Liturgie des pauvres
Publié : mer. 07 janv. 2004 18:56
Très sainte fête de la Nativité de notre Seigneur Jésus Christ à tous !
En ce jour où nous rendons grâce à Celui qui, par un amour infini et incompréhensible pour sa créature, est devenu semblable à elle pour qu’elle devienne semblable à Lui, il est bon de s’entendre rappeler par la bouche de saint Jean Chrysostome une vérité certaine quand à ce que nous devons faire pour lui rendre gloire comme Lui veut que nous lui rendions gloire.
Le texte suivant se trouve sur le site de la représentation de l’Eglise Orthodoxe russe à Bruxelles, et il fait découvrir un visage de St Jean, vraiment bouche d’or, que personnellement, je connaissais très peu.
Ysabel de Andia: Liturgie des pauvres et théologie du Corps du Christ chez saint Jean Chrysostome
Jean Chrysostome[1] a été surnomme “ Jean l’Aumônier ”, a cause de sa pratique de l’aumône et de sa prédication sur l’aumône. “
Chrysostome est, par excellence, l’apôtre de la charité, dit Aimé Puech, de tous les Pères du IVe siècle, il est le panégyriste par excellence de l’aumône [2] . Ses homélies sur l’aumône [3] datent de ses années de presbyterat à Antioche (386-398). C’est en se rendant de son domicile à l’église, un jour d’hiver, qu’il voit des mendiants gisant sur le sol et improvise l’une de ses plus belles homélies sur l’aumône. C’est dans la troisième homélie sur l’aumône qu’il fait référence à saint Paul qui parle des pauvres dans toutes ses lettres et demande à ses fidèles que “ personne ne se croit déchargé de cet office (leitourgia ) ”[4] . Car il y a bien une liturgie des pauvres à laquelle tous les chrétiens sont conviés, depuis l’évêque jusqu’au simple fidèle.
Cette liturgie des pauvres est fondée sur une théologie du Corps du Christ qui est à la fois le Corps eucharistique du Christ et le Corps écclesial du Christ. Le Christ est présent dans l’Eglise sous les espèces sacramentelles du Corps et du Sang du Christ, mais il est aussi présent dans ses membres souffrants qui participent à sa passion et il appelle ses disciples à le servir dans les pauvres.
L’eucharistie est le fondement de la diaconie des pauvres, et l’on ne peut séparer le don du Pain de vie du partage du pain quotidien, c’est pourquoi le discours de saint Jean Chrysostome sur les pauvres ou l’aumône n’est pas seulement un discours social, mais un discours théologique et sacramentaire.
La “ diaconie ” des pauvres est la suite nécessaire de l’eucharistie, comme le service des tables qui avait été confie au diacre Etienne, dans la communauté primitive (Ac 6,3-4) ; elle est aussi fondée sur l’identification du pauvre au Christ pauvre : “ En vérité, je vous le dis, dans la mesure ou vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est a moi que vous l’avez fait ” (Mt 25,40). C’est pourquoi le service du pauvre est le service du Christ dans les pauvres et l’imitation du Christ qui s’est fait Serviteur, par philanthropie. Enfin cette présence du Christ en quelque sorte caché dans les pauvres est un mystère qui ne sera révélé qu’au jugement dernier lorsque le Christ reviendra juger les vivants et les morts et séparer ceux qui l’ont servi de ceux qui l’ont méconnu en maltraitant ou en laissant mourir de faim et de soif les pauvres. L’utilisation abondante, par Jean Chrysostome du texte de Matthieu 25, 31-46 donne au service des pauvres ou à cette “ liturgie ” des pauvres un sens eschatologique qui ne sera découvert qu’à la fin des temps.
Ce sont ces trois aspects du service des pauvres que je veux traiter : tout d’abord la relation entre eucharistie et diaconie, ensuite la philanthropie divine et l’amour des pauvres, et, enfin, la dimension eschatologique de cette liturgie des pauvres à partir de Matthieu 25, 31-46.
