à totocapt à propos des unitariens de Transylvanie
Publié : dim. 27 juil. 2003 1:30
Cher totocapt,
J'ai parcouru ce soir quelques sites unitariens, suite à la lecture de vos messages, et j'y ai trouvé une présentation partiale de l'histoire des unitariens de Transylvanie.
Je vous passe l'ignorance crasse des sites nord-américains, comme un site québécois qui nous dit que "la plus vieille église unitarienne du monde se trouve dans le petit village de Koloszvar en Transylvanie" (Koloszvar en hongrois, Klausenburg en allemand, c'est Cluj-Napoca en roumain: 330'000 habitants!) ou un site étasunien qui nous apprend que "Transylvania was a kingdom" (elle n'a jamais été un royaume, mais une principauté vassale de l'Empire ottoman).
Non, ce qui me choque, c'est que tous ces sites exaltent la Transylvanie du XVIème siècle comme un modèle de tolérance religieuse, parce que Ferenc (François) David y avait obtenu en 1568 la tolérance à l'égard de l'Eglise unitarienne. C'est un peu vite passer sous silence de quelle manière était traitée la majorité orthodoxe en Transylvanie.
Depuis 1437 existait l'Union des Trois nations, par laquelle les Hongrois, les Saxons (colons allemands installés par les rois de Hongrie en Transylvanie, surtout autour de Sibiu / Hermannstadt) et les Szeklers (peuplade d'origine turque totalement magyarisée) s'étaient mis d'accord pour interdire tous les droits civils et politiques à la majorité roumaine. Comme les trois nations étaient alors catholiques romaines, cela voulait dire que l'Eglise catholique romaine était la seule religion autorisée et que l'Eglise orthodoxe était la religion des serfs et traitée comme telle. Par exemple, un orthodoxe n'avait pas le droit d'habiter dans une ville, etc. Cela était facilité par le fait que toute la noblesse roumaine de Transylvanie avait perdu sa langue et sa foi. La population roumaine était réduite aux classes populaires, pour la plupart asservies. Et ceux qui n'étaient pas serfs devaient subir des vexations multiples en tant qu'orthodoxes, ceci afin de les amener à changer de religion et à abandonner en même temps leur ethnie.
En 1514, les Trois nations ont aggravé la condition de la paysannerie roumaine, la déclarant "attachée à la glèbe et condamnée à un servage total et éternel."
Mais, à la suite de la Réforme, les Trois nations ont commencé à se diviser sur les questions religieuses: les Saxons se sont divisés entre luthériens et catholiques, les Hongrois et les Szeklers entre luthériens, calvinistes, unitariens et catholiques. Ferenc David est un bon exemple de ces divisions, puisqu'il fut successivement catholique, luthérien, calviniste et unitarien.
Comme Khomiakov l'a fait remarquer avec pertinence par la suite, le protestantisme n'avait pratiquement aucun succès auprès de la population orthodoxe. La division religieuse des Trois nations risquait donc de les affaiblir face à la majorité roumaine restée orthodoxe en bloc.
C'est uniquement pour pouvoir rester unies et continuer à exercer leur domination que les Trois nations ont adopté en 1542 le principe de la tolérance religieuse à l'égard du calvinisme et du luthéranisme, étendu en 1568 à l'unitarisme. L'Orthodoxie, majoritaire en Transylvanie, ne bénéficiait pas de cette reconnaissance et n'avait aucun droit! L'Eglise unitarienne était une confession oppressive comme les trois autres, pas une Eglise de persécutés...
La persécution de l'Orthodoxie en Transylvanie n'était pas sanglante (juste un assassinat de temps à autre), car les nobles des Trois nations avaient besoin du travail de la population orthodoxe asservie, mais elle était constante et mesquine (destruction d'icônes, confiscation d'églises, humiliations, arrestations de prêtres). De temps en temps, les Quatre religions et les Trois nations donnaient des récompenses aux apostats intéressants: par exemple, en 1650, le prêtre orthodoxe Ioan (Jean) Siat du village d'Ocuris fut anobli dans la noblesse de nation hongroise uniquement parce qu'il s'était converti au calvinisme!
