et R. Goettmann multiplient les notations de cet ordre : ils affirment que « la respiration […] dévoile peu à peu […] dans un saisissement de bonheur grandissant, notre appartenance à la grande Vie » (op. cit., p. 110), que l’inspiration « n’est pas qu’un simple processus physique, mais une colonne de lumière, une espèce de liberté dans la plénitude » (ibid.), que la façon de respirer qu’ils préconisent provoque une nouvelle naissance : « on naît littéralement avec elle » (op. cit., p. 113) ; « la perception intérieure [de ma respiration] se fait communion, elle me transforme profondément » (ibid.). « Ici, écrivent A. et R. Goettmann, je peux sentir la force qui vient du fond de mon être et comprendre aussi à quel point jusqu’à présent j’était étranger à moi-même, à celui que je suis en réalité. À l’opacité succède la transparence, l’être essentiel s’éveille et devient la véritable source de mon épanouissement » (op. cit., p. 114-115). A. et R. Goettmann exposent alors (p. 116-127) les quatre moments de « la méditation », c’est-à-dire de leur technique psycho-somatique de respiration : « 1. se lâcher ; 2. se donner ; 3. s’abandonner, puis l’inspiration ; 4. renaître. Ce sont là quatre étapes du mouvement de la métamorphose, qui en fait sont bientôt vécues comme un seul et grand élan saisissant l’être entier, corps-âme-esprit, pour le libérer de tout ce qui empêche sa transparence et permettre l’avènement du Tout-Autre » (p. 115). A. et R. Goettmann assimilent de manière stupéfiante « le lâcher-prise » au dépouillement et à la pauvreté en esprit dont parle le Christ quand il dit : « Bienheureux les pauvres en esprit [Mt 5, 3]» [p. 117]), et affirment qu’au lâcher-prise « suit automatiquement », dans l’expiration, « un don de soi » (p. 119, 122), lequel est suivi par « l’abandon, sommet de la détente entre l’inspiration et l’expiration » (p. 122). C’est là le moment d’un expérience quasi-mystique : « on sort du temps et de l’espace. Tout ce qui peuple la conscience habituelle a disparu, je suis touché par ma dimension d’éternité… » (p. 122). « Dans la mesure où le mouvement du lâcher-prise s’amplifie, s’opère peu à peu un éveil à l’Être, puis son entrée progressive dans la conscience, la réalisation enfin d’une union avec Lui qui s’approfondit de degré en degré toute la vie durant. Tous les durcissements du moi existentiel sont dissous et refondus, un nouveau moi, une créature nouvelle (Ga 6, 15) peut éclore au contact de cette source de vie. L’unité originelle de l’Être se réalise, unité créatrice, libératrice, transformante, et cela toujours dans cette triple Présence, dont nous avons parlé dans les chapitres précédents : de Plénitude indescriptible renouvelle l’homme de l’intérieur, de Lumière qui donne sens et forme à tout, d’Énergie qui unifie au-delà de toute solitude. » (op. cit., p. 123). Le quatrième mouvement, de renaissance, correspond à l’inspiration où le méditant prend conscience que cette inspiration « vient de soi », c’est-à-dire, précisent A. et R. Goettmann, « de Soi », de « l’Atman des Upanishads, le Soi de toute réalité, de toute chose, de toute personne » (op. cit., p. 124-125 ; on aura noté qu’après l’exposé de la « Trinité » durkheimienne, nous nous retrouvons en pleine théologie hindouiste et bouddhiste). Alors s’opère, selon A. et R. Goettmann, la transformation que le « lâcher-prise » a permise : le « cœur de pierre » (Ez 36, 26) devient un « cœur de chair dont la caractéristique essentielle est une capacité croissante d’aimer. “À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13, 35). La renaissance dans l’amour est le signe qu’un Autre nous a touchés, mieux : investis et transformés. C’est une conversion toujours plus saisissante à mesure que l’expérience progresse, la réalisation d’une métanoïa (conversion) inscrite au creux de tout l’Évangile » (op. cit., p. 125-126). A-t-on retrouvé un langage chrétien ? Pas nécessairement : le bouddhisme Zen vise à retrouver l’harmonie du grand Tout sous-jacente aux apparences, cela se traduit sur le plan humain par une manifestation d’amour mutuel. « Notre vie, écrit T. Deshimaru, ne se limite pas à notre corps, elle est en perpétuel échange avec celle de l’univers. Comprendre cette interdépendance c’est la perception du ku, la pratique de ku, la plus haute vérité, l’amour universel » (Zen et arts martiaux, 129 ; voir aussi p.18).