I. Eucharistie et diaconie
C’est principalement dans les Homélies sur la Première Epître aux Corinthiens et les Homélies sur Matthieu que Jean Chrysostome développe la relation entre l’eucharistie et la diaconie[5] . Saint Paul reproche aux Corinthiens que, lorsqu’il se réunissent en commun, ce n’est plus le “ Repas du Seigneur ” qu’ils prennent : Des qu’on est à table, en effet, chacun prend son propre repas et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre ” (1 Co 11,21). Chrysostome, commentant ce verset ajoute que, lorsque les fidèles se détournent des pauvres qui ont faim et soif, ils transforment le “ Repas du Seigneur ” en un “ repas privé ” et l’église, en une maison privée.
1. Homélies sur l’Evangile de Matthieu
Dans l’homélie 65 sur Matthieu [6] , Chrysostome montre que, honorer le Christ, c’est ne pas mépriser les pauvres[7] .
“ Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici dans l’église, par des tissus de soie, tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. Car celui qui a dit : “Ceci est mon Corps” (1 Co 11,24), et qui l’a réalisé en le disant, c’est lui qui a dit : “Vous m’avez vu avoir faim, et vous ne m’avez pas donne à manger” (Mt 25,42), et aussi : “Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait“ (Mt 25,45). Ici le Corps du Christ n’a pas besoin de vêtements, mais d’âmes pures ; là-bas, il a besoin de beaucoup de sollicitude. ”
Ce passage est intéressant parce que Jean Chrysostome rapproche les deux textes scripturaires de la Première Epître aux Corinthiens sur l’eucharistie “ Ceci est mon Corps ” et celui de Mat. 25,45 sur l’identification du Christ aux “ petits ” ou aux “ pauvres ” et le jugement dernier[8] . La relation entre le Corps du Christ et le corps des pauvres ou des petits est affirmée dans l’identité du Christ — “ le même ”— qui prononce ces deux paroles : “ Ceci est mon Corps ” et “ C’est a moi que vous l’avez fait ”. C’est pourquoi on “ honore ” le Christ en servant les pauvres :
“ Apprenons donc à vivre selon la sagesse et à honorer le Christ comme il le veut lui-même. Car l’hommage qui lui est le plus agréable est celui qu’il demande, non celui que nous-mêmes choisissons. Lorsque Pierre croyait l’honorer en l’empêchant de lui laver les pieds, ce n’était pas de l’honneur, mais tout le contraire. Toi aussi, honore-le de la manière prescrite par lui en donnant ta richesse aux pauvres. Car Dieu n’a pas besoin de vases d’or, mais d’âmes qui soient en or. Je ne vous dis pas cela pour vous empêcher de faire des donations religieuses, mais je soutiens qu’en même temps, et même auparavant, on doit faire l’aumône. Car Dieu accueille celles-la, mais bien davantage celle-ci. Car, par les donations, celui qui donne est le seul bénéficiaire, mais, par l’aumône, le bénéficiaire est aussi celui qui reçoit. La donation est une occasion de vanité ; mais l’aumône n’est pas autre chose qu’un acte de bonté. ”
Il ne suffit pas de donner de l’argent, il faut le donner avec une intention pure. Le Christ a loué la veuve qui “ a donné deux piécettes… de son indigence ” (Mc 12,44) et blâmé les “ hypocrites ” qui font l’aumône en voulant être vus (Mt 6,2). Il y a aussi un ordre de priorité : sauver la vie d’un frère est plus nécessaire que de faire des dépenses somptueuses pour le culte.
“ Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de faim ? Commence par rassasier l’affame et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas “un verre d’eau fraîche” ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable et que tu ne l’abandonnes pas pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure et la pire des injures ?
Pense qu’il s’agit aussi du Christ lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais, lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre. ”
Il y a un scandale à se nourrir du Corps du Christ, à la table eucharistique, et à laisser les pauvres mourir de faim, à la porte de l’église. De même il y a un scandale à revêtir l’église de draperies de soie, tout en ne couvrant pas la nudité des pauvres.
