Je lis ces derniers mois beaucoup de références, notamment avec les dernières canonisations, au "sacrement du frère". Je reproduis ci-dessous un texte du Métropolite Daniel de Moldavie, et je voudrai bien connaitre vos points du vues respectifs.
Sur cette dénomination, la manière de l'appliquer...et n'y a t'il pas là, un risque à trop thélogiser sur ce sacrement du frère, a suivre les Catholiques dans une survalorisation de l'humanitaire, aux dépens de la vie mystèrique ?
par
Métropolite Daniel (Ciobotea)
de Moldavie
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Comme le mot sacrement (du latin sacramentum) ne couvre pas totalement le contenu du terme grec : mysterion — " mystère, " nous utilisons souvent dans notre exposé le mot mystère à la place du mot sacrement, afin de mieux placer le thème traité dans le contexte du mystère même du Christ, mystère fondamental de la foi et de la vie de l’Église.
1. Le mystère du frère s’enracine dans le mystère
de la philanthropie divine révélée en Christ.
Le mystère du frère en tant que mystère d’altérité et de communion n’est pas le huitième mystère ou sacrement à côté des sept sacrements de l’Église, mais plutôt la manière dont l’Église approche l’homme dans la présence du Christ crucifié et ressuscité qu’on célèbre dans la liturgie eucharistique. Le mystère ou le sacrement du frère représente l’attitude pratique de l’Église envers l’homme lorsqu’elle contemple et confesse, célèbre et approche le mystère de l’infini amour divin pour l’homme, ou le mystère de l’humanisation de Dieu, afin que l’homme puisse devenir dieu par la grâce.
Pour les Apôtres et Pères de l’Église, la contemplation de ce mystère fondamental était la source de toute la théologie, de toute la vie spirituelle et de toute la mission de l’Église dans le monde. Saint Paul dit à ce sujet : Sans contestation, le mystère de la piété est grand : Dieu a été manifesté en chair, justifié par l’Esprit, vu par des anges, prêché aux nations, cru dans le monde, élevé dans la gloire (1 T 3, 16).
Pour l’Apôtre des nations, annoncer l’Évangile ou la parole de Dieu, c’est annoncer le mystère caché de tout temps et dans tous les âges, mais révélé main tenant à ses saints. Dieu a voulu leur faire connaître la glorieuse richesse de ce mystère parmi les païens, à savoir : le Christ en vous, l’espérance de la gloire (Col 1, 26-27).
Le Fils de Dieu devenu Homme par son amour infini pour l’homme assume la condition humaine jusqu’à la mort, pour ensuite libérer l’homme de la mort, par sa résurrection et lui donner la vie éternelle (1 Co 15, 20-22). Saint Jean l’Évangéliste contemple lui aussi le grand mystère du Logos incarné et précise que parce que le Fils unique est devenu Homme il a donné à tous les hommes le pouvoir de devenir enfants de Dieu : À tous ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, Il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu (Jn 1, 12-13).
Par conséquent, tous les êtres humains qui acceptent le Christ sont des frères et des sœurs en Christ non pas sur la base d’une parenté biologique, mais sur la base de l’adoption divine par la grâce. " Le Fils de Dieu, dit Saint Irénée de Lyon, se fait homme pour que l’homme devienne fils de Dieu " (Contre les hérésies, III, 10,2 ; SC n° 211, p. 118).
Ainsi, depuis l’incarnation du Fils de Dieu, existe dans la Sainte Trinité un cœur humain plein de l’amour infini de Dieu pour toute l’humanité.
L’amour éternel du Père envers le Fils est maintenant aussi amour éternel pour l’homme. Or, comme Dieu se manifeste dans son amour, chaque être humain aimé par Dieu est un lien sacramentel de la présence même du Christ. Le mystère du frère est ainsi le mystère de l’amour du Christ présent dans chaque être humain.
" Dieu, dit Saint Maxime le Confesseur, s’est fait mendiant à cause de sa sollicitude envers nous [...] souffrant mystiquement par sa tendresse jusqu’à la fin des temps, à la mesure de la souffrance de chacun " (Mystagogie, PG 91, 713).
2. Le sacrement de l’autel
est inséparable du sacrement du frère
Déjà au début de sa prédication, dans le sermon sur la montagne, Jésus montre que l’amour envers Dieu est inséparable de l’amour envers le prochain, et que le culte rendu à Dieu doit être précédé par la réconciliation avec le prochain : Si tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère. Puis viens présenter ton offrande (Mt 5, 23-24).
Il faut souligner aussi que l’institution de l’Eucharistie par le Christ lui-même avant sa Passion a lieu après qu’il ait montré beaucoup de compassion envers les êtres humains en détresse. Avant d’instituer, donc, le repas mystique du Royaume à venir le Christ a annoncé le Royaume par des paroles et par des actes de vie : il a guéri des malades, rassasié des affamés, purifié des lépreux, chassé des démons, ressuscité plusieurs morts dont son ami Lazare.
De plus, saint Jean l’Évangéliste nous montre que le Christ, après avoir institué l’Eucharistie, a institué, par le lavement des pieds des apôtres, la diaconie comme étant le champ où l’Eucharistie répand ses énergies de communion divino-humaine. En d’autres mots, le sacrement du frère en tant que réconciliation et diaconie précède et suit la célébration de l’Eucharistie. Le lien entre le sacrement du frère et le mystère de l’Eucharistie est mis en évidence par le Christ lui-même non seulement avant et dans sa mort sacrificielle sur la croix, lorsqu’il pardonne ses ennemis, mais aussi après sa résurrection d’entre les morts.
En ce sens, le récit de l’étrange pèlerin vers Emmaüs (Lc 24, 13-32) qui ne dévoile son identité qu’après avoir été accueilli dans la maison et invité à table, reste la plus forte expérience mystagogique pascale qui permet à l’Église de parler du sacrement du frère :
Lorsqu’ils (les disciples Luc et Cléopas) furent près du village où ils allaient, il (Jésus) parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant : Reste avec nous, car le soir approche, le jour est sur son déclin. Et il entra, pour rester avec eux. Pendant qu’il était à table avec eux, il prit le pain ; et, après avoir rendu grâce, il le rompit, et le donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; mais il disparut de devant eux (Lc 24, 28-31).
Un étranger, un inconnu, un pèlerin qui a son propre chemin à parcourir et pourtant à un moment donné s’approche et fait route avec d’autres pèlerins, participe à leur difficulté à comprendre comment Dieu agit parmi les hommes et comment les hommes répondent à Dieu. Interprète de l’Écriture, de cette difficile et fascinante histoire de l’amour de Dieu envers les humains, Jésus ressuscité reste caché, étranger et inconnu jusqu’au moment où il est accueilli dans la maison et invité à table. Et une fois accepté, il préside la communion des cœurs et habite mystiquement notre vie en devenant lui-même la Vie de notre vie ; une Vie qu’on ne peut jamais posséder, mais seulement accueillir, car elle est totalement don de soi à l’autre, amour divin désintéressé.
L’événement mystagogique d’Emmaüs anticipe en quelque sorte la perception du mystère du jugement dernier selon l’unique critère : la présence inconnue et cachée du Christ dans chaque être humain qui a besoin de notre aide, de notre affection, de notre compassion, de notre sympathie.
Le jugement dernier décrit par l’Évangile (Matthieu 25, 31-46) révélera au grand étonnement tant des justes que des méchants que le sacrement de la présence interpellante, bien que discrète, du Christ dans les êtres humains en souffrance ne dépend pas de notre perception ou de notre interprétation.
Les justes lui répondront : Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, et t’avons-nous donné à manger ; ou avoir soif, et t’avons-nous donné à boire ? Quand t’avons-nous vu étranger, t’avons-nous recueilli ; ou nu, et t’avons-nous vêtu ? Quand t’avons-nous vu malade, ou en prison et sommes-nous allés vers toi ?
Et le roi leur répondra : Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites (Mt 25, 37-40).
La présence mystérieuse du Christ Seigneur en ces plus petits de ses frères dans l’humanité s’explique par son amour tout puissant et pourtant humble envers chaque être humain ; tout puissant, car il embrasse l’humanité entière, humble pour nous donner l’espace d’une réponse positive ou négative libre.
Ainsi le mystère du frère est en même temps le mystère de notre liberté et de notre salut. Le mystère du frère ou l’homme vu avec les yeux du Christ et dans l’amour éternel du Christ révèle le fait que notre prochain demeure pour chacun ou chacune d’entre nous la plus grande chance ou le plus grand obstacle à notre salut. Le sacrement du frère est en effet le sacrement de la porte du Royaume de Dieu, car le centre même du Royaume de Dieu ouvert à l’homme c’est le cœur aimant du Christ Dieu-Homme. Même ceux qui se sont retirés dans le désert pour y cultiver, par la prière permanente, le plus possible la relation directe avec Dieu, car nous devons aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre pensée (Mt 22, 37), ont constaté et enseigné que l’entrée au Royaume de Dieu ou notre salut éternel dépend de notre attitude envers le prochain.
Saint Antoine d’Égypte le dit sous la forme d’une sentence : " La vie et la mort dépendent de notre prochain. En effet, si nous gagnons notre frère, nous gagnons Dieu. Mais si nous scandalisons notre frère, nous péchons contre le Christ " (Apophtegmes, PG 65, 77).
De leur côté, les grands docteurs de l’Église indivise, qui pour la plupart étaient en même temps liturges et pasteurs, ont exprimé avec force et talent le fait que le service rendu au prochain qui est dans le besoin ne relève pas tout simplement de l’éthique, mais plus profondément encore de la sacramentalité intégrale de la vie chrétienne.
La communion au corps eucharistique du Christ crucifié et ressuscité doit nous rendre davantage sensibles à la souffrance de tous nos frères pour lesquels Christ est mort et ressuscité.
" Tu veux honorer le corps du Sauveur ? dit saint Jean Chrysostome, ne le dédaigne pas quand il est nu. Ne l’honore pas à l’église par des vêtements de soie, tandis que tu le laisses dehors, transi de froid, et qu’il est nu. Celui qui a dit : Ceci est mon corps, et qui a réalisé la chose par la parole, celui-là a dit : Vous m’avez vu avoir faim et vous ne m’avez pas donné à manger. Ce que vous n’avez pas fait à l’un des plus humbles, c’est à moi que vous l’avez refusé ! " Honore-le donc en partageant ta fortune avec les pauvres : car il faut à Dieu non des calices d’or, mais des âmes d’or " (Sur Matthieu, Homélie 50, 3, PG 58, 508 ; cité dans O. Clément, Sources : Les mystiques chrétiens des origines, textes et commentaires, Stock, 1982, p. 109).
Saint Grégoire de Naziance avait la même vision du sacrement du frère : " Vous qui êtes les serviteurs du Christ, dit-il, ses frères et ses cohéritiers, tant qu’il n ‘est pas trop tard, secourez le Christ, nourrissez le Christ, revêtez le Christ, accueillez le Christ, honorez le Christ... " (De l’amour des pauvres, 40, PG 35, 285).
Pour saint Grégoire de Nysse, les pauvres sont " les gardiens du Royaume " des cieux. Et pour cette raison il met en garde : " Ne méprisez pas les pauvres. Demandez-vous qui ils sont et vous découvrirez leur grandeur : ils ont le visage de notre Sauveur (...) Les pauvres sont des économes de notre espérance, les gardiens du Royaume qui ouvrent la porte aux justes et la referment devant les méchants et les égoïstes. Accusateurs terribles, avocats véhéments " (De l’amour des pauvres, 1, PG 46, 57).
