Fredrick a écrit :Bonjour à tous,
Ma question est dans le titre, j'aimerai savoir ce que pense l'orthodoxie du protestantisme en général.
Merci.
Au début de la Réforme, Luther s'est persuadé qu'il avait retrouvé une foi qui était aussi celle de l'Eglise orthodoxe. Il y a un de ses écrits (je retrouverai la référence) où il affirme que sa foi est aussi celle des Grecs et des Blancs-Ruthènes. Mais il n'a eu aucun contact direct avec les orthodoxes. On considère généralement que plus aucune union n'était possible à partir du moment où le docteur Luther a nié la valeur sacramentelle de l'onction des malades.
Par la suite, du temps du patriarche Jérémie II de Constantinople, il y a eu une longue correspondance entre les docteurs luthériens de Tubingue et le patriarcat de Constantinople. L'histoire de cette correspondance a été très bien rapportée par Sir Steven Runciman dans
The Great Church under Captivity. Les luthériens voulaient se rallier le patriarcat de Constantinople - qui gémissait sous le joug musulman et se trouvait en situation précaire - dans leur lutte contre la Papauté, mais le patriarche Jérémie n'était pas prêt à vendre sa foi. Après plusieurs échanges de lettres avec les théologiens luthériens, il leur a écrit une lettre admirable, dont le contenu pourrait être résumé en "nous pouvons rester de bons amis, mais nous professons clairement une foi différente". Cette lettre est d'ailleurs un résumé de la position orthodoxe traditionnelle face à l'hérésie: on réfute l'erreur, on ne tue pas ceux qui la professent - position fort différente de celle de la Papauté jusqu'à nos jours (l'exemple du cardinal Stepinac et des Oustachis nous montre un exemple fort récent de la manière dont le Vatican traite les chrétiens qui ne se soumettent pas à son autorité quand il est en position de force) et de la Réforme au XVIe siècle (qu'on se souvienne de la lettre de Castellion à Calvin: "Tuer un homme, ce n'est pas défendre une idée, c'est tuer un homme"). Il est bon de rappeler cette position traditionnelle à l'heure où les oecuménistes cherchent à présenter les orthodoxes fidèles à leur foi comme des intolérants, capitalisant sur tous les mauvais souvenirs que les persécutions et les guerres de religion ont laissé en Europe occidentale, alors que l'Orthodoxie n'a pas un héritage historique aussi désastreux, même si elle n'est pas exempte de ses propres fautes. Je me demande si, dans leur désir d'union avec la puissance temporelle de la Papauté, les orthodoxes papalins n'iront pas jusqu'à projeter leur amour du Vatican dans le passé et à faire endosser à l'Orthodoxie la responsabilité de l'Inquisition... dont un des buts, au moment de sa création, était d'extirper les orthodoxes de l'Italie du Sud.
Ajoutons que le patriarcat arménien de Constantinople n'eut pas, à la même époque, la même fermeté dans sa foi que le patriarcat orthodoxe, et que les émissaires luthériens reçurent des déclarations vagues quant à la position des monophysites sur la question du
Filioque.
On peut déplorer que les circonstances historiques et, peut-être, la personnalité elle-même de Luther aient empêché cette union dont il rêvait avec les patriarcats orthodoxes en aboutissant à l'apparition de nouvelles confessions chrétiennes plutôt qu'à un retour d'une partie de l'Europe occidentale au sein de l'Orthodoxie. C'était d'ailleurs le deuxième échec de ce genre, puisque les Hussites de Bohême avaient essayé, au milieu du XVe siècle, d'entrer en communion avec l'Eglise orthodoxe. Cette tentative avait échoué parce que le siège de Constantinople était tenu par les partisans de la fausse union de Florence appuyés par le pouvoir politique, les orthodoxes fidèles à leur foi ayant dû former un synode persécuté qui s'appelait la Synaxe. On sait néanmoins qu'un émissaire hussite fut reçu dans l'Orthodoxie par les évêques de la Synaxe. On constate que l'oecuménisme avait déjà en 1450 les conséquences qu'il a aujourd'hui au sein de l'Orthodoxie: bien loin d'unir qui que ce soit, il divise les orthodoxes entre eux, et fait en outre obstacle au témoignage orthodoxe à l'égard de chrétiens hétérodoxes qui, à l'exemple des Hussites de l'époque, ont faim et soif de la vérité.