Anne Geneviève a écrit :D'abord une question linguistique. Vous cherchez soit du côté des cathos tradi qui célèbrent en latin, soit des orthos de langue russe (tiens, au fait, pourquoi pas en grec ?), mais vous vous sentez déçu par une paroisse francophone. Vous n'avez pas retrouvé à Daru un sentiment de sacré qui vous a déjà envahi. Le fait de comprendre tout ce qui est chanté, de mettre en éveil l'intelligence verbale et une approche théologique cataphatique fait-il partie de cette déception? Est-ce que, malgré les prosternations et le fait de s'asseoir où on peut (il n'y a pas assez de place sur la banquette qui fait le tour de la crypte quand elle est pleine) pour écouter l'homélie, vous auriez été plus transporté si tout avait été chanté en slavon ?
Si le père Boris Bobrinskoï vous a conseillé l'assistance à la liturgie, c'est qu'en orthodoxie, elle se célèbre dans la langue des fidèles et, ainsi, devient une catéchèse, un enseignement théologique en même temps que l'accomplissement du Mystère. Mais, évidemment, une unique liturgie ne vous donne pas tout l'enseignement théologique. C'est l'ensemble du cycle annuel qui compte.
Chère Anne-Geneviève, il se trouve que je me souviens d'avoir connu un cas de quelqu'un qui était absolument allergique à l'idée de comprendre la liturgie.
J'ai connu un jeune Genevois d'origine alémanique qui avait débarqué, je ne sais comment, dans l'Eglise orthodoxe russe où il assistait très ponctuellement à tous les offices pour peu que ceux-ci fussent en slavon et pas en français. Il fut ordonné lecteur par les Russes hors frontières. A part ça, il ne parlait ni ne comprenait vraiment le russe ni le slavon.
Quelques temps après, il commence à fréquenter très ponctuellement les offices dans une paroisse du patriarcat de Constantinople, pour peu que ceux-ci fussent en grec et point en français. Il fut ordonné sous-diacre. A part ça, il ne parlait ni ne comprenait le grec; mais on espérait qu'il allait l'apprendre et, pour cette raison, on l'envoya en Grèce.
Je le revis alors qu'il était novice dans un monastère de l'Eglise de Grèce et qu'il était de retour à Genève pour deux semaines. Nous eûmes une discussion. Il me parla de son projet de fonder un monastère en Suisse. J'applaudissais des deux mains. Je me mis à déchanter lorsqu'il m'expliqua que le monastère ne devait avoir que le grec ou le slavon, ou le grec et le slavon, comme langue liturgique. Notez que, quand je ne sers pas en roumain dans une paroisse roumaine, j'assiste à la liturgie en grec et n'ai donc pas d'allergie à cette langue. Mais je ne comprenais pas l'idée de fonder un monastère de moines suisses célébrant dans une langue qu'ils ne parlaient pas. (Notez que notre novice n'avait pas fait de progrès en grec.) Mon interlocuteur me répondit qu'il était hors de question de célébrer en français, parce que la traduction du Notre Père n'était pas la même partout. (Elle n'est pas non plus la même partout dans l'Eglise roumaine; mais je m'abstins de faire cette remarque; je commençais à me demander si mon interlocuteur ne voulait pas en fait marquer son hostilité à tout office célébré dans une langue qu'il comprenait et que le peuple des environs aurait compris.)
Peu de temps après, notre novice quitte son monastère sans permission de l'higoumène et rejoint le monastère vieux-calendériste modéré de Phyli. Il m'explique que le métropolite Cyprien, primat bien connu de ce groupe paléohimérologite, venait de consacrer un évêque italien et qu'il avait célébré le sacre en italien, par pitié pour cet évêque qui ne comprenait pas le grec. Je tique un peu. J'ai quelques fois lu la revue du monastère de Phyli. Je sais que ce groupe a toujours tenu à célébrer dans la langue des pays où il s'implantait, et je soupçonne que si le métropolite en question a célébré en italien, ce n'est pas par pitié pour un type qui ne connaît pas le grec, mais parce qu'il pense qu'un diocèse italien doit fonctionner en italien.
Mon Genevois explique ensuite à tout le monde que le métropolite Cyprien l'a ordonné diacre huit jours après qu'il a rejoint le monastère de Phyli. Je suis ébranlé dans le respect humain que j'avais pour le métropolite Cyprien, quoique n'étant pas de son bord, puisque chacun sait que je suis un ferme tenant du nouveau calendrier, ce qui m'a valu diverses avanies de la part de l'un ou l'autre visiteur du forum. J'ai même, à cette époque, écrit sur le forum que j'étais choqué d'une ordination diaconale aussi rapide et pour ainsi dire à la sauvette.
Et bien, je m'étais trompé et je trompais par la même occasion le lecteur. Je fais mes plus plates excuses au métropolite Cyprien, qui, de toute façon, ne lit pas le français.
Car il est apparu par la suite que le métropolite Cyprien de Phyli n'avait jamais ordonné diacre notre jeune homme. Le métropolite Cyprien nia cette ordination dans une lettre écrite à la demande d'ecclésiastiques orthodoxes de la région lémanique qui s'étaient eux aussi étonnés d'une ordination diaconale aussi suspecte.
Un an après, j'entends de nouveau parler de notre jeune Genevois. Par un prêtre catholique romain non pas intégriste, mais traditionaliste, célébrant le rite tridentin en latin mais en communion avec le Vatican. Ce prêtre qui fait beaucoup pour le rite tridentin en Suisse romande s'adresse à un orthodoxe de sa connaissance, qui me transmet la question, parce qu'il s'inquiète, ayant vu débarquer dans sa paroisse le jeune homme en question. Qui, entre-temps, avait changé de religion, s'était converti au catholicisme romain, avait été ordonné prêtre par un évêque uniate ukrainien, et prétendait désormais concélébrer avec lui le rite tridentin en latin. Ou plutôt, pour peu que les offices fussent en latin, et pas en français... Notre bon ami prêtre du rite tridentin a par la suite réussi à s'extirper de ce problème.
Cette longue anecdote pour dire qu'Anne-Geneviève souligne un problème qui existe vraiment. Il y a des gens qui ne s'intéressent à la liturgie que dans la mesure où elle est un théâtre auquel ils ne comprennent rien. C'est une attitude malheureusement très répandue. C'est finalement ce que chantait notre grand barde Georges Brassens: " Sans le latin, sans le latin / La messe nous e..." (
Tempête dans un bénitier)
Je ne peux que vous souhaiter, mon cher nicolasp, puisque vous vous engagez de plus en plus dans la vie religieuse, de ne pas marcher sur les traces de ces gens-là. Si vous n'aimez pas du tout les liturgies en français et n'appréciez que les liturgies en slavon ou les messes en latin, alors il n'y a rien de critiquable à ce que vous n'assistiez qu'à des offices en slavon ou en latin. Mais, alors, essayez d'acquérir le génie du slavon ou du latin, de vous imprégner de la langue, et du message que la liturgie cherche à vous transmettre; que votre coeur et votre âme soient touchés de la même façon, même si vos oreilles vous font préférer que le message vous soit transmis dans une langue autre que le français. L'important, c'est d'essayer de comprendre ce que la liturgie a à vous dire.