La prise de conscience de l’Être en lui-même correspond pour l’homme, selon A. et R. Goettmann, à une illumination qu’ils assimilent à la vision de la Lumière divine décrite par saint Grégoire Palamas (L’Au-delà au fond de nous-même. Initiation à la méditation, p. 64-65). Pour eux cependant cette Lumière n’est pas la lumière du Christ : ils affirment que « la réalité de la Lumière [est] propre à toutes les religions » (p. 65). Elle est « le caractère visible de Dieu qui se communique à l’homme pour le mettre en mouvement vers sa propre déification. “Vous serez comme des dieux” dit l’Écriture » (p. 63). Cette dernière citation est inconsciemment bien choisie par nos auteurs : il s’agit de la parole du diable par laquelle il tente Adam et Ève et entraîne leur chute (Gn 3, 5) ! En croyant voir la Lumière divine à la suite de leurs exercices somato-psychiques (ils affirment le plus sérieusement du monde : « C’est ce à quoi prétend la méditation : “réussir l’homme vivant” et cela “jusqu’à voir Dieu”, op. cit., p. 72-73), A. et R. Goettmann sont évidemment sous l’emprise d’une illusion. D’autres passages montrent combien leur perspective est décentrée sous l’emprise du Bouddhisme : évoquant la liturgie de la nuit de Pâque, ils notent que « tous les chrétiens orthodoxes connaissent ce saisissement prodigieux de tout l’être qui les fait ruisseler de lumière et de joie au contact de leur vérité profonde » (op. cit., p. 70-71) : ils sont tellement préoccupés d’illustrer leur système de pensée qu’il ne leur viendrait pas à l’idée que la lumière de Pâque est celle du Christ ressuscité.


Remarques critiques.

La conception d’A. et de R. Goettmann se fonde, dans la ligne de celle de Graf Dürkheim et du Bouddhisme, sur une théologie impersonnelle. Dieu est parfois appelé « l’Absolu » (L’Au-delà au fond de nous-même. Initiation à la méditation, p. 66), mais presque toujours « l’Être », ce qui rapproche bizarrement la représentation d’A. et R. Goettmann de l’ontothéologie occidentale (fondée par le thomisme sur la base de la philosophie aristotélicienne) et contraste avec leur souci d’échapper aux concepts et à l’abstraction. A. et R. Goettmann prétentent rattacher leur appellation de Dieu à la révélation de l’Exode : « Je suis Celui qui est » ; mais le Verbe qui S’est alors révélé n’a pas dit : « Je suis Celui qui est », et encore moins : « Je suis l’Être », mais : «Je suis Celui qui suis » affirmant précisément Son existence personnelle et l’irréductibilité de celle-ci à un concept.
