communion fréquente

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Antoine
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Message par Antoine »

En tout cas pour ma part je retiens moi aussi que cette obsession de la communion fréquente, voire quotidienne, soit la marque d'un piétisme qui n'est plus dans la Tradition.
Oui. Formulé de cette façon le débat s'universalise mieux que par des craintes qui touchent le particulier de tel ou tel prochain.
Symptomatique de ce piétisme: Thérèse (je ne sais plus laquelle des deux, Lisieux ou d'Avila) suppliait qu'on lui donnât une grande hostie comme celle du prêtre, plutôt qu'une petite ou une parcelle.

Est-ce que historiquement l'institution de la messe basse journalière date du concile de Trente?
hilaire
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Message par hilaire »

n'empêche que plus haut dans le fil il a été mentionné tous les écrits des Pères qui semblaient plutôt favorable à la communion fréquente, comment expliquer cette évolution de comportement ?

pour ce qui est de votre Thérèse et de sa taille d'hostie elle peut être de Liseux, d'Avilla ou d'ailleurs, ça ressemble plus à un caprice d'enfant gâté qu'à autre chose.
hilaire
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Message par hilaire »

pour la messe basse, j'ai trouvé un texte qui laisse entendre qu'elle se faisait déjà au VIIIè siècle...

je vous livre l'ensemble du texte qui apporte des éclairages intéressants sur plusieurs aspects liturgiques occidentaux que l'on retrouve pour certains dans le rite des Gaules en usage à l'ECOF, laquelle église prône la communion fréquente, voire journalière pour ceux qui le peuvent matériellement.

pour avoir le texte complet:
http://www.eleves.ens.fr/home/mlnguyen/ ... erel1.html

La vie religieuse du VIIe s. au milieu du XIe s.

Le culte public et la piété
Entre Grégoire le Grand et Innocent III, la piété se manifeste principalement par les offices liturgiques, dont la messe est le plus important. Au début du VIIe s., dans toutes les régions, il existe une liturgie eucharistique simple comprenant tous les éléments principaux de la messe occidentale. Le développement progressif du rite et la multiplication des prières et préfaces (V–VIIIe s.) donnent lieu aux sacramentaires léonin, gélasien et grégorien. Le lectionnaire des épîtres et des Évangiles est formé dès 750. Le canon, lui, subit quelques petites adjonctions. Le Kyrie Eleison, la fraction de l'hostie et l'Agnus Dei sont apportés par Serge Ier au VIIe s, sur le modèle oriental. La messe basse devient commune au VIIe s. Le début du VIIIe s. voit l'emploi d'hosties rondes et blanches, faites de pain sans levain, avec une communion dans la bouche.

Charlemagne demande à Adrien Ier un sacrementaire de l'Église romaine, la liturgie romaine de répand dans tout l'Empire. La Gaule connaît une évolution particulière : allongement et dramatisation de la liturgie, multiplication des encensements, des prières supplémentaires... On ajoute le Confiteor venu des pénitentiels celtes et des psaumes : le Judica me Deus liminaire, le Lavabo du lavement de mains, le Dirigator pour la fumigation de l'autel. Plus tardivement sont adjointes la petite élévation de l'hostie consacrée, l'ablution finale, le prologue de S. Jean final, la multiplication des signes de croix, le baisement de l'autel et les génuflexions.

Jusqu'à la fin du IXe s., les textes sont divisés en trois livres : le sacramentaire (le canon et l'ordinaire), le lectionnaire (leçons, épîtres et Évangiles) et l'antiphonaire (introït et autres parties chantées). Ces trois parties fusionnent ensuite dans le missel. Les vêtements deviennent conventionnels et les cinq couleurs liturgiques se mettent en place sous Innocent III : blanc (fêtes en général, vierges, abbés et confesseurs), vert (après la Pentecôte et l'Épiphanie), violet (Carême et Avent), rouge (Pentecôte et martyrs), noir (défunts).

La liturgie de la semaine sainte se développe. La procession des Rameaux est ancienne, mais la bénédiction du feuillage est plus récente. Vers l'an mille, on commence à chanter la Passion. Le triduum du Jeudi saint au Samedi saint est très ancien, mais l'apparition de l'adoration de la Croix le Vendredi saint apparaît au VIIe s., en même temps que l'enlèvement solennel et l'adoration de l'hostie le Jeudi saint. Au VIIIe s. apparaissent la bénédiction du feu nouveau et du cierge pascal à la vigile de Pâques.