La critique de la richesse des ornements d’église est développée par Jean Chrysostome dans ses sermons aussi bien aux fidèles d’Antioche[9] que de Constantinople[10] , ce qui lui valu l’opposition farouche de la cour impériale et du clergé de la capitale.
Dans l’homélie 82 sur Matthieu, Jean Chrysostome établit une identité entre le repas pascal du Christ et son départ au Mont des Oliviers, au temps de sa vie terrestre, avec l’eucharistie et la diaconie des pauvres, aujourd’hui. Celui qui est indigne de participer a la Cène, hier comme aujourd’hui, c’est Judas, “ l’avare ”. La substance évoquée n’est plus le pain, dont il faut nourrir les affames, mais l’huile que nous recevons de la “ main des pauvres ”, au Mont des Oliviers :
“ Jésus-Christ qui opéra jadis ces merveilles durant la Cène est le même qui les opère encore maintenant. Nous tenons ici la place de ses serviteurs, mais celui qui sanctifie ces offrandes et les transforme, c’est lui. Que nul Judas, nul avare n’y assistent. N’êtes-vous pas de ses disciples ? Partez d’ici. Cette table n’accueille pas de gens tels que vous. “Je vais faire ma pâque avec mes disciples” (Mt 26,18). C’est ici la même table et elle n’est pas moindre. Car le Christ n’a pas créé l’une et les hommes, l’autre, mais il a aussi fait celle-ci. C’est ici la même salle ou ils étaient alors ; c’est ici qu’ils partirent pour le Mont des Oliviers. Partons-en, nous aussi, pour aller trouver la main des pauvres, car elles sont notre Mont des Oliviers. Oui la multitude des pauvres est comme “un plant d’oliviers” (Ps 128,3), sèmes dans la maison de Dieu. C’est de là que s’écoule peu a peu cette huile qui nous sera nécessaire à notre mort, cette huile que cinq vierges ont gardée, et que les autres, qui n’avaient pas veille, ont oubliée, en sorte qu’elles périrent. Munissons-nous, mes frères, de cette huile, et allons avec des lampes resplendissantes au-devant de notre Epoux . Avec elles, encore, sortons de ce lieu. Que tous ceux qui sont cruels et inhumains, durs, impitoyables, ou impurs, ne s’approchent pas de cette table. [11] ”
La mention du Mont des Oliviers entraine celle de “ l’huile ” et des citations scripturaires concernant les oliviers et l’huile : le psaume 128 sur les fils qui sont comme “ des plants d’olivier a l’entour de la table ” et la parabole des vierges folles et des vierges sages (Mt 25,1-13) qui se munissent d’huile pour entrer dans la demeure de l’Epoux. Cette huile dont elles font provision dans leur sagesse, c’est l’huile que leur ont donnée les pauvres, ces “ plants d’oliviers ” plantes dans l’Eglise, la maison du Seigneur. Le don que les fidèles ont fait aux pauvres est la seule richesse qu’ils emporteront aux demeures éternelles, cette provision d’huile ou cette profusion de sagesse reçue des “ mains des pauvres ”.
En ce jour où nous rendons grâce à Celui qui, par un amour infini et incompréhensible pour sa créature, est devenu semblable à elle pour qu’elle devienne semblable à Lui, il est bon de s’entendre rappeler par la bouche de saint Jean Chrysostome une vérité certaine quand à ce que nous devons faire pour lui rendre gloire comme Lui veut que nous lui rendions gloire.
Le texte suivant se trouve sur le site de la représentation de l’Eglise Orthodoxe russe à Bruxelles, et il fait découvrir un visage de St Jean, vraiment bouche d’or, que personnellement, je connaissais très peu.
