Théologie et science : anthropologie

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Anne Geneviève
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Théologie et science : anthropologie

Message par Anne Geneviève »

Nous vivons dans un monde que nous ne pouvons ignorer, où l’interprétation métaphysique des découvertes scientifiques et les croyances subreptices, hiérarchies de valeurs, etc., qui en découlent, avec beaucoup de non-dit d’ailleurs, posent aux théologiens des questions qui n’ont même pas pu être effleurées par les Pères. Comment auraient-ils pu aborder, par exemple, la question de la personne face aux perspectives de clonage humain, puisque en leur temps le clonage biologique n’existait pas et que l’on ne trouvait, dans cet ordre d’idées, que la mythologie du double, très peu développée chez les Grecs et les Babyloniens ?
En listant en courrier privé quelques unes de ces questions issues directement des progrès scientifiques, Antoine et moi avons pratiquement évoqué les mêmes thèmes et cette convergence montre qu’il ne s’agit pas de réflexions en l’air ou de doutes personnels. Les Pères se sont confrontés à la mentalité de leur temps, à ses erreurs et à son langage ; notre époque interpelle les théologiens avec autant sinon plus d’acuité et d’urgence. C’est donc à notre tour d’avoir le courage de faire le travail ou, du moins, de débroussailler le terrain avec beaucoup d’humilité et de prière.
On peut évidemment évacuer le problème en vivant de manière schizoïde : le spirituel dans son Eglise avec le discours patristique comme fil d’Ariane et, totalement déconnecté de la vie ecclésiale, le travail dans le monde avec ses propres concepts.
On peut aussi se débarrasser du problème sur les hiérarques et attendre qu’un « Grand et Saint Concile », pan-orthodoxe de préférence, se soit prononcé, c’est confortable, un peu flemmard, mais bon…
On peut enfin considérer que la méthode scientifique de déchiffrement de la nature ne vaut pas un pet de lapin et que toute la « modernité » est suspecte par principe, voir les positions vaticanes à la fin du XIXe siècle.
Aucune de ces positions ne me satisfait.
Chacune des questions posées par notre époque mériterait, par contre, un fil de discussion particulier et une longue introduction car on ne peut pas les traiter de façon superficielle.
Puisque, en ouverture, j’ai évoqué le clonage, puisque aussi de nombreuses discussions du forum portent sur des vécus de type visionnaire, restons pour l’instant sur l’anthropologie. Avec la découverte, dans les années 50, de l’activité électrique du cerveau et surtout d’un moyen commode de la mesurer puis la mise en évidence, un peu plus tard, des neurotransmetteurs, enfin le renouvellement des mesures directes de l’activité neuronale grâce à la RMN, nous sommes en mesure aujourd’hui de corréler sans erreur l’activation de groupes de neurones précis à tous les types d’activité psychique : cognitive, émotionnelle, etc. Les états de conscience dits « modifiés », dont l’extase visionnaire ou non, ont fait l’objet d’études assez poussées. Cependant, si des auteurs comme Jean-Pierre Changeux ou Hobson espèrent trouver dans l'activité physico-chimique des neurones l'explication ultime des phénomènes de conscience, les travaux de Yujiro Ikemi ou de Stanislav Grof rendent utopique une telle approche. En effet, les mêmes molécules, les mêmes taux de neurotransmetteurs interviennent dans des contextes si divers qu'il semble difficile de ne pas réintroduire le sens comme déterminant. Ainsi, pour citer un exemple médiatique, la célèbre " molécule d'amour ", la phényléthylamine ou PEA, serait présente dans toute situation de rupture existentielle, qu'il s'agisse de tomber amoureux, de divorcer ou de… sauter en parachute ! Peut-on dès lors parler sérieusement d'un "état PEA" ?
En dehors des neurosciences dont le postulat général de « parallélisme corps/esprit », bien qu’encore assez difficilement démontrable dans le détail, semble de plus en plus opératoire, la psychanalyse freudienne a cherché également dans le tréfonds biologique, par le concept de libido, l'explication ultime des comportements humains. Dans le même temps, la sociologie naissante dépossédait l'individu de son autonomie : Durkheim hypostasiait le social en le parant de tous les caractères de la divinité, y compris l'ineffabilité et la participabilité. Soumis au dépeçage par les différents déterminismes biologiques qui s'entrecroisent en lui, écho particulier d'un général tout aussi déterminant, il ne restait plus au sujet humain (au sens philosophique du mot sujet, pâle succédané de la personne) qu'à se reconnaître illusoire et à se déconstruire, ce à quoi l'invitent, en s'appuyant sur l'étude de l'hypnose, avec des psychanalystes comme Borch-Jacobsen, l'école qui regroupe autour du concept de mimésis son inventeur René Girard et des chercheurs comme Léon Chertok ou Isabelle Stengers.
Voilà brièvement résumée l’image de l’homme que nous offrent en particulier les neurosciences depuis une bonne trentaine d’années et que, il faut le reconnaître, chaque avancée scientifique vient conforter et préciser un peu plus.
Cette image est-elle en contradiction totale avec l’anthropologie patristique ? Pas obligatoirement. L’interprétation matérialiste et causale du parallélisme corps/esprit (esprit signifiant dans ce jargon activité psychique) exclut évidemment toute notion d’âme ou de quelque réalité qui dépasse le jeu physico-chimique des cellules vivantes, mais ce n’est qu’une interprétation, un passage à la limite vers la métaphysique. Le plus ennuyeux est que le langage et les concepts de l’antiquité tardive et de notre temps sont tellement étrangers l’un à l’autre qu’il est vain d’espérer une traduction simple et univoque.
Comme je le soulignais avec la PEA, il est difficile, même lorsque l’on obtient des corrélations statistiquement satisfaisantes entre certaines molécules et certains états psychiques, de ne pas réintroduire le sens comme déterminant. Or le sens, ce qui fait sens, n’est pas un donné «objectif» ni d’ailleurs objectivable mais une expérience intérieure, une participation. Et c’est là, dans l’intériorité participative, que l’homme tel que le décrit la science trouverait une ouverture vers la révélation des Evangiles, vers cette intériorité réciproque des personnes décrite par le Christ lors de son dernier discours, celui de la Cène (Jean 16 et 17).
J’ai conscience que, même longuette, cette introduction reste encore très générale et très grossière. Le problème, dit autrement, est comment penser ensemble l’anthropologie des Evangiles, celle des Pères et celle que nous donne à déchiffrer la science contemporaine.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Antoine
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Message par Antoine »