Les heures monastiques se développent : d'abord vêpres, puis l'office de vigile et matines (les laudes actuelles), puis les petites heures et à la fin du Ve s., prime et complies. Au V et au VIe s. se constituent les collections de sacramentaires et de lectionnaires romains. Au VIIe s. apparaissent les antiennes et répons du temporal. Les hymnes sont introduites dans la pratique culturelle par S. Ambroise de Milan, d'abord sous une forme extra-liturgique. Les hymnes sont d'abord rédigées en vers iambiques, puis les autres vers sont utilisés : le Pange lingua de Venance Fortunat et l'Ut queant laxis de Paul Diacre sont rédigés en vers saphiques.

La règle de S. Benoît prescrit la communion fréquente. À l'époque carolingienne, Théodulf d'Orléans prescrit la communion quotidienne. Mais à Cîteaux, les moines qui n'étaient pas prêtres ne communiaient qu'une fois par semaine. Pour les laïcs, Bède le Vénérable rapporte que les laïcs romains recevaient quotidiennement la communion. En 813, le concile de Tours fixe le nombre de communions annuelles à 3 (Noël, Pâques et Pentecôte). Latran IV est plus ou moins une régression... Malgré cela, Pierre Damien et Grégoire VII (Lettre à la princesse Mathilde) préconisent la communion fréquente, S. Thomas d'Aquin, S. Bonaventure et Albert le Grand conseilleront la communion fréquente. Pourtant, au XIVe et au XVe s., la communion sera plutôt rare.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

C'est une excellente liste des écarts que connut très tôt l'Église occidentale par rapport à sa tradition antérieurement orthodoxe. Cela ne constitue en rien des références respectables, des précédents pour un occidental qui aujourd'hui veut retrouver la Tradition orthodoxe, même si certains de ces éléments occidentaux sont venus indûment interférer sur l'Église orthodoxe (par exemple la liturgie quotidienne).
Jean-Louis Palierne
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Jean-Serge
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Message par Jean-Serge »

Je veux bien et je suis moi-même sceptique face à la communion quotidienne, mais en relisant ce fil, j'ai vu Saint Basile mentionner une communion samedi, dimanche, vendredi et mercredi... Saint Basile n'était tout de même pas un occidental!

Sur quelles arguments fonder la communion hebdomadaire. Peut-on faire un lien entre la communion et la résurrection, ce qui ferait du dimanche le jour quasi obligé de la communion?
Priidite, poklonimsja i pripadem ko Hristu.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Qui a voulu faire du dimanche le jour obligé de la communion ? Nous savons tous bien qu'il y dans le calendrier liturgique un certain nombre de grandes fêtes, de commémorations des saints locaux et autres circonstances qui ne tombent généralement pas un dimanche, et on y célèbre la liturgie, et donc on peut y communier. Ce qui est hautement discutable c'est d'envier à l'Église catholique (de grand-père) la célébration quotidienne, et d'y voir un signe de ferveur spirituelle. Le Typikon et les textes liturgiques n'envisagent rien de tel. Et l'expérience d'un très grand nombre de chrétiens orthodoxes est qu'on peut être amenés à éprouver le besoin spirituel de ne pas communier trop souvent, et aussi de ne pas prier qu'à l'église.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Et l'expérience d'un très grand nombre de chrétiens orthodoxes est qu'on peut être amenés à éprouver le besoin spirituel de ne pas communier trop souvent
Oui, voilà, c'est ce terrain du besoin spirituel qu'il faut respecter sans chercher à légiférer la relation que chacun a au corps et sang du Christ. Les besoins sont différents d'une personne à l'autre et l'Eglise offre toute réponse. Il n'y a pas de "il faut".
"Faites cela en mémoire de moi " n'a pas été quantifié. La gestion en est confiée à l'Eglise.

et aussi de ne pas prier qu'à l'église.
Et surtout de ne pas prier qu'à l'église.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