3. La célébration diaconale ou la pratique
du sacrement du frère hier et aujourd’hui
Le " sacrement de l’autel " se répercute et se dilate dans le " sacrement du frère ". La célébration liturgique de la présence du Christ au milieu de son peuple est inséparable de la diaconie du frère.
Nul ne peut recevoir dans l’Eucharistie le pardon et la paix de Dieu sans devenir un homme de pardon et de paix. Nul ne peut partager le banquet eucharistique sans devenir un homme de partage. Dans l’Église des trois premiers siècles, beaucoup de fidèles apportaient au rassemblement eucharistique non seulement le pain et le vin nécessaires à la célébration, mais les richesses qu’ils voulaient partager (O. Clément, Sources, p. 108). Saint Justin vers l’an 150 nous offre dans sa première Apologie adressée à l’empereur romain la description de la liturgie eucharistique et montre que la philanthropie divine célébrée dans l’Eucharistie est la base et la source spirituelle de la diaconie ecclésiale envers les humains en souffrance ou dans le besoin. " Puis a lieu la distribution et la partage des Eucharisties à chacun, et l’on envoie leur part aux absents par le ministère des diacres. Ceux qui sont dans l’abondance, et veulent donner, donnent librement chacun ce qu’il veut :
" L’ensemble de tout ce qui a été recueilli est remis à celui qui préside, et il assiste les orphelins, les veuves, ceux qui sont dans le besoin, soit parce qu’ils sont malades, soit pour toute autre cause, les prisonniers, les étrangers de passage, en un mot il porte secours à tous ceux qui sont dans le besoin " (Apologie I, 67, PG 6, 84).
Après la période des persécutions, à partir du IVe siècle, ces gestes du service diaconal envers le prochain intimement liés à la célébration eucharistique sont devenu des programmes ou des institutions philanthropiques, une pratique constante du sacrement du frère. Ainsi un saint Basile organise autour de l’église des maisons d’accueil pour les malades, les orphelins et les pauvres. Un saint Jean Chrysostome, qui a particulièrement insisté sur le " sacrement du frère ", multipliait les hôpitaux et proposait de vastes plans de réorganisation sociale, car la communion au Christ eucharistique crucifié et ressuscité créait dans les saints un sens aigu de la présence discrète du Christ dans les humains en souffrance. La liturgie eucharistique fait augmenter en eux la responsabilité sociale.
L’œuvre philanthropique développée à Byzance dans la perspective sacramentelle cultivée par les Pères de l’Église était considérable. Elle explique pourquoi plus tard dans des pays orthodoxes les premiers hôpitaux, orphelinats et maisons pour les personnes âgées ont été organisés par des monastères où la vie liturgique était intense.
Malheureusement les périodes de l’occupation ottomane et le temps des régimes communistes totalitaires ont souvent obligé les Églises orthodoxes à restreindre leur activité à la célébration liturgique.
Aujourd’hui, dans la liberté, il est extrêmement urgent de redécouvrir la célébration diaconale ou pratique du sacrement du frère, par la présence pastorale de l’Église dans les orphelinats, dans les hôpitaux, dans les prisons, dans les maisons de personnes âgées, parmi les pauvres, partout où le Christ est en souffrance. En un mot, il faut redécouvrir le sacrement du frère comme étant sacrement salutaire. " Aujourd’hui, dit O. Clément, l’esprit des Pères serait (aussi) d’inviter les sociétés repues à une ascèse collective qui permettrait une meilleure répartition des ressources mondiales, qui éviterait que le fossé ne s’approfondisse sans cesse entre les riches et les pauvres de la planète " (Sources, p. 264).
Si pour le monde qui se sécularise la chance unique du salut reste le sacrement du frère, l’Église doit davantage aider les gens à redécouvrir le lien profond qui existe entre la prière comme source du véritable amour désintéressé et la diaconie du prochain comme accomplissement de la prière.
Comprise dans une perspective sacramentelle la diaconie sociale est beaucoup plus qu’une attitude éthique, elle est rayonnement de la liturgie eucharistique au-delà de l’église-bâtiment, ainsi que l’exercice dans le monde du sacerdoce universel de tous les baptisés. La diaconie sociale est donc œuvre de salut, car notre vie ou notre mort devant Dieu dépend de notre prochain.
Reproduit de la revue Contacts
vol. 46, no. 2, 1994.
Le sacrement du frère
Modérateur : Auteurs
Cher Glicherie, vous écrivez « n'y a t'il pas là, un risque à trop thélogiser sur ce sacrement du frère, a suivre les Catholiques dans une survalorisation de l'humanitaire, aux dépens de la vie mystèrique ? »
Je ne vous suis pas tout à fait. «... suivre les catholiques dans une survalorisation» ? À qui ou à quoi faites-vous référence ?
Antan
Je ne vous suis pas tout à fait. «... suivre les catholiques dans une survalorisation» ? À qui ou à quoi faites-vous référence ?
Antan
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Glicherie,
Je crois que vous avez mis le doigt sur un problème essentiel. Pour en comprendre toute la portée, on peur se reporter à la parabole du Bon Samaritain. Le Christ y conclut que c'est Lui-même qui est le prochain le plus proche de tout homme. C'est là l’affirmation la plus stupéfiante de l’Évangile, face à laquelle toutes les tentatives de "modernisation" ou "d’aggiomamento" de l’Église font figure d'idéologies que l’on pourrait qualifier de "révisionnistes" s'il est permis d'emprunter au vocabulaire contemporain.
Sur cette parabole du Bon Samaritain viennent buter toutes les tentatives herméneutiques contemporaines, qui ne savent comment expliquer pourquoi le Seigneur désigne le Bon Samaritain — à l'évidence Lui-même, — comme le prochain que doit aimer l'homme blessé par les brigands et non le contraire, alors que l’interprétation couramment reçue se borne à nous conseiller d'imiter le Bon Samaritain qui porte assistance à son prochain (c'est-à-dire l'homme). Loin cependant des leurres et des illusions des multiples formes "d’humanisme" pour lequel "l'homme est la mesure de tout", pour l’Évangile c'est le Dieu-homme qui est la mesure de tout. Le père Justin Popovitch opposait l’déologie de “l’homme-Dieu”, l’humanisme, à la Révélation du Dieu-homme, le théandrisme de l’Église, car c'est Lui le meilleur Ami de l'homme, le Bon Samaritain..
Dès lors on peut bien adopter la traduction "œcuménique" du Notre Père, celle qui dit : "donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien... délivre-nous du mal..." Ce n'est plus le pain substantiel, et l'on ne voit plus le besoin d'admettre l'existence du Malin. Nous abandonnons la Révélation chrétienne, qui nous fait dire : donne-nous notre pai substantiel, cette chair du Dieu-homme, l’Un de la Trinité consubstantielle, qui vient assumer notre substance humaine. Ce qui nous permet de demander et délivre-nous du Malin.
De même on voudrait nous dire que devant le spectacle prodigieux de la Nativité du Dieu homme dans un chair qu’il s’est Lui-même tissée dans le sein virginal de Marie, les Anges s’écriraient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté…» alors que le texte grec de l’Évangile selon Mathieu, lui dit bien qu’ils ont proclamé : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, Paix sur terre, Bienveillance aux hommes. Autrement dit on présente la paix sur la terre comme un Paradis terrestre qui serait le résultat de la bonne volonté, des « bonnes œuvres », des hommes.
Devant cet homme blessé qu'est l'Occident dépouillé de ses convictions et de ces certitudes, passent les prêtres et les lévites des diverses "juridictions" orthodoxes. Les uns craignent, s'ils s'arrêtent, d'être "débordés par les problèmes" soulevés par cet homme malade. Les autres ne s'estiment pas compétents. Quand donc verrons-nous venir le Bon Samaritain, le seul Ami de l'homme ? Trouvera-t-il un aubergiste à qui il pourra confier la victime des brigands ? L'attitude des "juridictions" orthodoxes semble vouloir porter un démenti aux promesses de leur Maître.
Une mutation profonde s'est opérée dans les milieux orthodoxes dominant à Paris, mutation qui s'efforce d'ailleurs curieusement de rester secrète, cachée, inavouée. On peut parler d'une véritable trahison des héritiers. Il est apparu en effet dans ces milieux une idéologie, rarement exprimée mais fort cohérente, et étrangère à la tradition de l'Église. Il n'est possible de la saisir qu'en recoupant des indications éparses, recueillies dans quelques écrits et surtout dans des conversations.
Cette idéologie procède d'un profond mépris pour l'Orthodoxie "traditionnelle" (ce qualificatif est pour eux un reproche) et la piété populaire des pays d'où ils viennent. Le reproche principal fait à cette orthodoxie poussiéreuse est de fuir le monde, d'opposer prière et vie réelle. Elle oublierait ainsi ce que doit être, selon eux, le “sacrement du frère”.
La pratique du jeûne est l'une de leurs cibles favorites : ils ne veulent y voir qu'une survivance judaïque. Mais surtout le saint désir d'une vie angélique de célibat et d'ascèse leur paraît ne procéder que d'un besoin d'évasion en contradiction profonde avec l'esprit de l'Évangile. Ils ne veulent y voir que le résultat — et la cause, — d'une immaturité ou d'un déséquilibre psychologiques. Que les fidèles des siècles passés aient pu entourer les moines de respect et d'affection, leur paraît la cause principale de la décadence de l'Église. « Le mont Athos est la catastrophe de l'Orthodoxie. »
Les tenants de cette idéologie prétendent qu'ils veulent une Église nouvelle et vivante, groupant des fidèles mariés et engagés dans la vie professionnelle et sociale (en particulier universitaire). On ne voit guère d'ailleurs que pour eux le "sens du frère" aille beaucoup plus loin que la réussite professionnelle. Mais surtout, pour que l'Église redevienne vivante, il faudra cesser, disent-ils, de choisir les Évêques parmi les moines, car l'Épiscopat est étemel comme l'Église, alors que le monachisme n'est qu'un accident historique appelé à disparaître.
L'enseignement donné dans nos collectivités tente de passer sous silence ce qui pourrait être exploit spirituel de prière et d'ascèse et paraître sortir de la vie communautaire. La vie du chrétien est présentée comme un équilibre qu'on ne peut trouver que dans le cadre communautaire, comme un progrès à réaliser vers un épanouissement, une réussite, comme la réalisation progressive d'une maturation psychologique et sociale. Ce néo-piétisme ne peut satisfaire réellement les aspirations profondes des nouveaux convertis à l’Orthodoxie, il ne leur en donne que l'illusion. Les communautés orthodoxes renvoient ainsi les Occidentaux à leurs vieux démons de la religion-norme sociale.
La foi est une rencontre de personnes, l'économie du salut est un événement qu'aucune sagesse n'avait prévu, pas même celle des anges, et l'Église est le corps du Ressuscité. L'illusion du perfectionnement progressif masque la réalité du combat spirituel personnel, comme l'obsession du péché à effacer peut cacher la présence et les ruses de l'ennemi. Pour les groupes orthodoxes modernistes en Occident, inquiets devant l'arrivée des nouveaux convertis, il y avait là tous les éléments d'une solution de facilité. Liant le prestige d'un enseignement théologique à celui de la direction de conscience, il a pu jusqu'ici garder la maîtrise de la vie ecclésiale. Le néo-piétisme peut ainsi intégrer sans difficultés le système de valeurs propre aux milieux intellectuels de Paris, et avant tout cet élitisme qui passe par l'épreuve initiatique de la publication académique avec ses protestations d'estime réciproque obligatoirement unanimistes. Nous sommes là bien loin de l'expérience vécue des charismes qui consume l'Église orthodoxe !