Les autres dénominations par lesquelles A. et R. Goettmann désignent Dieu correspondent à des attributs de la nature divine et non à des dénominations personnelles. Cela est caractéristique de la conception très particulière de la Trinité qu’ils exposent dans leur livre (p. 61-62 et 123) : « Toute réalité, tout ce qui vit est animé, pénétré, centré par la trinité de l’Être, et rien ne se comprend ni à l’homme ni à l’univers en dehors de ce grand dynamisme qui est la clé de tout : [1] La source qui donne la Vie : ce qui vit ne vit pas par soi-même, mais se reçoit de la Force et de la Plénitude de l’Être, qui veut se donner et se manifester dans l’existence. [2] La parole qui donne la Forme : ce qui vit tend à se réaliser profondément dans sa forme particulière, à devenir soi-même jusqu’à l’achèvement. C’est le sens de la vie, la Lumière, l’Être qui cherche à se manifester dans une image différenciée à travers chaque être. [3] Le souffle qui donne l’Harmonie et le Mouvement : il reconduit à nouveau tout ce qui vit, au-delà et à travers toute différenciation, vers la Totalité et l’Unité de l’Être à laquelle tout être participe. Énergie qui recrée l’unité en nous-même » (p. 61-62). Cette conception étrange et confuse, où les propriétés hypostatiques sont remplacées par des attributs de la nature divine communs aux trois personnes, et où l’on professe une conception métaphysique, dépersonnalisée de la Trinité, dont la Trinité chrétienne apparaît comme une illustration particulière, s’inspire de la conception de Graf Dürkheim qui affirme (Dialogue sur le chemin initiatique. Entretiens avec Alphonse Goettmann, p. 78) : « La plénitude est la vie universelle en tant que vie créatrice, le créateur, Celui qui engendre à la vie, et que la Bible appelle Père. La loi, c’est la Loi intérieure qui structure, ordonne, forme toutes choses et leur donne un sens, c’est le Verbe, le Christ. Le Verbe est le principe de toute formation, il donne forme à tout ce qui existe en tant que créature. Enfin l’Unité, qui s’exprime dans l’amour et réunit dans l’harmonie tout ce qui a été séparé, c’est le Saint-Esprit. » Avec cette précision (p. 79) : « Mais vous le savez sans doute, la Trinité n’est pas un privilège du christianisme. Il n’existe pas de religion sans Trinité. La Trinité chrétienne est la façon chrétienne de mettre en images la Trinité de l’Être : la Plénitude, la Loi et l’Unité, c’est-à-dire Père, Fils, Esprit. Dans le bouddhisme, on parle de Bouddha, Dharma, Samgha. Dans l’hindouisme, vous avez Brahma, Vishnou, Shiva. Dans le shintoïsme on a le sabre pour exprimer la force, le miroir pour la loi et cette fameuse chaîne, ce bijou qui avec la souplesse représente la douceur de l’amour. »
L’enseignement d’A. et R. Goettmann, dans le ligne du Bouddhisme et de Graf Dürkheim, recèle en outre une conception panthéiste. Non seulement Dieu est en tout, mais tout est Dieu. L’homme, dans le fond de son être, s’identifie à l’Être, autrement dit à Dieu ; s’il ne s’identifie pas à Lui, ce n’est qu’en vertu d’un manque de conscience, une illusion de son ego, ce qui est exactement la conception de l’Hindouisme reprise par le Bouddhisme. Ainsi lorsque la « méditation » atteint son but, l’homme se trouve, selon A. et R. Goettmann, dans « un état dans lequel l’opposition sujet-objet [c’est-à-dire l’homme et Dieu]se dissout » (L’Au-delà au fond de nous-même. Initiation à la méditation, p. 74). L’homme se retrouve ainsi dans l’indistinction de l’Être, du grand Tout, de la Vie universelle. Ailleurs (p. 124-125), A. et R. Goettmann n’hésitent pas à identifier le soi de l’homme (qui en principe exprime son identité personnelle) au Soi divin auquel toutes choses, selon l’Hindouisme et le Bouddhisme, s’identifient dans l’indistinction.

Dans la spiritualité qu’ils nous exposent, A. et R. Goettmann ne témoignent d’aucune relation avec Dieu en tant que personne, mais seulement avec des réalités naturelles confondues avec des réalités surnaturelles et avec Dieu.
Dans l’exposé de leur doctrine spirituelle, ils ne manquent pas de faire appel à des citations des Pères pour donner à croire que leur conception non seulement s’accorde avec la leur, mais s’identifie à elle. Mais on voit bien comment elles en sont en vérité un substitut naturaliste et psychologisant.
