lecteur Claude a écrit :Je ne suis pas surpris, connaissant le passé du métropolite Nicolas du Banat, de voir la similitude de son parcours avec celui du métropolite Nicodème (Nikodim Rotov) de Leningrad, sauf que Mgr Nicolas a eu le courage d'aller en public jusqu'au bout de ce chemin.
Pour le reste, même en faisant abstraction du style fleuri et un peu exagéré des rédacteurs uniates, cette communion publique d'un métropolite orthodoxe - même en faisant abstraction de son passé - dans une église uniate a en effet un aspect révolutionnaire.
En effet, bien plus que de souligner une unité rêvée entre orthodoxes et uniates, cet événement me semble souligner à quel point les orthodoxes sont divisés, à tel point que l'affirmation du cardinal Kasper selon laquelle l'Église orthodoxe n'existe pas réellement commence à prendre une certaine vérité à mes yeux.
En effet, alors que Monseigneur Nicolas du Banat communie chez les uniates, le patriarcat de Moscou a rappelé le 13 mai 2008 les raisons canoniques et dogmatiques pour lesquelles les prières communes avec les chrétiens hétérodoxes sont impossibles (
http://www.orthodoxie.com/2008/05/le-pa ... .html#more ), restant ainsi fidèle aux canons de l'Église orthodoxe, tandis que le patriarcat de Jérusalem, l'Église de Grèce et quelques autres maintiennent la théologie orthodoxe traditionnelle qui affirme l'invalidité des sacrements des hétérodoxes et, partant, de la communion à laquelle a participé le métropolite du Banat. Or, pourtant, toutes ces juridictions sont supposées constituer la même Église.
Quand Palmer se heurtait à la différence sur le mode de réception des anglicans entre la tradition orthodoxe russe et la tradition orthodoxe grecque, il n'y en avait pas moins accord sur le fond entre le Saint-Synode et le patriarcat œcuménique et Palmer en parvint pas plus à se faire accepter à la communion chez les uns que chez les autres.
Quand le patriarcat de Constantinople prit l'initiative de réunir le concile de 1872 qui aboutit à la condamnation du phylétisme prôné par l'Exarchat bulgare, toutes les Églises orthodoxes locales ont fini par se rallier à cette condamnation.
Aujourd'hui, j'ai l'impression que les progrès du phylétisme, précisément, ont été tels que chaque juridiction - et peut-être bientôt chaque diocèse - finit par développer sa propre théologie, même sur des points aussi vitaux.
Je ne croyais pas si bien dire en écrivant ces lignes dans mon message du 29 mai 2008. En effet, voici l'argumentation que nous pouvons lire sur le site francophone des orthodoxes roumains partisans de Mgr Nicolas Corneanu,
http://corneanu.skyrock.com/ :
Au début de l'Église sont venus les juidaïsants, en disant qu'il fallait que les païens convertir devaient se faire circoncire. Et l'Église, progressiste, leur a donné tort.
Ensuite l'épître aux Hébreux et les donatiens disaient que les renégats ne pouvaient plus être reçus. Et l'Église, progressiste, leur a donné tort.
Et au niveau de l'Église universelle, la liste continue...
Pour ce qui est de l'Église orthodoxe roumaine, d'abord elle a été l'une des premières Églises orthodoxes à avoir accepté le nouveau calendrier (grégorien), en pendant deux ans, elle a utilisé le calendrier grégorien même pour les fêtes mobiles (Pâques...).
Puis elle a accepté la validité des sacrements anglicans. Pendant longtemps les prêtres anglicans qui allaient en Roumanie étaient très bien accueillis...
Ensuite, en 1948 (photo), elle a reçu dans son sein les paroisses catholiques byzantines, avec une grande partie de son clergé. C'était un accueil, non pas un procès avec des reniements et ressacramentalisation. Tout était là.
C'est toujours l'Église orthodoxe roumaine qui a eu l'idée, qu'elle a d'ailleurs mise en pratique, d'omettre la litanie et la collecte pour les catéchumènes, ainsi que les demandes de la litanie qui précède la secrète, et ceci même à Timisoara.
Et c'est toujours l'Église orthodoxe roumaine qui a pris l'ÉCOF dans sa juridiction, ainsi que les prêtres qui voulaient garder le célibat, sans se faire moines.