J’aimerais revenir sur le document cité par Hilaire. Il s’agit de fiches mises sur Internet à l’usage des professeurs d’histoire, d’une vulgarisation de travaux universitaires d’ailleurs assez bien ficelée mais forcément, survoler en 6 pages la période qui va de Grégoire le Grand à Anselme, soit 5 siècles, oblige à ne baliser que les très grandes avenues, sans rentrer dans les détails ou la fine pointe des débats d’époque.
Le parti pris de l’auteur, s’intéresser en priorité à l’occident et très peu souligner les convergences et divergences avec l’orient, est certes valide sur le plan universitaire mais fausse le jeu quand il s’agit de chercher dans l’histoire de l’Eglise la source de pratiques ou de mentalités actuelles, le constat de fruits spirituels, l’enseignement des saints et les théologoumènes proposés au cours des siècles. Et la focalisation sur une période, démarche là encore très universitaire, amène à des omissions parfois gênantes. L’allusion à la « messe basse » du VIIe siècle par exemple : c’est oublier que le chant liturgique est un apport encore récent, introduit par saint Ambroise dans les usages milanais et généralisé en occident assez lentement, avec une préférence pour la récitation soutenue plutôt que pour le chant. Le grand chant orné se développe dans les cathédrales où existe un clergé suffisant et des chantres formés mais sûrement pas dans les paroisses rurales.
Pour baliser à mon tour de très grandes avenues de l’histoire :
La communion allait de soi avec l’assistance à la liturgie dans les premiers siècles, temps de persécution, temps de croissance de l’Eglise. La question de sa fréquence est relativement tardive, elle s’est posée dans l’empire christianisé quand une forme d’ascèse fut de demander le statut de pénitent sans y être obligé par les canons, ce qui signifiait ré-endosser le statut de catéchumène et s’abstenir de la communion et même de l’assistance aux Saints Mystères pendant parfois des années. Depuis, la pratique n’a cessé d’osciller, par périodes, entre deux extrêmes, le besoin d’être nourri et vivifié du corps et du sang du Christ poussant à la communion fréquente, et le sentiment d’indignité en faisant un événement rare. Les deux mouvements existent dans la Tradition et alternent localement. Et chaque fois qu’on a voulu localement réglementer dans un sens ou dans l’autre, il y eut un saint pour proposer autre chose que le règlement ; je ne peux pas ici parler de canons : le canûn sumérien, le kanon grec, c’est la règle dans le sens de mesure de l’architecte, pour tracer droit et construire harmonieusement, le développement de la métaphore de l’apôtre Paul (tout est permis, mais tout n’édifie pas), et ici la mesure ne peut être que personnelle. L’Eglise en elle-même est communion : union avec – avec la Sainte Trinité, vu du côté humain ; avec l’humanité, vu du côté divin. Mais le sentiment d’indignité ou la mesure du besoin de nourriture ne peuvent être que personnels et même variables dans le temps.
Que signifie ici ce terme de piétisme qu’emploie Jean Louis Palierne ? Il y a des moments où je ne vous comprends pas, Jean-Louis. J’ai lu votre bouquin sur la nécessité d’une Eglise locale, vous y râlez à longueur de page contre les répétitions de chorale et ici, dans je ne sais plus quel fil du forum, vous vous plaignez de la piètre qualité des chantres de paroisse. Dites moi comment ils peuvent se perfectionner sans répéter ! Toujours dans le bouquin, vous plaidez pour une grande liberté personnelle de la prière et du comportement durant la liturgie (dans les limites évidentes du respect des Mystères) mais si cette liberté spirituelle mène au besoin de communion fréquente, comme il s’exprime sur le forum, cela devient du piétisme. J’aimerais que vous explicitiez ce que vous entendez par là car cela reste une inquiétude très vague.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Je crois qu’il convient de regretter l’oubli dans lequel les modernistes tiennent les canons. Il s’agit de l’une des formes de la Révélation, non inscrite dans le Nouveau Testament, mais remise par les Apôtres selon l’enseignement que leur avait donné le Seigneur durant la période qui s’écoule entre sa Résurrection et sa glorieuse Ascension. Ce fut, si j’ose dire, un stage liturgique et canonique, où leur fut remis ce que l’on appelle maintenant la Tradition non-écrite; ou orale de l’Église. Le mot “canon” en grec ancien servait à désigner la règle de bois dont se servait le tailleur de pierre pour donner à ses pierres la forme qui leur permettrait de s’intégrer dans le bâtiment. En réutilisant ce mot, pour désigner les règles qui sont imposées à notre comportement, les Apôtres et leurs successeurs les évêques nous montrent comment nous devons tailler notre cœur pour qu’il puisse vivre de la vie de l’Église.

