"Soi-disant anti sémitisme" chez les Pères ?
Publié : mar. 12 août 2003 0:57
Déjà dit dans la rubrique ''violence en orthodoxie'', mais le rappel de Katherine me laisse penser que cela mérite une rubrique en soi.
Sur Jean Chrysostome
Les meilleurs spécialistes de l'histoire de l'antisémitisme laissent entendre, avec quelques références en bas de page, que ce sont les Pères de l'Eglise qui ont lancé contre les juifs l'accusation de déicide. Déicide, Génocide, les deux mots semblent faits l'un pour l'autre. Le rapport de causalité entre eux, à défaut d'être établi, est facile à exploiter dans un contexte polémique qui n'est pas le nôtre. Cette accusation est-elle fondée, ou non ? Mais auparavant il nous faut élucider un problème de sémantique qui n'est pas innocent.Il faut d'abord remarquer que, de nos jours, le mot déicide évoque immanquablement Nietzsche et l'athéisme militant qui ont proclamé la mort de Dieu. Utiliser ce terme pour traduire un texte du IVe siècle ressemble à un anachronisme, sinon à un contresens. En effet, la mort du Dieu Eternel et Tout-puissant est littéralement impensable pour un écrivain chrétien des premiers siècles. D'ailleurs, dans l'antiquité, le mot et le concept même de déicide n'existent pas. Par définition, les dieux sont immortels. La mythologie, pourtant fertile en anecdotes cocasses, scabreuses ou dramatiques, n'a jamais raconté la mort d'un dieu, et moins encore son meurtre. Les hommes, eux, sont mortels, c'est leur définition, à tel point que cet attribut est employé comme un synonyme : un homme, un mortel, les deux mots sont interchangeables.Et pourtant les Pères grecs ont bien créé tout exprès le mot théo-ktonoi pour désigner ceux qui ont tué Dieu, c'est-à-dire ceux qui ont une responsabilité, directe ou indirecte, dans la mort de Jésus : juifs, romains, chrétiens pécheurs ou hérétiques, chacun à leur manière, sont meurtriers de Dieu. Il ne s'agit évidemment pas de déicides qui auraient tué la divinité, mais de ceux qui ont tué Jésus-Christ, Fils de Dieu.Pour en terminer avec ce problème de vocabulaire, faut-il faire appel à l'autorité du très savant et très classique Dictionnaire grec-français de M.-A. Bailly ? Au mot théo-ktonos, on trouve la traduction et la précision suivante : qui fait mourir Dieu (c.-à-d. Jésus-Christ). Manifestement on a évité le mot déicide, et on s'est résigné à faire du mot à mot, ce qui est interdit par tous les professeurs de grec et de latin ! Nous suivrons donc l'exemple du dictionnaire Bailly pour éviter contresens et anachronisme dans la traduction de ces textes censés condamner les Père de l'Eglise.
Le vocabulaire étant défini, on peut passer aux textes des grands accusés qui auraient traité les juifs de «déicides», à savoir : Eusèbe de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Astérios d'Amasée et Méliton de Sardes.
On recensera ensuite ceux qui ont utilisé le mot théo-ktonoi mais qui n'ont pas été 'épinglés' par des accusateurs trop pressés, et enfin, ceux qui ont utilisé, comme d'ailleurs également les précédents, d'autres néologismes moins tapageurs, à savoir Kurio-ktonoi et Christo-ktonoi : ceux qui ont tué le Seigneur, et ceux qui ont tué le Christ
Les résultats statistiques sont les suivants :
- Ceux qui ont tué Dieu (Théo-ktonoi).............17 fois cités.
- Ceux qui ont tué le Seigneur (Kurio-ktonoi)..27 fois cités.
- Ceux qui ont tué le Christ (Christo-ktonoi)...17 fois cités.
AU TOTAL :..61 CITATIONS.
De ces dix-sept Théo-ktonoi sur soixante et une citations, il ne faudrait pas conclure qu'on est là devant un thème majeur, mille fois repris et développé. C'est bien le contraire qu'il faudrait conclure.
Au regard de l'immense corpus patristique, cette poignée de Théo-ktonoi ne permet pas de faire une théorie, et encore moins une théologie exprimant une opinion commune.
Pour les Pères de l'Eglise, les trois néologismes qu'ils emploient sont manifestement synonymes. Dans les trois cas il s'agit du Christ, Seigneur, fils de Dieu, et de sa mort sur la croix. Pour chacun des textes cités, il faudra toujours se demander : de qui parle-t-on ? Des juifs ou des romains qui sont intervenus dans le procès de Jésus, ou bien des juifs en général depuis le 'déicide' jusqu'à la consommation des siècles, ou bien encore des ennemis de l'Eglise, empereurs, hérétiques ou autres ? La réponse dépendra évidemment du contexte. La responsabilité des juifs et des romains qui ont participé à la condamnation et à l'exécution de Jésus n'est guère contestable. Ce qui fait problème, c'est la notion de responsabilité et donc de culpabilité collectives et héréditaires qui ont été admises très tôt et jusqu'au concile Vatican II, en contradiction flagrante avec l'Ancien et le Nouveau Testament, l'un et l'autre affirmant, à contre courant, que chacun sera jugé selon ses oeuvres . Il aura fallu beaucoup de temps pour admettre que 'le crime de déicide' n'était pas 'génétiquement transmissible'. On notera pourtant que la notion de race juive est totalement absente chez les Pères de l'Eglise. Les motifs sont toujours religieux. L'antisémitisme chrétien est théologique, il n'est pas d'essence raciste.
Jean Chrysostome est Bouche d'or lorsqu'il commente l'Ecriture, mais il peut devenir une Bouche infernale lorsqu'il vitupère contre les juifs : pas moins de huit sermons à la file ! Mais pourquoi tant de violence oratoire, tant de haine ?
Avant de citer le texte, il nous faut évoquer le contexte. Ce qui fait sortir l'orateur de ses gonds, ce ne sont pas les juifs, ce sont des chrétiens qui continuent à fréquenter la synagogue .
Trois cent cinquante ans après l'épître aux Galates, le problème des judaïsants n'est toujours pas réglé. Le contraste entre le pasteur et ses ouailles, du moins une partie d'entre elles, est frappant. D'un côté un homme pour qui les juifs sont des êtres totalement abstraits, sortis tout droit de la Bible, pétrifiés depuis des siècles dans les féroces diatribes des prophètes. De l'autre, des chrétiens qui, non seulement connaissent des juifs en chair et en os, mais entretiennent avec eux d'excellentes relations, observant même les rites, les jeûnes et les fêtes juives. Avant d'être théologien ou exégète, Chrysostome est pasteur. Il vient d'être ordonné prêtre et s'est vu confier par son évêque le ministère de la parole. Il veut ramener ses brebis dans le droit chemin, et il ne lésine pas sur les moyens. Tous les arguments sont bons, il faut frapper fort, très fort : théo-ktonoi, meurtriers de Dieu !
Dans l'assistance on n'a peut-être pas tout compris, mais chacun est sorti du prêche avec une certitude : le nouveau prêtre est très en colère, il faudra être discret dans ses rapports avec les juifs qui, au demeurant, sont des gens très fréquentables ! Dans le même sermon, et dans la même période oratoire, Jean Chrysostome utilise les deux mots ceux qui ont tué le Christ et ceux qui ont tué Dieu qui désignent évidemment la même personne :"La fumée de vos offrandes m'est en abomination [Is 1,13]. La fumée est en abomination, et le lieu ne le serait pas ? Et quand cette abomination ? Avant que les juifs aient commis le crime suprême, avant qu'ils aient mis à mort leur Maître, avant la croix, avant le meurtre du Christ, c'est l'abomination. N'est-ce pas pire maintenant ? «Et si quelqu'un tue ton fils, dis-moi, est-ce que tu supporterais son regard ? L'écouterais-tu s'il te parlait ? Ne le fuirais-tu pas comme un méchant démon, comme le diable lui-même ? Ils ont tué le fils de ton Maître, et tu oserais entrer avec eux dans le même lieu ? Alors que celui qu'ils ont mis à mort t'a honoré au point de te faire son frère et son héritier. Et tu lui fais le même affront que ses meurtriers qui l'ont attaché à la croix, lorsque tu pratiques et observes leurs fêtes, que tu vas dans leurs édifices impies, que tu entres dans leurs portiques impurs et que tu participes à la table des démons. C'est ainsi que je suis amené à appeler le jeûne des juifs après le meurtre de Dieu".
Cette violence verbale qui nous choque si fort de la part d'un homme d'Eglise, Chrysostome l'a prise dans la Bible. Israël y est traité très habituellement d'infidèle et même de prostituée. Plus cinglantes encore les comparaisons avec les animaux : Chiens voraces et insatiables [Is. 56,11], Vaches de Basan [Amos 4,1], Génisse rétive [Osée 4,16], Etalons bien repus, vagabonds, chacun d'eux hennit après la femme de son voisin [Jr 5,8]. M. Simon cite un critique juif qui "constatait amèrement que les prophètes, fleur d'Israël, portent l'involontaire responsabilité de la haine attisée par l'Eglise ancienne contre leurs frères" .
Pour en savoir plus, on pourra lire l'excellent numéro 29 de la revue Connaissance des Pères de l'Eglise de mars 1988, intitulé Jean Chrysostome face au judaïsme.Les accusateurs du bouillant prêtre d'Antioche s'en tiennent aux citations ci-dessus. Nous avons essayé de les compléter. On remarquera que l'expression la plus habituelle est meurtriers du Christ.Dans le texte suivant, Chrysostome interpelle ses auditeurs judaïsants : «Lorsque tu t'éloignes...». Le fait qu'un chrétien aille à la synagogue, est ressenti comme un éloignement, dans tous les sens du terme :«Lorsque tu t'éloignes pour entrer en communion avec ceux qui ont répandu le sang du Christ, n'as tu pas honte de venir communier à la table sacrée et prendre part au sang du Christ ?.«Qui donc peut donner preuve plus éclatante qu'il n'aime pas Dieu, que de prendre part aux fêtes de ceux par qui il fut tué. ?.«Si les juifs n'avaient pas considéré que la recherche de la vaine gloire était sans importance, ils n'auraient jamais été jusqu'à devenir des meurtriers du Christ".Dans le style musclé, Jean Chrysostome n'a pas son pareil. Ce jour-là, il s'en prend aux avares et commente à leur intention la réponse des grands-prêtres à Judas : Toi vois [Mt 27,4] :«Rejetant le crime sur le traître, ils disent : Toi vois. Après l'avoir poussé au meurtre du Christ, ils l'abandonnent" .Jean Chrysostome commente l'évangile de Jean : Jésus ne voulait pas aller en Judée, parce que les juifs cherchaient à le faire mourir :«Rien de pire que l'envie et la jalousie ; par elle, la mort est entrée dans le monde ;... par elle, Abel a été tué ;... par elle, beaucoup de justes ont souffert ; par elle, les juifs sont devenus des meurtriers du Christ".«Et lorsque nous participons indignement aux saints mystères, nous nous perdons comme ceux qui ont tué le Christ".Jean Chrysostome explique que la grâce de Dieu opère même dans ceux qui en sont indignes :«Dieu a trouvé bon de parler avec Caïn à cause d'Abel, avec le diable à cause de Job, avec le Pharaon à cause de Joseph.... Les Mages aussi ont eu accès à la révélation, et Caïphe a prophétisé alors qu'il était meurtrier du Christ".
La suite sur
http://web.wanadoo.be/rupture/cg_frame.htm
Sur Jean Chrysostome
Les meilleurs spécialistes de l'histoire de l'antisémitisme laissent entendre, avec quelques références en bas de page, que ce sont les Pères de l'Eglise qui ont lancé contre les juifs l'accusation de déicide. Déicide, Génocide, les deux mots semblent faits l'un pour l'autre. Le rapport de causalité entre eux, à défaut d'être établi, est facile à exploiter dans un contexte polémique qui n'est pas le nôtre. Cette accusation est-elle fondée, ou non ? Mais auparavant il nous faut élucider un problème de sémantique qui n'est pas innocent.Il faut d'abord remarquer que, de nos jours, le mot déicide évoque immanquablement Nietzsche et l'athéisme militant qui ont proclamé la mort de Dieu. Utiliser ce terme pour traduire un texte du IVe siècle ressemble à un anachronisme, sinon à un contresens. En effet, la mort du Dieu Eternel et Tout-puissant est littéralement impensable pour un écrivain chrétien des premiers siècles. D'ailleurs, dans l'antiquité, le mot et le concept même de déicide n'existent pas. Par définition, les dieux sont immortels. La mythologie, pourtant fertile en anecdotes cocasses, scabreuses ou dramatiques, n'a jamais raconté la mort d'un dieu, et moins encore son meurtre. Les hommes, eux, sont mortels, c'est leur définition, à tel point que cet attribut est employé comme un synonyme : un homme, un mortel, les deux mots sont interchangeables.Et pourtant les Pères grecs ont bien créé tout exprès le mot théo-ktonoi pour désigner ceux qui ont tué Dieu, c'est-à-dire ceux qui ont une responsabilité, directe ou indirecte, dans la mort de Jésus : juifs, romains, chrétiens pécheurs ou hérétiques, chacun à leur manière, sont meurtriers de Dieu. Il ne s'agit évidemment pas de déicides qui auraient tué la divinité, mais de ceux qui ont tué Jésus-Christ, Fils de Dieu.Pour en terminer avec ce problème de vocabulaire, faut-il faire appel à l'autorité du très savant et très classique Dictionnaire grec-français de M.-A. Bailly ? Au mot théo-ktonos, on trouve la traduction et la précision suivante : qui fait mourir Dieu (c.-à-d. Jésus-Christ). Manifestement on a évité le mot déicide, et on s'est résigné à faire du mot à mot, ce qui est interdit par tous les professeurs de grec et de latin ! Nous suivrons donc l'exemple du dictionnaire Bailly pour éviter contresens et anachronisme dans la traduction de ces textes censés condamner les Père de l'Eglise.
Le vocabulaire étant défini, on peut passer aux textes des grands accusés qui auraient traité les juifs de «déicides», à savoir : Eusèbe de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Astérios d'Amasée et Méliton de Sardes.
On recensera ensuite ceux qui ont utilisé le mot théo-ktonoi mais qui n'ont pas été 'épinglés' par des accusateurs trop pressés, et enfin, ceux qui ont utilisé, comme d'ailleurs également les précédents, d'autres néologismes moins tapageurs, à savoir Kurio-ktonoi et Christo-ktonoi : ceux qui ont tué le Seigneur, et ceux qui ont tué le Christ
Les résultats statistiques sont les suivants :
- Ceux qui ont tué Dieu (Théo-ktonoi).............17 fois cités.
- Ceux qui ont tué le Seigneur (Kurio-ktonoi)..27 fois cités.
- Ceux qui ont tué le Christ (Christo-ktonoi)...17 fois cités.
AU TOTAL :..61 CITATIONS.
De ces dix-sept Théo-ktonoi sur soixante et une citations, il ne faudrait pas conclure qu'on est là devant un thème majeur, mille fois repris et développé. C'est bien le contraire qu'il faudrait conclure.
Au regard de l'immense corpus patristique, cette poignée de Théo-ktonoi ne permet pas de faire une théorie, et encore moins une théologie exprimant une opinion commune.
Pour les Pères de l'Eglise, les trois néologismes qu'ils emploient sont manifestement synonymes. Dans les trois cas il s'agit du Christ, Seigneur, fils de Dieu, et de sa mort sur la croix. Pour chacun des textes cités, il faudra toujours se demander : de qui parle-t-on ? Des juifs ou des romains qui sont intervenus dans le procès de Jésus, ou bien des juifs en général depuis le 'déicide' jusqu'à la consommation des siècles, ou bien encore des ennemis de l'Eglise, empereurs, hérétiques ou autres ? La réponse dépendra évidemment du contexte. La responsabilité des juifs et des romains qui ont participé à la condamnation et à l'exécution de Jésus n'est guère contestable. Ce qui fait problème, c'est la notion de responsabilité et donc de culpabilité collectives et héréditaires qui ont été admises très tôt et jusqu'au concile Vatican II, en contradiction flagrante avec l'Ancien et le Nouveau Testament, l'un et l'autre affirmant, à contre courant, que chacun sera jugé selon ses oeuvres . Il aura fallu beaucoup de temps pour admettre que 'le crime de déicide' n'était pas 'génétiquement transmissible'. On notera pourtant que la notion de race juive est totalement absente chez les Pères de l'Eglise. Les motifs sont toujours religieux. L'antisémitisme chrétien est théologique, il n'est pas d'essence raciste.
Jean Chrysostome est Bouche d'or lorsqu'il commente l'Ecriture, mais il peut devenir une Bouche infernale lorsqu'il vitupère contre les juifs : pas moins de huit sermons à la file ! Mais pourquoi tant de violence oratoire, tant de haine ?
Avant de citer le texte, il nous faut évoquer le contexte. Ce qui fait sortir l'orateur de ses gonds, ce ne sont pas les juifs, ce sont des chrétiens qui continuent à fréquenter la synagogue .
Trois cent cinquante ans après l'épître aux Galates, le problème des judaïsants n'est toujours pas réglé. Le contraste entre le pasteur et ses ouailles, du moins une partie d'entre elles, est frappant. D'un côté un homme pour qui les juifs sont des êtres totalement abstraits, sortis tout droit de la Bible, pétrifiés depuis des siècles dans les féroces diatribes des prophètes. De l'autre, des chrétiens qui, non seulement connaissent des juifs en chair et en os, mais entretiennent avec eux d'excellentes relations, observant même les rites, les jeûnes et les fêtes juives. Avant d'être théologien ou exégète, Chrysostome est pasteur. Il vient d'être ordonné prêtre et s'est vu confier par son évêque le ministère de la parole. Il veut ramener ses brebis dans le droit chemin, et il ne lésine pas sur les moyens. Tous les arguments sont bons, il faut frapper fort, très fort : théo-ktonoi, meurtriers de Dieu !
Dans l'assistance on n'a peut-être pas tout compris, mais chacun est sorti du prêche avec une certitude : le nouveau prêtre est très en colère, il faudra être discret dans ses rapports avec les juifs qui, au demeurant, sont des gens très fréquentables ! Dans le même sermon, et dans la même période oratoire, Jean Chrysostome utilise les deux mots ceux qui ont tué le Christ et ceux qui ont tué Dieu qui désignent évidemment la même personne :"La fumée de vos offrandes m'est en abomination [Is 1,13]. La fumée est en abomination, et le lieu ne le serait pas ? Et quand cette abomination ? Avant que les juifs aient commis le crime suprême, avant qu'ils aient mis à mort leur Maître, avant la croix, avant le meurtre du Christ, c'est l'abomination. N'est-ce pas pire maintenant ? «Et si quelqu'un tue ton fils, dis-moi, est-ce que tu supporterais son regard ? L'écouterais-tu s'il te parlait ? Ne le fuirais-tu pas comme un méchant démon, comme le diable lui-même ? Ils ont tué le fils de ton Maître, et tu oserais entrer avec eux dans le même lieu ? Alors que celui qu'ils ont mis à mort t'a honoré au point de te faire son frère et son héritier. Et tu lui fais le même affront que ses meurtriers qui l'ont attaché à la croix, lorsque tu pratiques et observes leurs fêtes, que tu vas dans leurs édifices impies, que tu entres dans leurs portiques impurs et que tu participes à la table des démons. C'est ainsi que je suis amené à appeler le jeûne des juifs après le meurtre de Dieu".
Cette violence verbale qui nous choque si fort de la part d'un homme d'Eglise, Chrysostome l'a prise dans la Bible. Israël y est traité très habituellement d'infidèle et même de prostituée. Plus cinglantes encore les comparaisons avec les animaux : Chiens voraces et insatiables [Is. 56,11], Vaches de Basan [Amos 4,1], Génisse rétive [Osée 4,16], Etalons bien repus, vagabonds, chacun d'eux hennit après la femme de son voisin [Jr 5,8]. M. Simon cite un critique juif qui "constatait amèrement que les prophètes, fleur d'Israël, portent l'involontaire responsabilité de la haine attisée par l'Eglise ancienne contre leurs frères" .
Pour en savoir plus, on pourra lire l'excellent numéro 29 de la revue Connaissance des Pères de l'Eglise de mars 1988, intitulé Jean Chrysostome face au judaïsme.Les accusateurs du bouillant prêtre d'Antioche s'en tiennent aux citations ci-dessus. Nous avons essayé de les compléter. On remarquera que l'expression la plus habituelle est meurtriers du Christ.Dans le texte suivant, Chrysostome interpelle ses auditeurs judaïsants : «Lorsque tu t'éloignes...». Le fait qu'un chrétien aille à la synagogue, est ressenti comme un éloignement, dans tous les sens du terme :«Lorsque tu t'éloignes pour entrer en communion avec ceux qui ont répandu le sang du Christ, n'as tu pas honte de venir communier à la table sacrée et prendre part au sang du Christ ?.«Qui donc peut donner preuve plus éclatante qu'il n'aime pas Dieu, que de prendre part aux fêtes de ceux par qui il fut tué. ?.«Si les juifs n'avaient pas considéré que la recherche de la vaine gloire était sans importance, ils n'auraient jamais été jusqu'à devenir des meurtriers du Christ".Dans le style musclé, Jean Chrysostome n'a pas son pareil. Ce jour-là, il s'en prend aux avares et commente à leur intention la réponse des grands-prêtres à Judas : Toi vois [Mt 27,4] :«Rejetant le crime sur le traître, ils disent : Toi vois. Après l'avoir poussé au meurtre du Christ, ils l'abandonnent" .Jean Chrysostome commente l'évangile de Jean : Jésus ne voulait pas aller en Judée, parce que les juifs cherchaient à le faire mourir :«Rien de pire que l'envie et la jalousie ; par elle, la mort est entrée dans le monde ;... par elle, Abel a été tué ;... par elle, beaucoup de justes ont souffert ; par elle, les juifs sont devenus des meurtriers du Christ".«Et lorsque nous participons indignement aux saints mystères, nous nous perdons comme ceux qui ont tué le Christ".Jean Chrysostome explique que la grâce de Dieu opère même dans ceux qui en sont indignes :«Dieu a trouvé bon de parler avec Caïn à cause d'Abel, avec le diable à cause de Job, avec le Pharaon à cause de Joseph.... Les Mages aussi ont eu accès à la révélation, et Caïphe a prophétisé alors qu'il était meurtrier du Christ".
La suite sur
http://web.wanadoo.be/rupture/cg_frame.htm