"il y a 50 ans, le pogrom anti-grec d'Istanbul"
Publié : dim. 11 sept. 2005 19:04
Titre d'un entrefilet d'Armand Gaspard publié dans Le Temps du lundi 5 septembre 2005, page 15.
"Les 6 et 7 septembre 1955, la communauté grecque d'Istanbul était victime d'un déchaînement de violence de la part de vandales locaux. Bilan: le supérieur d'un monastère orthodoxe tué, de nombreux blessés et des femmes violées, 75 églises saccagées, plus de 5'000 magasins et appartements pillés. Ces événements s'inscrivent dans le cadre du conflit de Chypre qui opposait sur l'île, alors colonie britannique, partisans de l'Enosis (union avec la Grèce) aux séparatistes turcs et dressait l'un contre l'autre Athènes et Ankara.
Un prétendu attentat contre la maison natale de Kemal Ataturk à Thessalonique servit de détonateur. Un journal turc à grand tirage publia même une photo truquée de la maison partiellement détruite en appelant à des représailles. Aussitôt des hordes de casseurs envahirent le quartier "européen" d'Istanbul suivant des meneurs manipulés par le gouvernement Menderes comme on le saura plus tard.
Cinq ans après, ce gouvernement fut renversé par un coup d'Etat militaire et les généraux au pouvoir traduisirent en justice les principaux dirigeants destitués. Le pogrom de septembre 1955 figurait en bonne place dans l'acte d'accusation. Le procès s'acheva par la condamnation à mort et l'exécution d'Adnan Menderes et de deux de ses ministres.
Le sort de la minorité grecque en Turquie ne s'en trouva pas foncièrement amélioré. En mettant fin à la dernière guerre gréco-turque, le Traité de Lausanne du 24 septembre 1923 a mis fin également à la présence hellénique en Asie mineure qui remonte à l'époque d'Homère. A l'exception toutefois de quelque 130'000 Grecs vivant dans l'agglomération d'Istanbul. Le pogrom de 1955 provoqua l'exode d'environ 50'000 d'entre eux. L'hémorragie devait se poursuivre avec les événements de Chypre en été 1974 et l'occupation du nord de l'île par l'armée turque.
Au début de 2005, le journal Hurriyet écrivait qu'à Istanbul il ne reste que 1'244 citoyens turcs d'origine grecque..."
Cet article du vénérable quotidien genevois tranche avec le silence qui a entouré le cinquantenaire de ces événements dans les media francophones.
L'information la plus intéressante est celle du chiffre réel de la présence hellène demeurant à Constantinople (ville autrefois grecque à 99%, faut-il le préciser). Il faut y a ajouter la survie pénible de 5 à 10'000 orthodoxes "arabophones" (on verra quelques lignes plus bas ce qu'il en est de leur connaissance réelle de l'arabe...) dans l'ancien sandjak d'Alexandrette, cédé en 1939 à Ankara par la France au mépris total des engagements que celle-ci avait envers la Syrie. Ces orthodoxes d'Alexandrette ("Iskenderun") et Antioche ("Antakya") relèvent de la métropole d'Alep du patriarcat d'Antioche; cette communauté est décimée par l'émigration vers l'Allemagne (en général via "Istanbul"). A signaler aussi que ces derniers vrais Antiochiens ne parlent en réalité plus l'arabe et que le patriarcat d'Antioche a donné sa bénédiction pour passer à l'usage du turc dans la liturgie (ce qui apparaît comme la dernière chance de survie de la communauté). Au passage, il me semble qu'il était plus que temps de traduire la liturgie en turc.
En étant très optimiste, il y aurait à Constantinople 3'000 de ces orthodoxes "arabophones", pour la plupart en attente d'émigration.
Ces chiffres sont à opposer aux proclamations phantasmatiques qui nous font état d'une présence orthodoxe à Constantinople supérieure à celle de l'époque de l'Empire des Romains. Je pense aussi que la réduction de 99% en 80 ans des effectifs de la minorité orthodoxe de Constantinople est un démenti suffisant à l'égard des laudateurs européens de la "laïcité" kémaliste et post-kémaliste, si tant est que les faits puissent encore les guérir de leurs chimères. Ce dont je doute malheureusement.
Mais surtout, la question fondamentale reste posée. En s'obstinant à demeurer à Constantinople au lieu de se replier à Thessalonique ou à Chambésy (après tout, le patriarcat d'Antioche a bien eu la sagesse de se replier à Damas), le patriarcat oecuménique met en péril sa simple survie. Et les conséquences d'une disparition du patriarcat oecuménique (car celui-ci peut disparaître comme ont disparu, autrefois, les Eglises autocéphales de Carthage, de Milan, de Tolède ou d'Irlande; le Christ a promis à Son Eglise dans son ensemble que les portes de l'Enfer ne prévaudraient pas contre elle; Il n'a rien promis en ce qui concerne chaque Eglise locale) seraient autrement plus douloureuses pour nous, minorités orthodoxes de l'Europe occidentale, que pour les orthodoxes de Grèce ou d'ailleurs. La disparition du patriarcat de Constantinople serait une catastrophe pour l'Orthodoxie dans des régions comme les pays germanophones, l'Amérique centrale ou l'Asie du Sud-Est, où il représente à peu près la seule présence orthodoxe ouverte aux autochtones.
Et pourtant, elle est bien présente, cette réalité à laquelle personne ne veut faire face: comment imaginer que c'est une communauté de 1'200 personnes qui fournira les métropolites nécessaires à la simple existence du saint Synode du patriarcat oecuménique?
"Les 6 et 7 septembre 1955, la communauté grecque d'Istanbul était victime d'un déchaînement de violence de la part de vandales locaux. Bilan: le supérieur d'un monastère orthodoxe tué, de nombreux blessés et des femmes violées, 75 églises saccagées, plus de 5'000 magasins et appartements pillés. Ces événements s'inscrivent dans le cadre du conflit de Chypre qui opposait sur l'île, alors colonie britannique, partisans de l'Enosis (union avec la Grèce) aux séparatistes turcs et dressait l'un contre l'autre Athènes et Ankara.
Un prétendu attentat contre la maison natale de Kemal Ataturk à Thessalonique servit de détonateur. Un journal turc à grand tirage publia même une photo truquée de la maison partiellement détruite en appelant à des représailles. Aussitôt des hordes de casseurs envahirent le quartier "européen" d'Istanbul suivant des meneurs manipulés par le gouvernement Menderes comme on le saura plus tard.
Cinq ans après, ce gouvernement fut renversé par un coup d'Etat militaire et les généraux au pouvoir traduisirent en justice les principaux dirigeants destitués. Le pogrom de septembre 1955 figurait en bonne place dans l'acte d'accusation. Le procès s'acheva par la condamnation à mort et l'exécution d'Adnan Menderes et de deux de ses ministres.
Le sort de la minorité grecque en Turquie ne s'en trouva pas foncièrement amélioré. En mettant fin à la dernière guerre gréco-turque, le Traité de Lausanne du 24 septembre 1923 a mis fin également à la présence hellénique en Asie mineure qui remonte à l'époque d'Homère. A l'exception toutefois de quelque 130'000 Grecs vivant dans l'agglomération d'Istanbul. Le pogrom de 1955 provoqua l'exode d'environ 50'000 d'entre eux. L'hémorragie devait se poursuivre avec les événements de Chypre en été 1974 et l'occupation du nord de l'île par l'armée turque.
Au début de 2005, le journal Hurriyet écrivait qu'à Istanbul il ne reste que 1'244 citoyens turcs d'origine grecque..."
Cet article du vénérable quotidien genevois tranche avec le silence qui a entouré le cinquantenaire de ces événements dans les media francophones.
L'information la plus intéressante est celle du chiffre réel de la présence hellène demeurant à Constantinople (ville autrefois grecque à 99%, faut-il le préciser). Il faut y a ajouter la survie pénible de 5 à 10'000 orthodoxes "arabophones" (on verra quelques lignes plus bas ce qu'il en est de leur connaissance réelle de l'arabe...) dans l'ancien sandjak d'Alexandrette, cédé en 1939 à Ankara par la France au mépris total des engagements que celle-ci avait envers la Syrie. Ces orthodoxes d'Alexandrette ("Iskenderun") et Antioche ("Antakya") relèvent de la métropole d'Alep du patriarcat d'Antioche; cette communauté est décimée par l'émigration vers l'Allemagne (en général via "Istanbul"). A signaler aussi que ces derniers vrais Antiochiens ne parlent en réalité plus l'arabe et que le patriarcat d'Antioche a donné sa bénédiction pour passer à l'usage du turc dans la liturgie (ce qui apparaît comme la dernière chance de survie de la communauté). Au passage, il me semble qu'il était plus que temps de traduire la liturgie en turc.
En étant très optimiste, il y aurait à Constantinople 3'000 de ces orthodoxes "arabophones", pour la plupart en attente d'émigration.
Ces chiffres sont à opposer aux proclamations phantasmatiques qui nous font état d'une présence orthodoxe à Constantinople supérieure à celle de l'époque de l'Empire des Romains. Je pense aussi que la réduction de 99% en 80 ans des effectifs de la minorité orthodoxe de Constantinople est un démenti suffisant à l'égard des laudateurs européens de la "laïcité" kémaliste et post-kémaliste, si tant est que les faits puissent encore les guérir de leurs chimères. Ce dont je doute malheureusement.
Mais surtout, la question fondamentale reste posée. En s'obstinant à demeurer à Constantinople au lieu de se replier à Thessalonique ou à Chambésy (après tout, le patriarcat d'Antioche a bien eu la sagesse de se replier à Damas), le patriarcat oecuménique met en péril sa simple survie. Et les conséquences d'une disparition du patriarcat oecuménique (car celui-ci peut disparaître comme ont disparu, autrefois, les Eglises autocéphales de Carthage, de Milan, de Tolède ou d'Irlande; le Christ a promis à Son Eglise dans son ensemble que les portes de l'Enfer ne prévaudraient pas contre elle; Il n'a rien promis en ce qui concerne chaque Eglise locale) seraient autrement plus douloureuses pour nous, minorités orthodoxes de l'Europe occidentale, que pour les orthodoxes de Grèce ou d'ailleurs. La disparition du patriarcat de Constantinople serait une catastrophe pour l'Orthodoxie dans des régions comme les pays germanophones, l'Amérique centrale ou l'Asie du Sud-Est, où il représente à peu près la seule présence orthodoxe ouverte aux autochtones.
Et pourtant, elle est bien présente, cette réalité à laquelle personne ne veut faire face: comment imaginer que c'est une communauté de 1'200 personnes qui fournira les métropolites nécessaires à la simple existence du saint Synode du patriarcat oecuménique?