Dans l’exposé d’A. et R. Goettmann, jamais n’apparaît la notion de péché, ni celle de pénitence (la notion de métanoïa est utilisée p. 125-126, mais sans aucune connotation pénitentielle), ni celle de pardon divin. Pour A. et R. Goettmann, pas de faute, mais seulement, comme pour les hindouistes et les bouddhistes, de l’ignorance ou de l’illusion. Pas de rachat par le Christ, pas de grâce du salut, mais une capacité naturelle pour tout homme de sortir de l’illusion et d’accéder à l’illumination par ses propres moyens en appliquant les techniques de la « méditation ».
Alors que pour les Pères il s’agit de combattre et d’éliminer les passions du corps et les passions de l’âme, par la pénitence et la pratique des commandements divins, pour A. et R. Goettmann il s’agit d’éliminer des tensions corporelles et psychiques par des exercices somato-psychiques. « L’attitude juste » ne se définit pas par rapport à celle dont le Christ nous a montré l’exemple en Lui-même et qu’Il nous demande d’adopter dans Ses divins commandements, et ce n’est pas l’attitude que les Pères recommandent d’accueillir dans les vertus, mais, selon le A. et R. Goettmann, une attitude psychique et corporelle, indépendante de toute connotation morale et spirituelle, consistant dans « la bonne tension » : « On n’entre dans l’attitude juste que par une bonne tension de toute la personne à travers le corps qu’on est » (op. cit., p. 93). Il ne s’agit pas, comme le recommandent les Pères, de combattre l’égoïsme (la philautie, mère de toutes les passions), mais selon A. et R. Goettmann, l’ego (c’est-à-dire, selon le Bouddhisme, l’individualité qui est illusoire et fait obstacle à la prise de conscience que l’on est le grand Tout).
A. et R. Goettmann qui pensent à juste titre qu’on peut leur reprocher leur conception technique de la vie spirituelle, affirment que l’effort de l’homme n’y est pour rien et que c’est la grâce qui opère tout en lui: « la grâce n’est jamais au bout de nos efforts : l’homme ne peut que s’y disposer, s’y ouvrir, s’y disposer en devenant tout accueil » (op. cit., p. 49) ; mais cette affirmation ne suffit pas à rendre la conception d’A. et R. Goettmann plus chrétienne et moins bouddhiste, puisqu’un principe fondamental du Bouddhisme Zen est que l’Être présent en nous tend spontanément à s’y manifester, et qu’il suffit de s’ouvrir à lui pour qu’il opère tout en nous (voir L. Benoist, L’ésotérisme, p. 79), qu’il s’agit seulement de « laisser œuvrer en nous la Réalité profonde de notre être véritable » (R. Linssen, Le Zen, p. 110), ou encore que « l’énergie cosmique infinie dirige notre propre énergie » (Taisen Deshimaru, Zen et arts martiaux, p. 84 ; cf. p. 129). A. et R. Goettmann expliquent ainsi « le centre [de l’homme, l’Être], n’est pas quelque chose vers quoi l’homme se concentre, mais quelque chose qui concentre l’homme, en le rassemblant de l’intérieur et vers l’intérieur. Ce centre est l’être essentiel, le noyau transcendant de celui qui médite» (L’Au-delà au fond de nous-même. Initiation à la méditation, p. 73-74).
La référence d’A. et R. Goettmann à la grâce citée précédemment est en fait exceptionnelle. Ils ne distinguent habituellement pas Dieu et sa grâce. La façon dont ils s’expriment couramment semble indiquer que pour eux, comme pour l’Hindouisme et le Bouddhisme pour lesquels tout est Dieu, l’homme a accès au fond de lui-même directement à Dieu, à son essence.
