Sylvie a écrit :Merci Monique
Ceci démontre la grande nécéssité de plonger dans les lectures orthodoxes pour guérir le plus tôt possible.
Sylvie-Madeleine
Non, il ne s'agit pas de lire, mais de vivre.
Je sais que ce genre de remarque est difficile à comprendre pour quelqu'un qui n'est pas orthodoxe. A chaque fois que l'un d'entre nous fait la remarque que la vie de grâce, la vie en Eglise, est une expérience complètement différente de ce que l'on peut connaître hors de l'Eglise, nous avons toujours un lecteur hétérodoxe pour ricaner au lieu de se remettre en question.
J'ai pourtant essayé à plusieurs reprises d'expliquer que cela ne veut pas dire que les hétérodoxes sont moins intelligents, mais que tout simplement, il y a un stade à partir duquel l'expérience devient indicible et ne peut pas être objet de simple discussion. Quand j'ai essayé d'expliquer ce que cela veut dire en citant le proverbe grec η Ορθοδοξία βιώνεται ("l'Orthodoxie se vit"), cela n'a suscité que les sarcasmes de la part de tel ou tel de vos correspondants qui se veut un esprit fort, mais qui ferait peut-être mieux de faire preuve d'un peu d'humilité. J'avoue que j'ai de la peine à comprendre cette attitude, et que j'aurais de la peine à comprendre cette attitude même si je n'étais pas orthodoxe. Je suis comme Pascal: je crois les témoins qui se font égorger. Quand on voit les souffrances que les orthodoxes ont endurées pour conserver le dépôt de la foi reçue des Apôtres, et que l'Eglise, depuis deux mille ans, a survécu à tout, on peut se dire que ce trésor mérite un peu plus que tant de mépris.
Car tout de même, chaque jour, malgré les gnostiques, malgré Néron, Dioclétien, l'arianisme, le papisme, l'uniatisme, les sectes, le communisme, l'Islam, malgré même le messianisme national, depuis deux mille ans l'Orthodoxie réalise ce que Notre Seigneur avait annoncé: "Pas un iota ne passera" (Mt 5,18).
C'est d'ailleurs aussi l'attitude que moi, orthodoxe, j'observe à l'égard du bouddhisme. Je me suis ainsi un jour pris de bec avec une coreligionnaire qui en parlait avec autant de mépris que d'ignorance. Je ne suis pas bouddhiste, et je sais que le bouddhisme n'a pas la vérité. Mais, avant de porter des jugements à l'emporte-pièce, quand on est confronté à des religions qui tiennent depuis tant de siècles malgré tout ce que le monde a fait pour les détruire, on examine, on accepte que la vie à l'intérieur de ces religions puisse être différente de celle que l'on connaît dans les confessions sécularisées, on essaie de s'informer avant de se prendre pour le centre de l'univers. Ne pourrais-je pas attendre des chrétiens hétérodoxes la même circonspection?
J'ai essayé d'expliquer encore mieux les choses en citant un texte du RP Paul Florensky, qui fut fusillé par les communistes en 1937, et qui me paraissait d'une pédagogie exemplaire:
"L'orthodoxie se montre, elle ne se démontre pas. Voilà pourquoi, quiconque désire comprendre l'orthodoxie ne dispose que d'un seul moyen: l'expérience orthodoxe directe. L'on dit que l'on se sert, à l'étranger, d'appareils pour apprendre à nager sur le sol; de même, l'on peut devenir catholique ou protestant par la lecture, en cabinet, sans entrer en contact avec la vie. Mais pour devenir orthodoxe, il faut s'immerger d'un coup dans l'élément même de l'orthodoxie et y vivre; il n'y a pas d'autre voie." (RP Paul Florensky,
La colonne et le fondement de la vérité, traduction du russe par le prince Constantin Andronikoff, L'Âge d'Homme, Lausanne 1975, p. 12; édition originale Столп и утверждение истины, Moscou 1914.)
J'ai aussi essayé d'expliquer les choses par la célèbre réflexion du cardinal Congar, qui n'était pas orthodoxe (ce qui n'est pas le problème ici), mais qui avait compris que le verbiage est une chose, et que la vie en est une autre: "tout est pareil et tout est différent".
Le problème est que je me heurte souvent à la transposition dans le domaine religieux de ce qu'est l'ethnocentrisme dans le domaine culturel. Nous sommes confrontés à des gens qui arrivent avec des idées préconçues, et qui ne peuvent tout simplement pas accepter que les choses puissent différer de leurs préjugés. Préjugés du genre: "Vous êtes comme les catholiques", ou "Votre théologie est platonicienne" (face à ce genre de personnes, il est très difficile de faire comprendre que la théologie orthodoxe est basée sur l'expérience du Royaume). Je ne leur demande pas de devenir orthodoxes, je leur demande juste l'effort d'accepter que les faits soient têtus et que la réalité n'entre pas dans le cadre dans lequel ils veulent l'enfermer.
Un des préjugés les plus tenaces concerne la nature du dogme. La dogmatique a connu en Europe occidentale une grande dévalorisation au moment de la "crise de consience européenne" (Paul Hazard), qui est une conséquence de la
rabies theologica du XVIIe siècle avec ses querelles sans fin sur la grâce, elles-mêmes conséquences d'un présupposé de départ augustinien complètement étranger à l'Orthodoxie. Le dogme a une très mauvaise image, voire devient complètement inutile lorsqu'il n'est plus question que d'obéir au Pape, quelles que soient les variations dogmatiques de son enseignement. Et je ne caricature pas: je connais des gens comme ça, qui s'enferment dans des raisonnements circulaires dits de Münchhausen (le baron qui s'accroche à la lune par ses propres cheveux), du type "l'Eglise catholique romaine a forcément raison puisque le Pape est à sa tête", et peu importe que cela soit ou ne soit pas en accord avec l'enseignement reçu de Notre Seigneur.
Or, et voilà un point que beaucoup ne peuvent pas comprendre parce qu'ils n'arrivent pas à accepter que l'Orthodoxie soit expérience et non objet de discours, c'est que cet enseignement est préservé à tout prix jusqu'à ce jour, non pour le plaisir de préserver des formes, mais parce que c'est de cet enseignement que vit l'Eglise et que l'homme surmonte sa condition déchue.
Dans l'Orthodoxie, tout est lié. Le dogme n'est pas une espèce de loi extérieure imposée par une hiérarchie. Il est garde-fou et aide sur le chemin de la déification. La plupart des hétérodoxes actuels n'arrivent plus à comprendre pourquoi saint Athanase a tant souffert pour un iota. Que cela ne corresponde plus à leur mentalité qui est en fait profondément sécularisée même chez ceux qui se disent traditionalistes ou religieux, c'est un fait que je ne conteste pas. Ce que je leur reproche, c'est cet entêtement à ne pas comprendre que cela puisse être différent chez nous. Je me demande d'ailleurs si cette mentalité, qui refuse la simple idée que la vie dans l'Orthodoxie puisse se dérouler sur d'autres modes que ceux auxquels ils sont habitués dans leur confession, n'est pas une manifestation dans le domaine religieux de l'uniformité totalitaire du mondialisme qui en veut beaucoup à l'Orthodoxie parce qu'elle donne sa véritable nature à chaque nation à qui elle apporte l'Evangile.
Quand, sur ce forum, l'un ou l'autre aborde des questions dogmatiques, ce n'est pas pour le plaisir de la discussion sans but, mais c'est parce que ces questions ont une influence directe sur le but final de notre existence.
A part cela, nous ne faisons aucun prosélytisme. Je rappelle encore une fois, et même si cela devient lassant, que le présent forum a été fondé par des orthodoxes pour parler de questions orthodoxes. Nous sommes tout à fait disposés à répondre à de véritables questions posées par des visiteurs non orthodoxes. En revanche, pour ma part, je ne me vois pas dans la fonction qui consiste à apporter du grain à moudre. Je ne comprends pas l'attitude de ceux qui viennent dans le seul but que nous leur apportions des arguments pour ne pas devenir orthodoxes, alors que, précisément, personne ne leur a demandé de devenir orthodoxe: mais qu'est-ce qui les taraude ainsi, qu'est-ce qui les travaille au corps, pour qu'ils viennent poster sur ce forum des arguments contre l'Orthodoxie copiés-collés n'importe où et réfutés aussitôt que postés? Cherchent-ils à nous faire apostasier ou à se convaincre eux-mêmes qu'ils ont raison de ne pas faire une démarche à laquelle personne ne les a pourtant incités? Bizarre, illogique, et lassant à la longue.
Vous comprendrez - ou vous ne comprendrez pas - qu'il faut fixer des priorités et que nous avons tous mieux à faire.
Je le répète une deuxième fois dans ce message: nous ne faisons pas de prosélytisme. Un forum catho ou musulman peut faire du prosélytisme. Pour un forum orthodoxe, c'est impossible par nature. Η Ορθοδοξία βιώνεται! L'Orthodoxie est expérience vivante et réelle, comment peut-on avoir une expérience dans le monde virtuel? Nous pouvons répondre à des questions, nous pouvons expliquer des choses, nous ne pouvons pas remplacer l'expérience que nos interlocuteurs ne veulent de toute façon pas vivre.
C'est pour les raisons que j'ai évoquées plus haut que, dans les paroisses orthodoxes qui sont trop libérales en matière de conversions, 95% des convertis repartent assez vite. Ils viennent avec leurs préjugés ("tout est pareil", "mon opinon personnelle est le critère unique de la vérité", "les dogmes ne servent à rien", "la religion, on en parle ou on écrit dessus, on ne la vit pas", "au fond ce n'est pas si différent de mon ancienne religion", pour citer les plus courants), ils sont reçus dans l'Eglise alors qu'ils ne se sont pas vraiment convertis, ils ne veulent surtout pas se transformer, ils ne veulent renoncer à aucune de leurs idées-force qui sont d'ailleurs souvent issues de l'air du temps, ils restent tièdes et ils repartent sans même avoir profité de ce qui était à leur disposition. Du trésor qui était, là, sous leurs yeux, et qu'ils pouvaient saisir. Dieu merci, nous n'avons point les croyances des mahométans; nous ne forçons personne à entrer, nous n'empêchons personne de sortir et ne pratiquons pas l'ostracisme à l'égard de l'apostat. A mes yeux, là-dedans, les seuls qui sont blâmables sont les prêtres qui baptisent ou chrisment sans examen des personnes dont ils savent pourtant qu'elles n'ont pas de raison profonde d'entrer dans l'Eglise ou qu'elles ne feront pas preuve de constance.
Toutefois, c'est aussi une caractéristique surprenante de notre temps que de voir la facilité avec laquelle certaines personnes passent d'une religion à une autre pour en passer à une troisième ou revenir à la première sans recherche, sans approfondissement, sans écoute, mais en fait parce que cela procède du
believing without belonging et de la religion à la carte. Là encore, que l'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas dit: la démarche de Jean Eracle, passant du catholicisme romain au christianisme orthodoxe puis au bouddhisme zen, était respectable parce que ses changements d'orientation procédaient d'un effort sérieux et qu'il était absolument sincère dans ce qu'il faisait. Plus déplaisante est l'attitude des papillons métaphysiques, des insincères, des amateurs d'exotisme, des artisans de leur propre vaine gloire et surtout, surtout, des gens qui se moquent des efforts que l'on fait pour eux, des "aspirateurs" qui prennent tout et ne donnent rien et de ceux qui finissent par rendre le mal pour le bien. En ce qui concerne ces gens, il est toujours préférable qu'ils se rendent compte le plus tôt possible qu'on ne manie pas l'Orthodoxie si facilement qu'ils le croient et qu'ils repartent avant d'avoir fait trop de dégâts. Je suis frappé par le mal que ces faux convertis peuvent faire autour d'eux, par la manière dont ils s'ingénient à ridiculiser ceux qui les ont accueillis.
Dans le cadre restreint de ce forum, même si l'idéal pour moi reste les discussions entre orthodoxes sur les questions ecclésiales, je suis toujours disposé à répondre aux vraies questions - liturgiques, historiques, dogmatiques, canoniques, spirituelles quoi que ce soit plus difficile dans ce dernier cas - qu'un hétérodoxe peut poser sur l'Eglise orthodoxe. Bien sûr, dans les rares cas où il y a une vraie démarche de conversion (il y en a quand même eu une cette année), c'est un devoir, et un devoir agréable à remplir, d'aider notre frère malade à trouver le médecin de nos âmes et de nos corps, par les renseignements que nous pouvons lui donner, mais en sachant que le contact virtuel ne pourra jamais remplacer pour lui la simple participation à la vie liturgique ou le contact humain. Mais - et je l'affirme avec force - je ne comprends pas, et je n'approuve pas, l'attitude de ceux qui viennent sur ce forum dans l'espoir, en apparence de nous pousser à renier notre foi, en réalité de conforter leur foi à eux, chancelante pour des raisons que nous ignorons. Cela devient même carrément déplaisant quand c'est le fait de personnes qui se disent proches de l'Orthodoxie, mais qui n'ont en fait pas de besoin spirituel, pas de démarche réelle.
Nous ne pouvons rien apporter à ces personnes, d'abord parce que nous sommes inébranlables dans notre foi, et ensuite parce que nous ne pouvons pas apporter de solution à leur contradiction interne majeure: Pourquoi veulent-ils des arguments pour ne pas rejoindre une Eglise dans laquelle personne ne les a appelés? Purquoi veulent-ils des arguments pour quitter aujourd'hui l'Orthodoxie qu'ils ont rejoint hier de leur plein gré? A ce stade-là, c'est une simple question de pudeur: en quoi sommes-nous juges de leurs débats intérieurs? Et pourquoi ne respectent-ils pas à leur tour le for intérieur des orthodoxes qui font vivre ce forum?
Or, il me semble que la vertu de la pudeur devrait être indépendante de l'animosité que tel ou tel éprouve à l'égard de la foi orthodoxe.
Vous savez, dans le très beau film
Ararat, d'Atom Egoyan, il y a cette scène où Charles Aznavour, qui joue le rôle d'un cinéaste venu dans l'Ontario tourner un film sur un épisode du génocide arménien, écoute patiemment le boniment d'un acteur turc qui joue dans son film et qui lui débite la thèse officielle de la République turque selon laquelle le génocide n'a pas eu lieu. A la fin du discours de l'autre, Aznavour le met dans un taxi, puis se retourne vers l'acteur qui incarne son neveu dans le film, et lui dit avec un sourire rempli d'ataraxie: "Tu sais, je me demande comment on peut nous haïr à ce point". Et de ne manifester aucune autre réaction.
Et bien, pour ma part, quand je vois la haine de certains à notre égard, surtout quand cette haine s'accompagne de la bêtise à front de taureau qui trouve tant à s'exprimer dans les vastes étendues virtuelles du cyberspace ("l'Orthodoxie ne pense pas comme moi; vous expliquez ce que pense l'Orthodoxie; donc vous êtes des ultra" - nous sommes des ultra parce que les faits ne correspondent pas à la pensée de Monsieur; quel solipsisme totalitaire, soit dit en passant), et bien je me dis que nous devons vraiment être les gardiens d'un grand, d'un merveilleux trésor de guérison.
Le médecin de nos âmes et de nos corps est là et tient ce merveilleux médicament dans ses bras. Chaque malade est libre d'aller ou pas vers le médecin. Il se trouve que certains malades refusent la guérison et se mettent à haïr le médecin, ou que d'autres haïssent les malades qui ont accepté le médecin et le médicament. Ils font l'usage qu'ils veulent de leur liberté. Et de cela, personne d'autre qu'eux n'est responsable.