Alexandr a écrit :Bonjour,
C'est un livre très intéressant que vous avez lu. Si j'ai bien compris, il ne risque pas d'être traduit en français?
Savez-vous si ce livre a été critiqué en bien ou en mal?
Alexandr a écrit :Dans quelle langue l'orthodoxie a-t-elle été prêché aux populations non-grecques au début du moyen-âge, aux Galates, aux Thraces, aux Isauriens, aux Illyriens et/ou aux Albanais? Manifestement, il ne reste plus d'eux. Du coup, j'ai l'impression qu'il y a un "bug", vu qu'à coté, on va même jusqu'à inventer des écritures afin de bien faire comprendre l'orthodoxie.?
Si j'ai bien compris, l'orthodoxie a été le garant de l'identité des Besses. Mais, pendant l'occupation turque, sachant que l'orthodoxie ne pouvait qu'être grecque, est-ce que certains ecclésisatiques s'en sont pris aux autres albanais orthodoxes, sous la bienvéillance du sultan?
Ainsi, il se peut qu'il y ait eu prédication de l'orthodoxie dans les langues locales en Asie Mineure. Ensuite, ces peuples là auraient disparus pendant l'occupation turque.
P.M : Est-ce que cela vous dérange si je fais un copier-coller de votre résumé du livre sur le forum serbe "orlovi"?
Je réponds à vos diverses questions point par point.
1) J'essaie de faire en sorte que le livre puisse être traduit en français, au moins par l'un des derniers éditeurs libres, à savoir Xenia ("Le livre porte la signature d'un éditeur de Vevey. Gallimard et La Table ronde, éditeurs habituels de Jean Cau, ont-ils refusé de mettre leur nom sur ce brûlot, craignant de déplaire aux académiciens, à leur protecteur naturel, M. Sarkozy, président de la République, et à sa fiancée, belle amie des belles-lettres et des écrivains ? L'ouvrage a été imprimé en Serbie. On se croirait revenu au XVIIIe siècle, quand les textes qui sentaient le soufre étaient confiés à des imprimeurs d'Anvers ou de Rotterdam. Tout nouveau postulant à un fauteuil à l'Académie, s'il a eu quelque accointance avec Jean Cau, la Suisse ou la Serbie, devra se faire oublier pendant quelque temps, sage précaution" - Bernard Pivot, in
Le Journal du Dimanche du 15 janvier 2008
http://www.lejdd.fr/cmc/chroniques/2008 ... 85761.html à propos du Candidat de Jean Cau, Xenia, Vevey 2007
http://www.editions-xenia.com/livres/cau/). Le problème, c'est qu'il faut bien trouver un financement pour pouvoir assurer la traduction et la publication d'un livre qui risque fort de n'intéresser que les étiques communautés serbes et albanaises des pays francophones et une poignée de philologues acharnés et d'amateurs d'histoire ecclésiastique. (Il y a beaucoup d'Albanais ethniques en Suisse, mais ils sont surtout concentrés dans la partie germanophone, viennent presque tous du Kosovo et sont musulmans dans une écrasante majorité; les Albanais orthodoxes ne sont pratiquement pas présents chez nous.)
2) Je n'ai pas encore eu le temps de chercher quel accueil ce livre a eu dans les régions germanophones (puisque les francophones et les Italiens ne lisent plus que les Anglo-Saxons et que les Anglo-Saxons ne lisent plus qu'eux-mêmes, je n'ose espérer des réactions ailleurs).
3) D'après le professeur Schramm, la chrétienté besse s'est dissoute d'elle-même dans la chrétienté d'expression grecque, et ce entre le IXe et le XIVe siècles, encore qu'il semble qu'il y ait encore eu des traces d'un usage liturgique ou para-liturgique de l'albanais quand les Arbëresh se sont exilés dans les deux Siciles au XVe siècle. (Dans la collection Musiques du monde, je possède un CD de polyphonies arbëresh de la Basilicate - l'ancienne Lucanie, cette région la plus déshéritée d'Italie évoquée par Carlo Levi dans
Cristo si è fermato a Eboli - où l'on peut entendre un chapelet en albanais au saint empereur Constantin le Grand. Mais il y a eu tellement d'influences contradictoires qui se sont abattues sur les Arbëresh, tantôt hellénisés - même en Italie -, tantôt latinisés, tantôt italianisés et tantôt ré-albanisés, que je ne suis pas sûr que l'on trouvera chez eux beaucoup de vestiges exploitables. Savez-vous au passage que Francesco Crispi, président du Conseil italien au moment du désastre d'Adoua en 1896, était un Arbëresh de Sicile?) Selon Schramm, la dissolution de la chrétienté besse, qui devait être assez fruste dans ses formes extérieures, a été un phénomène progressif qui s'est produit dès que celle-ci s'est trouvée en coexistence avec la chrétienté d'expression grecque, qui avait des églises plus majestueuses, des liturgies plus solennelles, des icônes plus soignées, et tout le prestige d'une
Reichskirche.
Ceci étant, il est incontestable qu'à l'époque de la Turcocratie, en certaines régions (surtout en Bulgarie), le Phanar a favorisé l'usage liturgique du grec en nommant parfois des évêques incapables de célébrer en slavon. Dans le cas de l'albanais, on sait bien qu'il y a eu, au début du XXe siècle, un long combat des orthodoxes albanais pour obtenir l'établissement (ou plutôt, si Schramm a raison, le rétablissement) de la liturgie en albanais et qu'il y eut au moins un cas où un nationaliste albanais fut privé de funérailles religieuses à cause de ses convictions politico-linguistiques. Ce cas dont j'ai entendu parler, survenu dans l'émigration orthodoxe albanaise de la région de Boston, a d'ailleurs été à l'origine de la décision de Fan Noli (1882-1965) de se tourner vers l'évêque russe de San Francisco pour obtenir la création d'une juridiction orthodoxe albanaise autonome en Amérique. Grâce à Mgr Fan, on a célébré en albanais aux Etats-Unis d'Amérique avant même de célébrer en albanais en Europe, et c'est aussi aux Etats-Unis d'Amérique que l'on célébrait les seules liturgies en albanais pendant la période où les communistes avaient interdit toute forme de religion en Albanie (1967-1990). C'est dans les années 1920-1930 que le patriarcat oecuménique s'est finalement rallié à la liturgie en albanais, et c'est en 1937 qu'il a accordé l'autocéphalie à l'Eglise d'Albanie, autocéphalie dont il a depuis été le gardien loyal. Mais, avant 1920, les relations étaient pour le moins tendues entre les tenants de la liturgie en albanais et le clergé grec.
3) Non, justement, Schramm souligne qu'il n'y a pas eu d'usage liturgique des langues "barbares" d'Asie mineure comme l'isaurien, le galate (dont nous savons par le bienheureux Jérôme qu'il était en fait du gaulois) et le cappadocien. Schramm y voit la cause de la disparition du christianisme en Cappadoce en faisant la comparaison avec ce qui s'est passé en Afrique du Nord. Je ne le suis pas sur ce point. En effet, alors que le berbère et le punique étaient des langues vigoureuses en Afrique du Nord sous la domination romaine, les langues "barbares" de l'Asie mineure n'ont cessé de reculer devant le grec dès au moins le VIIe siècle avant Jésus-Christ. A l'époque de l'évangélisation de l'Asie mineure, certaines de ces langues, pourtant autrefois prestigieuses, comme le lydien ou le phrygien, étaient déjà sorties de l'usage. En outre, nous savons que, à peine 400 ans après la conquête musulmane, il ne restait pratiquement plus de traces du christianisme dans le Maghreb, puisque la dernière mention d'un évêque indigène est celle de l'évêque kabyle qui résidait à la Kalaa des Beni- Hammad en 1114 (cf. mon message du 14 octobre 2006 sur le présent forum orthodoxe francophone,
viewtopic.php?t=2091 ). En revanche, en Cappadoce, alors que la pénétration musulmane commence dès le désastre de Mantzikert en 1071, il y avait encore une très forte minorité chrétienne en... 1923. Cette communauté ne disparut définitivement qu'avec l'échange des populations consécutif au traité de Lausanne. Le 10 novembre, l'Eglise fait mémoire de saint Arsène de Cappadoce, qui était le prêtre du village de Farassa en Cappadoce, mort quarante jours après son arrivé sur le sol de l'Hellade où il avait accompagné son troupeau chassé de la terre ancestrale suite au traité de Lausanne. Si l'arrivée de cette communauté en Grèce se situe le 2 octobre 1924, nous pouvons donc supposer que l'expulsion des derniers villages chrétiens orthodoxes de Cappadoce se situe au mois d'août ou septembre 1924. Devant une si longue résistance du christianisme cappadocien, il me semble difficile de tirer les mêmes conclusions que le professeur Schramm. Il est probable que la conscience linguistique des "barbares" d'Anatolie devait être faible dès le IVe siècle, et que le grec ne devait pas leur être une langue si étrangère que cela.
4) Vous pouvez bien évidemment faire un copier-coller de ma recension sur le forum serbe orlovi, à condition de respecter les règles habituelles du droit de citation (indication de la source et de l'auteur). Je serais enchanté de tout ce qui pourrait aider le peuple albanais à prendre conscience de sa véritable histoire, autrement plus intéressante que la version défendue par les envéristes comme par les panislamistes.