Les Pères admettent certes que l’homme puisse trouver la grâce au fond lui-même, et donc Dieu (puisque la grâce est Dieu ; mais elle est Son énergie, et pas Son essence). Mais l’homme ne peut posséder cette grâce que dans l’Église, en l’ayant reçue par le baptême et la communion. Mais pour A. et R. Goettmann, cette grâce est possédée par tout homme, baptisé ou non, et même croyant ou non, ce qui est une hérésie : la grâce, affirment-ils « correspond chez le chrétien aux sacrements de l’initiation, et chez les non-chrétiens à d’autres dons du Saint-Esprit, car “Dieu ne fait pas acception des personnes” (Mt 18, 14)» (op. cit., p. 49).
Pour les Pères l’homme ne peut s’assimiler cette grâce et être effectivement transformé par elle que dans l’ascèse, qui est elle-même une synergie entre l’effort de l’homme et la grâce de Dieu. Ce n’est qu’à la suite d’une longue et pénible ascèse où il est progressivement purifié de ses passions et acquiert les vertus qui le rendent semblable à Dieu, que le chrétien peut, s’il en est jugé digne, avoir la sensation de Dieu, et même voir Dieu dans la Lumière, ce qui n’est le fait que de quelques saints. Pour A. et R. Goettmann, l’homme reçoit cette grâce (généralement identifiée à Dieu même) à la suite de l’application de techniques qui lui permettent de prendre conscience de sa présence et de s’ouvrir à elle, ce qui suffit à le transformer et à lui donner la sensation du divin. Une telle expérience est non seulement accessible à tous, mais peut être faite très rapidement (ce qu’enseigne le Bouddhisme [voir E. Conze, Le Bouddhisme, p. 236] notamment à propos du Satori ou illumination).
A. et R. Goettmann confondent d’une manière générale des états spirituels très élevés avec des états somatiques et psychiques somme toute très banals et faciles à atteindre avec un peu d’exercice, et qui sont, d’un point de vue authentiquement spirituel, non seulement sans aucune valeur mais même sans aucun intérêt.
A. et R. Goettmann citent parfois les Pères et utilisent leur vocabulaire à l’appui de leurs conceptions, mais sans avoir la moindre idée de ce qu’il désigne. Ainsi, par exemple, après avoir cité comme référence « les techniques de détente » de Berthold Stovkis, du Dr Vittoz et de Gerda Alexander, ils écrivent de manière stupéfiante : « Résurgence scientifique de vieilles mais formidables intuitions des Pères du désert, qui sont arrivés par le silence de l’âme et du corps à cette “inviolable tranquillité du cœur” et à “une souveraine liberté” (Jean Cassien) » (L’Au-delà au fond de nous-mêmes. Initiation à la méditation, p. 97), assimilant l’état naturel et psychique, très ordinaire, de détente, aux états spirituels très élevés de paix et à d’hésychia résultant de la très difficile et très rare victoire complète sur les passions (apatheia).
Lorsque A. et R. Goettmann écrivent : « Par la simple écoute, le corps s’ouvre à des couches de plus en plus profondes et entre en paix. L’importance est l’écoute sans interférence mentale, sans rien vouloir objectiver. L’écoute libre et profonde donne au corps expansion et légèreté, son énergie se dilate et rayonne. Cette énergie est alors sentie et lorsque, tout au long de l’assise la sensation s’approfondit, elle entraîne une modification de la structure physique et des états d’âme. On expérimente comme une absence de frontières : la domination unilatérale du petit moi est exclue. C’est le seuil de notre être réel, la conscience pure et sans objet, présence à soi, présence à Dieu, mais sans aucune objectivation de l’un et de l’Autre : présence sentie, perception immédiate. Il n’y a plus la conscience d’être séparé de Dieu » (op. cit., p.98), on voit qu’ils confondent la profondeur du corps et de l’âme avec « la hauteur et la profondeur de Dieu », la détente du corps et du psychisme avec la paix spirituelle, la modification de l’état du corps et de l’âme avec une transformation spirituelle, l’accès à un état psycho-somatique inédit avec la naissance de l’homme nouveau dont parle saint Paul, l’indéfini où les plonge l’absence de pensée avec l’Infinité de Dieu, les énergies naturelles du corps et de l’âme avec les énergies divines incréées, la présence à soi dans la sensation du corps avec la présence et la sensation de Dieu. Lorsque A. et R. Goettmann écrivent que, s’il demeure dans la sensation de son corps pour l’approfondir, « le méditant entre peu à peu dans ce que Claudel appelle à la suite des Pères (de l’Église) la sensation du Divin » (op. cit., p. 105), on voit clairement qu’ils confondent non seulement Claudel et les Pères de l’Église (dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont pas grand chose en commun), mais la sensation de son propre corps et la sensation de Dieu.