Dans un texte très ancien (que saint Athanase considérait comme un complément indispensable des Écritures inspirées, destiné particulièrement à l’enseignement des catéchumènes), le Pasteur d’Hermas, nous voyons le maître de la construction d’une tour examiner chaque pierre destinée à la construction. Il rejette les pierres pourries, sales, noires ou fendillées, mais également celles qui avaient été taillées en forme de boules (la sphère était pour les philosophes de l’Antiquité le symbole parfait de la perfection autosuffisante). Ces pierres ne peuvent en effet entrer dans la construction à côté des pierres correctement taillées au carré dans du tuf de bonne qualité. Ce sont ces dernières qui peuvent devenir parties prenantes de la tour qui est l’Église. De ces pierres on peut donc dire qu’elles ont été taillées grâce au canon du tailleur de pierre.

Les canons, entre beaucoup d’autres choses, décrivent ce qu’est [/i][/b]la fonction thérapeutique de l’Église.[/i][/b]

C’est à l’évêque qu’il revient d’exercer le ministère thérapeutique de l’Église. Il peut en effet se produire que dans l’assemblée qu’il préside un fidèle soit convaincu d’avoir commis un acte indigne d’un chrétien. Pour soigner le mal que cette faute a fait, tant à la communauté qu’au coupable lui-même, l’évêque doit l’écarter de la communion eucharistique ou bien, s’il s’agit d’un clerc, le déposer de sa dignité. Les canons indiquent à maintes reprises de véritables tarifs de sanctions correspondant aux divers types de fautes.

Voilà bien l’un des aspects les plus étonnants et les plus révélateurs de la nature profonde de l’Église : ignorant toute forme de châtiments corporels, elle ne connaît qu’une seule sorte de sanctions à l’égard des fidèles coupables d’une faute, c’est de les écarter de cérémonies de prière auxquelles justement un impie pourrait prétendre n’attacher aucune importance. Où peut alors se trouver la sanc-tion de la faute ? Dans notre monde moderne, sécularisé, orienté vers le seul désir de l’épanouissement personnel, cette méthode thérapeutique peut passer pour absurde. Et cependant la très longue expérience de l’Église montre qu’elle détient là la meilleure des thérapies de l’âme, capable d’amener les pécheurs les plus endurcis à s’amender.

Dans le monde occidental le terme “excommunication” reçoit en général la signification d’une rupture, d’un rejet définitif et brutal, capable de faire trembler même les souverains temporels. Il y a là erreur de terminologie, ou plutôt de traduction. C’est le prononcé d’un anathème qui représente l’issue la plus dramatique, le rejet irréversible par l’Église. Ce n’est pas le cas de la peine d’excommunication : l’Église orthodoxe y voit à l’opposé l’exigence toujours réalisable d’un processus de guérison. Tout chrétien écarté de la communion de l’Église ressent l’impérieuse nécessité d’y faire retour et de tout faire pour mériter sa réadmission à la communion.

Aux fidèles soumis à la pénitence, il est alors proposé [/i][/b]une série d’étapes[/i][/b], leur imposant pour commencer de se tenir prosternés, pour une durée fixée, à la porte de l’Église parmi ceux qui implorent les fidèles venant y prier pour le salut de leur âme. Ils sont alors admis, toujours pour une durée fixée, parmi les pleurants dans le vestibule intérieur de l’édifice (narthex), où il leur est permis de faire preuve de leur repentir par leurs larmes ; puis ils sont autorisés à entendre parmi les suppliants avec les catéchumènes (mais les pénitents restent toujours proster-nés, cependant que les catéchumènes se tiennent debout) la première partie des cérémonies, c’est-à-dire la Liturgie des catéchumènes, écoutant le chant des Psaumes et les lectures de l’Épître et de l’Évangile ; ils sont renvoyés hors de l’Église après que l’évêque les ait touchés de la main (c’est donc une chirothésie, et c’est l’origine de la pratique du rite de la réconciliation des pécheurs, dit à tort “absolution”). Le jour vient où, en les touchant de la main l’évêque les autorise à assister en silence en tant [/i][/b]qu’auditeurs[/i][/b] également à la suite de la “prière”, entendez la prière eucharistique, c’est-à-dire l’Offrande et la Communion, mais sans y prendre part personnellement (c’est-à-dire qu’ils ne peuvent recevoir les saints Dons). Au bout d’un certain temps arrive le terme de tout ce cycle de pénitence, c’est-à-dire qu’en les touchant de la main l’évêque les restaure comme fidèles, membres à part entière de l’assemblée eucharistique et ils peuvent alors prendre part à “l’offrande”, ce qui implique aussi qu’ils reçoivent la communion aux dons offerts.

