Pour apporter quelques remarques secondaires à ce qu'ont si bien expliqué Claude, Paraclésis, Antoine et les autres doctes participants à cette passionnante discussion, voici mon petit grain de sel personnel.
Claude, citant le P. André Philips, a écrit :
le père Philips affirme que c'était la coutume dans l'Empire romain que de se raser, et que le port de la barbe était considéré comme un signe de barbarie. Cela n'est vrai qu'au début de l'Empire: Adrien, empereur de 117 à 138, portait la barbe, et ce à la grande joie des Romains qui trouvèrent là un prétexte pour ne plus se raser. Même si les Romains sont restés en majorité glabres jusqu'aux invasions germaniques, il n'y avait plus d'opprobre par rapport au port de la barbe depuis le début du IIème siècle.
Il faut rappeler que les Romains sont à l'origine un agrégat de pillards, et par la suite de soldats (tout comme les Hébreux sont à l'origine un agrégat d'esclaves en fuite, emmenés par Moïse hors d'Égypte).
Le soldat a toujours eu tendance à se raser la barbe et même les cheveux comme les Mongols, les Huns, etc. - et les lutteurs professionnels ! Car les poils trop longs permettent à l'adversaire de se saisir de son assaillant, voire de l'immobiliser.
C'est à la suite de cela sans doute que le port de la barbe et des cheveux longs est devenu un signe de féminisation, de douceur, voire de mollesse par opposition à "l'Homme Viril"... Alors que fondamentalement, l'homme (mâle) a bien été créé par Dieu avec des poils au menton; ce n'est pas que je sache une modification génétique ultérieure. Le port de la barbe est donc "naturel", c'est à la fois reconnaître - et accepter - sa condition d'homme. Alors que se raser est d'une certaine manière se déguiser, mentir sur son véritable statut sexuel.
Mais Claude a aussi écrit :
le port de la barbe s'est imposé lentement; il a vraiment triomphé, en Orient comme en Occident, au cours du Vème siècle, et il n'y a plus eu de clergé glabre en Orient à partir du VIIIème siècle. En tout cas, pour l'Occident, saint Ambroise de Milan, saint Martin de Tours, saint Léon Ier de Rome ou Augustin d'Hippone sont représentés barbus.
Comme pour le reste, l'abandon du port de la barbe par le clergé occidental a été promu par Charlemagne, mettant en place une nouvelle religion et une nouvelle Eglise dans le but de s'approprier le titre impérial en présentant les "Grecs" comme des hérétiques. Naturellement, l'interdiction du port de la barbe permettait de créer une différence immédiatement visible entre le clergé carolingien et filioquiste et le clergé orthodoxe. Aussi un concile carolingien d'Aix-la-Chapelle réuni en 816 a-t-il imposé aux prêtres et aux moines l'obligation de se raser au moins une fois toutes les deux semaines.
Là, j'aimerais faire un parallèle avec l'obligation pour le prêtre séculier de ne pas se marier, c'est à dire pour les prêtres catholiques romains de la même époque (à très peu d'années près si ma mémoire est exacte) : de répudier leur "concubine" (celle qui "partageait leur couche", jusque là ).
De même qu'en interdisant le mariage à ses prêtres, la nouvelle Église carolingienne leur interdisait en quelque sorte de disposer de leurs biens propres en faveur de leurs héritiers - ou plutôt faisait disparaître la notion d'héritiers du droit coutumier, en ce qui concernait son clergé. D'où, dès le départ, l'écrasante richesse de cette Église, théoriquement unique héritière de tout son clergé, et des moines eux-mêmes (selon d'autres données qu'il serait trop long de distinguer ici) - ainsi que des dons et legs que de plus ou moins riches laïcs pouvaient leur avoir fait.
On sait que même cette source de richesses sans cesse agrandies n'a pas suffi à l'avidité des papes-banquiers (et je ne pense pas uniquement aux papes "Medicis"), et qu'ils ont ensuite inventé la fabuleuse source de "revenus sans investissement" que fut la mise en vente des "indulgences". Pour la petite histoire, ces indulgences étaient vendues au prix de gros à de véritables banquiers (juifs pour la plupart) qui se chargeaient de les revendre en demi-gros si j'ose dire à des banquiers locaux dans les différents diocèses, puis par ceux ci aux simples gens, au prix de détail, jusque sur les marchés et dans les foires ou pélerinages (souvent associés du reste). Ce n'était pas véritablement un trafic, mais le système encore actuel de la distribution des marchandises appliqué à ce qui n'est pas une marchandise, mais qui peut tout de même enrichir le "marchand"... Le système a été employé avec succès par l'Ancien Régime, au temps où la Royauté peinait à faire rentrer l'impôt : ce sont les Fermiers Généraux qui s'en chargeaient pour le Roi. Mais les Romains connaissaient déjà ce système : ce furent en Israël les publicains... qui ont donné au moins un grand saint; les Fermiers Généraux, eux, n'ont donné que de grands protecteurs des Arts, et singulièrement de la Musique puisqu'on leur doit l'innovation des concerts publics, bientôt payants eux aussi. Mais c'est une autre Histoire.
Pour revenir au menton glabre imposé au clergé carolingien, cela ne rappelle-t-il pas l'ukase de Pierre le Grand, interdisant le port de la barbe au clergé russe ? Je pense que le souci sous-jacent est le même : dans une société d'hommes barbus, celui qui se rase est assimilé soit à un mineur (pas encore nubile, donc encore soumis à l'obéissance) - soit même à un "efféminé" : de toute manière, à un citoyen de seconde zone. De même que les Russes du temps de Pierre, et à l'inverse des cohortes romaines, les vaillants Barbares qui devinrent les Seigneurs Franks vivaient et se battaient barbus et chevelus - comme tous les Germaniques, du reste, et peut-être pour des raisons naturelles : de climat froid ? Même les Gaulois étaient dépeints par les Romains comme étant des "Gaulois Chevelus".
Et comme les Germains battirent souvent les Romains, le tabou du soldat glabre et rasé tomba de lui-même; d'autant que les Barbares entrèrent bientôt dans l'armée romaine ... avant d'entrer carrément dans Rome ! Au nez et à la barbe de ses défenseurs glabres, si j'ose dire. Ce qui est aussi une autre Histoire.
Voir à ce même sujet ce que dit incidemment Claude au sujet des persécutions populaires du clergé sous le régime communiste dans le bloc de l'Est :
En effet, si les communistes toléraient le libre exercice du culte dans les églises dans une mesure beaucoup plus grande en Roumanie qu'en Russie par exemple, ils restaient malveillants et le fait de se raser permettait au clergé (resté beaucoup plus nombreux que dans les autres pays communistes) de passer relativement inaperçu dans la rue.
Je me souviens, étant enfant, d'avoir entendu un jeune Jésuite canadien arrivé en France en plein Front Populaire, stupéfait d'avoir vu des matelots cracher sur sa soutane pendant le transfert (en barque) de son paquebot au quai du port du Havre. Plus tard il est vrai, ses collègues choisirent le moindre mal, avec le clergyman, lui-même dépassé aujourd'hui.
Ensuite, le Lecteur Claude nous dit :
Les lecteurs et les sous-diacres sont institués par une bénédiction spéciale qui porte le nom de chirothétie. L'ordination des diacres, des prêtres et des évêques porte le nom de chirotonie
Pourrait-il nous expliquer la différence entre ces deux formes de chiro...practie ?! (ainsi que le troisième terme, plus général, de
chirothésie, pendant qu'il y sera ? Merci d'avance.
Pour finir, au cours de la discussion sur les icônes ou autres représentations "de la figure humaine" par opposition à la notion de Dieu invisible, incorporel, prônée par les Protestants et avant eux par les Juifs tardifs, Jeanne Saint Gilles a écrit :
...au tome V de Philosophie orthodoxe de la Vérité, saint Justin Popovitch parle d'icône et cite les cas suivants :
- l'arche de l'alliance avait des chérubins
- le temple de Salomon aussi
- et vraisemblablement le Temple d'Hérode qui se voulait une reconstruction de celui de Salomon
Ce que Stephanopoulos a renforcé en citant Ezéchiel 41, 25 et la suite.
Tandis que Claude ajoutait :
... faisons appel au témoignage de l'archéologie. Nous avons des traces fort anciennes d'images chrétiennes : dès le IIIème siècle. Cela ne veut pas dire que les chrétiens des deux premiers siècles n'aient pas connu les images: c'est plutôt que nous n'avons pas de découvertes archéologiques pour les périodes les plus anciennes.
Et là, je pense que Claude fait allusion à la plus ancienne église chrétienne connue, celle que des soldats anglais ont découverte par hasard dans les années 1920, au bord de l'Euphrate et sur le site (dont on avait totalement perdu la trace jusqu'à leur découverte fortuite) de l'ancienne ville (fortifiée par les Grecs d'Alexandre le Grand, puis de ses successeurs locaux) de Doura-Europos. C'est à dire de la Doura de la Bible, où se dressait l'idole colossale que Daniel et ses frères refusèrent d'adorer. Rebaptisée Europos par les Grecs en honneur du petit village éponyme de la montagne macédonienne d'où la lignée de leur général tirait son origine.
Ce petit détachement de soldats anglais s'étant vu menacé par un rezzou s'est mis en position de défense sur une petite butte qui dominait le fleuve, et son officier leur a fait creuser des tranchées dans le sable durci. Un des soldats est venu lui signaler qu'en creusant, ils avaient mis au jour des murettes recouvertes de peintures. Ils venaient de retrouver les ruines de l'ancienne Doura-Europos, et plus exactement de la synagogue que les marchands et négociants juifs de cette ville de caravaniers avaient édifiée pour leur culte, probablement au début du IIème siècle, dans le quartier "des étrangers", c'est à dire le long et à l'intérieur des remparts : sur le "boulevard" usuellement laissé libre pour la circulation rapide des troupes en cas de siège, espace peu à peu grignoté par la surpopulation de ce qui n'était au départ qu'un caravansérail et une petite garnison, fortifiés pour la défense des biens et des personnes qui s'y arrêtaient, et pour la surveillance de la plaine.
Or cette synagogue était entièrement peinte de scènes représentant des épisodes bibliques ! Ce qui remet à sa place, relativement modeste à l'époque (deux siècles après la Résurrection, tout de même) la fameuse interprétation "rigoureuse" de l'interdiction pour le peuple juif de se "faire des idoles". Cette synagogue est bien la preuve de ce que rappelle Claude, citant l'Horos du VIIème Concile oecuménique (de Nicée), à propos des images du Christ et des saints, y compris des anges :
Aussi longtemps qu'ils peuvent être vus représentés sur les icônes, ceux qui les regardent sont conduits à commémorer et à désirer les prototypes
et encore, précisant comment les icônes doivent être honorées et vénérées :
... selon la manière qui convient à la Croix vénérable et vivifiante et aux saints Evangiles, ainsi qu'aux autres objets sacrés, en présentant en leur honneur l'encensoir et les lumières, selon la pieuse coutume des anciens. L'honneur qui est rendu à l'icône passe en effet au prototype, et celui qui vénère l'icône vénère aussi l'hypostase de celui qui est inscrit en elle.
Les Juifs pratiquants qui édifièrent la synagogue de Doura-Europos avaient cette même conception, déjà, de la représentation de Moïse, d'Elie, et des grands Justes de la Bible, que nous aussi vénérons de la même manière.
Les fouilles entreprises systématiquement après la fin des combats du Moyen-Orient (c'est à dire après la désagrégation "définitive" de l'Empire Ottoman... dont les "Loups Gris" de la Turquie actuelle essaient hypocritement de reprendre la marche en avant en se faisant agneaux pour pénétrer plus facilement dans la bergerie mal gardée de l'Europe !) mirent aussi à jour la plus ancienne de toutes les églises connues de la chrétienté.
Elle aussi était recouverte de fresques, quoique installée à l'intérieur d'une riche demeure (close de hauts murs !) dont la partie "église" occupait du reste la superficie principale. Notamment la pièce adjacente à la salle du culte, et qui à mon avis faisait office de salle de catéchisme (et à la fin de la catéchèse, de baptistère) était recouverte de fresques non équivoques, représentant entre autres le Bon Berger.
Je suis souvent étonné de ce que cette église de Doura-Europos ne soit pas plus citée, en tête des études sur l'ancienneté de l'Icône. Ni les Juifs de la synagogue toute proche, ni leurs frères séparés devenus Chrétiens ne voyaient là une quelconque adoration des idoles !!! Et de surcroît, c'est aux mêmes peintres qui avaient peint les fresques païennes des temples centraux de la ville qu'ils ont, des deux côtés, fait appel pour peindre leurs fresques. Etant marchands, et riches, les constructeurs des deux lieux de culte voulaient ce qu'il y avait de mieux pour orner leur temple. Ce en quoi ils ne faisaient que ce qu'avait fait Salomon pour le Temple de Jérusalem, en faisant appel à Hiram de Tyr. Qui n'était pas Juif, mais sans doute sectateur de Melk-Qart.
Hélas, les restes de cette extraordinaire trouvaille archéologique et archéochrétienne étaient conservés par le régime de Saddam Hussein dans une très parfaite reconstitution muséale ... et il y a fort à parier que nos amis US aient réduit le tout en poussière depuis leur "libération" du peuple irakien. Et le saccage systématique de leurs irremplaçables Musées et Bibliothèques.