Dans le livre d’A. et R. Goettmann, l’Écriture et les Pères sont cités par petits bouts, hors contexte, et dans un sens qui est le plus souvent très loin de leur sens originel (on en a eu un aperçu déjà dans les passages que nous avons cités) : A. et R. Goettmann les manipulent à leur gré pour donner à leurs théories une apparence chrétienne et une couverture orthodoxe. D’une manière générale, les termes du vocabulaire de la spiritualité orthodoxes utilisés çà et là par A. et R. Goettmann (comme métanoïa, purification, renaissance, paix, hésychia, Lumière, énergie, déification…), sont galvaudés, ravalés à un sens psychologique ou utilisés à désigner des réalités sans rapport avec leur réalité véritable. A. et R. Goettmann confondent en permanence le naturel avec le surnaturel, le somatique et le psychique avec le spirituel, le produit des techniques somatiques avec les fruits de la grâce, confusions qui s’accordent peut être avec le principe bouddhiste que tout est Dieu, mais qui sont, d’un point de vue orthodoxe, l’expression d’une grave et dangereuse illusion spirituelle. On est inquiet pour le Père Goettmann et son épouse, pour les membres de sa communauté, et plus encore pour les stagiaires naïfs et de bonne volonté qui reçoivent de tels enseignements et à qui on les présente comme orthodoxes.
Les derniers chapitres du livre ont une teneur plus chrétienne en apparence. Mais A. et R. Goettmann continuent à utiliser les Écritures et le vocabulaire chrétien pour illustrer et justifier les théories et les pratiques qu’ils ont exposées auparavant. Quand on voit un chapitre intitulé « Marie archétype de la méditation » (p. 159-164) et que l’on sait ce que les auteurs mettent sous ce dernier terme, on se demande si l’on doit rire ou pleurer en imaginant la Mère de Dieu en position de lotus s’appliquant aux exercices repiratoires Zen enseignés par les Goettmann.
On comprend mal que le Père Placide Deseille, moine du Mont-Athos et professeur de patristique à l’Institut Saint-Serge, ait accepté de préfacer, et donc de cautionner de son autorité, un livre où sont diffusés de tels enseignements en complet décalage avec la foi et la spiritualité orthodoxes et avec la Tradition patristique. Partage-t-il les idées exposées dans ce livre, ou lui a-t-on fait prendre des vessies pour des lanternes ?

Écrit le 20 décembre 1999,
en la fête de saint Ambroise de Milan.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Je fais volontairement remonter ce fil pour répondre à la demande d'information qu'Irène Monique Dupuy a exprimée à l'égard de l'Eglise copte française.
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

J'ai à peine jeté un coup d'oeil sur l'article de Jean-Claude Larchet et
j'y ai trouvé le nom de Goettmann (Alphonse); je suis alors vite allé
sur le site orthodoxe de "La Transfiguration" pour voir si l'on parle
bien du même zigue, et il s'agit bien de lui.

Il y a pas mal de bons textes sur ce site, et je ne sais plus trop quoi penser
à présent! quels sont vos avis?
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Je fais remonter ce fil pour répondre à la demande de Youen Le Bihan.
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