l'épiscopat orthodoxe
Publié : mer. 13 oct. 2004 10:54
Que pensez vous de ce point de vue ?
L'EGLISE ORTHODOXE ET LA CONCEPTION DE L'EPISCOPAT (Mgr Jean de Saint-Denis)
Extrait d’une conférence donnée à Lyon le 24 juin 1963
Présence Orthodoxe n° 4-2001
Quelle est la conception orthodoxe de l'épiscopat et de la succession apostolique ? On m'a posé surtout le problème de la succession apostolique.
Le problème est canonique mais il doit être éclairé. Écartons ici les confessions chrétiennes qui n'ont pas la succession apostolique, et prenons la succession apostolique dans les Églises romaine, anglicane, arménienne... Quelle est l'attitude de l'Église orthodoxe ? On connaît mieux celle de l'Église romaine qui, après le Moyen Âge, a décidé que, si la forme et la matière du sacrement sont justes, la succession apostolique est valable. Admettons un évêque qui sort de l'Église et ordonne un autre évêque : eh bien, si cette ordination épiscopale est exacte selon la forme et la matière du sacrement, le second a la succession apostolique et il est évêque légitime. Du point de vue orthodoxe : NON !
Depuis saint Cyprien, au IIIe siècle, il y a une autre attitude. La thèse est que c'est la communauté et l'Église qui prédominent. Les sacrements n'ont pas de valeur en soi, ils ont une valeur à l'intérieur de la communauté. De ce point de vue, le sacrement épiscopal appartient seulement à l'Église.
Comment donc l'Église orthodoxe regarde-t-elle l'Église romaine ? Elle regarde et constate que l'Église romaine, tout en n'étant pas une Église orthodoxe, depuis des siècles a des évêques, une vie communautaire ; elle a gardé les grands mystères du christianisme. C'est une Église peut être séparée d'elle, mais à l'intérieur sa vie est pleine de ces choses-là. Alors l'Église orthodoxe va reconnaître le sacrement, parce que l'Église romaine a prouvé par sa vie que les sacrements sont valides, et parce qu'il y a l'épiscopat à l'intérieur.
Par contre prenons l'Église anglicane. L'Église romaine conteste la succession apostolique anglicane parce que la forme et la matière ne sont pas conformes. L'Église orthodoxe, elle, conteste aussi cette succession mais parce que, lorsqu'on a ordonné le premier évêque anglican, on n'avait pas l'intention de faire un évêque successeur apostolique mais un prédicateur de l'Évangile. L'Église orthodoxe a dit aux anglicans : "nous reconnaîtrons votre succession si, officiellement, vous confessez la doctrine de la succession apostolique orthodoxe". Or, comme vous le savez, l'Église anglicane n'a pas un organe officiel pour se prononcer, c'est l'unique confession dans le christianisme qui n'a pas l'unité de la foi intérieure : vous pouvez être anglican et avoir les idées catholiques romaines, orthodoxes, protestantes, de gauche ou de droite... Les anglicans ont seulement une organisation. Et leur Prayer Book est un livre qui n'exprime pas leur doctrine mais une "opinion". L'Église anglicane comprend plusieurs Eglises autocéphales ; l'archevêque de Canterbury n'est pas du tout le chef de l'Église, il est premier parmi les égaux ; il y a les Églises d'Angleterre, de Galles, d'Irlande... : on compte quatre Églises en Grande-Bretagne et, dans le monde entier, quinze ou seize Églises anglicanes tout à fait indépendantes, et ces Églises anglicanes n'ont ni organe, ni autorité pour s'exprimer, parce que leurs conciles sont des conciles consultatifs quand les évêques se réunissent, ils expriment des desiderata, et ensuite, rentrant chez eux, ils peuvent ne pas les suivre ; ils n'expriment pas une doctrine ensemble. Cela, c'est une difficulté pour l'Église orthodoxe vis-à-vis de l'Église anglicane. Mais l'Église orthodoxe reconnaît que son épiscopat est intérieur à une communauté vivante traditionnelle.