On remarquera que la signification exclusivement pénitencielle de la prosternation dans l’église exclut que les fidèles admis à l’Offrande eucharistique puis-sent adopter cette attitude durant la Liturgie.
La sanction de l’anathème ne concerne que ces quelques hommes qui ont refusé avec obstination tous les efforts répétés qu’a pu déployer l’Église par la voix de ses évêques et de ses conciles pour les amener au repentir, ce qui veut dire que l’Église, ne pouvant plus rien pour le salut de leurs âmes, ayant épuisé toute la gamme de ses objurgations, les remet à la justice divine (c’est le sens en grec du mot “anathème” : remise). Agissant éventuellement ainsi, l’Église est encore mue par un souci thérapeutique, mais cette fois il s’agit d’une thérapeutique qui ne vise plus qu’à préserver le troupeau des fidèles, qu’elle doit garder à l’abri de toute contamination.

On peut lire dans les canons de saint Grégoire de Nysse le long développement qu’il consacre au caractère thérapeutique des sanctions de l’Église. Il est repris et résumé d’une manière très concise par le canon 102 du Quinisexte Concile œcuménique :
Ceux qui ont reçu de Dieu le pouvoir de lier et de délier doivent exa-miner la qualité du péché et la promptitude que met le pécheur à se convertir lui-même. et c’est alors seulement qu’il faut ordonner le remède approprié, de peur que si l’on manquait de mesure dans un sens ou dans l’autre, il ne procure point au malade le retour à la santé. La nature même du péché en effet n’est pas une nature simple, elle est complexe et variée, se développe à partir des nombreuses ramifications du mal, et c’est grâce à ces multiples branches que le mal s’étend et se propage, jusqu’au moment où le médecin parvient à l’arrêter.
On trouvera dans les canons une énumération souvent reprise des diverses catégories de péchés possibles, et de la longueur des temps de pénitence qui doivent y correspondre. Seules y sont envisagées des fautes objectives et publiquement évidentes. Il n’est nulle part question d’examen obligatoire, et l’hypothèse d’un éventuel aveu spontané n’est envisagée que pour fournir matière à circonstances atténuant la sanction. Si quelqu’un n’a pas avoué et n’a pas pu être convaincu d’avoir fauté, il faut lui en laisser la responsabilité.

La thérapeutique qui nous est proposée n’est fondée ni sur l’obligation de l’aveu ni sur la pratique de l’introspection. Elle ignore la fonction du “gourou”. Elle connaît par contre la valeur de l’aveu spontané, des larmes de repentir, de l’assiduité dans les prières et l’évêque doit veiller à ce que le repentir soit sincère et qu’il soit prouvé dans la conduite concrète du pénitent. L’Église sait bien qu’il ne faut condamner un homme qu’après un examen précis de la faute qui lui est reprochée, et éventuellement elle lui demande de présenter sa défense. Elle n’ignore ni les droits de la défense, ni l’oralité des débats, ni la procédure d’appel (pouvant monter éventuellement jusque devant un synode d’évêques). Mais la seule thérapeutique, et donc la seule sanction, que connaisse l’Église est d’écarter le fautif pour un temps de l’Assemblée eucharistique.

Toute cette action thérapeutique de l’Église est fondée sur le charisme de discernement de l’évêque et de lui seul, car c’est lui qui détient ce « pouvoir de lier et de délier » et c’est même parfois l’unique caractéristique sous laquelle le désignent les canons : « Celui qui a le pouvoir de lier et de délier ». C’est donc à lui qu’il revient de fixer les différentes durées des étapes de la pénitence, après avoir examiné le comportement des pénitents ; mais il peut déléguer à un prêtre le soin d’accomplir la tâche de la chirothésie, c’est-à-dire de toucher de la main, ce qui pourra éventuellement marquer sa réconciliation avec l’Assemblée eucharistique. L’évêque peut toujours discerner que le comportement du pénitent l’amène à allé-ger, c’est-à-dire à abréger la sanction prévue par les canons, dont l’aspect “tarifaire” doit être compris plutôt dans le sens d’une “enveloppe maximale”.

