a-t-on bien lu Serge Boulgakov?
Publié : ven. 04 nov. 2005 23:53
Cela fait des semaines que je souhaitais rédiger cette réponse à un argument de Jean-Marc (message du 8 octobre 2005 à 15 heures 47 dans le fil "Témoins demandés").
Voici donc ces trois réactions.
1. La première concerne la faiblesse logique du raisonnment. Ecrire "Dans les oppositions doctrinales ou canoniques entre catholiques et orthodoxes, je suis toujours de l'avis de ces derniers mais j'estime que les déviations romaines ne peuvent être qualifiées d'hérésies au sens patristique et ne justifient pas un changement de structure ecclésiale" est aussi cohérent que d'écrire "un Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe est supérieur à une piquette frelatée, mais je préfère boire de la piquette frelatée, car celle-ci contient aussi des traces de vin". Pardonnez-moi une comparaison aussi prosaïque, mais d'une part je suis fortement enraciné en terres pinardières (Alsace, Provence et Genève), et, d'autre part, je crois, comme le docteur Luther, qu'un discous qu'un paysan de Saxe ne peut pas comprendre est faux. Voilà pourquoi cette comparaison me bient à l'esprit. Mais, pour triviale qu'elle soit, elle n'en fait pas moins ressortir le manque de logique du raisonnement.
2. C'est un faux problème. Le but est de suivre le Christ dans son Eglise, pas de mesurer le degré d'erreur doctrinale de ceux qui se sont séparés de l'Eglise. "On ne joue pas avec l'éternité", écrivait le futur métropolite Amphiloque (Radovitch) du Monténégro au père Gabriel Patacsi. Quand on est vraiment à la recherche de Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie et qu'Il vous tend la main, on saisit la main tendue et on ne passe pas son temps à la fabrication d'un thermomètre donnant l'intensité de l'erreur, et à partir de quel degré d'erreur l'erreur est erreur, comme à partir de quel degré de fièvre on est dispensé d'aller au travail. La vie en Christ n'est pas "un changement de structure ecclésiale".
3. Mais, surtout, je me demande si Jean-Marc a lu le même Boulgakov que moi. C'est facile d'écrire "comme Boulgakov, je crois..." en se dispensant de la moindre citation de Boulgakov.
J'ai sous les yeux un ouvrage de l'archiprêtre Serge Boulgakov, intitulé L'Orthodoxie, publié en 1932 à la librairie Félix Alcan à Paris, sans nom de traducteur. Ce livre a connu une autre traduction française, de la main du prince Constantin Andronikoff, aux Editions L'Âge d'Homme de notre frère Vladimir Dimitrijevic (Lausanne 1980). Ici, je me référerai cependant à la version de 1932, publiée du vivant de Boulgakov et qui représentait sans doute les idées qu'il voulait porter à la connaissance du public français.
Commençons par la page 1:
"L'Orthodoxie est l'Eglise du Christ sur terre. L'Eglise du Christ n'est pas une institution; c'est une vie nouvelle avec le Christ et en Christ, dirigée par l'Esprit-Saint."
Allons maintenant à la page 122:
"L'Eglise est une. C'est là un axiome ecclésiologique évident pour chaque chrétien: "Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que vous êtes appelés à une seule espérance par la vocation qui vous a été proposée. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; il y a un seul Dieu et Père de tous." (Ephés. 4, 4-6). Aussi, lorsque l'on parle de l'Eglise au pluriel, est-ce pour marquer qu'il existe plusieurs Eglises locales au sein de l'Eglise unique, ou encore pour marquer qu'il y a différentes confessions, qui possèdent une existence séparée au sein d'une même Eglise apostolique. Une telle expression est certainement inadéquate et ne doit pas induire en erreur. De même qu'il n'y a pas plusieurs vérités (quoique la vérité ait beaucoup d'aspects), il n'existe pas davantage plusieurs "Eglises": il n'y a qu'une véritable Eglise, l'Eglise orthodoxe." (Mis en gras par moi -NdL).
Et terminons par la page 123:
"Ce n'est qu'en partant du centre qû'on peut bien voir la situation de tous les points de la circonférence: et ce n'est qu'en faisant partie de la véritable Eglise, unique et sans tache, que l'on peut comprendre la vérité, la fausseté, ou le caractère limité des Eglises qui prétendent chaucne être la totalité de l'Eglise unique. L'Orthodoxie est cette Eglise unique et vraie, qui conserve la continuité de la vie d'Eglise, c'est-à-dire de l'unité de la tradition." (Mis en gras par moi - NdL).
Nous avons donc d'un côté l'archiprêtre Boulgakov qui écrit noir sur blanc "il n'y a qu'une véritable Eglise, l'Eglise orthodoxe", et d'un autre côté Jean-Marc qui écrit "comme Boulgakov, je crois que nous (= Eglise orthodoxe et Eglise catholique romaine) sommes restés la même Eglise". C'est faire dire à Boulgakov le contraire de ce qu'il a écrit, page 122 de son livre de 1932. Je laisse le lecteur juge de ce que Boulgakov a vraiment cru sur la question. Pour ma part, je me contente de penser que c'est encore Boulgakov qui est le meilleur interprète de Boulgakov...
Quand j'ai lu ce message, j'ai eu trois réactions. Je vous demande pardon d'avoir tardé si longtemps à les mettre par écrit, mais je voulais d'abord relire l'archiprêtre Serge Boulgakov, dont je ne me souvenais pas qu'il ait abondé dans le sens de Jean-Marc. Ensuite, les changements récemment intervenus dans ma vie professionnelle font que je passe à la semaine de 50 heures et qu'il me sera difficile de maintenir une participation régulière et de pouvoir répondre du tac au tac à ce qui se dit sur le forum.Jean-Marc a écrit :Dans les oppositions doctrinales ou canoniques entre catholiques et orthodoxes, je suis toujours de l'avis de ces derniers mais j'estime que les déviations romaines ne peuvent être qualifiées d'hérésies au sens patristique et ne justifient pas un changement de structure ecclésiale. Comme Boulgakov, comme Berdaiev, je crois que nous sommes restés la même Eglise, celle que vous appelez la seule vraie Eglise de Jésus-Christ.
Voici donc ces trois réactions.
1. La première concerne la faiblesse logique du raisonnment. Ecrire "Dans les oppositions doctrinales ou canoniques entre catholiques et orthodoxes, je suis toujours de l'avis de ces derniers mais j'estime que les déviations romaines ne peuvent être qualifiées d'hérésies au sens patristique et ne justifient pas un changement de structure ecclésiale" est aussi cohérent que d'écrire "un Châteauneuf-du-Pape Vieux Télégraphe est supérieur à une piquette frelatée, mais je préfère boire de la piquette frelatée, car celle-ci contient aussi des traces de vin". Pardonnez-moi une comparaison aussi prosaïque, mais d'une part je suis fortement enraciné en terres pinardières (Alsace, Provence et Genève), et, d'autre part, je crois, comme le docteur Luther, qu'un discous qu'un paysan de Saxe ne peut pas comprendre est faux. Voilà pourquoi cette comparaison me bient à l'esprit. Mais, pour triviale qu'elle soit, elle n'en fait pas moins ressortir le manque de logique du raisonnement.
2. C'est un faux problème. Le but est de suivre le Christ dans son Eglise, pas de mesurer le degré d'erreur doctrinale de ceux qui se sont séparés de l'Eglise. "On ne joue pas avec l'éternité", écrivait le futur métropolite Amphiloque (Radovitch) du Monténégro au père Gabriel Patacsi. Quand on est vraiment à la recherche de Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie et qu'Il vous tend la main, on saisit la main tendue et on ne passe pas son temps à la fabrication d'un thermomètre donnant l'intensité de l'erreur, et à partir de quel degré d'erreur l'erreur est erreur, comme à partir de quel degré de fièvre on est dispensé d'aller au travail. La vie en Christ n'est pas "un changement de structure ecclésiale".
3. Mais, surtout, je me demande si Jean-Marc a lu le même Boulgakov que moi. C'est facile d'écrire "comme Boulgakov, je crois..." en se dispensant de la moindre citation de Boulgakov.
J'ai sous les yeux un ouvrage de l'archiprêtre Serge Boulgakov, intitulé L'Orthodoxie, publié en 1932 à la librairie Félix Alcan à Paris, sans nom de traducteur. Ce livre a connu une autre traduction française, de la main du prince Constantin Andronikoff, aux Editions L'Âge d'Homme de notre frère Vladimir Dimitrijevic (Lausanne 1980). Ici, je me référerai cependant à la version de 1932, publiée du vivant de Boulgakov et qui représentait sans doute les idées qu'il voulait porter à la connaissance du public français.
Commençons par la page 1:
"L'Orthodoxie est l'Eglise du Christ sur terre. L'Eglise du Christ n'est pas une institution; c'est une vie nouvelle avec le Christ et en Christ, dirigée par l'Esprit-Saint."
Allons maintenant à la page 122:
"L'Eglise est une. C'est là un axiome ecclésiologique évident pour chaque chrétien: "Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que vous êtes appelés à une seule espérance par la vocation qui vous a été proposée. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême; il y a un seul Dieu et Père de tous." (Ephés. 4, 4-6). Aussi, lorsque l'on parle de l'Eglise au pluriel, est-ce pour marquer qu'il existe plusieurs Eglises locales au sein de l'Eglise unique, ou encore pour marquer qu'il y a différentes confessions, qui possèdent une existence séparée au sein d'une même Eglise apostolique. Une telle expression est certainement inadéquate et ne doit pas induire en erreur. De même qu'il n'y a pas plusieurs vérités (quoique la vérité ait beaucoup d'aspects), il n'existe pas davantage plusieurs "Eglises": il n'y a qu'une véritable Eglise, l'Eglise orthodoxe." (Mis en gras par moi -NdL).
Et terminons par la page 123:
"Ce n'est qu'en partant du centre qû'on peut bien voir la situation de tous les points de la circonférence: et ce n'est qu'en faisant partie de la véritable Eglise, unique et sans tache, que l'on peut comprendre la vérité, la fausseté, ou le caractère limité des Eglises qui prétendent chaucne être la totalité de l'Eglise unique. L'Orthodoxie est cette Eglise unique et vraie, qui conserve la continuité de la vie d'Eglise, c'est-à-dire de l'unité de la tradition." (Mis en gras par moi - NdL).
Nous avons donc d'un côté l'archiprêtre Boulgakov qui écrit noir sur blanc "il n'y a qu'une véritable Eglise, l'Eglise orthodoxe", et d'un autre côté Jean-Marc qui écrit "comme Boulgakov, je crois que nous (= Eglise orthodoxe et Eglise catholique romaine) sommes restés la même Eglise". C'est faire dire à Boulgakov le contraire de ce qu'il a écrit, page 122 de son livre de 1932. Je laisse le lecteur juge de ce que Boulgakov a vraiment cru sur la question. Pour ma part, je me contente de penser que c'est encore Boulgakov qui est le meilleur interprète de Boulgakov...