Alexandre Antoine a écrit :Que pensez-vous d’Isidore de Séville dans les Églises Orthodoxes? Y-a-t-il une raison particulière pour qu’il ne soit pas reconnu autant que son frère Saint Léandre? Ou peut-être est-ce seulement dû au fait qu’Isidore a été pratiquement oublié même en Occident à cause des diverses conquêtes de la péninsule ibérique?
Vous savez, la plupart des saints des pays d'Europe occidentale ont été complètement oubliés par les orthodoxes.
D'abord, pendant des siècles, il n'y a pas eu de souci de faire un sanctoral unifié pour toutes les Eglises locales. Par conséquent, seuls quelques saints latins, dont le renom était particulièrement grand, ont trouvé leur place dans les calendriers "byzantins" avant le schisme: pour l'essentiel des saints d'Italie - l'Italie du Sud et le Latium étant bien représentés pour des raisons de proximité géographique et culturelle (le monastère uniate de Grottaferrata est encore un témoin de la longue présence de la langue grecque à Rome), encore que saint Ambroise de Milan ait aussi été inscrit dans les calendriers grecs. Peu de saints des Gaules - saint Martin, bien sûr. Encore moins de saints d'Espagne - et saint Herménégild plus que saint Léandre ou saint Isidore.
A l'extrême fin du Xe siècle et au début du XIe siècle, les calendriers en usage en Ruthénie (futures Russie, Biélorussie, Ukraine et Ruthénie subcarpatique) ont reçu d'autres saints des pays latins par le biais de contacts avec une Eglise de langue latine implantée en terre slave qui était l'Eglise (encore orthodoxe) de Bohême -
Ruthénie est la vraie traduction française du terme Русь que l'on a essayé de mettre à la mode sous la translittération
Rous'. C'est ainsi que saint Martin de Tours ne figure pas à la même date dans les calendriers russes et dans les calendriers grecs - preuve que la réception s'est faite de manière indépendante. On trouve ainsi dans les calendriers russes la mémoire de saint Julien du Mans, qui ne figure (ou plutôt ne figurait pas) dans les calendriers grecs. Ceci n'a évidemment aucun influence sur les fidèles, puisque je me demande bien qui, en Russie, peut deviner que derrière le Святитель Иулиан, епископ Кеноманийский (sviatitel' Ioulian, episkop Kenomaniiskii) se cache saint Julien de Cenomanum ou des Cénomans, c'est-à-dire du Mans. (Le nom latin du Mans est
Cenomanum, qui se prononçait
Kenomanoum, d'où la transcription russe, l'ancien nom latin ayant été
Civitas Cenomanensis, la Cité des Cénomans - peuple gaulois établi dans la région.) Au contraire, en Russie, par confusion entre Cénomans et Crémone, il est transformé en un évêque d'Italie du Nord (par exemple ici:
http://iconsv.ru/index.php?option=com_j ... 2&Itemid=3 ) et, sur le Wikipédia russe
http://ru.wikipedia.org/wiki/%D0%98%D1% ... 0%B8%D0%B9 , saint Julien du Mans devient un "saint catholique romain" nommé Иулиан Ле-Манский
(Ioulian Le-Manskii), tout ceci par ignorance de l'Histoire, de l'Histoire ecclésiastique et des langues romanes. Donc, avec tant de brouillard plus ou moins entretenu, il est finalement peu important que tel ou tel saint occidental ait trouvé sa place dans les anciens calendriers grecs ou slaves.
Ce qui est plus significatif, c'est qu'il y a en Grèce, depuis quelques décennies, un regain d'intérêt pour les saints orthodoxes de l'Europe occidentale. On a peint en Grèce des icônes de saint Benoît de Nursie. Le professeur Piperakis, qui enseignait la microbiologie à l'université d'Athènes, s'est consacré depuis sa retraite à faire connaître les saints orthodoxes oubliés des pays d'Europe occidentale et aussi des pays d'Extrême-Orient. Il est d'ailleurs l'auteur d'un
Santoral Ortodoxo Español, publié par la maison d'édition de l'Eglise orthodoxe de Grèce, dont j'ai publié une brève recension sur le présent forum (ici:
viewtopic.php?f=1&t=327&p=13826 ). La Grèce, pays méditerranéen et où des langues comme l'espagnol, l'italien et le français sont encore parlées (alors que, dans les autres pays à majorité orthodoxe, on ne connaît presque plus que l'anglais, l'allemand ayant perdu depuis vingt ans la plupart de ses positions), est à ma connaissance le seul pays où se manifeste un certain intérêt pour les saints orthodoxes des pays romans. En Roumanie, il y a eu en 2006 une publication de Vlad Benea sur les saints orthodoxes des îles Britanniques (il me fut expliqué par un professeur de théologie de là-bas que le choix des saints des îles Britanniques était précisément motivé par le fait que toute la documentation sur le sujet était en anglais) que l'on trouve sur le site de l'archiprêtre Andrew Philips de l'Eglise orthodoxe russe à l'étranger (texte original roumain ici:
http://www.orthodoxengland.org.uk/pdf/sib.pdf ).
On constate donc un début d'intérêt et de publications sur les saints orthodoxes des pays romans (en Grèce) et des pays anglo-saxons (en Roumanie) qui pourrait redonner une importance oubliée à ces quelques saints latins qui, dès le VIe ou le Xe siècle, avaient été vénérés chez les Grecs et les Slaves orientaux.