Ysabel de Andia: Liturgie des pauvres et théologie du Corps du Christ chez saint Jean Chrysostome
Jean Chrysostome[1] a été surnomme “ Jean l’Aumônier ”, a cause de sa pratique de l’aumône et de sa prédication sur l’aumône. “
Chrysostome est, par excellence, l’apôtre de la charité, dit Aimé Puech, de tous les Pères du IVe siècle, il est le panégyriste par excellence de l’aumône [2] . Ses homélies sur l’aumône [3] datent de ses années de presbyterat à Antioche (386-398). C’est en se rendant de son domicile à l’église, un jour d’hiver, qu’il voit des mendiants gisant sur le sol et improvise l’une de ses plus belles homélies sur l’aumône. C’est dans la troisième homélie sur l’aumône qu’il fait référence à saint Paul qui parle des pauvres dans toutes ses lettres et demande à ses fidèles que “ personne ne se croit déchargé de cet office (leitourgia ) ”[4] . Car il y a bien une liturgie des pauvres à laquelle tous les chrétiens sont conviés, depuis l’évêque jusqu’au simple fidèle.
Cette liturgie des pauvres est fondée sur une théologie du Corps du Christ qui est à la fois le Corps eucharistique du Christ et le Corps écclesial du Christ. Le Christ est présent dans l’Eglise sous les espèces sacramentelles du Corps et du Sang du Christ, mais il est aussi présent dans ses membres souffrants qui participent à sa passion et il appelle ses disciples à le servir dans les pauvres.
L’eucharistie est le fondement de la diaconie des pauvres, et l’on ne peut séparer le don du Pain de vie du partage du pain quotidien, c’est pourquoi le discours de saint Jean Chrysostome sur les pauvres ou l’aumône n’est pas seulement un discours social, mais un discours théologique et sacramentaire.
La “ diaconie ” des pauvres est la suite nécessaire de l’eucharistie, comme le service des tables qui avait été confie au diacre Etienne, dans la communauté primitive (Ac 6,3-4) ; elle est aussi fondée sur l’identification du pauvre au Christ pauvre : “ En vérité, je vous le dis, dans la mesure ou vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est a moi que vous l’avez fait ” (Mt 25,40). C’est pourquoi le service du pauvre est le service du Christ dans les pauvres et l’imitation du Christ qui s’est fait Serviteur, par philanthropie. Enfin cette présence du Christ en quelque sorte caché dans les pauvres est un mystère qui ne sera révélé qu’au jugement dernier lorsque le Christ reviendra juger les vivants et les morts et séparer ceux qui l’ont servi de ceux qui l’ont méconnu en maltraitant ou en laissant mourir de faim et de soif les pauvres. L’utilisation abondante, par Jean Chrysostome du texte de Matthieu 25, 31-46 donne au service des pauvres ou à cette “ liturgie ” des pauvres un sens eschatologique qui ne sera découvert qu’à la fin des temps.
Ce sont ces trois aspects du service des pauvres que je veux traiter : tout d’abord la relation entre eucharistie et diaconie, ensuite la philanthropie divine et l’amour des pauvres, et, enfin, la dimension eschatologique de cette liturgie des pauvres à partir de Matthieu 25, 31-46.
I. Eucharistie et diaconie
C’est principalement dans les Homélies sur la Première Epître aux Corinthiens et les Homélies sur Matthieu que Jean Chrysostome développe la relation entre l’eucharistie et la diaconie[5] . Saint Paul reproche aux Corinthiens que, lorsqu’il se réunissent en commun, ce n’est plus le “ Repas du Seigneur ” qu’ils prennent : Des qu’on est à table, en effet, chacun prend son propre repas et l’un a faim, tandis que l’autre est ivre ” (1 Co 11,21). Chrysostome, commentant ce verset ajoute que, lorsque les fidèles se détournent des pauvres qui ont faim et soif, ils transforment le “ Repas du Seigneur ” en un “ repas privé ” et l’église, en une maison privée.
1. Homélies sur l’Evangile de Matthieu
Dans l’homélie 65 sur Matthieu [6] , Chrysostome montre que, honorer le Christ, c’est ne pas mépriser les pauvres[7] .
“ Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici dans l’église, par des tissus de soie, tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. Car celui qui a dit : “Ceci est mon Corps” (1 Co 11,24), et qui l’a réalisé en le disant, c’est lui qui a dit : “Vous m’avez vu avoir faim, et vous ne m’avez pas donne à manger” (Mt 25,42), et aussi : “Chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous ne l’avez pas fait“ (Mt 25,45). Ici le Corps du Christ n’a pas besoin de vêtements, mais d’âmes pures ; là-bas, il a besoin de beaucoup de sollicitude. ”
Ce passage est intéressant parce que Jean Chrysostome rapproche les deux textes scripturaires de la Première Epître aux Corinthiens sur l’eucharistie “ Ceci est mon Corps ” et celui de Mat. 25,45 sur l’identification du Christ aux “ petits ” ou aux “ pauvres ” et le jugement dernier[8] . La relation entre le Corps du Christ et le corps des pauvres ou des petits est affirmée dans l’identité du Christ — “ le même ”— qui prononce ces deux paroles : “ Ceci est mon Corps ” et “ C’est a moi que vous l’avez fait ”. C’est pourquoi on “ honore ” le Christ en servant les pauvres :
“ Apprenons donc à vivre selon la sagesse et à honorer le Christ comme il le veut lui-même. Car l’hommage qui lui est le plus agréable est celui qu’il demande, non celui que nous-mêmes choisissons. Lorsque Pierre croyait l’honorer en l’empêchant de lui laver les pieds, ce n’était pas de l’honneur, mais tout le contraire. Toi aussi, honore-le de la manière prescrite par lui en donnant ta richesse aux pauvres. Car Dieu n’a pas besoin de vases d’or, mais d’âmes qui soient en or. Je ne vous dis pas cela pour vous empêcher de faire des donations religieuses, mais je soutiens qu’en même temps, et même auparavant, on doit faire l’aumône. Car Dieu accueille celles-la, mais bien davantage celle-ci. Car, par les donations, celui qui donne est le seul bénéficiaire, mais, par l’aumône, le bénéficiaire est aussi celui qui reçoit. La donation est une occasion de vanité ; mais l’aumône n’est pas autre chose qu’un acte de bonté. ”
Il ne suffit pas de donner de l’argent, il faut le donner avec une intention pure. Le Christ a loué la veuve qui “ a donné deux piécettes… de son indigence ” (Mc 12,44) et blâmé les “ hypocrites ” qui font l’aumône en voulant être vus (Mt 6,2). Il y a aussi un ordre de priorité : sauver la vie d’un frère est plus nécessaire que de faire des dépenses somptueuses pour le culte.
“ Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de faim ? Commence par rassasier l’affame et, avec ce qui te restera, tu orneras son autel. Tu fais une coupe en or, et tu ne donnes pas “un verre d’eau fraîche” ? Et à quoi bon revêtir la table du Christ de voiles d’or, si tu ne lui donnes pas la couverture qui lui est nécessaire ? Qu’y gagnes-tu ? Dis-moi donc : Si tu vois le Christ manquer de la nourriture indispensable et que tu ne l’abandonnes pas pour recouvrir l’autel d’un revêtement précieux, est-ce qu’il va t’en savoir gré ? Est-ce qu’il ne va pas plutôt s’en indigner ? Ou encore, tu vois le Christ couvert de haillons, gelant de froid, tu négliges de lui donner un manteau, mais tu lui élèves des colonnes d’or dans l’église en disant que tu fais cela pour l’honorer. Ne va-t-il pas dire que tu te moques de lui, estimer que tu lui fais injure et la pire des injures ?
Pense qu’il s’agit aussi du Christ lorsqu’il s’en va, errant, étranger, sans abri ; et toi, qui as omis de l’accueillir, tu embellis le pavé, les murs et les chapiteaux des colonnes, tu attaches les lampes par des chaînes d’argent ; mais, lui, tu ne veux même pas voir qu’il est enchaîné dans une prison. Je ne dis pas cela pour t’empêcher de faire de telles générosités, mais je t’exhorte à les accompagner ou plutôt à les faire précéder par les autres actes de bienfaisance. Car personne n’a été accusé pour avoir omis les premières, tandis que, pour avoir négligé les autres, on est menacé de la géhenne, du feu qui ne s’éteint pas, du supplice partagé avec les démons. Par conséquent, lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre. ”
Il y a un scandale à se nourrir du Corps du Christ, à la table eucharistique, et à laisser les pauvres mourir de faim, à la porte de l’église. De même il y a un scandale à revêtir l’église de draperies de soie, tout en ne couvrant pas la nudité des pauvres.
La critique de la richesse des ornements d’église est développée par Jean Chrysostome dans ses sermons aussi bien aux fidèles d’Antioche[9] que de Constantinople[10] , ce qui lui valu l’opposition farouche de la cour impériale et du clergé de la capitale.
Dans l’homélie 82 sur Matthieu, Jean Chrysostome établit une identité entre le repas pascal du Christ et son départ au Mont des Oliviers, au temps de sa vie terrestre, avec l’eucharistie et la diaconie des pauvres, aujourd’hui. Celui qui est indigne de participer a la Cène, hier comme aujourd’hui, c’est Judas, “ l’avare ”. La substance évoquée n’est plus le pain, dont il faut nourrir les affames, mais l’huile que nous recevons de la “ main des pauvres ”, au Mont des Oliviers :
“ Jésus-Christ qui opéra jadis ces merveilles durant la Cène est le même qui les opère encore maintenant. Nous tenons ici la place de ses serviteurs, mais celui qui sanctifie ces offrandes et les transforme, c’est lui. Que nul Judas, nul avare n’y assistent. N’êtes-vous pas de ses disciples ? Partez d’ici. Cette table n’accueille pas de gens tels que vous. “Je vais faire ma pâque avec mes disciples” (Mt 26,18). C’est ici la même table et elle n’est pas moindre. Car le Christ n’a pas créé l’une et les hommes, l’autre, mais il a aussi fait celle-ci. C’est ici la même salle ou ils étaient alors ; c’est ici qu’ils partirent pour le Mont des Oliviers. Partons-en, nous aussi, pour aller trouver la main des pauvres, car elles sont notre Mont des Oliviers. Oui la multitude des pauvres est comme “un plant d’oliviers” (Ps 128,3), sèmes dans la maison de Dieu. C’est de là que s’écoule peu a peu cette huile qui nous sera nécessaire à notre mort, cette huile que cinq vierges ont gardée, et que les autres, qui n’avaient pas veille, ont oubliée, en sorte qu’elles périrent. Munissons-nous, mes frères, de cette huile, et allons avec des lampes resplendissantes au-devant de notre Epoux . Avec elles, encore, sortons de ce lieu. Que tous ceux qui sont cruels et inhumains, durs, impitoyables, ou impurs, ne s’approchent pas de cette table. [11] ”
La mention du Mont des Oliviers entraine celle de “ l’huile ” et des citations scripturaires concernant les oliviers et l’huile : le psaume 128 sur les fils qui sont comme “ des plants d’olivier a l’entour de la table ” et la parabole des vierges folles et des vierges sages (Mt 25,1-13) qui se munissent d’huile pour entrer dans la demeure de l’Epoux. Cette huile dont elles font provision dans leur sagesse, c’est l’huile que leur ont donnée les pauvres, ces “ plants d’oliviers ” plantes dans l’Eglise, la maison du Seigneur. Le don que les fidèles ont fait aux pauvres est la seule richesse qu’ils emporteront aux demeures éternelles, cette provision d’huile ou cette profusion de sagesse reçue des “ mains des pauvres ”.