Les Habsbourg, devenus maîtres de la Transylvanie en 1691, ont essayé de renforcer le catholicisme contre la noblesse calviniste en convertissant la population orthodoxe. Suite à un plan des Jésuites et avec l'aide du traître apostat Athanase Ange, ils ont imposé à l'Eglise orthodoxe de Transylvanie l'Union avec Rome et créé l'Eglise gréco-catholique uniate. Ils maniaient la carotte et le bâton: l'Eglise orthodoxe était interdite depuis 1698, et, pour récompenser les conversions à l'uniatisme, les diplômes léopoldins de 1699 et 1701 disposaient que les orthodoxes roumains qui passeraient à l'uniatisme jouiraient de tous les droits civils à l'égal des ressortissants des Trois nations.
Mais la résistance héroïque du peuple et du clergé orthodoxes mené par les moines saint Bessarion Saraï et saint Sophrone de Cioara a abouti, malgré les persécutions cruelles des Habsbourg, à la restauration de l'Orthodoxie en Transylvanie. Les Habsbourg ont dû légaliser l'Eglise orthodoxe de Transylvanie en 1781 et, à la suite de la révolte de Horea, Closca et Crisan, abolir le servage en 1785. Ensuite, ce sont les révolutionnaires hongrois qui ont aboli le système féodal (30 mars 1848) et établi l'égalité des quatre nations (28 juillet 1849).
Donc, contrairement à tout ce que laissent croire les sites unitariens, pendant tout ce temps, l'Eglise unitarienne figurait parmi les confessions privilégiées en face des orthodoxes qui étaient les seuls à être persécutés, et tout ceci ne fait pas de la Transylvanie le modèle de tolérance que célèbrent ces sites.
L'Eglise unitarienne de Transylvanie, comme vous l'avez écrit à juste titre, maintient ses positions: 76'708 fidèles au recensement roumain de 1992, 66'846 à celui de 2002, ce qui représente dans les deux cas 0,3% de la population (fort déclinante) de la Roumanie.
J'ai parcouru ce soir quelques sites unitariens, suite à la lecture de vos messages, et j'y ai trouvé une présentation partiale de l'histoire des unitariens de Transylvanie.
Je vous passe l'ignorance crasse des sites nord-américains, comme un site québécois qui nous dit que "la plus vieille église unitarienne du monde se trouve dans le petit village de Koloszvar en Transylvanie" (Koloszvar en hongrois, Klausenburg en allemand, c'est Cluj-Napoca en roumain: 330'000 habitants!) ou un site étasunien qui nous apprend que "Transylvania was a kingdom" (elle n'a jamais été un royaume, mais une principauté vassale de l'Empire ottoman).
Non, ce qui me choque, c'est que tous ces sites exaltent la Transylvanie du XVIème siècle comme un modèle de tolérance religieuse, parce que Ferenc (François) David y avait obtenu en 1568 la tolérance à l'égard de l'Eglise unitarienne. C'est un peu vite passer sous silence de quelle manière était traitée la majorité orthodoxe en Transylvanie.
Depuis 1437 existait l'Union des Trois nations, par laquelle les Hongrois, les Saxons (colons allemands installés par les rois de Hongrie en Transylvanie, surtout autour de Sibiu / Hermannstadt) et les Szeklers (peuplade d'origine turque totalement magyarisée) s'étaient mis d'accord pour interdire tous les droits civils et politiques à la majorité roumaine. Comme les trois nations étaient alors catholiques romaines, cela voulait dire que l'Eglise catholique romaine était la seule religion autorisée et que l'Eglise orthodoxe était la religion des serfs et traitée comme telle. Par exemple, un orthodoxe n'avait pas le droit d'habiter dans une ville, etc. Cela était facilité par le fait que toute la noblesse roumaine de Transylvanie avait perdu sa langue et sa foi. La population roumaine était réduite aux classes populaires, pour la plupart asservies. Et ceux qui n'étaient pas serfs devaient subir des vexations multiples en tant qu'orthodoxes, ceci afin de les amener à changer de religion et à abandonner en même temps leur ethnie.