Voici les principes que pose le canon 43 du Concile de Carthage :
Il faut fixer aux pénitents, d’après le jugement que porte l’évêque se-lon les divers péchés, des durées de pénitence.

Le prêtre ne doit point réconcilier un pénitent sans l’avis de l’évêque, sauf dans le cas où la nécessité l’y contraindrait en l’absence de l’évêque.
C’est devant le sanctuaire de l’Église que l’on imposera la main à tout pénitent dont la faute est publique et connue de tous, au point de trou-bler l’ensemble de l’Église,
Un problème s’est plusieurs fois posé, lorsque la coutume locale évaluait différemment selon les lieux le poids de certaines fautes précises (c’est-à-dire qu’on leur assignait des sanctions plus ou moins lourdes). La manière dont les conciles locaux et les Pères (en particulier saint Basile, dont l’autorité a été considérable dans le domaine canonique) en ont traité est particulièrement instructive, car elle permet de comprendre le profond rapport qui unit ces règles avec la tradition du “dogme” (c’est-à-dire, je le répète, la Tradition orale de l’Église). Voici comment le canon 102 du Quinisexte Concile que j’évoquais plus haut, après avoir parlé du rôle thérapeutique du discernement de l’évêque pour fixer les sanctions, évoque, en citant saint Basile (c’est son premier canon), l’éventualité d’un conflit entre l’exacte observance des canons et leur application selon la coutume locale :
Il nous est donc nécessaire “de connaître l’une et l’autre méthode, celle de l’exacte observance des commandements et celle de la coutume, pour suivre, dans le cas de ceux qui ne consentent pas à accepter la sévérité, la méthode que nous transmet la coutume” comme nous l’enseigne saint Basile.
Nous sommes donc très loin ici d'une "demande du statut de pénitent sans y être obligé par les canons. Les canons parlent de péché constatés par l'évêque, sans se préoccuper de la part qu'il faut attribuer à un aveu spontané, d'un entretien obligatoire avec lui, etc. La seule mention qui est faite d'un aveu spontané dans les canons est pour lui donner la signification d'une circonstance atténuante.

Le piétisme est le tendance à insister sur les pratiques religieuses qui ont une signification subjective, psychologique. La pratique thérapeutique de l'Église repose sur une conception avant tout objective du péché.
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Entièrement d’accord avec votre exposé à la fois théologique et historique, Jean Louis. La pratique à laquelle je faisais allusion (demander à être mis au rang des pénitents) a toutefois existé dans l’histoire et fait sans doute partie des racines qui ont amené à la confession personnelle dans sa forme actuelle, mais je n’ai dit nulle part qu’il s’agissait de la Tradition des Pères. Elle relèverait plutôt de votre définition du piétisme, version antiquité tardive. Si l’on devait en blâmer quelqu’un, ce seraient plutôt les évêques qui l’ont acceptée. On ne peut pas pour autant les considérer comme hérétiques. Peut-être un peu de "piétisme" est-il tolérable, dans la mesure où il ne remet pas en cause les fondements de la foi...
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paraclésis
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Message par paraclésis »

Il me semble qu'une notion importante est celle de faute publique, c'est-à-dire connue de la communauté et donc lui portant blessure, tel le meurtre, l'apostasie, l'adultère peut-être.
Il est évident alors qu'il est du ressort de l'évêque de discerner et de lier ou délier.
Ce processus paraît difficilement appliquable sauf aveu pour ce qui est des fautes connues, outre Dieu, uniquement du fautif.

Anecdote : quand dans une paroisse qui rafraichissait ses statuts, nous en sommes venus à des avis divergents quant à d'éventuels renvois de la paroisse, c'est en fonction de cette notion de "faute publique grave" que nous sommes tous tombés d'accord, pour remettre cette éventuelle décision d'exclusion aux mains de l'évêques seul, et non pas comme dans une première approche certains le proposaient, à la décision du recteur, ou du recteur en son conseil, ou encore même en Assemblée générale.
Avec le recul, je crois que ce qui a été retenu, est traditionnel, bellement traditionnel. Peu de ceux qui finalement optèrent pour le discernement de l'évêque, avaient lu les canons, mais, souvent, des personnes orthodoxes sans culture livresque, sentent d'instinct ce qui est traditionnel.

Pour nos canons, c'est un peu comme ce qu'il est rapporté des spirituels de l'Athos, dont un visiteur catho, je crois, s'étonnait qu'ils lisent des livres de grands spirituels auquel fut précisé qu'ils les lisaient mais que si, à Dieu ne plaise, ces livres venaient à disparaître, eh bien les athonites en réecriraient tout autant.
Il nous faut connaître les canons non pas seulement pour faire juste, pour ne pas être en contradiction avec ce qu'ils prescrivent, mais pour pouvoir, s'il se trouvait qu'ils ne traitent pas d'un sujet auquel,à Dieu ne plaise, nous serions confrontés, eh bien qu'il se trouve parmi nous, celui qui pourrait y suppléer.

Pas de littéralisme, pas d'accomodements d'incultes, sentir les canons.
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Il me semble qu'il faut sérier les sujets. Nous sommes bien d'accord, Paraclésis, Jean Louis, sur les canons en cas de faute publique grave. Ce n'est pas tout à fait la même question que celle de la communion, de sa fréquence, de son lien automatique ou pas avec la confession personnelle des péchés.
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paraclésis
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Message par paraclésis »

j'ai manqué de clarté, hors les fautes graves donc, je ne vois en rien l'obligation à la catho ou selon tel usage hérité d'une période de décadence, de se confesser chaque fois que l'on va, avec foi, crainte de Dieu et amour, s'approcher de la très sainte communion.
Le rythme confession/communion est affaire de discernement avec l'aide de Dieu (prière) ou d'un confesseur (prière encore bien sûr).
Le tout me paraissant de rester toujours entre deux communions, entre deux confessions.
Pour ce qui est du rythme hebdomadaire ou autre, il me semble que participer à une divine Liturgie sans communier, doit se faire avec de bonnes raisons, à discerner, je me permets de redire : un prêtre peut avoir à inciter à communier plus rarement ou à communier plus souvent, discernement.

Les hiéromoines de l'Athos ne célèbrent que selon les nécessités du groupe c-a-dire selon le calendrier liturgique.
Néanmoins, plusieurs récits de grands spirituels nous montrent tel ancien, célébrant souvent voire chaque jour; les mêmes récits nous montrent également tel frère marcher pour rejoindre une liturgie et tel autre restant en sa prière de Jésus. Affaire de discernement, de moment dans une vie d'ascèse, pas de règles, liberté des enfants de Dieu.
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Jean-Serge
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Message par Jean-Serge »

paraclésis a écrit :j'ai manqué de clarté, hors les fautes graves donc, je ne vois en rien l'obligation à la catho ou selon tel usage hérité d'une période de décadence, de se confesser chaque fois que l'on va, avec foi, crainte de Dieu et amour, s'approcher de la très sainte communion.
Chaque fois peut-être pas. Mais régulièrement oui. Par ailleurs je ne vois pas dans l'orthodoxie cette distiction fautre grave faute légère qui m'évoque les péchés veniels ou capitaux ou une chose de ce genre, qui m'a l'air bien catholique... Ou se situerait d'ailleurs la frontière grave non grave? Commettre plusieurs fois un péché non grave n'est-ce pas grave?

Par ailleurs, n'est-ce pas un rien présomptueux de définir soi-même ce qui est grave et non grave et de taire les choses "véniels"? Voire dangereux? On croirait qu'on ne fait rien de grave alors qu'en fait c'est le cas...

Je me souviens que dans une paroisse que je ne qualifierais pas de rigoriste, on a rappelé à maintes reprises que la confession était nécessaire et devait se faire avec régularité...

A mon humble avis, un rythme de confession régulier fixé avec son confesseur est la meilleure solution (et en cas de déplacement, s'adapter à l'usage de l'endroit qu'on visite)
Dernière modification par Jean-Serge le sam. 02 juil. 2005 20:07, modifié 1 fois.
Priidite, poklonimsja i pripadem ko Hristu.
paraclésis
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Message par paraclésis »

j'ai plus haut signaler les fautes graves, meurtre, apostasie, adultère peut-être, fautes publiques venant blesser la communauté; existe dans nos canons des fautes interdisant l'accès à la prêtrise, sans pour autant tomber dans les distinctions que seuls les jésuites pourraient trier !
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