L'attitude à l'égard de l'Écriture représente la contrepartie logique de l'idéologie piétiste et réformatrice. On y recherche avant tout le "développement progressif" des idées chrétiennes : comment les hommes de la Bible ont-ils progressivement pris conscience de la Révélation, et comment l'ont-ils formulée ? Dans cette perspective, l'exégèse des Pères est une vieillerie dépassée, elle ne permet pas de se fonder sur (c'est-à- dire qu'elle ne se laisse pas réduire à) "l'acquis des sciences humaines" elle veut réduire les éléments de l'Écriture à des leçons tirées du comportement concret des hommes. Le récit de la vision du Buisson Ardent par Moïse n'exprime qu'une expérience de la transcendance divine, et la parabole du Bon Samaritain signifie tout bonnement qu'il faut faire du bien à son prochain. On comprend que certains attendent le jour où l'Église orthodoxe décidera de refondre son hymnographie "pour tenir compte des résultats de l'exégèse moderne".
Or de cette exégèse retenons au moins qu'elle est impuissante à fournir aux hommes la parole libératrice, celle qui donne la signification de la présence de chaque homme dans le mystère du salut, celle qui peut nourrir la prière, celle qui donne l'accès à la vie mystérique. L'adoption de cette exégèse non traditionnelle justifie pleinement et renforce l'attitude adoptée à l'égard du combat spirituel, à l'égard des charismes, à l'égard du monachisme. Disons-le tout net, on tente, dans ce qui se présente comme la communauté orthodoxe française, de substituer au visage traditionnel de l'Église un autre visage, un visage “rénové” que l'on prétend plus adapté aux réalités de notre temps parce qu'il pense se soumettre aux exigences de la réalité.
Il s'agit bien d'une idéologie et d'une réforme, dans la mesure où seule est retenue une partie, qualifiée de "dogmatique", de la Tradition vivante de l'Église, alors qu'une autre partie, qu'il faudrait probablement qualifier de "spirituelle", est passée sous silence, sinon rejetée, et cependant qu'on lui rajoute une analyse socio-historique des forces en présence, porteuses d'espoirs de réforme ou facteurs de résistance au changement, débouchant sur une véritable stratégie d'altération de l'Église.
Nous ne tenterons pas de déterminer ici si c'est bien un souci — qui serait oh! combien erroné — de répondre aux besoins des Occidentaux qui a poussé à une telle altération, ou si ce n'est pas plutôt la volonté de modifier l'éthos orthodoxe qui a conduit tant de bons esprits à utiliser le prétexte de la mission en Occident pour satisfaire des desseins moins nobles. Peut-être s'agit-il là plutôt de la poursuite d'un débat jadis tragiquement interrompu lors du Concile local de l'Église russe en 1917 ?
Dans les deux cas l'erreur est totale. L'Église ne connaît de renouveau qu'ascétique, comme disait le père Justin Popovitch, et sa foi ne lui est transmise que par une succession ininterrompue de témoins. Non seulement tout appel au conformisme social ne saurait intéresser nos contemporains, mais le rejeton sauvage n'étant plus enté sur l'olivier franc, c'est toute la vie spirituelle de nos communautés occidentales qui s'en trouverait ainsi affectée.
Ainsi est-il devenu fort difficile à Paris de faire connaissance avec la vie authentique de l'Église orthodoxe. Comme un troupeau errant sans pasteur, les nouveaux convertis errent de communautés en directeurs de conscience, de déception en déception. Si l'Église omet de proposer aux hommes de tenter de ravir le royaume des cieux en choisissant la vie angélique, alors en quoi l'Église pourrait-elle intéresser nos contemporains ? C’est pourquoi devant cet homme blessé qu'est l'Occident dépouillé de ses convictions et de ses certitudes, passent les prêtres et les lévites des diverses "juridictions" orthodoxes. Les uns craignent, s'ils s'arrêtent, d'être "débordés par les problèmes" soulevés par cet homme malade. Les autres ne s'estiment pas compétents.
Quand donc verrons-nous passer le Bon Samaritain, le seul Ami de l'homme ? Trouvera-t-il un aubergiste à qui il pourra confier la victime des brigands ? L'attitude des "juridictions" orthodoxes semble vouloir porter un démenti aux promesses de leur Maître. Pendant que l'Orient s'évertuait à attirer l'attention des responsables occidentaux, l'Occident en tirait tout bénéfice pour tenter de réduire au silence sa contestation intérieure, tout en préparant la brutale offensive de prosélytisme qui se déploie actuellement en Orient. Et maintenant l'Orthodoxie s'est attiré le mépris des intelligentsias occidentales.
On ne doit pas oublier pour autant l'immense désir qui subsiste dans l'inquiétude occidentale de trouver dans l'Qrthodoxie un enseignement de vérité, un guide spirituel. Le prestige de l'Orthodoxie reste inentamé chez tous ceux qui ne participent pas à l'auto-intoxication des "élites" occidentales — que ce soit les élites intellectuelles, politiques ou médiatiques. Pourquoi alors faut-il donc que les Orthodoxes tentent de faire oublier leur vraie nature, de renier leurs vraies traditions, de se composer un visage occidental ?
Je crois que vous avez mis le doigt sur un problème essentiel. Pour en comprendre toute la portée, on peur se reporter à la parabole du Bon Samaritain. Le Christ y conclut que c'est Lui-même qui est le prochain le plus proche de tout homme. C'est là l’affirmation la plus stupéfiante de l’Évangile, face à laquelle toutes les tentatives de "modernisation" ou "d’aggiomamento" de l’Église font figure d'idéologies que l’on pourrait qualifier de "révisionnistes" s'il est permis d'emprunter au vocabulaire contemporain.
Sur cette parabole du Bon Samaritain viennent buter toutes les tentatives herméneutiques contemporaines, qui ne savent comment expliquer pourquoi le Seigneur désigne le Bon Samaritain — à l'évidence Lui-même, — comme le prochain que doit aimer l'homme blessé par les brigands et non le contraire, alors que l’interprétation couramment reçue se borne à nous conseiller d'imiter le Bon Samaritain qui porte assistance à son prochain (c'est-à-dire l'homme). Loin cependant des leurres et des illusions des multiples formes "d’humanisme" pour lequel "l'homme est la mesure de tout", pour l’Évangile c'est le Dieu-homme qui est la mesure de tout. Le père Justin Popovitch opposait l’déologie de “l’homme-Dieu”, l’humanisme, à la Révélation du Dieu-homme, le théandrisme de l’Église, car c'est Lui le meilleur Ami de l'homme, le Bon Samaritain..
Dès lors on peut bien adopter la traduction "œcuménique" du Notre Père, celle qui dit : "donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien... délivre-nous du mal..." Ce n'est plus le pain substantiel, et l'on ne voit plus le besoin d'admettre l'existence du Malin. Nous abandonnons la Révélation chrétienne, qui nous fait dire : donne-nous notre pai substantiel, cette chair du Dieu-homme, l’Un de la Trinité consubstantielle, qui vient assumer notre substance humaine. Ce qui nous permet de demander et délivre-nous du Malin.
De même on voudrait nous dire que devant le spectacle prodigieux de la Nativité du Dieu homme dans un chair qu’il s’est Lui-même tissée dans le sein virginal de Marie, les Anges s’écriraient : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté…» alors que le texte grec de l’Évangile selon Mathieu, lui dit bien qu’ils ont proclamé : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, Paix sur terre, Bienveillance aux hommes. Autrement dit on présente la paix sur la terre comme un Paradis terrestre qui serait le résultat de la bonne volonté, des « bonnes œuvres », des hommes.
Devant cet homme blessé qu'est l'Occident dépouillé de ses convictions et de ces certitudes, passent les prêtres et les lévites des diverses "juridictions" orthodoxes. Les uns craignent, s'ils s'arrêtent, d'être "débordés par les problèmes" soulevés par cet homme malade. Les autres ne s'estiment pas compétents. Quand donc verrons-nous venir le Bon Samaritain, le seul Ami de l'homme ? Trouvera-t-il un aubergiste à qui il pourra confier la victime des brigands ? L'attitude des "juridictions" orthodoxes semble vouloir porter un démenti aux promesses de leur Maître.
Une mutation profonde s'est opérée dans les milieux orthodoxes dominant à Paris, mutation qui s'efforce d'ailleurs curieusement de rester secrète, cachée, inavouée. On peut parler d'une véritable trahison des héritiers. Il est apparu en effet dans ces milieux une idéologie, rarement exprimée mais fort cohérente, et étrangère à la tradition de l'Église. Il n'est possible de la saisir qu'en recoupant des indications éparses, recueillies dans quelques écrits et surtout dans des conversations.
Cette idéologie procède d'un profond mépris pour l'Orthodoxie "traditionnelle" (ce qualificatif est pour eux un reproche) et la piété populaire des pays d'où ils viennent. Le reproche principal fait à cette orthodoxie poussiéreuse est de fuir le monde, d'opposer prière et vie réelle. Elle oublierait ainsi ce que doit être, selon eux, le “sacrement du frère”.
La pratique du jeûne est l'une de leurs cibles favorites : ils ne veulent y voir qu'une survivance judaïque. Mais surtout le saint désir d'une vie angélique de célibat et d'ascèse leur paraît ne procéder que d'un besoin d'évasion en contradiction profonde avec l'esprit de l'Évangile. Ils ne veulent y voir que le résultat — et la cause, — d'une immaturité ou d'un déséquilibre psychologiques. Que les fidèles des siècles passés aient pu entourer les moines de respect et d'affection, leur paraît la cause principale de la décadence de l'Église. « Le mont Athos est la catastrophe de l'Orthodoxie. »
Les tenants de cette idéologie prétendent qu'ils veulent une Église nouvelle et vivante, groupant des fidèles mariés et engagés dans la vie professionnelle et sociale (en particulier universitaire). On ne voit guère d'ailleurs que pour eux le "sens du frère" aille beaucoup plus loin que la réussite professionnelle. Mais surtout, pour que l'Église redevienne vivante, il faudra cesser, disent-ils, de choisir les Évêques parmi les moines, car l'Épiscopat est étemel comme l'Église, alors que le monachisme n'est qu'un accident historique appelé à disparaître.
L'enseignement donné dans nos collectivités tente de passer sous silence ce qui pourrait être exploit spirituel de prière et d'ascèse et paraître sortir de la vie communautaire. La vie du chrétien est présentée comme un équilibre qu'on ne peut trouver que dans le cadre communautaire, comme un progrès à réaliser vers un épanouissement, une réussite, comme la réalisation progressive d'une maturation psychologique et sociale. Ce néo-piétisme ne peut satisfaire réellement les aspirations profondes des nouveaux convertis à l’Orthodoxie, il ne leur en donne que l'illusion. Les communautés orthodoxes renvoient ainsi les Occidentaux à leurs vieux démons de la religion-norme sociale.
La foi est une rencontre de personnes, l'économie du salut est un événement qu'aucune sagesse n'avait prévu, pas même celle des anges, et l'Église est le corps du Ressuscité. L'illusion du perfectionnement progressif masque la réalité du combat spirituel personnel, comme l'obsession du péché à effacer peut cacher la présence et les ruses de l'ennemi. Pour les groupes orthodoxes modernistes en Occident, inquiets devant l'arrivée des nouveaux convertis, il y avait là tous les éléments d'une solution de facilité. Liant le prestige d'un enseignement théologique à celui de la direction de conscience, il a pu jusqu'ici garder la maîtrise de la vie ecclésiale. Le néo-piétisme peut ainsi intégrer sans difficultés le système de valeurs propre aux milieux intellectuels de Paris, et avant tout cet élitisme qui passe par l'épreuve initiatique de la publication académique avec ses protestations d'estime réciproque obligatoirement unanimistes. Nous sommes là bien loin de l'expérience vécue des charismes qui consume l'Église orthodoxe !
L'attitude à l'égard de l'Écriture représente la contrepartie logique de l'idéologie piétiste et réformatrice. On y recherche avant tout le "développement progressif" des idées chrétiennes : comment les hommes de la Bible ont-ils progressivement pris conscience de la Révélation, et comment l'ont-ils formulée ? Dans cette perspective, l'exégèse des Pères est une vieillerie dépassée, elle ne permet pas de se fonder sur (c'est-à- dire qu'elle ne se laisse pas réduire à) "l'acquis des sciences humaines" elle veut réduire les éléments de l'Écriture à des leçons tirées du comportement concret des hommes. Le récit de la vision du Buisson Ardent par Moïse n'exprime qu'une expérience de la transcendance divine, et la parabole du Bon Samaritain signifie tout bonnement qu'il faut faire du bien à son prochain. On comprend que certains attendent le jour où l'Église orthodoxe décidera de refondre son hymnographie "pour tenir compte des résultats de l'exégèse moderne".
Or de cette exégèse retenons au moins qu'elle est impuissante à fournir aux hommes la parole libératrice, celle qui donne la signification de la présence de chaque homme dans le mystère du salut, celle qui peut nourrir la prière, celle qui donne l'accès à la vie mystérique. L'adoption de cette exégèse non traditionnelle justifie pleinement et renforce l'attitude adoptée à l'égard du combat spirituel, à l'égard des charismes, à l'égard du monachisme. Disons-le tout net, on tente, dans ce qui se présente comme la communauté orthodoxe française, de substituer au visage traditionnel de l'Église un autre visage, un visage “rénové” que l'on prétend plus adapté aux réalités de notre temps parce qu'il pense se soumettre aux exigences de la réalité.
Il s'agit bien d'une idéologie et d'une réforme, dans la mesure où seule est retenue une partie, qualifiée de "dogmatique", de la Tradition vivante de l'Église, alors qu'une autre partie, qu'il faudrait probablement qualifier de "spirituelle", est passée sous silence, sinon rejetée, et cependant qu'on lui rajoute une analyse socio-historique des forces en présence, porteuses d'espoirs de réforme ou facteurs de résistance au changement, débouchant sur une véritable stratégie d'altération de l'Église.
Nous ne tenterons pas de déterminer ici si c'est bien un souci — qui serait oh! combien erroné — de répondre aux besoins des Occidentaux qui a poussé à une telle altération, ou si ce n'est pas plutôt la volonté de modifier l'éthos orthodoxe qui a conduit tant de bons esprits à utiliser le prétexte de la mission en Occident pour satisfaire des desseins moins nobles. Peut-être s'agit-il là plutôt de la poursuite d'un débat jadis tragiquement interrompu lors du Concile local de l'Église russe en 1917 ?
Dans les deux cas l'erreur est totale. L'Église ne connaît de renouveau qu'ascétique, comme disait le père Justin Popovitch, et sa foi ne lui est transmise que par une succession ininterrompue de témoins. Non seulement tout appel au conformisme social ne saurait intéresser nos contemporains, mais le rejeton sauvage n'étant plus enté sur l'olivier franc, c'est toute la vie spirituelle de nos communautés occidentales qui s'en trouverait ainsi affectée.
Ainsi est-il devenu fort difficile à Paris de faire connaissance avec la vie authentique de l'Église orthodoxe. Comme un troupeau errant sans pasteur, les nouveaux convertis errent de communautés en directeurs de conscience, de déception en déception. Si l'Église omet de proposer aux hommes de tenter de ravir le royaume des cieux en choisissant la vie angélique, alors en quoi l'Église pourrait-elle intéresser nos contemporains ? C’est pourquoi devant cet homme blessé qu'est l'Occident dépouillé de ses convictions et de ses certitudes, passent les prêtres et les lévites des diverses "juridictions" orthodoxes. Les uns craignent, s'ils s'arrêtent, d'être "débordés par les problèmes" soulevés par cet homme malade. Les autres ne s'estiment pas compétents.
Quand donc verrons-nous passer le Bon Samaritain, le seul Ami de l'homme ? Trouvera-t-il un aubergiste à qui il pourra confier la victime des brigands ? L'attitude des "juridictions" orthodoxes semble vouloir porter un démenti aux promesses de leur Maître. Pendant que l'Orient s'évertuait à attirer l'attention des responsables occidentaux, l'Occident en tirait tout bénéfice pour tenter de réduire au silence sa contestation intérieure, tout en préparant la brutale offensive de prosélytisme qui se déploie actuellement en Orient. Et maintenant l'Orthodoxie s'est attiré le mépris des intelligentsias occidentales.
On ne doit pas oublier pour autant l'immense désir qui subsiste dans l'inquiétude occidentale de trouver dans l'Qrthodoxie un enseignement de vérité, un guide spirituel. Le prestige de l'Orthodoxie reste inentamé chez tous ceux qui ne participent pas à l'auto-intoxication des "élites" occidentales — que ce soit les élites intellectuelles, politiques ou médiatiques. Pourquoi alors faut-il donc que les Orthodoxes tentent de faire oublier leur vraie nature, de renier leurs vraies traditions, de se composer un visage occidental ?
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
paliernejl@wanadoo.fr
Comme vous le soulignez, le rejet des valeurs spirituelles du passé est la grande tentation de l'homme moderne qui croit pouvoir s'accomplir pleinement par lui-même et sans référence à Dieu, au surnaturel. En effet il est facile, pour des raisons humaniraires, de rendre service à son prochain. Mais aimer l'autre comme le Christ le demande, aimer le prochain parce que je vois en lui le Christ souffrant, voilà comment le frère devient "sacrement".
Le message de l'Évangile ne souffre pas de réduction. Le regard du Bon Samaritain ne s'obtient que dans la prière, la méditation et le jêune. Toute recherche de sainteté qui passe ailleurs que par ce chemin est illusion. «Ce que vous faites au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites», et encore «Un verre d'eau donné en mon nom, ne restera pas sans récompense». Le "frère devient sacrement" à la condition essentielle que je vois le Christ en lui. Alors il est pour moi occasion et moyen de sanctification, occasion et moyen d'acquérir le Saint Esprit.
Les communautés de moines, de religieux et de religieuses sont des piliers de l'Église qui se maintient sans cesse en prière. À leur façon, ces âmes consacrées vivent ce "sacrement du frère". Ainsi voit-on saint Silouane et sainte Thérèse de l'Enfant Jésus prier sans cesse pour les hommes en détresse et pour les besoins spirituels du monde entier.
Ces derniers mois, j'ai été témoin de la grande charité évangélique qui a poussé les communautés chrétiennes de la métropole montréalaise à aider nos frères haïtiens en détresse. C'est comme prolongement de l'Eucharistie dominicale que ce geste de charité a été encouragé par les pasteurs. Voir le Christ dans nos frères humains, donner comme donnant au Christ lui-même. Donner avec la foi et l'amour du Bon Samaritain qui, par obéissance à la volonté du Père, a donné sa vie pour le salut des humains, ses "frères".
Antan
Le message de l'Évangile ne souffre pas de réduction. Le regard du Bon Samaritain ne s'obtient que dans la prière, la méditation et le jêune. Toute recherche de sainteté qui passe ailleurs que par ce chemin est illusion. «Ce que vous faites au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites», et encore «Un verre d'eau donné en mon nom, ne restera pas sans récompense». Le "frère devient sacrement" à la condition essentielle que je vois le Christ en lui. Alors il est pour moi occasion et moyen de sanctification, occasion et moyen d'acquérir le Saint Esprit.
Les communautés de moines, de religieux et de religieuses sont des piliers de l'Église qui se maintient sans cesse en prière. À leur façon, ces âmes consacrées vivent ce "sacrement du frère". Ainsi voit-on saint Silouane et sainte Thérèse de l'Enfant Jésus prier sans cesse pour les hommes en détresse et pour les besoins spirituels du monde entier.
Ces derniers mois, j'ai été témoin de la grande charité évangélique qui a poussé les communautés chrétiennes de la métropole montréalaise à aider nos frères haïtiens en détresse. C'est comme prolongement de l'Eucharistie dominicale que ce geste de charité a été encouragé par les pasteurs. Voir le Christ dans nos frères humains, donner comme donnant au Christ lui-même. Donner avec la foi et l'amour du Bon Samaritain qui, par obéissance à la volonté du Père, a donné sa vie pour le salut des humains, ses "frères".
Antan
Pourquoi "souffrant"? Justement ce n'est pas ça.Antan a écrit :aimer le prochain parce que je vois en lui le Christ souffrant, voilà comment le frère devient "sacrement".
JeanLouis Palierne a bien expliqué pourtant que dans <<la parabole du Bon Samaritain. Le Christ y conclut que c'est Lui-même qui est le prochain le plus proche de tout homme.>>C'est tout l'enseignement des Pères.
Puis Jean-Louis poursuit: <<Sur cette parabole du Bon Samaritain viennent buter toutes les tentatives herméneutiques contemporaines, qui ne savent comment expliquer pourquoi le Seigneur désigne le Bon Samaritain — à l'évidence Lui-même, — comme le prochain que doit aimer l'homme blessé par les brigands et non le contraire, alors que l’interprétation couramment reçue se borne à nous conseiller d'imiter le Bon Samaritain qui porte assistance à son prochain (c'est-à-dire l'homme>>
Antan, votre exemple des frères haïtiens en est l'illustration type. Vous dîtes même: <<C'est comme prolongement de l'Eucharistie dominicale que ce geste de charité a été encouragé par les pasteurs>> Oui on est en plein humanisme.
Vous dîte encore:<<Donner avec la foi du Bon Samaritain>> et là vous retournez la parabole; car si le Bon Samaritain est le Christ de quelle foi s'agit-il? Vous lisez la parabole à l'envers comme le dénonce justement Jean-Louis.
A Glicherie qui écrivait: <<n'y a t'il pas là, un risque à trop thélogiser sur ce sacrement du frère, a suivre les Catholiques dans une survalorisation de l'humanitaire, aux dépens de la vie mystèrique ? >> vous demandiez:
<<Je ne vous suis pas tout à fait. «... suivre les catholiques dans une survalorisation» ? À qui ou à quoi faites-vous référence ? >>Et bien vous avez donné vous même la référence.
Pour illustrer ce texte de Jean-Louis Palierne qui s'appuie sur l'exégèse des Pères voici ci-dessous deux commentaires de la parabole du bon Samaritain.
Le premier est l'homélie XXXIV d'Origène, le second est d'Ambroise de Milan.
On y trouvera outre le thème du Christ incarné pour être notre prochain, repris fidèlement par Jean-Louis, des compléments sur les symboles employés dans la parabole. On voit également comment Jean-Louis, avec beaucoup de justesse a fait sienne la critique des Pères en la réactualisant dans notre contexte ecclésiologique de multi juridiction-ethnophylétique s'accomodant d'une co-territorialité anti canonique au détriment de la fondation de l'auberge dans laquelle le Bon Samaritain cherche à confier les dépouillés spirituels.
Comme il est significatif que ce passage évangélique soit suivi de l'épisode de "Marthe et Marie", nous laisserons également le début du commentaire de St Ambroise qui illustrera aussi l'interrogation de Glicherie sur l'humanisme comme réduction (jusqu'à la destruction) de la vie mystérique.
Les commentaires des Pères se démarquent de l'exégèse actuelle. Il en est ainsi de l'Homélie de St Pierre Chrysologue sur la parabole de la Brebis perdue. Elle me semble bien consolider celle du bon Samaritain et balayer cet humanisme contemporain dénoncé par Glicherie et qui est un véritable arianisme des temps modernes.
Que Saint Pierre Chrysologue nous conduise ainsi dans le carême de la Nativité.
Origène : Homélie XXXIV
Le bon Samaritain (Lc 10, 25-37)
Que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ?
1. Dans la Loi, nombreux sont les préceptes, mais dans l'Évangile, le Seigneur a rassemblé seulement en une sorte de résumé ceux dont la pratique conduit à la vie éternelle. Tel est en effet l'objet de la question que lui posait un docteur de la Loi : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » C'est le texte de Luc qui vous a été lu aujourd'hui. Et Jésus répondit : « Qu'y a-t-il dans la Loi? Qu'y lis-tu? » — « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et aussi ton prochain comme toi-même » (cf. Dt 6, 5). « Tu as bien répondu, dit Jésus, fais cela et tu vivras » (cf. Lv 18, 5).
Sans aucun doute, il s'agit de la vie éternelle, objet de la question posée par le docteur de la Loi et des paroles du Sauveur. En même temps, ce précepte de la Loi nous apprend très clairement à aimer Dieu : « Écoute, Israël, dit le Deutéronome (6, 4-5), tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton esprit » et la suite : « et ton prochain comme toi-même ». A cela, le Seigneur a rendu témoignage lorsqu'il dit : « De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes » (Mt 22, 40).
Qui est mon prochain ?
2.Mais le docteur de la Loi « voulant se justifier lui-même » et montrer que personne n'était son prochain, dit : « Qui est mon prochain? » Alors le Seigneur lui répond par la parabole qui commence ainsi : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho »... et la suite. Il enseigne que cet homme qui descendait n'a été le prochain de personne, sinon de celui qui a voulu observer les commandements et se pré-parer à être le prochain de tout homme qui aurait besoin d'être secouru. Et c'est bien ce qui vient en conclusion de la parabole : « De ces trois hommes, lequel, à ton avis, s'est montré le prochain de celui qui était tombé sur des brigands? » Car ni le prêtre, ni le lévite n'ont été son prochain, mais comme l'a répondu le docteur lui-même : « Celui qui s'est montré miséricordieux envers lui, voilà celui qui fut son prochain. » Alors le Sauveur de dire : « Va, et toi aussi, fais de même. »
Un commentaire ancien de la parabole
3.Pour un ancien qui voulait interpréter la parabole, l'homme qui descendait était Adam ; Jérusalem, le paradis ; Jéricho, le monde ; les bandits, les forces ennemies ; le prêtre, la loi ; le lévite, les Prophètes ; le Samaritain, le Christ. Les blessures représentent la désobéissance ; la monture, le corps du Christ ; le « pandochium », c'est-à-dire l'auberge qui accueille tous ceux qui veulent y entrer, est le symbole de l'Eglise. En outre, les deux deniers doivent être compris comme le Père et le Fils ; l'hôtelier, comme le chef de l'Eglise, auquel est confiée son administration. Quant à la promesse de revenir que fait le Samaritain, elle figurerait le second avènement du Sauveur.
Discussion de cette interprétation
4.Cette interprétation est judicieuse et belle; toutefois on ne doit pas penser qu'elle puisse convenir à tout homme. Car tout homme n'est pas descendu « de Jérusalem à Jéricho » et ce n'est pas pour cette raison que tous les hommes demeurent dans le siècle présent, tandis que le Christ, lui, « y a été envoyé » et y est venu « pour les brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt 15, 24).
Donc, l'homme qui « descend de Jérusalem à Jéricho » tombe sur les brigands parce que lui-même a voulu descendre. Les bandits ne peuvent être que ceux dont le Seigneur dit : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits » (Jn 10, 8). Cependant, il ne tombe pas sur de simples voleurs, mais sur des bandits bien pires que des voleurs, car ils ont « dépouillé et couvert de plaies » cet homme qui, « descendant de Jérusalem », était tombé sur eux. Quelles sont ces plaies, quelles sont ces blessures dont l'homme est atteint ? Les vices et les péchés.
Puis les bandits, après l'avoir dépouillé et couvert de blessures, le laissent nu, sans la moindre assistance, et l'abandonnent après lui avoir infligé une nouvelle volée de coups. C'est pourquoi il est écrit : « L'ayant dépouillé et roué de coups, ils s'en allèrent, le laissant » non pas mort, mais « à moitié mort ».
Or, il arriva que par le même chemin descendit d'abord un prêtre, puis un lévite, qui auraient peut-être fait preuve de bonté envers d'autres hommes, mais ne le furent pas envers celui « qui était descendu de Jérusalem à Jéricho ».
Cet homme, le prêtre — qui selon moi représente la Loi — l'a pourtant bien vu, et le lévite aussi, lui qui, je pense, représente les Prophètes. Ils l'ont vu, mais ils ont passé et l'ont laissé là. Assurément, la Providence réservait cet homme à demi mort à celui qui était plus fort que la Loi et les Prophètes, c'est-à-dire au Samaritain, dont le nom signifie « gardien » ; c'est lui qui « ne sommeille ni ne dort tandis qu'il garde Israël » (PS 121, 4).
Le Samaritain est le gardien
C'est à cause de l'homme à demi mort que s'est mis en route le Samaritain ; il ne descend pas «de Jérusalem à Jéricho» comme le prêtre et le lévite ; ou s'il descend, c'est pour sauver le moribond, pour veiller sur lui, alors que les Juifs lui ont dit : « Tu es un Samaritain et un possédé du démon » (Jn 8, 48). Jésus a bien affirmé qu'il n'était pas possédé du démon, mais il n'a pas voulu nier qu'il fût Samaritain, car il savait qu'il était le gardien.
6. Aussi, lorsqu'il fut arrivé près de l'homme à demi mort, qu'il le vit baignant dans son sang, plein de pitié il s'approcha de lui pour devenir son prochain. « Il banda ses blessures, y versa un mélange d'huile et de vin » et ne dit pas ce qu'on lit dans les Prophètes : « Il n'y a pas d'onguent, d'huile ou de bandelettes à appliquer » (Is 1, 6).
Voilà le Samaritain dont les soins et l'assistance sont nécessaires à tous ceux qui sont malades. C'est du secours de ce Samaritain qu'avait besoin plus que tout autre l'homme qui, « descendant de Jérusalem à Jéricho, était tombé sur des ban-dits » qui l'avaient blessé et abandonné à demi mort. C'était la Providence divine qui faisait descendre le Samaritain pour soigner l'homme « tombé sur des bandits ». Un fait le montrera clairement : il avait en effet avec lui des bandes, de l'huile, du vin, toutes choses que, selon moi, ce Samaritain n'emportait vraisemblablement pas pour ce seul moribond, mais aussi pour d'autres, blessés de diverses façons et qui eux aussi avaient besoin de bandes, d'huile et de vin. Il avait de l'huile dont il est écrit : « Que l'huile donne de l'éclat au visage » (Ps 104 (103), 15), le visage assurément de celui qui avait été soigné. Pour adoucir les plaies, il les nettoie avec de l'huile et aussi avec du vin mêlé de quelque produit amer. Puis « il chargea le blessé sur sa propre monture», c'est-à-dire son propre corps, tout comme il a daigné assumer la condition d'homme. Le Samaritain « porte nos péchés » (Mt 8, 17 et Is 53, 4) et souffre avec nous. Il porte le moribond, le conduit dans une auberge, c'est-à-dire dans l'Eglise qui accueille tout le monde et ne refuse son secours à personne, et où tous sont invités par Jésus : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et je referai vos forces » (Mt 11, 28).
Des soins attentifs
8. Et après avoir conduit le moribond à l'auberge, il ne le quitte pas, il demeure avec lui toute une journée, il soigne ses blessures non seulement le jour, mais aussi pendant la nuit, lui témoignant ainsi toute sa sollicitude et toute sa compétence. Le matin, au moment de partir, il prend sur son argent, sur ses ressources personnelles, « deux deniers » de bonne monnaie et il en « gratifie l'aubergiste » — sans aucun doute l'ange de l'Eglise — et lui enjoint de soigner avec diligence et de mener à la guérison complète cet homme que lui-même avait soigné pendant trop peu de temps.
Les deux deniers
Les deux deniers représentent, il me semble, la connaissance du Père et du Fils et nous instruisent de ce mystère : le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père; c'est là le salaire dont l'ange' est gratifié pour qu'il soigne avec plus de diligence l'homme qui lui a été confié. De plus, il lui est promis que tout ce qu'il dépensera pour la guérison lui sera aussitôt remboursé.
Comment suivre cet exemple
9. Vraiment ce gardien des âmes s'est montré plus proche des hommes que la Loi et les Prophètes, lui « qui a fait miséricorde à celui qui était tombé sur des bandits ». Il s'est montré son prochain moins en paroles qu'en actes. Voilà pourquoi, selon qu'il est dit : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ » (1 Co 4, 16), nous pouvons imiter le Christ et faire preuve de miséricorde à l'égard de ceux qui « sont tombés sur des bandits », aller à eux, bander leurs plaies, y verser de l'huile et du vin, les charger sur notre propre monture et porter leurs fardeaux. C'est pour nous y exhorter que le Fils de Dieu dit au docteur de la Loi, mais plus encore à nous tous: « Va et toi aussi fais de même. »
Si nous faisons de même, nous obtiendrons la vie éternelle dans le Christ Jésus, « à qui appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen » (1 P 4, 11)
Le premier est l'homélie XXXIV d'Origène, le second est d'Ambroise de Milan.
On y trouvera outre le thème du Christ incarné pour être notre prochain, repris fidèlement par Jean-Louis, des compléments sur les symboles employés dans la parabole. On voit également comment Jean-Louis, avec beaucoup de justesse a fait sienne la critique des Pères en la réactualisant dans notre contexte ecclésiologique de multi juridiction-ethnophylétique s'accomodant d'une co-territorialité anti canonique au détriment de la fondation de l'auberge dans laquelle le Bon Samaritain cherche à confier les dépouillés spirituels.
Comme il est significatif que ce passage évangélique soit suivi de l'épisode de "Marthe et Marie", nous laisserons également le début du commentaire de St Ambroise qui illustrera aussi l'interrogation de Glicherie sur l'humanisme comme réduction (jusqu'à la destruction) de la vie mystérique.
Les commentaires des Pères se démarquent de l'exégèse actuelle. Il en est ainsi de l'Homélie de St Pierre Chrysologue sur la parabole de la Brebis perdue. Elle me semble bien consolider celle du bon Samaritain et balayer cet humanisme contemporain dénoncé par Glicherie et qui est un véritable arianisme des temps modernes.
Que Saint Pierre Chrysologue nous conduise ainsi dans le carême de la Nativité.
Origène : Homélie XXXIV
Le bon Samaritain (Lc 10, 25-37)
Que faut-il faire pour avoir la vie éternelle ?
1. Dans la Loi, nombreux sont les préceptes, mais dans l'Évangile, le Seigneur a rassemblé seulement en une sorte de résumé ceux dont la pratique conduit à la vie éternelle. Tel est en effet l'objet de la question que lui posait un docteur de la Loi : « Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » C'est le texte de Luc qui vous a été lu aujourd'hui. Et Jésus répondit : « Qu'y a-t-il dans la Loi? Qu'y lis-tu? » — « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit, et aussi ton prochain comme toi-même » (cf. Dt 6, 5). « Tu as bien répondu, dit Jésus, fais cela et tu vivras » (cf. Lv 18, 5).
Sans aucun doute, il s'agit de la vie éternelle, objet de la question posée par le docteur de la Loi et des paroles du Sauveur. En même temps, ce précepte de la Loi nous apprend très clairement à aimer Dieu : « Écoute, Israël, dit le Deutéronome (6, 4-5), tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton esprit » et la suite : « et ton prochain comme toi-même ». A cela, le Seigneur a rendu témoignage lorsqu'il dit : « De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes » (Mt 22, 40).
Qui est mon prochain ?
2.Mais le docteur de la Loi « voulant se justifier lui-même » et montrer que personne n'était son prochain, dit : « Qui est mon prochain? » Alors le Seigneur lui répond par la parabole qui commence ainsi : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho »... et la suite. Il enseigne que cet homme qui descendait n'a été le prochain de personne, sinon de celui qui a voulu observer les commandements et se pré-parer à être le prochain de tout homme qui aurait besoin d'être secouru. Et c'est bien ce qui vient en conclusion de la parabole : « De ces trois hommes, lequel, à ton avis, s'est montré le prochain de celui qui était tombé sur des brigands? » Car ni le prêtre, ni le lévite n'ont été son prochain, mais comme l'a répondu le docteur lui-même : « Celui qui s'est montré miséricordieux envers lui, voilà celui qui fut son prochain. » Alors le Sauveur de dire : « Va, et toi aussi, fais de même. »
Un commentaire ancien de la parabole
3.Pour un ancien qui voulait interpréter la parabole, l'homme qui descendait était Adam ; Jérusalem, le paradis ; Jéricho, le monde ; les bandits, les forces ennemies ; le prêtre, la loi ; le lévite, les Prophètes ; le Samaritain, le Christ. Les blessures représentent la désobéissance ; la monture, le corps du Christ ; le « pandochium », c'est-à-dire l'auberge qui accueille tous ceux qui veulent y entrer, est le symbole de l'Eglise. En outre, les deux deniers doivent être compris comme le Père et le Fils ; l'hôtelier, comme le chef de l'Eglise, auquel est confiée son administration. Quant à la promesse de revenir que fait le Samaritain, elle figurerait le second avènement du Sauveur.
Discussion de cette interprétation
4.Cette interprétation est judicieuse et belle; toutefois on ne doit pas penser qu'elle puisse convenir à tout homme. Car tout homme n'est pas descendu « de Jérusalem à Jéricho » et ce n'est pas pour cette raison que tous les hommes demeurent dans le siècle présent, tandis que le Christ, lui, « y a été envoyé » et y est venu « pour les brebis perdues de la maison d'Israël » (Mt 15, 24).
Donc, l'homme qui « descend de Jérusalem à Jéricho » tombe sur les brigands parce que lui-même a voulu descendre. Les bandits ne peuvent être que ceux dont le Seigneur dit : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits » (Jn 10, 8). Cependant, il ne tombe pas sur de simples voleurs, mais sur des bandits bien pires que des voleurs, car ils ont « dépouillé et couvert de plaies » cet homme qui, « descendant de Jérusalem », était tombé sur eux. Quelles sont ces plaies, quelles sont ces blessures dont l'homme est atteint ? Les vices et les péchés.
Puis les bandits, après l'avoir dépouillé et couvert de blessures, le laissent nu, sans la moindre assistance, et l'abandonnent après lui avoir infligé une nouvelle volée de coups. C'est pourquoi il est écrit : « L'ayant dépouillé et roué de coups, ils s'en allèrent, le laissant » non pas mort, mais « à moitié mort ».
Or, il arriva que par le même chemin descendit d'abord un prêtre, puis un lévite, qui auraient peut-être fait preuve de bonté envers d'autres hommes, mais ne le furent pas envers celui « qui était descendu de Jérusalem à Jéricho ».
Cet homme, le prêtre — qui selon moi représente la Loi — l'a pourtant bien vu, et le lévite aussi, lui qui, je pense, représente les Prophètes. Ils l'ont vu, mais ils ont passé et l'ont laissé là. Assurément, la Providence réservait cet homme à demi mort à celui qui était plus fort que la Loi et les Prophètes, c'est-à-dire au Samaritain, dont le nom signifie « gardien » ; c'est lui qui « ne sommeille ni ne dort tandis qu'il garde Israël » (PS 121, 4).
Le Samaritain est le gardien
C'est à cause de l'homme à demi mort que s'est mis en route le Samaritain ; il ne descend pas «de Jérusalem à Jéricho» comme le prêtre et le lévite ; ou s'il descend, c'est pour sauver le moribond, pour veiller sur lui, alors que les Juifs lui ont dit : « Tu es un Samaritain et un possédé du démon » (Jn 8, 48). Jésus a bien affirmé qu'il n'était pas possédé du démon, mais il n'a pas voulu nier qu'il fût Samaritain, car il savait qu'il était le gardien.
6. Aussi, lorsqu'il fut arrivé près de l'homme à demi mort, qu'il le vit baignant dans son sang, plein de pitié il s'approcha de lui pour devenir son prochain. « Il banda ses blessures, y versa un mélange d'huile et de vin » et ne dit pas ce qu'on lit dans les Prophètes : « Il n'y a pas d'onguent, d'huile ou de bandelettes à appliquer » (Is 1, 6).
Voilà le Samaritain dont les soins et l'assistance sont nécessaires à tous ceux qui sont malades. C'est du secours de ce Samaritain qu'avait besoin plus que tout autre l'homme qui, « descendant de Jérusalem à Jéricho, était tombé sur des ban-dits » qui l'avaient blessé et abandonné à demi mort. C'était la Providence divine qui faisait descendre le Samaritain pour soigner l'homme « tombé sur des bandits ». Un fait le montrera clairement : il avait en effet avec lui des bandes, de l'huile, du vin, toutes choses que, selon moi, ce Samaritain n'emportait vraisemblablement pas pour ce seul moribond, mais aussi pour d'autres, blessés de diverses façons et qui eux aussi avaient besoin de bandes, d'huile et de vin. Il avait de l'huile dont il est écrit : « Que l'huile donne de l'éclat au visage » (Ps 104 (103), 15), le visage assurément de celui qui avait été soigné. Pour adoucir les plaies, il les nettoie avec de l'huile et aussi avec du vin mêlé de quelque produit amer. Puis « il chargea le blessé sur sa propre monture», c'est-à-dire son propre corps, tout comme il a daigné assumer la condition d'homme. Le Samaritain « porte nos péchés » (Mt 8, 17 et Is 53, 4) et souffre avec nous. Il porte le moribond, le conduit dans une auberge, c'est-à-dire dans l'Eglise qui accueille tout le monde et ne refuse son secours à personne, et où tous sont invités par Jésus : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et je referai vos forces » (Mt 11, 28).
Des soins attentifs
8. Et après avoir conduit le moribond à l'auberge, il ne le quitte pas, il demeure avec lui toute une journée, il soigne ses blessures non seulement le jour, mais aussi pendant la nuit, lui témoignant ainsi toute sa sollicitude et toute sa compétence. Le matin, au moment de partir, il prend sur son argent, sur ses ressources personnelles, « deux deniers » de bonne monnaie et il en « gratifie l'aubergiste » — sans aucun doute l'ange de l'Eglise — et lui enjoint de soigner avec diligence et de mener à la guérison complète cet homme que lui-même avait soigné pendant trop peu de temps.
Les deux deniers
Les deux deniers représentent, il me semble, la connaissance du Père et du Fils et nous instruisent de ce mystère : le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père; c'est là le salaire dont l'ange' est gratifié pour qu'il soigne avec plus de diligence l'homme qui lui a été confié. De plus, il lui est promis que tout ce qu'il dépensera pour la guérison lui sera aussitôt remboursé.
Comment suivre cet exemple
9. Vraiment ce gardien des âmes s'est montré plus proche des hommes que la Loi et les Prophètes, lui « qui a fait miséricorde à celui qui était tombé sur des bandits ». Il s'est montré son prochain moins en paroles qu'en actes. Voilà pourquoi, selon qu'il est dit : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ » (1 Co 4, 16), nous pouvons imiter le Christ et faire preuve de miséricorde à l'égard de ceux qui « sont tombés sur des bandits », aller à eux, bander leurs plaies, y verser de l'huile et du vin, les charger sur notre propre monture et porter leurs fardeaux. C'est pour nous y exhorter que le Fils de Dieu dit au docteur de la Loi, mais plus encore à nous tous: « Va et toi aussi fais de même. »
Si nous faisons de même, nous obtiendrons la vie éternelle dans le Christ Jésus, « à qui appartiennent la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen » (1 P 4, 11)
Dernière modification par Antoine le dim. 07 nov. 2004 1:35, modifié 1 fois.
Le Bon Samaritain (Suite)
Ambroise de Milan : Traité sur l’Evangile de S.Luc
Suit le texte où sont démasqués ceux qui se croient experts en la Loi, qui retiennent les paroles de la Loi, ignorent la portée de la Loi. Par le tout premier chapitre de la Loi Il montre qu'ils ignorent la Loi ; Il prouve que dès le commencement la Loi a prêché le Père et le Fils, et même annoncé le mystère de l'incarnation du Seigneur en ces termes : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu », et : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même ».
Là-dessus le Seigneur dit au docteur de la Loi : « Faites cela, et vous vivrez. » Mais lui, qui ne connaissait pas son prochain parce qu'il ne croyait pas au Christ, repartit : « Qui est mon prochain ? » Ainsi donc ignorer le Christ, c'est aussi ignorer la Loi. Comment peut-on connaître la Loi quand on ignore la vérité, puisque la Loi annonce la vérité ?
« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. »
Afin de pouvoir plus aisément expliquer le texte qui nous est proposé, repassons l'histoire ancienne de la ville de Jéricho. Nous nous souvenons que Jéricho — comme nous le lisons dans le livre intitulé Josué fils de Navé — était une grande cité entourée de murs et de remparts, pour n'être pas accessible au fer, ni forcée par le bélier. Il y demeurait une prostituée, Rahab, qui donna l'hospitalité aux éclaireurs envoyés par Josué, les aida de ses conseils, répondit aux questions de ses concitoyens qu'ils étaient partis, les cacha sur son toit, et, pour arriver à se soustraire, elle et les siens, à la destruction de la ville, attacha de l'écarlate à sa fenêtre. Quant aux murs inexpugnables de la cité, au son des sept trompettes des prêtres , accompagné par les cris et les hurlements joyeux du peuple, ils s'écroulèrent. Voyez comment chacun tient son rôle propre : l'éclaireur la vigilance, la prostituée le secret, le vainqueur la fidélité, le prêtre la religion : les premiers, pour la gloire, ne craignent pas le péril ; elle, même en péril, ne trahit pas ceux qu'elle a reçus ; celui-ci, plus soucieux de garder la fidélité que de vaincre, prescrit la vie sauve pour la prostituée avant la ruine de la cité ; quant aux instruments de la religion, ce sont les armes du prêtre. Et maintenant, comment ne pas trouver parfaitement merveilleux que dans toute cette ville nul n'ait été sauvé sinon celui que la prostituée a libéré?
Telle est la simple vérité historique. Considérée plus à fond, elle révèle d'admirables mystères. Jéricho est en effet la figure de ce monde, où, chassé du paradis, c'est-à-dire de la Jérusalem céleste, Adam est descendu par la déchéance de sa prévarication, passant de la vie aux enfers : c'est le changement non pas de lieu, mais de mœurs, qui a fait l'exil de sa nature. Bien changé de l'Adam qui jouissait d'un bonheur sans trouble, dès qu'il se fut abaissé aux fautes du monde, il rencontra des larrons ; il ne les aurait pas rencontrés, s'il ne s'y était exposé en déviant du commandement céleste. Quels sont ces larrons, sinon les anges de la nuit et des ténèbres, qui parfois se travestissent en anges de lumière (II Cor., XI, 14), mais ne peuvent s'y tenir ? Ils nous dépouillent d'abord des vêtements de grâce spirituelle que nous avons reçus, et c'est ainsi qu'ils ont coutume d'infliger des blessures : car si nous gardons intacts les vêtements que nous avons pris, nous ne pouvons ressentir les coups des larrons. Prenez donc garde d'être d'abord dépouillé, comme Adam a d'abord été mis à nu, dépourvu de la protection du commandement céleste et dépouillé du vêtement de la foi : c'est ainsi qu'il a reçu la blessure mortelle à laquelle aurait succombé tout le genre humain, si le Samaritain n'était descendu pour guérir ses cruelles blessures. Ce n'est pas le premier venu que ce Samaritain : celui qu'avaient dédaigné le prêtre, le lévite, Il ne l'a pas dédaigné à son tour. Ne méprisez pas non plus, à cause de ce nom de secte, Celui qu'en interprétant ce nom vous admirerez : car le nom de Samaritain signifie gardien : telle est sa traduction. Qui est ce gardien ? N'est-ce pas Celui dont il est dit : « Le Seigneur garde les petits » (Ps. 114, 6) ? De même donc qu'il y a un Juif selon la lettre, un autre selon l'esprit, il y a aussi un Samaritain du dehors, un autre caché. Donc ce Samaritain qui descendait — « qui est descendu du ciel, sinon Celui qui est monté au ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel » (Jn, III, 13) ? — voyant cet homme à demi mort, que personne jusque-là n'avait pu guérir (comme celle qui avait un flux de sang et avait dépensé toute sa fortune en médecins), s'est approché de lui, c'est-à-dire en acceptant de souffrir avec nous s'est fait notre proche et, en nous faisant miséricorde, notre voisin. « Et il pansa ses blessures, en y versant de l'huile et du vin. » Ce médecin a bien des remèdes, au moyen desquels il a coutume de guérir. Sa parole est un remède : tel de ses discours ligature les plaies, un autre les fomente d'huile, un autre y verse le vin ; Il ligature les plaies par tel précepte plus austère, Il réchauffe en remettant le péché, Il pique comme avec le vin en annonçant le jugement. « Et il le plaça, dit-il, sur sa monture. » Ecoutez comment Il vous y place : « Il porte nos péchés et souffre pour nous » (Is., LIII, 4). Le Pasteur aussi a placé la brebis fatiguée sur ses épaules (Lc, XV, 5). Car « l'homme est devenu semblable à une monture » (Ps. 48, 13) : alors Il nous a placés sur sa monture, pour que nous ne soyons pas comme le cheval et le mulet (Ps. 31, 9), pour supprimer les infirmités de notre chair en prenant notre corps. Enfin Il nous a conduits à l'écurie, nous qui étions montures : l'écurie est le lieu où aiment à se retirer ceux qui sont lassés d'un long parcours. Donc le Seigneur a conduit à l'écurie, Lui qui relève de terre l'indigent et retire le pauvre du fumier (Ps. 112, 7). « Et il a pris soin de lui », de crainte que malade il ne pût observer les préceptes qu'il avait reçus.
Mais ce Samaritain n'avait pas le loisir de demeurer longtemps sur terre : il Lui fallait retourner au lieu d'où Il était descendu. Aussi «le jour suivant » — quel est cet autre jour ? Ne serait-ce pas celui de la résurrection du Seigneur, celui dont il est dit : « Voici le jour que le Seigneur a fait » (Ps. 117, 24) ? — « Il tira deux deniers et les remit à l'hôtelier, et il dit : prenez soin de lui. » Qu'est-ce que ces deux deniers ? Peut-être les deux Testaments, qui portent empreinte sur eux l'effigie du Père éternel, et au prix desquels sont guéries nos blessures. Car nous avons été rachetés au prix du sang (I Pierre, I, 19), afin d'échapper aux ulcères de la mort finale. Donc ces deux deniers — encore qu'il ne soit pas déplacé de penser aussi aux pièces de ces quatre livres (les 4 évangiles) — l'hôtelier les a reçus. Lequel ? Peut-être celui qui a dit : « Je tiens cela pour de l'ordure, afin d'acquérir le Christ » (Phil., III, 8) — pour avoir soin de l'homme blessé. L'hôtelier donc, c'est celui qui a dit : « Le Christ m'a envoyé prêcher l'évangile» (I Cor., I, .17). Les hôteliers sont ceux auxquels il est dit : « Allez dans le monde entier, et prêchez l'évangile à toute créature » ; et « quiconque croira et recevra le baptême, sera sauvé » (Mc, XV, 16) : oui, sauvé de la mort, sauvé de la blessure qu'ont infligée les larrons. Heureux l'hôtelier qui peut soigner les blessures d'autrui ! Heureux celui à qui Jésus dit : « Ce que vous aurez dépensé en surplus, je vous le rendrai à mon retour ! » Le bon dispensateur, qui dépense même en surplus ! Bon dispensateur Paul, dont les discours et les épîtres sont comme en excédent sur le compte qu'il avait reçu ! Il a exécuté le mandat déterminé du Seigneur par un travail presque immodéré de l'âme et du corps, afin de soulager bien des gens de leurs graves maladies en leur dispensant sa parole. C'était donc le bon hôtelier de cette écurie dans laquelle l'ânesse a reconnu la crêche de son maître (Is., I, 3), et dans laquelle on renferme les troupeaux des agneaux, de crainte que les loups rapaces qui grondent près des parcs n'aient un facile accès dans la bergerie. Il promet donc de rendre la récompense. Quand reviendrez-vous, Seigneur, sinon au jour du jugement ? Car bien que vous soyez partout sans cesse, vous tenant au milieu de nous sans être vu de nous, il y aura cependant un moment où toute chair vous verra revenir. Vous rendrez donc ce que vous devez. Heureux ceux qui ont pour débiteur Dieu ! Puissions-nous, nous autres, être débiteurs solvables ! Puissions-nous être en état de payer ce que nous avons reçu, sans que la fonction du sacerdoce ou du ministère (diaconat) nous exalte ! Comment rendrez-vous, Seigneur Jésus ? Vous avez bien promis qu'au ciel les bons auront une abondante récompense ; pourtant vous rendrez encore, quand vous direz : « C'est bien, bon serviteur ; puisque vous avez été fidèle aux petites choses, je vous confierai beaucoup ; entrez dans la joie de votre Seigneur » (Matth., XXV, 21). Puis donc que nul n'est plus notre prochain que Celui qui a guéri nos blessures, aimons-Le comme Seigneur, aimons-Le aussi comme proche : car rien n'est si proche que la tête pour les membres. Aimons aussi celui qui imite le Christ ; aimons celui qui compatit à l'indigence d'autrui de par l'unité du corps. Ce n'est pas la parenté qui rend proche, mais la. miséricorde ; car la miséricorde est conforme à la nature : il n'est rien de si conforme à la nature que d'aider celui qui participe à notre nature.
Luc, X, 38-42. Marthe et Marie.
Il a donc été question de la miséricorde. Mais il n'y a pas qu'une manière d’être vertueux. On montre ensuite, par l'exemple de Marthe et de Marie, dans les oeuvres de l'une le dévouement actif, chez l'autre l'attention religieuse de l'âme à la parole de Dieu ; si elle est conforme à la foi, elle passe avant les oeuvres elles-mêmes, ainsi qu'il est écrit : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. » Étudions-nous donc, nous aussi, à posséder ce que nul ne pourra nous enlever, en prêtant une oreille non pas distraite, mais attentive : car il arrive au grain même de la parole céleste d'être dérobé, s'il est semé le long de la route (Lc, VIII, 5, 12). Soyez, comme Marie, animé du désir de la sagesse : c'est là une oeuvre plus grande, plus parfaite.
Ambroise de Milan : Traité sur l’Evangile de S.Luc
Suit le texte où sont démasqués ceux qui se croient experts en la Loi, qui retiennent les paroles de la Loi, ignorent la portée de la Loi. Par le tout premier chapitre de la Loi Il montre qu'ils ignorent la Loi ; Il prouve que dès le commencement la Loi a prêché le Père et le Fils, et même annoncé le mystère de l'incarnation du Seigneur en ces termes : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu », et : « Vous aimerez votre prochain comme vous-même ».
Là-dessus le Seigneur dit au docteur de la Loi : « Faites cela, et vous vivrez. » Mais lui, qui ne connaissait pas son prochain parce qu'il ne croyait pas au Christ, repartit : « Qui est mon prochain ? » Ainsi donc ignorer le Christ, c'est aussi ignorer la Loi. Comment peut-on connaître la Loi quand on ignore la vérité, puisque la Loi annonce la vérité ?
« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. »
Afin de pouvoir plus aisément expliquer le texte qui nous est proposé, repassons l'histoire ancienne de la ville de Jéricho. Nous nous souvenons que Jéricho — comme nous le lisons dans le livre intitulé Josué fils de Navé — était une grande cité entourée de murs et de remparts, pour n'être pas accessible au fer, ni forcée par le bélier. Il y demeurait une prostituée, Rahab, qui donna l'hospitalité aux éclaireurs envoyés par Josué, les aida de ses conseils, répondit aux questions de ses concitoyens qu'ils étaient partis, les cacha sur son toit, et, pour arriver à se soustraire, elle et les siens, à la destruction de la ville, attacha de l'écarlate à sa fenêtre. Quant aux murs inexpugnables de la cité, au son des sept trompettes des prêtres , accompagné par les cris et les hurlements joyeux du peuple, ils s'écroulèrent. Voyez comment chacun tient son rôle propre : l'éclaireur la vigilance, la prostituée le secret, le vainqueur la fidélité, le prêtre la religion : les premiers, pour la gloire, ne craignent pas le péril ; elle, même en péril, ne trahit pas ceux qu'elle a reçus ; celui-ci, plus soucieux de garder la fidélité que de vaincre, prescrit la vie sauve pour la prostituée avant la ruine de la cité ; quant aux instruments de la religion, ce sont les armes du prêtre. Et maintenant, comment ne pas trouver parfaitement merveilleux que dans toute cette ville nul n'ait été sauvé sinon celui que la prostituée a libéré?
Telle est la simple vérité historique. Considérée plus à fond, elle révèle d'admirables mystères. Jéricho est en effet la figure de ce monde, où, chassé du paradis, c'est-à-dire de la Jérusalem céleste, Adam est descendu par la déchéance de sa prévarication, passant de la vie aux enfers : c'est le changement non pas de lieu, mais de mœurs, qui a fait l'exil de sa nature. Bien changé de l'Adam qui jouissait d'un bonheur sans trouble, dès qu'il se fut abaissé aux fautes du monde, il rencontra des larrons ; il ne les aurait pas rencontrés, s'il ne s'y était exposé en déviant du commandement céleste. Quels sont ces larrons, sinon les anges de la nuit et des ténèbres, qui parfois se travestissent en anges de lumière (II Cor., XI, 14), mais ne peuvent s'y tenir ? Ils nous dépouillent d'abord des vêtements de grâce spirituelle que nous avons reçus, et c'est ainsi qu'ils ont coutume d'infliger des blessures : car si nous gardons intacts les vêtements que nous avons pris, nous ne pouvons ressentir les coups des larrons. Prenez donc garde d'être d'abord dépouillé, comme Adam a d'abord été mis à nu, dépourvu de la protection du commandement céleste et dépouillé du vêtement de la foi : c'est ainsi qu'il a reçu la blessure mortelle à laquelle aurait succombé tout le genre humain, si le Samaritain n'était descendu pour guérir ses cruelles blessures. Ce n'est pas le premier venu que ce Samaritain : celui qu'avaient dédaigné le prêtre, le lévite, Il ne l'a pas dédaigné à son tour. Ne méprisez pas non plus, à cause de ce nom de secte, Celui qu'en interprétant ce nom vous admirerez : car le nom de Samaritain signifie gardien : telle est sa traduction. Qui est ce gardien ? N'est-ce pas Celui dont il est dit : « Le Seigneur garde les petits » (Ps. 114, 6) ? De même donc qu'il y a un Juif selon la lettre, un autre selon l'esprit, il y a aussi un Samaritain du dehors, un autre caché. Donc ce Samaritain qui descendait — « qui est descendu du ciel, sinon Celui qui est monté au ciel, le Fils de l'homme, qui est au ciel » (Jn, III, 13) ? — voyant cet homme à demi mort, que personne jusque-là n'avait pu guérir (comme celle qui avait un flux de sang et avait dépensé toute sa fortune en médecins), s'est approché de lui, c'est-à-dire en acceptant de souffrir avec nous s'est fait notre proche et, en nous faisant miséricorde, notre voisin. « Et il pansa ses blessures, en y versant de l'huile et du vin. » Ce médecin a bien des remèdes, au moyen desquels il a coutume de guérir. Sa parole est un remède : tel de ses discours ligature les plaies, un autre les fomente d'huile, un autre y verse le vin ; Il ligature les plaies par tel précepte plus austère, Il réchauffe en remettant le péché, Il pique comme avec le vin en annonçant le jugement. « Et il le plaça, dit-il, sur sa monture. » Ecoutez comment Il vous y place : « Il porte nos péchés et souffre pour nous » (Is., LIII, 4). Le Pasteur aussi a placé la brebis fatiguée sur ses épaules (Lc, XV, 5). Car « l'homme est devenu semblable à une monture » (Ps. 48, 13) : alors Il nous a placés sur sa monture, pour que nous ne soyons pas comme le cheval et le mulet (Ps. 31, 9), pour supprimer les infirmités de notre chair en prenant notre corps. Enfin Il nous a conduits à l'écurie, nous qui étions montures : l'écurie est le lieu où aiment à se retirer ceux qui sont lassés d'un long parcours. Donc le Seigneur a conduit à l'écurie, Lui qui relève de terre l'indigent et retire le pauvre du fumier (Ps. 112, 7). « Et il a pris soin de lui », de crainte que malade il ne pût observer les préceptes qu'il avait reçus.
Mais ce Samaritain n'avait pas le loisir de demeurer longtemps sur terre : il Lui fallait retourner au lieu d'où Il était descendu. Aussi «le jour suivant » — quel est cet autre jour ? Ne serait-ce pas celui de la résurrection du Seigneur, celui dont il est dit : « Voici le jour que le Seigneur a fait » (Ps. 117, 24) ? — « Il tira deux deniers et les remit à l'hôtelier, et il dit : prenez soin de lui. » Qu'est-ce que ces deux deniers ? Peut-être les deux Testaments, qui portent empreinte sur eux l'effigie du Père éternel, et au prix desquels sont guéries nos blessures. Car nous avons été rachetés au prix du sang (I Pierre, I, 19), afin d'échapper aux ulcères de la mort finale. Donc ces deux deniers — encore qu'il ne soit pas déplacé de penser aussi aux pièces de ces quatre livres (les 4 évangiles) — l'hôtelier les a reçus. Lequel ? Peut-être celui qui a dit : « Je tiens cela pour de l'ordure, afin d'acquérir le Christ » (Phil., III, 8) — pour avoir soin de l'homme blessé. L'hôtelier donc, c'est celui qui a dit : « Le Christ m'a envoyé prêcher l'évangile» (I Cor., I, .17). Les hôteliers sont ceux auxquels il est dit : « Allez dans le monde entier, et prêchez l'évangile à toute créature » ; et « quiconque croira et recevra le baptême, sera sauvé » (Mc, XV, 16) : oui, sauvé de la mort, sauvé de la blessure qu'ont infligée les larrons. Heureux l'hôtelier qui peut soigner les blessures d'autrui ! Heureux celui à qui Jésus dit : « Ce que vous aurez dépensé en surplus, je vous le rendrai à mon retour ! » Le bon dispensateur, qui dépense même en surplus ! Bon dispensateur Paul, dont les discours et les épîtres sont comme en excédent sur le compte qu'il avait reçu ! Il a exécuté le mandat déterminé du Seigneur par un travail presque immodéré de l'âme et du corps, afin de soulager bien des gens de leurs graves maladies en leur dispensant sa parole. C'était donc le bon hôtelier de cette écurie dans laquelle l'ânesse a reconnu la crêche de son maître (Is., I, 3), et dans laquelle on renferme les troupeaux des agneaux, de crainte que les loups rapaces qui grondent près des parcs n'aient un facile accès dans la bergerie. Il promet donc de rendre la récompense. Quand reviendrez-vous, Seigneur, sinon au jour du jugement ? Car bien que vous soyez partout sans cesse, vous tenant au milieu de nous sans être vu de nous, il y aura cependant un moment où toute chair vous verra revenir. Vous rendrez donc ce que vous devez. Heureux ceux qui ont pour débiteur Dieu ! Puissions-nous, nous autres, être débiteurs solvables ! Puissions-nous être en état de payer ce que nous avons reçu, sans que la fonction du sacerdoce ou du ministère (diaconat) nous exalte ! Comment rendrez-vous, Seigneur Jésus ? Vous avez bien promis qu'au ciel les bons auront une abondante récompense ; pourtant vous rendrez encore, quand vous direz : « C'est bien, bon serviteur ; puisque vous avez été fidèle aux petites choses, je vous confierai beaucoup ; entrez dans la joie de votre Seigneur » (Matth., XXV, 21). Puis donc que nul n'est plus notre prochain que Celui qui a guéri nos blessures, aimons-Le comme Seigneur, aimons-Le aussi comme proche : car rien n'est si proche que la tête pour les membres. Aimons aussi celui qui imite le Christ ; aimons celui qui compatit à l'indigence d'autrui de par l'unité du corps. Ce n'est pas la parenté qui rend proche, mais la. miséricorde ; car la miséricorde est conforme à la nature : il n'est rien de si conforme à la nature que d'aider celui qui participe à notre nature.
Luc, X, 38-42. Marthe et Marie.
Il a donc été question de la miséricorde. Mais il n'y a pas qu'une manière d’être vertueux. On montre ensuite, par l'exemple de Marthe et de Marie, dans les oeuvres de l'une le dévouement actif, chez l'autre l'attention religieuse de l'âme à la parole de Dieu ; si elle est conforme à la foi, elle passe avant les oeuvres elles-mêmes, ainsi qu'il est écrit : « Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera pas enlevée. » Étudions-nous donc, nous aussi, à posséder ce que nul ne pourra nous enlever, en prêtant une oreille non pas distraite, mais attentive : car il arrive au grain même de la parole céleste d'être dérobé, s'il est semé le long de la route (Lc, VIII, 5, 12). Soyez, comme Marie, animé du désir de la sagesse : c'est là une oeuvre plus grande, plus parfaite.
Le Bon Samaritain (suite et fin)
Luc 15,1-10.
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l'un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve ? Quand il l'a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules, et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins ; il leur dit : 'Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !' Je vous le dis : C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion.
Saint Pierre Chrysologue Sermon 168
« Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue »
Cet homme qui possède cent brebis, le Christ, est le bon pasteur, le pasteur miséricordieux qui avait établi tout le troupeau de la race humaine en une seule brebis, c'est-à-dire en Adam. Il avait placé la brebis dans le paradis enchanteur et dans la région des pâturages de vie. Mais elle, se fiant aux hurlements des loups, a oublié la voix du berger ; elle a perdu le chemin qui conduit au bercail du salut et s'est trouvée toute couverte de blessures mortelles. Le Christ est venu dans le monde chercher la brebis et l'a retrouvée dans le sein de la Vierge. Il est venu, il est né dans la chair, il a placé la brebis sur la croix, et l'a prise sur les épaules de sa passion. Puis, tout rempli de la joie de la résurrection, il l'a élevée, par son ascension, jusqu'à la demeure du ciel. « Il réunit ses amis et ses voisins », c'est-à-dire les anges, « et il leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue ». Les anges jubilent et exultent avec le Christ pour le retour de la brebis du Seigneur. Ils ne s'irritent pas de la voir siéger devant eux sur le trône de majesté. Car l'envie n'existe plus au ciel dont elle a été bannie avec le diable. Grâce à l'Agneau qui a enlevé le péché du monde, le péché d'envie ne peut plus pénétrer dans les cieux. Frères, le Christ est venu nous chercher sur la terre ; cherchons-le dans les cieux. Il nous a emportés dans la gloire de sa divinité ; nous, portons-le dans notre corps par la sainteté de toute notre vie.
Luc 15,1-10.
Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! » Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l'un de vous a cent brebis et en perd une, ne laisse-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve ? Quand il l'a retrouvée, tout joyeux, il la prend sur ses épaules, et, de retour chez lui, il réunit ses amis et ses voisins ; il leur dit : 'Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !' Je vous le dis : C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion.
Saint Pierre Chrysologue Sermon 168
« Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue »
Cet homme qui possède cent brebis, le Christ, est le bon pasteur, le pasteur miséricordieux qui avait établi tout le troupeau de la race humaine en une seule brebis, c'est-à-dire en Adam. Il avait placé la brebis dans le paradis enchanteur et dans la région des pâturages de vie. Mais elle, se fiant aux hurlements des loups, a oublié la voix du berger ; elle a perdu le chemin qui conduit au bercail du salut et s'est trouvée toute couverte de blessures mortelles. Le Christ est venu dans le monde chercher la brebis et l'a retrouvée dans le sein de la Vierge. Il est venu, il est né dans la chair, il a placé la brebis sur la croix, et l'a prise sur les épaules de sa passion. Puis, tout rempli de la joie de la résurrection, il l'a élevée, par son ascension, jusqu'à la demeure du ciel. « Il réunit ses amis et ses voisins », c'est-à-dire les anges, « et il leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue ». Les anges jubilent et exultent avec le Christ pour le retour de la brebis du Seigneur. Ils ne s'irritent pas de la voir siéger devant eux sur le trône de majesté. Car l'envie n'existe plus au ciel dont elle a été bannie avec le diable. Grâce à l'Agneau qui a enlevé le péché du monde, le péché d'envie ne peut plus pénétrer dans les cieux. Frères, le Christ est venu nous chercher sur la terre ; cherchons-le dans les cieux. Il nous a emportés dans la gloire de sa divinité ; nous, portons-le dans notre corps par la sainteté de toute notre vie.