Le salut de l’homme est lié à la vision de Dieu d’une manière toute particulière.
La vision est à la fois spirituelle et matérielle : on peut être aveugle physiquement et voyant spirituellement, ou l’inverse, ce qui est le plus fréquent.
La vision comme l’entrée en contact de ce qui est éloigné, l’union de ce qui est distinct, le modèle de la relation personnelle. La vision exprime par excellence le consentement de la volonté libre à l’union et à l’unité.
L’amour se transmet par le regard et c’est le regard qui exprime par excellence le " oui " de l’homme à l’autre et à Dieu en particulier. Cf. théorie platonicienne de la vision.
L’organe par lequel l’homme entre en contact avec le monde spirituel, invisible, le " nous " ou " oum ", est appelé par les Pères " l’œil de l’âme ".
Ainsi saint Irénée lie de manière très étroite la vision et le salut de l’homme, et, commentant Baruch, 3,37 : " Il a été vu sur la terre et Il a conversé avec les hommes ", il dit ceci :
" Dès le commencement en effet, le Verbe a annoncé que Dieu serait vu des hommes et converserait avec eux sur la terre, et qu’il se rendrait présent à l’ouvrage par lui modelé, pour le sauver et se laisser saisir par lui, " pour nous délivrer des mains de tous ceux qui nous haïssent (Luc, 1,71) ", c’est-à-dire de tout esprit de transgression, et pour faire en sorte que " nous le servions avec sainteté et justice tous les jours de notre vie (Luc, 1,74-75) " afin que, enlacés à l’Esprit de Dieu, l’homme accède à la gloire du Père ".
De même plus loin:
" De même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, de même ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur. Or vivifiante est la splendeur de Dieu. Ils auront donc part à la vie, ceux qui voient Dieu. Tel est le motif pour lequel celui qui est insaisissable, incompréhensible et invisible s’offre à être vu, compris et saisi par les hommes : c’est afin de vivifier ceux qui le saisissent et qui le voient. Car si sa grandeur est inscrutable, sa bonté aussi est inexprimable et c’est grâce à elle qu’il se fait voir et qu’il donne la vie à ceux qui le voient. Car il est impossible de vivre sans la vie, et il n’y a de vie que par la participation à Dieu et cette participation à Dieu consiste à voir Dieu et à jouir de sa bonté. "
Et encore :
" Car la gloire de Dieu c’est l’homme vivant et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu : si déjà la révélation de Dieu par la création donne la vie à tous les êtres qui vivent sur la terre, combien plus la manifestation du Père par le Verbe donne-t-elle la vie à ceux qui voient Dieu ! "
On comprend ainsi comment les Pères peuvent dire que celui qui ne vénère pas l’icône du Christ, ne Le verra pas dans le siècle à venir, et ne sera pas sauvé.
La communion qui passe par la vision et la foi qui résulte de l’amour, le oui libre à l’amour issu de la vision, est la condition du salut. Il nous sera un jour demandé à tous, ce qui fut demandé à l’aveugle-né : " Jésus apprit qu’ils l’avaient chassé ; et l’ayant rencontré, il lui dit : Crois-tu au Fils de Dieu ? Il répondit : Et qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? Tu l’as vu, lui dit Jésus, et celui qui te parle c’est lui ! Et il dit : Je crois, Seigneur.. Et il se prosterna devant lui ".
L’Icône ne peut donc être comprise comme l’invention de l’imagination humaine, mais elle est le résultat d’une illumination, elle est la vision d’une réalité objective, révélée par le Saint Esprit au croyant, comme le jour de la Transfiguration, la divinité du Christ fut révélée aux Apôtres.
Le lien de la Nativité et de la Théophanie exprime ce paradoxe de l’icône, qui peignant le visible, manifeste l’invisible. La naissance du Logos dans la chair a pour but la manifestation de la Sainte Trinité.
Le lien entre les deux fêtes, traditionnel dans l’exégèse de l’Eglise, est liturgiquement rendu évident, par exemple :
- par la proximité des deux fêtes, qui correspond au raccourci évangélique ;
par la suspension de tout jeûne entre les deux fêtes, qui en fait comme un unique Dimanche ;
- par le stichère le plus solennel des Grandes Heures de la Nativité, la doxologie qui précède les lectures de None : " Ô Christ, nous nous prosternons devant Ta Nativité ", (répété trois fois) qui s’achève par " Fais-nous voir Ta divine Théophanie ! " ;
- par l’ikos du kondak de la Théophanie : " …Ceux qui étaient dans les ténèbres ont vu l’éblouissante lumière, jaillissant de Bethléem, ou plutôt le Seigneur né de la Vierge Marie, le Soleil de justice, rayonne sur tout l’univers … "
La Théophanie est l’accomplissement, la fin et la manifestation de l’Incarnation, le commencement du salut, c’est-à-dire du rayonnement du Christ, de Sa Prédication, de l’Evangile, de la Révélation.