Aujourd'hui, c'est la seule Église orthodoxe qui reconnaît la pleine orthodoxie des Églises non-chalcédonéennes.
Et tout le temps, l'Église orthodoxe roumaine n'avait aucun souci des autres Églises orthodoxes. Elle était elle-même, et personne ne devait lui dire comment faire. Elle était experte en la matière et fière de l'être.
Et maintenant? Cette Église orthodoxe longtemps progressiste, va-t-elle jeter à la porte son évêque le plus progressiste?
Passons sur six remarques à caractère historique ou logique, même si on m'a fait comprendre au fur et à mesure de cette polémique que ma logique cartésienne relevait sans doute d'un esprit d'Europe occidentale et de Grèce qui n'était pas transposable dans les traditions banataises.
1) Les partisans de Mgr Nicolas, voici quelques jours, l'assimilaient au Christ. Aujourd'hui, on en est carrément à assimiler la nouvelle orientation qu'il a prise au concile des Apôtres réuni à Jérusalem en 49. Jusqu'où irons-nous?
2) Le calendrier qui a été adopté par l'Église orthodoxe de Roumanie en 1924 - déclenchant au passage la dissidence des vieux-calendéristes qui ont ensuite été persécutés par tous les régimes politiques qui se sont succédé jusqu'en décembre 1989, que ce soit le très uniate président du Conseil Maniu, le roi-dictateur Carol II, le maréchal Antonescu ou le régime communiste de 1948-1989 - n'est bien sûr pas le calendrier grégorien, lequel date de 1582, mais un calendrier qui a été défini lors de la conférence panorthodoxe de Constantinople en 1923. On peut par exemple trouver le texte du décret qui promulgue ce nouveau calendrier ecclésiastique et donne les règles de calcul dans la thèse de doctorat de feu l'archevêque d'Athènes de bienheureuse mémoire, Mgr Christodoule (Paraskevaïdis), ΙΣΤΟΡΙΚΗ ΚΑΙ ΚΑΝΟΝΙΚΗ ΘΕΩΡΗΣΙΣ ΤΟΥ ΠΑΛΑΙΟΗΜΕΡΟΛΟΓΙΤΙΚΟΥ ΖΗΤΗΜΑΤΟΣ , éditions Trochalia, Athènes 1981, page 74, le décret soulignant qu'il sera fait appel aux compétences des astronomes des universités d'Athènes, Belgrade, Bucarest et Saint-Pétersbourg. Je demande pardon aux partisans de Mgr Nicolas Corneanu d'avoir cité une source en grec. Vu le nombre d'insultes que j'ai lues sous la plume contre les "Moscovites", le mont Athos, les auteurs et traducteurs de la Philocalie, j'ai compris qu'il ne valait mieux pas citer trop de sources en grec, en slavon ou en russe. Adieu Socrate, bonjour l'obscurantisme nationalitaire!
3) Sur la question de la validité des ordres anglicans, il y a quand même une contradiction à se glorifier d'avoir reconnu la validité des ordres anglicans comme argument pour entrer en communion avec les catholiques romains, qui, eux, précisément, ne reconnaissent pas la validité des ordres anglicans, Léon XIII ayant été très précis sur ce sujet (lettre apostolique
Apostolicae Curae de 1896). Vraiment, votre argument tombe à faux, à moins qu'il ne soit très significatif. Vous serez donc dans la communion de l'Église catholique romaine tout en reconnaissant la validité d'ordinations qu'elle ne reconnaît pas elle-même. Que les catholiques romains se réjouissent de votre ralliement, c'est de bonne guerre; mais c'est mon devoir envers la justice de leur montrer aussi sur quelles bases non ecclésiales se fait votre ralliement.
De plus, il va falloir que les néo-uniates roumains mettent leur violon d'accord avec les anciens uniates roumains. J'ai sous les yeux la version roumaine du
Dizionario Enciclopedico dell'Oriente Cristiano, publié en 2000 par l'Institut pontifical oriental de Rome: Eduard G. Farrugia S.J. e.a.,
Dicţionarul enciclopedic al Răsăritului creştin, Galaxia Gutenberg, Târgu Lăpuş 2005, 840 pages. Tout le monde sait que cette maison d'édition appartient au prêtre uniate (gréco-catholique) de Târgu Lăpuş. Or, cet ouvrage affirme expressément, p. 221,
que le saint Synode du patriarcat de Bucarest a déclaré en 1937 qu'il n'avait pas la compétence pour reconnaître les ordinations anglicanes et que cette compétence ne pouvait revenir qu'à "l'organe suprême de l'Orthodoxie, le concile oecuménique". J'aurais donc préféré que les néo-uniates et les uniates cessassent d'affirmer en même temps une chose et son contraire.