Une question avait été posée sur le forum concernant l'intériorité et la physicalité de la personne. (J'universalise cette question en ces termes). Il faut ainsi confronter la pensée des Pères sur les passions et la science actuelle qui fait du sujet une combinatoire complexe de neurones qui réagissent différemment selon leur assemblage initial. Ma responsabilité est ainsi annihilée par cet état neurologique du cerveau qui devient ma seule identité. L'outil est devenu l'ouvrier en quelque sorte, ou il le conditionne de telle façon que l'ouvrier ne peut être que ce que son outil lui permet d'être. La neurologie peut même modifier mon centre décisionnel et le renforcer s'il est déficient. "Je est un autre ". La notion de la personne et son approche holistique en théologie est-elle encore recevable?

Nous voyons également que le droit n'est plus assis sur des principes moraux fussent-ils ceux de la rationnalité Kantienne. Ils s'auto régit par sa seule cohérence interne et égalise par exemple homosexualité et hétérosexualité. Le mariage n'a plus le référent de l'union d'un homme et d'une femme qui deviennent des éléments de structuration extérieurs au droit. Il devient une union régie par d'autres textes juridiques qui se doit d'être en seule cohérence avec ces autres textes juridiques.

L'ordination des femmes qui découle de cet égalitarisme "scientifique" deviendra un sujet de pression très forte sur l'Eglise Et l’Orthodoxie ne sera pas épargnée. Il lui faudra résister envers et contre tous. On ne cherche plus quel est le sens de l'ordination; on l'insère simplement dans un cadre juridique qui n'a d'autre référent que sa cohérence interne. On « externise » ainsi la succession apostolique refusant de reconnaître en elle la structuration même de l'Eglise. L'Eglise devient d'abord une construction humainejuridique. Nous ne somme pas étonné de cette conception qui repose directement sur l'hérésie filioquiste. Dans le catholicisme romain, ce n'est plus la Trinité qui structure l’Eglise, c’est l’Eglise qui structure la Trinité. Ce renversement ne peut mener qu’à l’éclatement en communautés diverses dépourvues de leur centre ecclésial d’unité qu’on a remplacé par une papauté vouée à l'effondrement.
Nous devons sans cesse rappeler que seule la divino-humanité du Christ est fondatrice et libératrice.

Nous voyons également comment les "spin doctors" fabriquent de toute pièce un homme politique dont l'image artificielle a pour seul but le narcissisme des masses au détriment de tout discours sémantique. L'engagement sur des idées ou des valeurs n'a plus de raison d'être. La démocratie n'est plus qu'un combat publicitaire destiné seul à régir les votes en interne.

En ce qui concerne la reproduction, nous revenons aujourd'hui à grands pas vers une parthénogénèse humaine. La sexualité n'est plus qu'un type de recherche particulier de plaisir et doit donc être repensée dans cette nouvelle problématique quitte à contredire un Grégoire de Nysse ou un St Maxime le Confesseur dans certaines de leurs analyses. Elle ne pourra plus être lue au travers du prisme de la reproduction et considérée comme donnée à l'homme en seule prévision de la chute.

Anne Gèneviève a raison de ne pas laisser ces champs aux seuls labours rationnalistes et hétérodoxes et d'y promener un soc orthodoxe. Elle nous propose une réflexion très féconde, un travail essentiel à notre vie chrétienne. Elle nous rappelle que si nous ne sommes pas du monde nous sommes dans le monde.

Comment penser l'union chalcédonienne des deux natures si notre concept même de nature se modifie au point de modifier la nature humaine?"Christ est réssuscité" aura-t-il encore un sens si notre nature humaine se différencie de la sienne?

Toutes ces questions peuvent a priori sembler disparâtres. Mais ils ont pour lien ce combat entre physicalité et intéririoté. L’intériorité se laisse structurer par le Christ. La physicalité est ce qui se laisse structurer par l’homme dans le processus de séduction de la chute. L’arbre de Vie n'exclue pas celui de la connaissance du bien et du mal. Et nous devons veiller à ce que celui de la connaissance du bien et du mal n'exclue pas l'arbre de Vie. Nous devons pas placer l'arbre de la connaissance au centre du jardin comme l'a fait Eve.

J'en profite pour rappeler qu'il existe une association orthodoxe de bio éthique dont le Père Jean Breck est le président. Il faut en soutenir les travaux et faire masse aux conférences qu'elle propose.