En revanche, la succession apostolique des Vieux-catholiques est très discutée par l'Église orthodoxe, alors que pour l'Église romaine elle est indiscutable. Voici comment cela s'est passé dans l'histoire pour les Vieux-catholiques d'Utrecht et les autres. Les jansénistes se sont séparés de Rome et n'avaient pas d'évêques. Or, il se trouvait un évêque ordonné par Bossuet ou son successeur, qui était en désaccord, pas du tout sur le plan de la doctrine mais sur le plan moral, avec l'administration de l'Église romaine. Venu à Utrecht, on lui demanda de consacrer un autre évêque pour l'Église d'Utrecht et il le fit sans participer à la même pensée et doctrine. Il n'était pas membre de la communauté d'Utrecht, il n'est pas devenu janséniste et il est resté romain mais, par complaisance, il a ordonné. Il n'y avait donc aucune communion entre cet évêque consécrateur et l'évêque consacré, il n'y avait pas communauté. Or, pour les Orthodoxes, on ne joue pas avec l'Esprit-Saint, car le sacrement est à l'intérieur d'une communauté réelle : c'est pourquoi ils contestent la succession apostolique des Vieux-catholiques.
De ce point de vue, tous les évêques qui sont ordonnés en dehors d'une Église, en dehors d'une communauté réelle ayant une tradition témoin de la vérité, pour l'Église orthodoxe sont absolument nuls. Tels sont les évêques de l'Église catholique libérale, de l'Église apostolique, etc…un jour, à Paris, on a réuni onze de ces évêques-là, qui formellement avaient la succession apostolique parce qu'un Syrien venu d'Amérique avait ordonné Mgr Vilatte, lequel en avait ordonné d'autres, etc. Par respect on peut les appeler "Monseigneur", mais pour notre conscience ecclésiale, ils ne sont ni prêtres, ni évêques, ni rien du tout.
Même, prenons un cas particulier : un évêque, un Ukrainien, a fait un coup de tête et ordonné un évêque qui maintenant se promène en disant qu'il est Sa Blancheur Tugdual de Bretagne et d'Irlande. Sa Blancheur était un petit étudiant qui ne voulait pas étudier, et qui, après avoir trouvé cet évêque ukrainien et un comte devenu évêque par un Syrien, s'est fait ordonner, avec je ne sais pas combien de filiations magnifiques ! Maintenant Sa Blancheur se promène en Bretagne et dit qu'il n'a pas besoin de fidèles, mais il a déjà consacré trois ou quatre évêques parce que c'est plus intéressant que d'avoir des fidèles. Pour nous, Sa Blancheur est une anecdote, mais aussi un scandale. Ce n'est pas parce qu'un évêque orthodoxe s'est engagé dans cette aventure par naïveté, que lui est maintenant devenu évêque. L'évêque orthodoxe ukrainien n'avait aucun droit de le consacrer ; et un évêque qui sort de la communauté n'est plus ni évêque, ni prêtre.
Tout est conditionné par la communauté, et par ces mots : "Qu'est-ce que vous confessez ? Quelle est votre foi ?" La succession apostolique n'est pas un fil auquel on s'accroche, c'est, comme disait saint Irénée, un courant de la Tradition ininterrompue. Je peux mettre toute une succession jusqu'aux apôtres sur le papier, cela ne suffit pas : il est nécessaire que ce soit un courant venu du temps des apôtres jusqu'à maintenant, dans la doctrine, dans la vie, comme dans la succession. Ce point de vue est tout à fait indispensable pour comprendre l'attitude de l'Église orthodoxe. Cette Église ininterrompue qu'est l'Orthodoxie ne peut "servir" à personne. Celui qui, chez elle, veut attraper les pouvoirs, même si, par naïveté, il trouve quelqu'un, ce sera nul, parce qu'on est dans l'Église ou on ne l'est pas. Un pasteur protestant a dit : "On peut créer beaucoup de choses, mais on ne peut pas inventer et créer une Église, on est dedans ou on ne l'est pas". C'est un fait expérimental, historique et indiscutable.
L'EGLISE ORTHODOXE ET LA CONCEPTION DE L'EPISCOPAT (Mgr Jean de Saint-Denis)
Extrait d’une conférence donnée à Lyon le 24 juin 1963
Présence Orthodoxe n° 4-2001
Quelle est la conception orthodoxe de l'épiscopat et de la succession apostolique ? On m'a posé surtout le problème de la succession apostolique.
Le problème est canonique mais il doit être éclairé. Écartons ici les confessions chrétiennes qui n'ont pas la succession apostolique, et prenons la succession apostolique dans les Églises romaine, anglicane, arménienne... Quelle est l'attitude de l'Église orthodoxe ? On connaît mieux celle de l'Église romaine qui, après le Moyen Âge, a décidé que, si la forme et la matière du sacrement sont justes, la succession apostolique est valable. Admettons un évêque qui sort de l'Église et ordonne un autre évêque : eh bien, si cette ordination épiscopale est exacte selon la forme et la matière du sacrement, le second a la succession apostolique et il est évêque légitime. Du point de vue orthodoxe : NON !
Depuis saint Cyprien, au IIIe siècle, il y a une autre attitude. La thèse est que c'est la communauté et l'Église qui prédominent. Les sacrements n'ont pas de valeur en soi, ils ont une valeur à l'intérieur de la communauté. De ce point de vue, le sacrement épiscopal appartient seulement à l'Église.
Comment donc l'Église orthodoxe regarde-t-elle l'Église romaine ? Elle regarde et constate que l'Église romaine, tout en n'étant pas une Église orthodoxe, depuis des siècles a des évêques, une vie communautaire ; elle a gardé les grands mystères du christianisme. C'est une Église peut être séparée d'elle, mais à l'intérieur sa vie est pleine de ces choses-là. Alors l'Église orthodoxe va reconnaître le sacrement, parce que l'Église romaine a prouvé par sa vie que les sacrements sont valides, et parce qu'il y a l'épiscopat à l'intérieur.
Par contre prenons l'Église anglicane. L'Église romaine conteste la succession apostolique anglicane parce que la forme et la matière ne sont pas conformes. L'Église orthodoxe, elle, conteste aussi cette succession mais parce que, lorsqu'on a ordonné le premier évêque anglican, on n'avait pas l'intention de faire un évêque successeur apostolique mais un prédicateur de l'Évangile. L'Église orthodoxe a dit aux anglicans : "nous reconnaîtrons votre succession si, officiellement, vous confessez la doctrine de la succession apostolique orthodoxe". Or, comme vous le savez, l'Église anglicane n'a pas un organe officiel pour se prononcer, c'est l'unique confession dans le christianisme qui n'a pas l'unité de la foi intérieure : vous pouvez être anglican et avoir les idées catholiques romaines, orthodoxes, protestantes, de gauche ou de droite... Les anglicans ont seulement une organisation. Et leur Prayer Book est un livre qui n'exprime pas leur doctrine mais une "opinion". L'Église anglicane comprend plusieurs Eglises autocéphales ; l'archevêque de Canterbury n'est pas du tout le chef de l'Église, il est premier parmi les égaux ; il y a les Églises d'Angleterre, de Galles, d'Irlande... : on compte quatre Églises en Grande-Bretagne et, dans le monde entier, quinze ou seize Églises anglicanes tout à fait indépendantes, et ces Églises anglicanes n'ont ni organe, ni autorité pour s'exprimer, parce que leurs conciles sont des conciles consultatifs quand les évêques se réunissent, ils expriment des desiderata, et ensuite, rentrant chez eux, ils peuvent ne pas les suivre ; ils n'expriment pas une doctrine ensemble. Cela, c'est une difficulté pour l'Église orthodoxe vis-à-vis de l'Église anglicane. Mais l'Église orthodoxe reconnaît que son épiscopat est intérieur à une communauté vivante traditionnelle.
En revanche, la succession apostolique des Vieux-catholiques est très discutée par l'Église orthodoxe, alors que pour l'Église romaine elle est indiscutable. Voici comment cela s'est passé dans l'histoire pour les Vieux-catholiques d'Utrecht et les autres. Les jansénistes se sont séparés de Rome et n'avaient pas d'évêques. Or, il se trouvait un évêque ordonné par Bossuet ou son successeur, qui était en désaccord, pas du tout sur le plan de la doctrine mais sur le plan moral, avec l'administration de l'Église romaine. Venu à Utrecht, on lui demanda de consacrer un autre évêque pour l'Église d'Utrecht et il le fit sans participer à la même pensée et doctrine. Il n'était pas membre de la communauté d'Utrecht, il n'est pas devenu janséniste et il est resté romain mais, par complaisance, il a ordonné. Il n'y avait donc aucune communion entre cet évêque consécrateur et l'évêque consacré, il n'y avait pas communauté. Or, pour les Orthodoxes, on ne joue pas avec l'Esprit-Saint, car le sacrement est à l'intérieur d'une communauté réelle : c'est pourquoi ils contestent la succession apostolique des Vieux-catholiques.
De ce point de vue, tous les évêques qui sont ordonnés en dehors d'une Église, en dehors d'une communauté réelle ayant une tradition témoin de la vérité, pour l'Église orthodoxe sont absolument nuls. Tels sont les évêques de l'Église catholique libérale, de l'Église apostolique, etc…un jour, à Paris, on a réuni onze de ces évêques-là, qui formellement avaient la succession apostolique parce qu'un Syrien venu d'Amérique avait ordonné Mgr Vilatte, lequel en avait ordonné d'autres, etc. Par respect on peut les appeler "Monseigneur", mais pour notre conscience ecclésiale, ils ne sont ni prêtres, ni évêques, ni rien du tout.
Même, prenons un cas particulier : un évêque, un Ukrainien, a fait un coup de tête et ordonné un évêque qui maintenant se promène en disant qu'il est Sa Blancheur Tugdual de Bretagne et d'Irlande. Sa Blancheur était un petit étudiant qui ne voulait pas étudier, et qui, après avoir trouvé cet évêque ukrainien et un comte devenu évêque par un Syrien, s'est fait ordonner, avec je ne sais pas combien de filiations magnifiques ! Maintenant Sa Blancheur se promène en Bretagne et dit qu'il n'a pas besoin de fidèles, mais il a déjà consacré trois ou quatre évêques parce que c'est plus intéressant que d'avoir des fidèles. Pour nous, Sa Blancheur est une anecdote, mais aussi un scandale. Ce n'est pas parce qu'un évêque orthodoxe s'est engagé dans cette aventure par naïveté, que lui est maintenant devenu évêque. L'évêque orthodoxe ukrainien n'avait aucun droit de le consacrer ; et un évêque qui sort de la communauté n'est plus ni évêque, ni prêtre.
Tout est conditionné par la communauté, et par ces mots : "Qu'est-ce que vous confessez ? Quelle est votre foi ?" La succession apostolique n'est pas un fil auquel on s'accroche, c'est, comme disait saint Irénée, un courant de la Tradition ininterrompue. Je peux mettre toute une succession jusqu'aux apôtres sur le papier, cela ne suffit pas : il est nécessaire que ce soit un courant venu du temps des apôtres jusqu'à maintenant, dans la doctrine, dans la vie, comme dans la succession. Ce point de vue est tout à fait indispensable pour comprendre l'attitude de l'Église orthodoxe. Cette Église ininterrompue qu'est l'Orthodoxie ne peut "servir" à personne. Celui qui, chez elle, veut attraper les pouvoirs, même si, par naïveté, il trouve quelqu'un, ce sera nul, parce qu'on est dans l'Église ou on ne l'est pas. Un pasteur protestant a dit : "On peut créer beaucoup de choses, mais on ne peut pas inventer et créer une Église, on est dedans ou on ne l'est pas". C'est un fait expérimental, historique et indiscutable.