D'un autre côté, je dois accepter que le principe de non-contradiction procède de la pensée grecque et de la logique cartésienne, qu'il est à jeter au feu avec tout ce qui est grec, slave, germanique ou francophone.
4) L'argument de la réception automatique des uniates dans le clergé orthodoxe roumain après que le régime communiste a supprimé l'existence légale de l'Église uniate gréco-catholique par l'infâme décret du 1er décembre 1948 est un argument fort des corneanistes, puisqu'il se situe dans leur thèse selon laquelle l'Orthodoxie roumaine serait une relgion finalement indépendante et différente du reste de l'Orthodoxie:
"Et tout le temps, l'Église orthodoxe roumaine n'avait aucun souci des autres Églises orthodoxes." Je ne peux, ni ne veux, contester cet argument par rapport au contexte dans lequel les cornéanistes l'utilisent. Je voudrais simplement, pour parler de la situation dans l'Église orthodoxe russe - tout en sachant que mon argument est invalide, puisque je parle de "Moscovites" - que, lorsque les uniates de Biélorussie ont fait leur retour dans le sein de l'Orthodoxie en 1839, les orthodoxes russes ont reçu les fidèles et le clergé par simple profession de foi (il s'agissait de 3 millions de personnes d'un coup!), mais que l'évêque des uniates a été reçu dans l'Orthodoxie par baptême, chrismation, communion et ordination, le but suivi par les Russes en cette occasion étant de montrer qu'ils recevaient les fidèles selon l'économie par manque de temps, mais que cela n'emportait pas reconnaissance des sacrements uniates. Je ne mentionne cela que par souci de comparaison, et concède bien volontiers aux cornéanistes qu'il ne s'agit pas d'un argument transposable dans le contexte dans lequel ils se situent.
5) "Et c'est toujours l'Église orthodoxe roumaine qui a pris l'ÉCOF dans sa juridiction, ainsi que les prêtres qui voulaient garder le célibat, sans se faire moines." Passons sur le fait que je ne vois pas le lien entre les deux choses, mais on peut se demander alors pourquoi avoir reçu l'ÉCOF, qui comptait tout de même, en dehors des francs-maçons et des occultistes, un grand nombre de gens qui avaient quitté le catholicisme romain pour se convertir à l'Orthodoxie, si vraiment tout se vaut?
6) "Cette Église orthodoxe longtemps progressiste, va-t-elle jeter à la porte son évêque le plus progressiste ?" Là encore, le fossé culturel: pour un francophone d'Europe occidentale comme moi, cette confusion permanente entre la religion et la politique est incompréhensible dans un contexte chrétien ou pseudo-chrétien; pour nous, cela sonne un peu musulman. Mais là encore, il y a une contradiction interne dans l'argumentation des orthodoxes roumains cornéanistes. En français, "progresisste", cela veut clairement dire "de gauche", et carrément "compagnon de route du parti communiste". C'est vrai que je ne suis né qu'en 1975, mais j'ai quand même suffisamment d'instruction pour savoir que, dans l'Assemblée nationale française issue des élections législatives du 2 janvier 1956, il y avait un groupe de 6 députés, dont l'agent soviétique Pierre Cot, qui constituaient l'
Union progressiste, groupe satellite du Parti communiste français stalinien pur et dur. Je conçois sans peine que Mgr Nicolas Cornéanu, métropolite du Banat, soit dans ce sens le plus "progressiste" de nos évêques, étant donné les trente-deux années qu'il a passées dans la police politique communiste et les souvenirs cuisants qu'il a laissés à Paris quand il y organisa un assaut contre une paroisse orthodoxe roumaine qui refusait de commémorer à la liturgie les "dirigeants de la République socialiste roumaine". Mais alors, dans ce cas, pourquoi un autre apologète du cornéanisme , M. Cristian Bădiliţă, vient-il de qualifier les orthodoxes qui condamnent le néo-uniatisme de partisans du "communisto-sécuristo-orthodoxisme"? Puisque vous êtes adeptes de la confusion totale du politique et du religieux, à la fin, expliquez-nous si vous êtes "progressistes" ou, au contraire, en pleine croisade anticommuniste? Vous faites en réalité feu de tout bois, et c'est de bonne guerre.
Enfin, nous quittons toutes mes remarques mesquines de salaud, adepte des Lumières, de la pensée logique, de la non-contradiction, de la sobriété spirituelle, etc., et nous en arrivons au point vraiment important, au point crucial, à la crux, à
the article by which the Church stands or fails pour reprendre ce qu'écrivait le théologien luthérien Carl E. Braaten à propos de la justification:
"Et tout le temps, l'Église orthodoxe roumaine n'avait aucun souci des autres Églises orthodoxes. Elle était elle-même, et personne ne devait lui dire comment faire. Elle était experte en la matière et fière de l'être. "
C'est sans doute juste, quoique ce ne soit pas confirmé par la réponse que le synode de Bucarest aurait donnée en 1937 à propos de la question des ordres anglicans, si l'on en croit l'article de M. Fortino dans l'encyclopédie dirigée par le RP jésuite Farrugia; mais puisque vous me dites, amis cornéanistes, que l'article de Fortino est faux et que les orthodoxes roumains acceptaient la validité des ordinations anglicanes, je m'incline bien volontiers.
Toutefois, ce paragraphe que je viens de citer m'apparaît comme le manifeste le mieux écrit du phylétisme, comme l'affirmation sans équivoque du lien si souvent constaté entre phylétisme et relativisme dogmatique. En effet, dans ce cas-là, si la seule chose qui compte, c'est ce que chacun fait dans son coin, si les coutumes nationales sont vraiment le seul critère de la vérité, si nous avons affaire exclusivement à des Églises nationales dont l'Église roumaine serait la plus "progressiste", tandis que je suppose que les Églises de Serbie, de Bulgarie et de Grèce seraient les plus "réactionnaires", si vraiment nous devons rejeter la mystique orthodoxe et l'hésychasme parce qu'ils ont pris naissance au Moyen-Orient et pas au Banat, si vraiment saint Païssios Vélitchkovsky, parce qu'Ukrainien et traducteur de la Philocalie du grec vers le slavon, n'était que "mystico-gélatineux" comme l'affirmait hier le blog francophone des orthodoxes roumains partisans de Mgr Nicolas Corneanu, alors, en effet, pourquoi continuer cette comédie de la symphonie des Églises locales? Pourquoi des conciles, pourquoi ces "assemblées d'évêques" en Allemagne, en France et aux États-Unis d'Amérique? Pourquoi ne pas aller chacun dans son coin, en développant chacun sa propre théologie dogmatique, puis sa propre religion, en se mettant en communion avec qui on veut? On aura sans doute les Églises "super-progressistes" qui seront en communion avec les anglicans et la Papauté, les Églises "progressistes" qui seront en communion avec la Papauté uniquement, et les Églises "réactionnaires" de "Moscovites et Moldaves" qui resteront fixées sur les traditions orthodoxes? Et tout ce monde-là est supposé rester en intercommunion, puisque, de toute façon, tout se vaut, la race est le seule critère de la vérité, et l'on sait depuis 1996 que, dans ce qu'est devenue l'Orthodoxie, on ne rompt la communion entre deux Églises locales que pour des raisons administratives et jamais, au grand jamais, religieuses, ceci cadrant très bien avec les déclarations du métropolite Nicolas du Banat selon lesquelles l'intercommunion entre deux religions est fonction des relations politiques entre deux pays limitrophes?
Là encore, je comprends que les catholiques romains aient le sentiment d'avoir marqué un grand point avec ce ralliement. Mais je ne peux que leur demander si le mélange de relativisme absolu et de chauvinisme pseudo-religieux qui préside à cette démarche correspond vraiment au catholicisme. S'ils estiment que oui, alors cela veut dire que le catholicisme a lui aussi cessé d'exister.
Mais, au fait, quel passeport avait notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ?