Jean-Marc a écrit :En tous cas, Jean-Marc, lecteur "hétérodoxe" (je préfère "latin"), a parfaitement compris grâce à Claude le sens de ces photos et applaudit à deux mains. Moscou est bien spirituellement la Troisième Rome ! Pourrait-elle l'être (à nouveau) géopolitiquement ?
Ce que je ne comprends pas, dans cette histoire de la Troisième Rome, c'est que le moine Philoptée qui avait lancé l'expression justifiait cette idée par le fait que deux Rome étaient tombées. "Deux Rome sont tombées, la troisième est debout, et il n'y en aura pas de quatrième."
Que la première Rome soit tombée dans l'hérésie et le schisme, d'accord, mais, que je sache, même dans une Constantinople profanée et livrée aux Agaréniens, il y a toujours un patriarche et un synode, et ils sont toujours orthodoxes.
Dans ma vie d'orthodoxe, j'ai toujours combattu le néo-papisme patriarcal et les compromissions religieuses et politiques du patriarcat oecuménique et j'ai souvent souffert de son peu de souci pastoral pour le troupeau que Dieu lui a confié.
Mais enfin, le patriarcat oecuménique de Constantinople Nouvelle Rome est toujours là. Il a toujours des centaines de milliers de fidèles de par le monde, il scintille toujours de la lumière de la foi véritable au milieu des compromissions mondaines et il est toujours le premier siège de l'Eglise par rang d'honneur. Je constate donc qu'une seule Rome est tombée et qu'il n'y avait de toute façon que l'Ancienne Rome et la Nouvelle Rome.
Je m'étonne de voir un catholique romain se rallier aux idées du moine Philoptée, et admire en même temps cette preuve de courage et de lucidité, car je suppose qu'il doit être plus difficile pour un catholique romain que pour un orthodoxe (ou un protestant!) de se rendre compte que la première Rome est tombée (hors de l'Eglise).
Il me souvient que saint Maxime le Grec connut un long emprisonnement pour avoir fait en gros cette remarque qu'il ne voyait pas pourquoi parler de la Troisième Rome dès lors que la Deuxième Rome n'était pas tombée. Cinq siècles après, elle n'est toujours pas tombée. Les forces de ce monde ont pu réduire le peuple orthodoxe de Constantinople à quelques dizaines de familles, il n'en reste pas moins que le patriarcat oecuménique poursuit sa misison séculaire contre vents et marées.
Et d'ailleurs, me semble-t-il, si l'on suit la taxis canonique de l'Eglise, la Troisième Rome, si la Deuxième venait à chuter hors de l'Eglise (que Dieu nous en préserve!), n'est-ce pas Alexandrie?
Ce qui est curieux, c'est que je suis en train de lire un livre de l'écrivain communiste albanais Ismaïl Kadaré,
Le Grand Hiver, qui raconte la rupture entre Enver Hoxha et Nikita Khrouchtchev. Et voici que l'auteur prête aux communistes soviétiques une croyance en la Troisième Rome :
"La troisième Rome, songea Besnik. Dans toutes les écoles soviétiques, on apprenait aux élèves la théorie médiévale des "Trois Rome" prophétisée par le moine russe Philoptée: Deux Rome sont tombées, la troisième tient debout, il n'y en aura pas de quatrième. Cette troisième Rome, selon le moine, c'était Moscou." (Ismaïl Kadaré, traduit de l'albanais par Jusuf Vrioni,
Le grand hiver, Folio n° 2129, Paris 1990, p. 157.)
"Le moine Philoptée, pensa Besnik, inconsciemment.
"Oui, mais ceux qui y entrent une fois, ne peuvent plus en ressortir, poursuivit Jordan. Comme dans tout château."
Dva Rima padocha, Besnik se souvint du début de la prophétie du moine en ancien russe:
A trieti stoït, a tchetviortomou nié bisti. Il pencha sa tête vers celle de Jordan et lui articula ces mots. L'autre le regarda avec surprise.
"Tu connais le slave ancien?"
Besnik lui répondit affirmativement de la tête." (Idem, page 176.)
Je dois dire que, quand j'ai lu ces passages, les bras m'en sont tombés. Je me demande bien sûr si les Soviétiques avaient vraiment repris à leur compte le mythe de Moscou Troisième Rome ou si tout ce que j'ai cité n'est qu'une invention de Kadaré au service de la désinformation envériste.