Le Tropaire et le Kondak de la fête expriment bien le caractère double de la manifestation de Dieu en Christ : le Verbe incarné et la Sainte Trinité, c’est-à-dire le Verbe en tant qu’Il est Dieu, inséparable du Père et de l’Esprit ; l’hypostase divine incarnée du Verbe et la nature divine resplendissant sur elle dans l’unité de la lumière tri personnelle ; le visible et l’invisible.
Tropaire : " Quand Tu fus baptisé dans le Jourdain, Seigneur, fut manifestée l’adoration de la Trinité ; la voix de Celui-qui-T’engendre Te portait témoignage, Te nommant Fils Bien-aimé, et l’Esprit, sous forme de colombe, a confirmé la sureté (a donné une ferme assise à la sûreté) de la parole. Tu es apparu, Tu as illuminé le monde, ô Christ notre Dieu, gloire à Toi ! "
Non seulement la voix du Père se fait entendre et l’Esprit apparaît sous forme de colombe, mais tout ceci est comme une indication que le Christ Lui-même, en recréant Adam en Lui-même, manifeste en Lui-même la Sainte Trinité et la ressemblance de l’homme avec Elle.
Kondak : " Aujourd’hui, Tu es apparu à l’univers et Ta lumière, seigneur, fut un signe sur nous, qui dans la connaissance (épignôsis) Te chantons : Tu es venu, Tu es apparu, Lumière inaccessible ! "
De même la prière de Prime : " Ô Christ, la vraie lumière, qui éclaire et sanctifie tout homme venant dans le monde, que soit un signe sur nous la lumière de Ta face, afin qu’en elle nous voyons la lumière inaccessible… ".Ce qui signifie : " Donne nous de voir en Toi, sur Ton visage, la lumière de la sainte Trinité ".
C’est le Christ, comme la manifestation de la Sainte Trinité, qui est Lui-même l’objet de la prédication : en Lui-même, Il nous La montre et Il nous La dit : l’Evangile et l’Icône sont les deux moyens de la Révélation dans la Tradition, les deux aspects inséparables du kérygme.
Le Christ Lui-même est connu de deux manières, par l’Ecriture et par l’Icône : par Ses paroles et par Son aspect visible. Les deux sont sur le même plan, comme l’affirment les Pères du 7ième concile oecuménique.
" La vérité a son image. Car elle n’est pas une idée ou une formule abstraite, elle est concrète et vivante, elle est une personne, la Personne " crucifiée sous Ponce-Pilate ". Lorsque Pilate posa au Christ le question : " qu’est-ce que la vérité ? " (Jean, 18, 38), le Christ ne répondit pas autrement qu’en se tenant devant lui en silence. Pilate n’attendit même pas la réponse et sortit, sachant qu’on pouvait faire à sa question une multitude de réponses dont aucune ne serait valable. Car l’Eglise seule possède la réponse à la question de Pilate : c’est dans le cercle apostolique que le Christ a dit à ses disciples : " Je suis le chemin, la vérité et la vie." (Jean, 14,16). La vérité ne répond pas à la question qu’est-ce que, mais à la question qui est la vérité. Elle est une personne et elle a son image. C’est pourquoi l’Eglise non seulement parle de la vérité, mais montre la vérité : l’image de Jésus-Christ. "
On ne peut séparer les deux choses, pas l’Ecriture sans l’Icône et pas l’Icône sans l’Ecriture, elles se vérifient l’une l’autre.
Il faut comprendre l’Evangile à la lumière de l’Icône, qui nous donne la vérité de l’Evangile, qui a son tour, donne la vérité de l’Icône, puisque " C’est Jésus Christ le Seigneur que nous prêchons ! ":
" Si notre Evangile est encore voilé, il est voilé pour ceux qui périssent ; pour les incrédules dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’intelligence, afin qu’ils ne voient pas briller la splendeur de l’Evangile de la gloire de Christ, qui est l’Image de Dieu. "
Sans l’icône, l’Evangile peut finir par devenir lettre morte. Car l’absence de l’icône est malheureusement significative de l’affaiblissement, sinon de la disparition du don du Saint esprit. Elle est " le dehors " traditionnel de l’Ecriture, son medium de compréhension, en tant qu’elle prouve la réalité de l’événement historique de l’Incarnation du Christ.
Nous ne pouvons pas traiter l’Evangile n’importe comment, ni parler du Christ n’importe comment, quand l’icône nous Le montre au même moment " dans la plénitude de la divinité ", car à cette vue nous sommes saisis d’une crainte salutaire.
Comme l’icône, comme l’icône verbale qu’il est, l’Evangile nous montre dans le visage du Fils de l’homme, Dieu le Verbe, Celui qui est Un avec le Père et l’Esprit, le " Vrai Christ ", celui que nous reconnaissons et dont nous pouvons dire : " C’est Lui ! ", quand nous en avons entendu parler, quand nous avons entendu Ses paroles, et inversement..
Si " c’est bien Lui ", c’est-à-dire si c’est bien notre Créateur, même si nous n’en avons jamais entendu parler avant, Son Image est inscrite dans les tréfonds de notre nature, nous Le reconnaissons et nous nous reconnaissons en Lui.
Nous sommes tous Ses brebis : " Les brebis Le suivent (le Bon Berger), parce qu’elles connaissent Sa voix…Je connais mes brebis et elles me connaissent, comme le Père me connaît et comme je connais le Père… "
Nous reconnaissons notre créateur, Celui à l’image de qui nous avons été créés, notre aspect véritable, notre forme originelle, la réalité de nous-même, et donc aussi l’abîme qui nous en sépare de Lui. Ainsi les stichères des Apostiches de la Théophanie qui se terminent toutes par : " Dieu qui Te manifeste, aie pitié de nous ! ". A.T : " Personne ne peut voir la Face de Dieu et vivre ", ce qui implique que l’esprit de pénitence est le signe de la vraie vision ; Job, lorsqu’il dit : " A présent, mes yeux T’ont vu ! Je suis poussière et cendre! " Humilité de ceux qui ont vu Dieu.
Si le Christ que nous disons et peignons n’est pas Dieu le Verbe, c’est-à-dire Celui qui est Un avec le Père et l’Esprit, alors nous ne suscitons pas l’amour chez ceux que nous prêchons ; l’athéisme contemporain est le résultat de cette prédication insensée qui parle de l’homme Jésus et non du Christ, Dieu-homme, et cela aussi bien dans l’enseignement oral que dans les images. Cette prédication humaniste oublie que la nature de l’homme, même déchu, conserve l’image de Dieu, et donc que l’homme, en conséquence, sait reconnaître son maître, - mais faut-il encore lui parler de son vrai maître et non d’un usurpateur (" le mercenaire ").
L’Icône est sainte comme l’Evangile, pas moins. L’Icône est Sainte Ecriture. Si l’icône n’est pas ça, alors elle n’accomplit pas son travail d’Annonce de la Parole, de Bonne Nouvelle, d’annonce de " l’élévation de l’humilité de Dieu le Verbe, de Son habitation dans la chair, de Sa passion, de Sa mort salvatrice et, par là même,de la délivrance qui en a résulté pour le monde."
Il est donc indispensable de faire très attention à ce que nous peignons et à la manière dont nous le peignons. La vraie icône est la mission par excellence. Il faut se garder d’altérer l’Icône comme on ne doit pas altérer l’Ecriture.
Léonide Ouspensky commente: " Si les traits historiques de Jésus, son portrait, sont un témoignage de la venue dans la chair, de l’abaissement, de l’humiliation de la Divinité, la façon de représenter le " Fils de l’homme " doit refléter la gloire de Dieu. Autrement dit, l’humilité de Dieu le Verbe doit être montrée de telle façon qu’en la regardant nous contemplions Sa gloire divine, l’image humaine de Dieu le Verbe, et que par là nous concevions le caractère salutaire de Sa mort et " la délivrance qui en a résulté pour le monde ".
Dans l’icône du Christ, Dieu, qui a pris la ressemblance de l’homme, nous montre qui est l’homme : Dieu par la grâce, comme dans un miroir. Dans l’amour, peu à peu, nous devenons semblables à l’être aimé. L’Icône est l’expression matérielle du miroir de l’âme où le Christ vient se refléter :
Ainsi, " lorsque les cœurs se convertissent au Seigneur, le voile est ôté…nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit."