Honnorius III et la IVème croisade

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Stephanopoulos
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Honnorius III et la IVème croisade

Message par Stephanopoulos »

Christos anesti! Bonsoir à tous,

Je suis actuellement en train d'essayer de réfuter les thèse d'un livre anti-orthodoxe écrites par une "orthodoxe" du nom de Lina Murr Nehmé qui s'intitule "Mahomet II impose le schisme orthodoxe", et il est question, au début du livre, du rôle d'Honnorius III dans la IV ème croisade. Selon Lina Murr Nehmé, le pape n'aurait pas voulu que les croisés prennent Constantinople et, donc, minimise sa responsabilité.

Cependant, quel était son rôle réel? Pour ma part j'ai l'impression que Honnorius à excommunié les croisés pour se dédouaner, et qu'en réalité
il voulait bien que Constantinople soit prise pour qu'enfin la papauté puisse reigner en maître sur toute la chrétienté.

Peut-on donner du crédit à ce que rapporte la Chronique de Morée, ou à la thèse de A. Frolow?

Voici un texte tiré d'un travail sur la quatrième croisade qui fut réalisé à l'hiver 1997 par Marc Carrier dans le cadre d'une activité tutorale au Baccalauréat en histoire de l'Université de Sherbrooke. L'activité fut supervisée et dirigée par M. Bernard Chaput, professeur d'histoire médiévale :

"Enfin, la Chronique de Morée nous offre encore une fois une rétrospective de la croisade à travers les yeux d'un chroniqueur du XIVe siècle, même si légendaire sur certains aspects et fausse au niveau de sa chronologie. Toutefois, l'extrait présenté ici met en lumière l'idée que le pape aurait participé à la déviation de la croisade vers Constantinople. Cette idée, qui a d'ailleurs provoqué plusieurs disputes entre historiens, est fausse à première vue, si nous considérons que la pape condamna ouvertement l'action des croisés. Ce ne serait que lorsque la ville impériale fut prise qu'il réalisa les avantages pour l'Église de Rome et retira son excommunication. Cependant, certains historiens ont soulevé l'hypothèse qu'Innocent III aurait souhaité la prise de Constantinople. Pourquoi? Probablement en raison de son mépris pour les Grecs qui rejetaient l'Église catholique. Toutefois, il aurait dissuadé la déviation dans ses politiques par peur d'un échec de l'expédition et parce que Jérusalem constituait toujours le but officiel de la croisade.(12) Innocent aurait donc été favorable à une attaque sur Constantinople, mais de façon non-officielle, de sorte qu'il aurait les mains propres si jamais une telle entreprise échouait. Ceci rejoint d'ailleurs l'hypothèse de A. Frolow, qui étudia la question et qui proposa que "l'idée de la croisade, issue des guerres saintes au service de l'Église, avait suivi, dès les origines, un développement parallèle à l'idée de la liquidation du schisme." (13) Ce que la Chronique de Morée nous révèle sont donc les dessous possibles de la politique d'Innocent III, chose que ni Villehardouin ni Clari ne présentent." Lien : http://www.callisto.si.usherb.ca/~croisade/Crois3.htm Vous trouverez cet extrait en bas de page, en dessous du lien "Le deuxième message d'Alexis IV selon Robert de Clari".

Notes :
(12) D. E. Queller, The Fourth Crusade, p. 85-86.
(13) A. Frolow, "La déviation de la Quatrième Croisade", Revue de l'Histoire des Religions, CXLVI, #1, p.80.

Merci à vous tous pour votre aide!
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Oui, je me souviens de ce livre, un monument de désinformation anti-orthodoxe qui avait fait se pâmer l'abbé de Tanoüarn écrivant sous le pseudonyme de Joël Prieur dans Minute. L'auteur est tout aussi convaincante quand elle se déclare orthodoxe que Gérald Messadié se proclamant catholique en quatrième de couverture de son ouvrage qui niait la résurrection du Seigneur. Je me souviens en particulier que la thèse centrale de ce médiocre brûlot était que c'était la politique de Mehmed II après la prise de Constantinople le 29 mai 1453 qui avait mis fin à l'union de Florence. Cette récriture de l'Histoire est à peu près aussi convaincante que le dialogue de sourds que nous avons eu sur ce forum avec Bérangère "Cadoudal", celle-ci répondant aux documents circonstanciés que j'avais publiés sur le cardinal Stepinac par des proclamations lyriques d'un "nouveau philosophe" sans rapport avec le sujet et ne constituant aucune réponse aux faits. Lesquels sont têtus.
En effet, Madame Murr Nehmé semble faire peu de de la résistance de saint Marc d'Ephèse lors du concile de Florence, de la déposition par les Russes restés fidèles à l'Orthodoxie de leur métropolite Isidore de Kiev qui avait apostasié à Florence ou de la formation dès le retour de Florence de la Synaxe, regroupant les évêques du ressort du patriarcat de Constantinople qui refusaient de suivre le patriarche unioniste imposé par l'empereur. On notera d'ailleurs que cette Synaxe - que suivait l'écrasante majorité du peuple - avait reçu dans l'Orthodoxie un émissaire des Hussites de Bohême, et qu'au lieu d'affirmer que la prise de Constantinople par les Turcs a empêché la soumission de l'Orthodoxie à la Papauté, Madame Murr Nehmé devrait plutôt souligner que la conquête de Constantinople par les Turcs a mis fin à ces relations prometteuses et empêché le retour de la Bohême dans le sein de l'Eglise orthodoxe.
Il est à noter que la thèse de Madame Murr Nehmé s'éloigne de ceux qu'écrivaient les observateurs catholiques romains de l'époque, qui soulignaient que l'Union de Florence n'était acceptée que par l'empereur de Constantinople et ceux qui cherchaient à lui plaire, mais pas par le peuple.
J'aimerais qu'on m'explique comment cette thèse de "Mahomet II impose le schisme orthodoxe", pour reprendre le titre de ce livre, se concilie avec le fait que les condamnations les plus nettes de l'Union de Florence sont venues d'Eglises locales bien éloignées de la domination ottomane. J'ai cité le cas de la Russie. Je pourrais aussi rappeler une fois de plus la réunion en 1444 du concile de Jérusalem, où les trois patriarches d'Orient (Alexandrie, Antioche et Jérusalem), rejoints par le métropolite de Césarée de Cappadoce dans le ressort de Constantinople, anathématisèrent le patriarche unioniste de Constantinople et ceux qui le suivaient. Or, les territoires de ces trois Eglises locales ne devaient passer sous la domination turque que pendant le règne de Sélim Ier le Cruel (1512-1520). Alors, j'aimerais bien que les catholiques intégristes (public auquel est manifestement destiné ce livre) m'expliquent comment ils concilient ces faits avec les thèses de Madame Murr Nehmé encensées par l'abbé de Tanoüarn.
Il est vrai que le livre de cette "orthodoxe" libanaise était d'un papisme si intransigeant qu'il s'en prenait aussi aux catholiques romains de l'époque qui avaient fait preuve de tiédeur à l'égard de l'ultramontanisme (que l'on me pardonne l'anachronisme du mot; mais la chose, elle, n'est pas anachronique). Par exemple, Madame Murr Nehmé s'en prenait aussi à Charles VII le Bien-Servi - le libérateur de la France - pour avoir promulgué la Pragmatique Sanction de Bourges de 1438, un des textes résumant les libertés de l'Eglise gallicane qui a quand même joué un grand rôle dans la civilisation de l'Europe occidentale jusqu'en 1789. Donc, on a d'un côté les partisans de la Papauté; et d'un autre côté, un vaste fourre-tout où l'on retrouve aussi bien Mehmed II que les orthodoxes ou Charles VII le Libérateur.

Quant au pape de la IVe Croisade, il s'appelait Innocent III et il a tout de même profité de l'occasion pour créer un "patriarcat latin de Constantinople" confié à un usurpateur vénitien tandis que le patriarcat légitime poursuivait son existence en exil à Nicée (aujourd'hui Iznik) en Bithynie.
Stephanopoulos
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Rectification : Innocent III et la IVème croisade

Message par Stephanopoulos »

Merci infiniment Claude! C'est moi qui ai fait une confusion, il s'agissait bien du pape Innocent III! La confusion vient certainement du fait que je l'ai trouvé pas si innocent que ça!

A propos du métropolite Isidore de Kiev et Bessarion de Nicée, ils avaient reçu la promesse qu'ils seraient nommé Cardinal du pape si l'union était faite. Voilà qui explique la haine de ces deux personnages à l'encontre de saint Marc d'Ephese (que Murr Nehmé à, de son initiative, déchu de sa sainteté et, me semble-t-il cononisé Constantin XI) dont ses discours pour la défense de la foi orthodoxe arriva comme un cheveu dans la soupe.
Aussi, Isidore et Bessarion étaient partisans du courant humaniste contre l'Hésychasme et le Monachisme que Saint Marc Evgenikos représentait.

Merci encore, je vais pouvoir continuer ma réfutation!
Stephanopoulos
hilaire
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Message par hilaire »

Innocent III ?

IVè croisade et sac de Constantinople
Massacre des Albigeois au retour vu que Jérusalem n'a pu être reprise
Concile de Latran IV pour finir...

sacrée biographie!
Thomas M.
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Message par Thomas M. »

[Innocent III] “Lorsque la nouvelle lui parvint de la chute de la ville [Byzance] et de la prise du pouvoir par l’empereur latin, il envoya une lettre chaleureuse de félicitations au nouvel élu et loua Dieu. Mais les informations qui suivirent ne lui donnèrent pas autant de motifs de satisfaction. Il fut indigné et s’irrita quand il apprit que les croisés avaient renoncé à s’en aller combattre en Palestine, et que leur intention était de s’établir sur les terres byzantines, et consacrer leurs ressources et leur énergie à y fonder des colonies. Il fut consterné lorsque lui parvinrent les détails du sac de Constantinople, en particulier du sang versé et des profanations. Aucune relation de ces terribles journées n’est aussi circonstanciée et ne comporte de jugement aussi sévère que le récit qu’il en fait, d’après les informations qui lui furent données. Mais son changement d’attitude vint trop tard. L’Orient ne retint que sa première réaction de satisfaction. La majorité des orthodoxes restèrent persuadés qu’il avait participé à la mise en oeuvre de toute l’affaire”. (p. 130)

Steven Runciman, “Le schisme d’Orient” , Paris, Les Belles Lettres, 2005.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Thomas M. a écrit :[Innocent III] “Lorsque la nouvelle lui parvint de la chute de la ville [Byzance] et de la prise du pouvoir par l’empereur latin, il envoya une lettre chaleureuse de félicitations au nouvel élu et loua Dieu. Mais les informations qui suivirent ne lui donnèrent pas autant de motifs de satisfaction. Il fut indigné et s’irrita quand il apprit que les croisés avaient renoncé à s’en aller combattre en Palestine, et que leur intention était de s’établir sur les terres byzantines, et consacrer leurs ressources et leur énergie à y fonder des colonies. Il fut consterné lorsque lui parvinrent les détails du sac de Constantinople, en particulier du sang versé et des profanations. Aucune relation de ces terribles journées n’est aussi circonstanciée et ne comporte de jugement aussi sévère que le récit qu’il en fait, d’après les informations qui lui furent données. Mais son changement d’attitude vint trop tard. L’Orient ne retint que sa première réaction de satisfaction. La majorité des orthodoxes restèrent persuadés qu’il avait participé à la mise en oeuvre de toute l’affaire”. (p. 130)

Steven Runciman, “Le schisme d’Orient” , Paris, Les Belles Lettres, 2005.
Larmes de crocodile. Il a bel et bien nommé un patriarche "latin" de Constantinople, le Vénitien Morosini. Ce pseudo-patriarcat de l'Empire croisé s'est maintenu à Constantinople jusqu'à la libération de la ville par l'empereur de Nicée Michel VIII Paléologue en 1261. Il a ensuite subsisté comme patriarcat titulaire jusqu'en... 1964. (Toutefois, le siège n'avait pas été pourvu depuis la mort du dernier titulaire, Mgr Rossi, en 1948.)
L'existence de ce patriarcat latin de Constantinople, créé par la violence de la IVe Croisade et la volonté d'Innocent III, avait pour but de marquer le triomphe de la conception des patriarcats comme soumis et inférieurs à la Papauté. Il était donc important, de ce point de vue, que le Pape pût s'arroger le droit de nommer un patriarche de Constantinople (même sans fidèles).
"Toute parole peut détruire une autre parole, mais aucune parole ne peut détruire la vie." (Saint Grégoire Palamas)
Il y a les discours d'Innocent III, et il y a ses actes.
Et n'oublions pas la création de l'Inquisition, dirigée au départ contre les orthodoxes de l'Italie du Sud.

Pour ma part, je pense que Grégoire VII, Innocent III et Pie IX sont vraiment les trois papes qui ont fait le plus pour éloigner le siège romain de ses bases traditionnelles et orthodoxes.
Dernière modification par Claude le Liseur le lun. 24 avr. 2006 18:35, modifié 1 fois.
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Il fut consterné lorsque lui parvinrent les détails du sac de Constantinople, en particulier du sang versé et des profanations. Aucune relation de ces terribles journées n’est aussi circonstanciée et ne comporte de jugement aussi sévère que le récit qu’il en fait, d’après les informations qui lui furent données.
Dans ce cas, si Innocent III était ainsi consterné, pourquoi ce dernier n'a pas demandé pardon et restitué la totalité des reliques?
De plus, il a fallut attendre 797 ans pour que la papauté daigne demander pardon, tout en étant assez habile pour éviter de reconnaître qu'elle était impliquée dans les crimes commis.

Voici la déclaration que fit JPII à Athène en mai 2001 :

”Quand les fils et filles de l’Eglise catholique ont pêché par leurs actions et par omission contre leurs frères et sœurs orthodoxes, puisse le seigneur nous accorder le pardon que nous lui demandons”.

Remarquez que la aussi, il utilisé la même tactique que pour les Juifs!
Il a demandé pardon à Dieu mais pas aux orthodoxes!
Stephanopoulos
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Si Steven Runciman est moins incisif à l'encontre du pape Innocent III, il ne mâche néanmoins pas ses mots lorsqu'il évoque la croisade de 1204 :

"Il n'y eut jamais plus grand crime contre l'Humanité que la Quatrième Croisade. Elle détruisit et dispersa tous les trésors du passé que Byzance avait entassé avec dévotion, et blessa mortellement une civilisation qui était encore active et grande."
Steven RUNCIMAN, A HISTORIY OF THE CRUSADES, 1968, tome III, page 130.

C'est donc bien la 4ème croisade qui a affaiblis Constantinople, ce qui a rendu la tâche plus facile à Mahomet II qui n'avait plus qu'à donner le coup de grâce le 29 mai 1453.
Stephanopoulos
Thomas M.
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Message par Thomas M. »

Bien sûr que la quatrième croisade fut un grand crime, impardonnable.

La cause en est bien entendu la cupidité des marchands vénitiens, mais aussi (il ne faut pas l'oublier), la grande tuerie des Latins qui marqua l'année précédente (1203). La vengeance vénitienne est évidente.

Le sac de 1204 a-t-il affaibli définitivement l'Empire byzantin ? Oui, sans doute. On notera cependant que, d'un point de vue strictement militaire, c'est le désastre de Mantzikert (1071) qui marqua le début de la fin, lequel désastre fut la cause première de l'intervention d'Urbain II et des croisades...

En Christ ressuscité,

Thomas M.
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Thomas M. a écrit :Bien sûr que la quatrième croisade fut un grand crime, impardonnable.

La cause en est bien entendu la cupidité des marchands vénitiens, mais aussi (il ne faut pas l'oublier), la grande tuerie des Latins qui marqua l'année précédente (1203). La vengeance vénitienne est évidente.

Le sac de 1204 a-t-il affaibli définitivement l'Empire byzantin ? Oui, sans doute. On notera cependant que, d'un point de vue strictement militaire, c'est le désastre de Mantzikert (1071) qui marqua le début de la fin, lequel désastre fut la cause première de l'intervention d'Urbain II et des croisades...

En Christ ressuscité,

Thomas M.
C'est amusant, mais cette thèse cherchant à disculper les Croisés, je l'ai lue récemment, sous la plume d'un dénommé "Bajulans", sur un forum catholique chrétien-social que vous lisez aussi, où l'on nous apprenait l'extraordinaire et inédite nouvelle que les Croisés avaient été respectueux "des habitantes et des habitants" de Constantinople. Et à quand le prix Nobel de la paix pour Gengis Khan?

Et quand je dis que vous lisez ce forum, c'est un euphémisme, puisque vous y avez posté sous un autre pseudo des centaines de messages, y compris une "réponse" à notre ami Ivan Barsoff et des commentaires peu amènes sur les quelques vérités qui ont été publiées sur notre forum à propos de votre bienheureux Stepinac. Je comprends qu'avec tout le temps que vous passez à venir semer le trouble sur le forum orthodoxe pour pouvoir ensuite vous répandre sur au moins trois forums catholiques romains, vous n'ayez toujours pas trouvé le temps de vous faire baptiser. Décidément, nous n'avons pas la même conception de la vie spirituelle.


Ce qui marqua le début de la fin, c'est la prise de Bari par les Normands en 1071, et les multiples assauts menés à partir de cette base par les Normands puis les Angevins pendant plus de deux siècles.
Quant au fait qu'Urbain II y ait vu l'occasion de déclencher les Croisades pour porter un coup supplémentaire à l'Empire des Romains et aux patriarcats restés orthodoxes (la lutte contre l'Islam n'ayant été qu'un prétexte), comme vous nous le rappeler de manière opportune dans votre message, c'est un fait dont s'était vanté Mgr Sibour, archevêque de Paris, en 1854, rappelant dans un mandement que toutes les croisades avaient eu pour but de lutter contre le "schisme photien". C'est bien de le rappeler de temps en temps, parce que l'on a tendance à l'oublier dans les pays francophones. Notez qu'au XIVe siècle, "sainte" Brigitte de Suède organisait la croisade de Magnus Eriksson contre les orthodoxes de Novgorod et de Carélie. Les pays restés orthodoxes se voyaient ainsi attaqués par les Croisés sur tous les fronts.
Naturellement, dans votre vision des choses, je dois supposer que c'est l'émeute de 1203 à Constantinople qui explique l'expulsion du patriarcat de Jérusalem en 1099, la création d'un patriarcat croisé parallèle à Antioche en 1100, l'appel de l'abbé de Cluny à la croisade contre Constantinople en 1140, le sac de Thèbes en 1147 ou le viol de Chypre en 1171.
Nous fêterons samedi, le 29 avril, la mémoire de saint Jean Kaloktène, qui eut à relever les ruines de Thèbes après le passage des "Latins", et qui aurait bien été étonné par votre explication des choses. Qui m'étonne venant d'un étudiant en histoire.

Sur le strict plan militaire, ce n'est ni la bataille de Manzikert en 1071, ni la bataille de Myriokephalon en 1180, ni le sac de Constantinople en 1204 qui marque le début de la fin pour l'Empire des Romains, puisque celui-ci allait infliger, une fois l'effet de surprise passé, de cinglantes défaites aux Croisés.

L'effondrement militaire de l'Empire se situe au XIVe siècle et a en grande partie des causes internes (la guerre civile du milieu du XIVe siècle, la crise des finances publiques). Il est clair que l'Empire ne s'est jamais relevé des dévastations des mercenaires catalans de Roger de Flor au début du XIVe siècle. Comme vous le savez sans doute, la Generalitat (gouvernement autonome) de Catalogne vient - la mode est décidément à la repentance, sauf à Zagreb et sur les forums où vous aimez à faire l'apologète anti-orthodoxe - de débloquer plusieurs centaines de milliers d'euros pour la restauration de bâtiments du mont Athos endommagés par les Catalans au temps de Roger de Flor. Cette réparation est d'autant plus extraordinaire que personne ne demandait rien à la Catalogne après sept siècles et qu'elle vient d'une initiative des Catalans eux-mêmes.

Toutefois, la capacité militaire des Romains restait suffisante pour que la Morée résistât à l'occupation ottomane jusqu'en 1460 et Trébizonde jusqu'en 1461.

Mais la véritable cause de l'effondrement final réside dans l'Union de Florence. Je reviendrai à l'occasion sur ce point.
Dernière modification par Claude le Liseur le jeu. 04 mai 2006 10:13, modifié 5 fois.
Thomas M.
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Message par Thomas M. »

Bonjour lecteur Claude,
lecteur Claude a écrit :Quant au fait qu'Urbain II y ait vu l'occasion de déclencher les Croisades pour porter un coup supplémentaire à l'Empire des Romains et aux patriarcats restés orthodoxes (la lutte contre l'Islam n'ayant été qu'un prétexte), comme vous nous le rappeler de manière opportune dans votre message, c'est un fait dont s'était vanté Mgr Bertaud, évêque de Tulle, en 1854, rappelant dans un mandement que toutes les croisades avaient eu pour but de lutter contre le "schisme photien".
Cela m'étonne, parce que Steven Runciman -qui me semble assez objectif- dit au contraire qu'Urbain II n'avait aucune intention hostile envers les Grecs lorsqu'il a lancé l'idée de la Croisade, bien au contraire.

En Christ ressuscité,

Thomas M.
Alexandr
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Message par Alexandr »

Est-ce que Urbain savait ce qu'il faisait en demandant à s'engager sur le chemin de Jerusalem?
Est-ce que les envoyés d'Alexis Comnène savaient ce qu'il faisaient en parlant des malheurs des Chrétiens d'Asie Mineure?
Stephanopoulos
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Message par Stephanopoulos »

Toutefois, il faut rappeler que la papauté a tout de même pris un sacré virage depuis Grégoire VII, et qu'au nom de leur prétention universaliste, aucun pape depuis lors n'a jamais caché sa prétention de vouloir étendre son pouvoir toujours plus loin; "évangélisation" oblige.
La croisade représentait donc un excellent moyen au pape Urbain II de s'immiscer dans la politique française et d'accroître sa popularité. Il y trouva aussi un avantage en envoyant "les fauteurs de troubles" se faire tuer loin de chez eux, en échange d'une indulgence; ceci, dans le but de ramener "la paix" à l'intérieur de la chrétienté. C'est ce que rapportent certains chroniqueurs de l'époque qui ont reproduit son discours.
Il ne faut pas oublier non plus que les ambitions conquérantes de la papauté ont pour prétexte de soumettre les "hérétiques" qui ont résisté au filioque. Conquête qui s'est terminée en 1199 avec la suppression de la ville Dol-en-Bretagne (cf. le texte de Claude "Les saints de notre héritage" sur ce site).
Dernière modification par Stephanopoulos le jeu. 27 avr. 2006 4:29, modifié 1 fois.
Stephanopoulos
Claude le Liseur
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Message par Claude le Liseur »

Thomas M. a écrit :Bonjour lecteur Claude,
lecteur Claude a écrit :Quant au fait qu'Urbain II y ait vu l'occasion de déclencher les Croisades pour porter un coup supplémentaire à l'Empire des Romains et aux patriarcats restés orthodoxes (la lutte contre l'Islam n'ayant été qu'un prétexte), comme vous nous le rappeler de manière opportune dans votre message, c'est un fait dont s'était vanté Mgr Bertaud, évêque de Tulle, en 1854, rappelant dans un mandement que toutes les croisades avaient eu pour but de lutter contre le "schisme photien".
Cela m'étonne, parce que Steven Runciman -qui me semble assez objectif- dit au contraire qu'Urbain II n'avait aucune intention hostile envers les Grecs lorsqu'il a lancé l'idée de la Croisade, bien au contraire.

En Christ ressuscité,

Thomas M.
Et pourtant, que de déclarations sans équivoque:

Dès 1147 - bien avant l'émeute de 1203, qui, nous apprend Thomas M., aurait été la cause du sac de Constantinople - Bernard de Clairvaux et Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, appellent à la croisade contre Constantinople (cf. Runciman, Le schisme d'Orient, traduit de l'anglais par Hugues Defrance, Les Belles-Lettres, Paris 2005 - 1ère édition anglaise 1955-, p. 112).

Mgr Sibour, archevêque de Paris, 1854:
"La guerre que la France entame avec la Russie n'est pas une guerre politique, mais une guerre sainte; ce n'est pas une guerre d'Etat contre Etat, d'un peuple contre un peuple, mais uniquement une guerre religieuse. (...) La véritable raison de cette guerre est dans la nécessité de faire reculer l'hérésie de Photius, de la mater, de la terrasser; tel est le but avoué de cette croisade, tel était le but de toutes les croisades, bien que ceux qui y participaient ne le reconnussent pas." (souligné par moi - NdL)

(Ce mandement de l'archevêque de Paris, où tout est dit en quelques lignes, suscita des commentaires d'Alexis Khomiakov dans son fameux livre rédigé en français, sur lequel nous reviendrons quand sa réédition sera arrivée dans les librairies d'ici la fin du mois de juin. Contentons-nous de dire qu'un pays qui suivait la politique dictée par les Sibour, Montalembert et autres Pie se préparait le sort qu'il eut en 1870. Au passage, par "hérésie de Photius", il faut entendre l'Orthodoxie en général. La référence à saint Photios est un aveu particulièrement significatif dans ce contexte.)

Au fait, c'est bien Mgr Sibour qui déclarait ouvertement que la lutte contre l'Islam n'avait été qu'un prétexte.

Mgr Berteaud, évêque de Tulle, lettre pastorale du 10 mai 1854:

"Rome, c'est l'orthodoxie, c'est le doux et divin empire, c'est la vérité vivante, la vaste unité. (...) Notre épée, à cette heure nue, vigilante, garde le trône du vicaire de Jésus-Christ; qu'elle se multiplie, cette épée terrible. A elle de refouler dans ses déserts de neige la fausse et brutale orthodoxie. Qu'éperdue sous nos coups, cette étrangère regagne ses demeures. (...) Il est donc des hommes du nom de chrétien, plus dangereux à l'Eglise que les païens eux-mêmes."

Des décennies de désinformation bien orchestrées ont fait oublier ce qu'était la violence de l'ultramontanisme triomphant en ces années-là. Quand on lit les lettres pastorales de ces prélats et que l'on sait qu'ils avaient assez de puissance pour imposer à un Napoléon III une politique étrangère dont celui-ci ne voulait pas (maintien du corps expéditionnaire à Rome contre les Italiens et au service de Pie IX), on ne doit pas s'étonner qu'il y ait eu un certain anticléricalisme sous la IIIe République.

Au fait, quand vous lisez les mandements de Mgr Sibour ou de Mgr Berteaud, pensez-vous que, s'ils avaient vécu sous la dictature cléricale oustachie plutôt que sous le règne finalement assez débonnaire d'un empereur socialiste, ils eussent eu à l'égard des protestants, des gallicans ou des libres-penseurs un comportement différent de celui de Mgr Šarić ou de Mgr Stepinac à l'égard des orthodoxes?
Dernière modification par Claude le Liseur le mer. 26 avr. 2006 21:05, modifié 1 fois.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Alexis Comnène, devant les conquêtes turques, n’a jamais demandé une croisade ! Il attendait d’Urbain II un certain entregent diplomatique auprès des rois occidentaux pour lui fournir des supplétifs. Urbain a complètement transformé cette demande au concile de Clermont, un concile qui avait encore d’autres buts. Il n’est pas inutile de les énumérer. Tout d’abord, il y réitère l’excommunication du roi de France Philippe Auguste pour son mariage avec Bertrade, effectivement pas très canonique mais ne nous y trompons pas. Pour d’autres rois, il y eut des accommodements avec le ciel ! Il s’agit d’une mesure destinée à soumettre le roi le plus puissant de l’époque. Il rétablit la juridiction de l’évêque de Tours sur la Bretagne, juridiction caduque depuis l’époque mérovingienne. Or les évêques bretons relevaient alors de l’Eglise celtique encore orthodoxe et vivace en Irlande. Il s’en suivra une destruction en règle de l’Eglise bretonne qui sera complétée par la destruction de l’Eglise d’Irlande par les Plantagenêt au XIIe siècle.
De plus, en prêchant la croisade à Clermont, Urbain ne se réfère guère à la demande diplomatique d’Alexis mais à un projet de Grégoire VII. Or ce dernier était mort en 1085, ce qui n’était pas si vieux. Urbain pouvait effectivement avoir connu de ses projets non encore menés à bien.
On sait qu’avant la mise sur pied des trois armées seigneuriales, Pierre l’Ermite et le chevalier Gautier Sans Avoir au nom éloquent vont soulever les petits, ceux qui n’ont aucune expérience des armes mais rêvent de pèlerinage généreux, de Paradis ouvert, de miracles en pluie de lumière. L’imaginaire est le premier croisé. Une foule hétéroclite, mal vêtue, mal équipée, sans intendance ni appui logistique, sans aucune idée des distances à parcourir, se met en marche. Aubaine pour les trafiquants ! Désordre et problèmes pour les contrées traversées, car on prend aisément n’importe qui pour le Turc. Le premier août 1096, ce qui reste valide de la horde des guenilleux parvient aux portes de Byzance. Ils y seront fort mal reçus mais, malgré tout, on leur conseille de s’arrêter, d’attendre l’armée qui pendant ce temps s’organise. Peine perdue. La colonne des gueux s’enfonce dans le désert. Elle ne le traversera pas. Elle se fait tailler en pièces à Nicée.
Etant donné l’absolutisme papal depuis Hildebrand, force est de penser qu’Urbain a encouragé cette croisade des gueux. Elle avait le double avantage de vider l’occident de ses pauvres, des cadets en surnombre, des têtes brûlées mais aussi des tempéraments aventureux ou insoumis et, il le savait fort bien, de désorganiser les pays orthodoxes que les gueux devaient forcément traverser pour aboutir en Terre Sainte. Ajoutons qu’il ne devait nourrir aucune illusion sur leur sort final.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
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