La Tradition de l'Eglise ne doit pas craindre certaines confrontations et doit remplir toute activité humaine de la présence de l'Esprit Saint.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Antoine a écrit :
Comment penser l'union chalcédonienne des deux natures si notre concept même de nature se modifie au point de modifier la nature humaine?"Christ est ressuscité" aura-t-il encore un sens si notre nature humaine se différencie de la sienne?
C’est toute la question posée par l’ingénierie génétique. On a déjà créé des chimères mêlant des gènes humains à de l’ADN animal ou végétal. On fait fabriquer de l’insuline et de l’albumine humaines à du maïs modifié ; des vaccins contre l’hépatite B, le choléra et autres ; ainsi que de la lactoferrine et de la lisocime, deux protéines des larmes et de la salive humaines dont les propriétés antibiotiques et antivirales semblent prometteuses. Voir l’article d’Elizabeth Bravo du 1er juillet 2004 (en espagnol) sur le site www.accioecologica.org.
Pour l’instant, on se contente d’humaniser partiellement des plantes et de forcer brebis et vaches à produire du lait pharmaceutique, mais il est de plus en plus question de modifier des porcs afin de pouvoir obtenir des transplantations d’organes sans rejet. C’est de la science-fiction ? Oui, pour dix à quinze ans, guère plus au rythme où va la biologie.
Mais la grande tentation serait l’eugénisme, non pour faire des gamins tous beaux et tous intelligents, ce qui resterait dans la fourchette des capacités humaines, mais pour « corriger » les imperfections de notre espèce ou pour « adapter » l’homme à des environnements non terrestres, par exemple pour coloniser Mars ou Titan. J’emploie volontairement le terme « espèce » car c’est celui que l’on trouve dans les manuels de biologie. Il fera bien entendu hurler un théologien : tirer l’homme aussi complètement vers l’animalité, c’est nier sa dimension spirituelle.
Richard Heinberg, dans sa Museletter n°108 de janvier 2001 (en anglais, sur le site http://museletter.com), soulignait le risque de « voir l’humanité bifurquer génétiquement en ce que le biologiste de Princeton Lee Silver nomme les sous-espèces Gèneriche et Naturelle. » Vers 2020, l’humanité pourrait, selon lui, être séparée en maîtres et esclaves génétiquement différents. C’est demain. Mais les auteurs de SF ont d’ores et déjà conçu des univers où la diversification et la spécialisation des sous-espèces seraient plus importantes, donnant naissance au bout du compte à des êtres qui n’auraient plus grand chose d’humain, biologiquement parlant. Et cela, c’est juste après-demain, si l’homme devient, selon l’expression d’Heinberg, « son propre créateur ».
L’arbre « du bon et du mauvais » (traduction littérale de l’hébreu), c’est s’approprier la définition des valeurs, la régulation morale, c’est définir sa propre loi au lieu d’écouter les commandements divins. Mais là, on pourrait toucher à l’arbre de vie et l’inverser pour la perte de notre nature même, la chute à la puissance mille. Comment être sûrs que cela ne sera pas imposé par des apprentis sorciers de la bio-ingénierie et des dictateurs porteurs d’une idéologie luciférienne ?
Mais la question de fond, ce sont celles des limites de la nature humaine. Où passe la frontière entre l’homme et autre chose ? Jusqu’où le corps, via le code génétique, est-il modifiable sans risque de basculer hors de l’humain ? Jusqu’où la capacité d’intériorité humaine sera-t-elle sauvegardée ?
A rebours, jusqu’où l’humanisation des animaux peut-elle aller pour qu’ils restent animaux ? Et si la frontière est franchie ? Comment le saurons-nous ?
Questions oiseuses ? Mais dans vingt ou trente ans, cinquante à tout casser, elles pourraient commencer de se poser concrètement pour l’accès aux sacrements.
Et Antoine a raison. Que signifierait la résurrection du Christ, que signifierait surtout son incarnation si l’humanité, au lieu de s’ouvrir à la déification, altérait simplement sa nature et devenait littéralement a-humaine ?
Le concept grec de physis utilisé à Chalcédoine avait partie liée avec la croissance (le verbe phuô), il signifiait parfois apparence et impliquait donc le registre du perceptible (à ne pas confondre avec le sensible) et désignait aussi l’identité ou la spéciation, ce qui fait que le chardon n’est pas le figuier et réciproquement. Usité d’abord pour parler des végétaux, il avait été étendu à l’ensemble du vivant. Autant dire que, avec l’ingénierie génétique, nous sommes en plein dans le sujet.
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Irène
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Message par Irène »

Les perspectives - concernant tant la bio-éthique que l'éthique tout court -sont tellement effrayantes que j'ai du mal à les envisager.

Ce qui paraît évident, c'est l'accélération du processus.

Concernant la "bio-éthique" on pourrait au moins espérer que les autorités politiques se prononcent et posent des limites ; je n'y crois pas car les savants fous ne sauront pas - et ne voudront pas - s'arrêter.
D'ailleurs - sous prétexte d'améliorer le sort des humains actuels - ils sont en train de concocter des soupes infernales.

Quant à "l'éthique" tout court ...
Quand on entend que l'Espagne est désormais le pays le plus moderne d'Europe car il permet l'adoption pas des partenaires de même sexe on se demande qui est fou !
Que dire à nos enfants ? Comment peut-on leur enseigner une "éthique" contraire à la loi de leur pays ?

Car, au moins dans ce domaine, jusqu'à présent, le mariage civil était conforme à l'Evangile : l'union d'un homme et d'une femme en vue de former un foyer et d'avoir des enfants.

Il me reste - pour ébranler les partisans de la liberté sans contrainte - la seule constatation que les "psy" de toutes sortes foisonnent dans une société permissive dans laquelle ils devraient être si heureux ...

La situation devient réellement difficile et je n'y vois pas de solution, malgré un optimisme qui ne m'a jamais fait défaut.
Irène
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Message par Irène »

dimanche 17 juillet 2005, 8h17
Ouverture d'une banque de cellules souches en octobre en Corée du sud



SEOUL (AFP) - Le Coréen du sud Hwang Woo-Suk, qui a été le premier à cloner des embryons humains pour des thérapies à base de cellules souches, va ouvrir une banque de cellules souches en octobre à vocation internationale, a rapporté dimanche l'agence Yonhap.

M. Hwang, professeur à l'Université nationale de Séoul, a dit à Yonhap que la banque dont l'inauguration est prévue le 19 octobre devrait être un établissement public.

Les cellules souches embryonnaires ont la propriété de pouvoir se transformer en cellules de tous types, permettant ainsi la "reconstruction" d'organes malades.

En février 2004, l'équipe du Pr Hwang avait annoncé avoir cloné des embryons humains d'où extraire des cellules souches, une première mondiale. En mai dernier, elle a mis au point les premières cellules souches pour des patients particuliers dont elles correspondent à l'ADN.


Ci-dessus, copie d'un article qui entre dans le droit fil de notre réfléxion ;
Encore, s'agit-il là d'humain à humain, mais je viens de lire le récit de l'expérience faite par la Russie et la Bielorussie (les pays sont cités pour mémoire) d'introduire dans une chèvre l'adn permettant à cette dernière de donner du lait de femme.

Alors, effectivement, il y a matière à réflexion...
Ce qui m'effare c'est l'apparente acceptation de ce genre de manipulations.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Les choses vont beaucoup plus loin que le clonage. J'ai lu dernièrement dans la revue Politique Etrangère (1-2005), édition papier donc pas de lien à donner ici, un dossier sur les armes biologiques. En biologie comme ailleurs, cela fait belle lurette qu'on ne peut plus forger indépendamment la charrue et l'épée. L'article de Patrick Berche, "Vers des armes biologiques de nouvelle génération" parle de deux technologies nouvelles. L'une, nommée polymerase chain reaction (PCR) permet de synthétiser de l'ADN, donc de créer des êtres vivants de toute pièce. Ainsi la première synthèse d'un virus date-t-elle de 2002 (virus de la polio) ; la seconde, de 2003, sur un autre virus. Pour l'instant, la synthèse d'organismes vivants ne va pas au delà des virus, mais il faut tenir compte du fait que ce dossier était consacré aux armes biologiques et donc aux seuls pathogènes.
Il y a plus fort encore. On peut créer des êtres entièrement nouveaux par fragmentation et recombination de l'ADN, c'est à dire en imitant une des voies par lesquelles, dans la nature, de nouveaux virus émergent (les fameuses "mutations rapides").
A terme, cela signifie que l'on passera des virus aux bactéries puis à la synthèse de plantes, d'animaux, de sous- ou sur-hommes ? Déjà, on fait produire des neurotransmetteurs humains par des bactéries ou des virus, en particulier des endorphines, dans l'idée de provoquer soit une intoxication indécelable soit une modification du comportement. De l'insuline humaine est produite par des plants de maïs ou de soja, ainsi que des vaccins. La chèvre qui produit du lait de femme a déjà quelques années, la Russie n'est pas le seul pays en cause, l'Angleterre a aussi une bonne avance, on en est aujourd'hui à faire produire par des vaches ou des truies du lait "féminisé" contenant aussi des médicaments. En d'autres termes, les limites entre l'homme et l'animal deviennent poreuses et floues.
Ce n'est pas seulement une question éthique, c'est aussi une question théologique : qu'est-ce que l'homme ?
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Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

J'ajoute à mon message précédent une question dont je n'ai pas la réponse.
Des théologiens ont dit (qui ? de mémoire, je ne sais plus mais je l'ai lu plusieurs fois) que l'homme avait été créé comme ou était appelé à devenir co-créateur avec Dieu. L'ingénierie génétique pourrait fort bien être l'une des expressions de cette capacité de co-création. Le problème n'est pas forcément que la nature serait intouchable en soi, car dans ce cas la culture du blé au néolithique, qui a fait d'une graminée maigriote et passablement indigeste la base du pain dont le Christ, lui, a fait l'Eucharistie, le mystère de son corps assimilable, serait déjà condamnable ! Et la nature, même sans l'homme, ne cultive pas vraiment la permanence ! Le problème, c'est que cette capacité de création s'exprime en oubliant le "co-", au travers de notre nature tordue et déchue - la meilleure preuve, c'est qu'on force la nature à donner des armes.
Donc ma question, c'est dans quelles limites l'homme déchu peut-il utiliser ses capacités créatrices sans projeter en quelque sorte sa déchéance sur l'univers ? Ou pour le dire plus crûment : le maïs à insuline est-il transfigurable ?
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eliazar
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Théologie et science

Message par eliazar »

A cette heure tardive, je suis en train de lire ce fil. Que dis-je ? … de le découvrir ! Il est absolument passionnant, même pour un homme comme moi qui n’ai de connaissance que tout à fait superficielle des domaines actuels de la génétique, et des autres sciences en perpétuelle avancée que les premières communications du début juillet ont évoquées. Et je remercie chaleureusement Anne Geneviève et Antoine (j’espère pour eux qu’ils dorment du sommeil du juste) pour avoir fait l’effort d’établir dans un langage accessible aux incultes comme moi les premières bases d’une telle discussion.

J’espère bien qu’elle va maintenant démarrer pour de bon – et s’enrichir sans cesse de nouveaux apports dans les prochaines semaines : pour le plus grand progrès de notre Foi, à tous. Et j’espère vivement qu’elle suscitera bientôt les contributions de correspondants moins béotiens que moi ! Je suis du reste très étonné de constater que depuis ces premières communications du 2 juillet (ce jour-là, j’étais vraiment trop occupé pour ouvrir mon ordinateur !) la seule Irène ait donné signe de vie – alors que ce sujet est absolument majeur !! Je crois vraiment entendre, en écho de cet incroyable silence (prolongé pendant plus d'un trimestre; il est vrai, c'était celui des grandes vacances !) les sévères paroles que rapporte mon bien-aimé évangéliste Luc :

« Et il envoya son esclave à l’heure du dîner pour dire aux invités : Venez, parce que maintenant c’est prêt. Et tous, unanimement, se mirent à s’excuser. Le premier lui dit : J’ai acheté un champ et il me faut aller le voir ; je t’en prie, tiens-moi pour excusé… Et un autre dit : J’ai acheté cinq paires de bœufs et je vais les essayer ; je t’en prie, tiens-moi pour excusé… Et un autre dit : Je viens de me marier : c’est pourquoi je ne puis venir…
« Et à son retour l’esclave annonça cela à son seigneur. Alors, pris de colère … / …! »

Ce sujet est le sujet majeur de notre temps. