Publié : mer. 08 oct. 2008 9:36
Vous mettez là l'accent sur une différence importante entre l'Orthodoxie et le catholicisme romain. Dans la mesure où, du point de vue orthodoxe, il y a un dépôt de la foi transmis de manière ininterrompue depuis le temps où le Verbe s'est fait chair et a vécu parmi nous, il n'y a aucun intérêt à rajouter à ce dépôt de nouveaux éléments avant de les laisser "mourir". Il en va pour la théologie de la satisfaction comme pour les limbes: l'Orthodoxie ne comprend pas pourquoi il faudrait rajouter de nouveaux enseignements, les imposer comme vérités pendant des siècles, puis les abandonner - ou les laisser "pour ainsi dire" mourir, peut-être parce que l'on ne veut pas reconnaître que l'on a fait fausse route -, sans se soucier des conséquences terribles que de tels enseignements ont eu sur la vie des fidèles.Blaise a écrit :Concernant la question de la « satisfaction » du Christ, je prends acte de son refus par l’Orthodoxie. Mais j’aimerais préciser qu’il n’existe pas une théologie de la satisfaction, et qu’elle ne se résume pas au seul Anselme. De plus sa compréhension pénale est pour ainsi dire morte aujourd’hui.
Toutefois, vous seriez surpris de constater que la compréhension pénale de la théologie de la satisfaction, en perte de vitesse dans le monde catholique romain comme dans le monde protestant, est promue par certains évêques de l'Eglise orthodoxe qui y voient une manière de se rapprocher de certains Etats, dans une étrange confusion entre politique et religion. Par exemple, le métropolite du Banat, Mgr Nicolas (Corneanu), l'évêque qui a le plus proclamé que tout était politique, y compris la théologie dogmatique, a diffusé dans les années 2000 un catéchisme de son cru qui faisait la promotion de ce que vous appelez la compréhension pénale de la théologie de la satisfaction. Je vous accorde qu'on est, bien sûr, très éloigné d'Augustin, d'Anselme, de Palamas et de toute forme de spiritualité - que celle-ci fut orthodoxe ou non -, mais il faut quand même mentionner de tels faits pour donner une idée de la situation lamentable de l'Eglise orthodoxe à l'heure actuelle, faite de politisation excessive, d'apologie de la tribu et de délitement de la Tradition.
En revanche, on ne peut ni juger la théologie orthodoxe d'après de tels personnages dont on peut souhaiter qu'ils resteront, sur la longue durée de l'Histoire de l'Eglise, de tristes exceptions, ni faire à de grands saints, qui eux, sont représentatifs de l'Orthodoxie, des reproches qui portent à faux et sont en fait des contresens. J'y viens maintenant.
Blaise a écrit :Je vous demanderai de développer ce dernier point que j’ai du mal à bien saisir dans ses différentes implications. Ce qui est certain, c’est qu’Augustin (et à sa suite la théologie latine), contrairement à Grégoire Palamas, qui distinguait essence incognoscible et énergies incréées, a enseigné la possibilité de la vision de Dieu selon l’essence. Face à l’audace spéculative d’un Palamas, c’est lui en l’occurrence qui s’est montré le plus sobre. Vous lui reprochez en somme de s’être aligné sur un concept philosophique. Malgré tout, la plupart des autres Pères ont aussi fait un usage assez constant des philosophes antiques, déjà saint Paul… le tout étant de savoir christianiser des catégories païennes et ne pas se laisser enfermer par les limites rationalistes qu’elles peuvent imposer. Autant vous dire, par conséquent, que je ne partage pas l’opinion excessive de Blaise Pascal.
Lorsque vous parlez d'"audace spéculative" chez saint Grégoire Palamas, vous ne tenez pas compte des principes de base de la théologie orthodoxe et ce que vous écrivez va à l'inverse de toute la vie et de tout l'enseignement de saint Grégoire Palamas. Il serait inconséquent qu'après avoir reproché pendant des siècles à l'Orthodoxie de ne pas avoir de "système", de ne pas avoir de scolastique, de ne pas être portée sur la spéculation, on lui fasse maintenant, dans des intentions que je discerne mal, le reproche inverse en lui attribuant des conceptions qui lui sont complètement étrangères.
Au XIXe siècle, quand Leroy-Beaulieu écrivait L'Empire des tsars et les Russes, il reprochait à l'Eglise orthodoxe son peu d'empressement à dogmatiser et y voyait une cause d'infériorité par rapport au catholicisme romain. Il serait malvenu de lui prêter maintenant les tendances contraires. On peut critiquer l'Orthodoxie, mais encore faut-il parler de l'Orthodoxie telle qu'elle est.
Vous ne trouverez pas dans l'Orthodoxie de système théologique à la Thomas d'Aquin, ni de "magistère". Ce sont des notions qui lui sont étrangères.
La théologie orthodoxe est basée sur l'expérience et sur la continuité de cette expérience. En particulier, il est pour le moins étonnant d'imaginer une "audace spéculative" chez saint Grégoire Palamas, l'homme qui, précisément, a proclamé: "Toute parole peut détruire une autre parole, mais aucune parole ne peut détruire la vie". Vous me semblez prêter en gros à saint Grégoire Palamas les conceptions qui furent celles de ses adversaires Barlaam, Akyndinos et Nicéphore Grégoras. C'est une bien étrange entrée en matière.