En 1514, les Trois nations ont aggravé la condition de la paysannerie roumaine, la déclarant "attachée à la glèbe et condamnée à un servage total et éternel."
Mais, à la suite de la Réforme, les Trois nations ont commencé à se diviser sur les questions religieuses: les Saxons se sont divisés entre luthériens et catholiques, les Hongrois et les Szeklers entre luthériens, calvinistes, unitariens et catholiques. Ferenc David est un bon exemple de ces divisions, puisqu'il fut successivement catholique, luthérien, calviniste et unitarien.
Comme Khomiakov l'a fait remarquer avec pertinence par la suite, le protestantisme n'avait pratiquement aucun succès auprès de la population orthodoxe. La division religieuse des Trois nations risquait donc de les affaiblir face à la majorité roumaine restée orthodoxe en bloc.
C'est uniquement pour pouvoir rester unies et continuer à exercer leur domination que les Trois nations ont adopté en 1542 le principe de la tolérance religieuse à l'égard du calvinisme et du luthéranisme, étendu en 1568 à l'unitarisme. L'Orthodoxie, majoritaire en Transylvanie, ne bénéficiait pas de cette reconnaissance et n'avait aucun droit! L'Eglise unitarienne était une confession oppressive comme les trois autres, pas une Eglise de persécutés...
La persécution de l'Orthodoxie en Transylvanie n'était pas sanglante (juste un assassinat de temps à autre), car les nobles des Trois nations avaient besoin du travail de la population orthodoxe asservie, mais elle était constante et mesquine (destruction d'icônes, confiscation d'églises, humiliations, arrestations de prêtres). De temps en temps, les Quatre religions et les Trois nations donnaient des récompenses aux apostats intéressants: par exemple, en 1650, le prêtre orthodoxe Ioan (Jean) Siat du village d'Ocuris fut anobli dans la noblesse de nation hongroise uniquement parce qu'il s'était converti au calvinisme!
Les Habsbourg, devenus maîtres de la Transylvanie en 1691, ont essayé de renforcer le catholicisme contre la noblesse calviniste en convertissant la population orthodoxe. Suite à un plan des Jésuites et avec l'aide du traître apostat Athanase Ange, ils ont imposé à l'Eglise orthodoxe de Transylvanie l'Union avec Rome et créé l'Eglise gréco-catholique uniate. Ils maniaient la carotte et le bâton: l'Eglise orthodoxe était interdite depuis 1698, et, pour récompenser les conversions à l'uniatisme, les diplômes léopoldins de 1699 et 1701 disposaient que les orthodoxes roumains qui passeraient à l'uniatisme jouiraient de tous les droits civils à l'égal des ressortissants des Trois nations.
Mais la résistance héroïque du peuple et du clergé orthodoxes mené par les moines saint Bessarion Saraï et saint Sophrone de Cioara a abouti, malgré les persécutions cruelles des Habsbourg, à la restauration de l'Orthodoxie en Transylvanie. Les Habsbourg ont dû légaliser l'Eglise orthodoxe de Transylvanie en 1781 et, à la suite de la révolte de Horea, Closca et Crisan, abolir le servage en 1785. Ensuite, ce sont les révolutionnaires hongrois qui ont aboli le système féodal (30 mars 1848) et établi l'égalité des quatre nations (28 juillet 1849).
Donc, contrairement à tout ce que laissent croire les sites unitariens, pendant tout ce temps, l'Eglise unitarienne figurait parmi les confessions privilégiées en face des orthodoxes qui étaient les seuls à être persécutés, et tout ceci ne fait pas de la Transylvanie le modèle de tolérance que célèbrent ces sites.
L'Eglise unitarienne de Transylvanie, comme vous l'avez écrit à juste titre, maintient ses positions: 76'708 fidèles au recensement roumain de 1992, 66'846 à celui de 2002, ce qui représente dans les deux cas 0,3% de la population (fort déclinante) de la Roumanie.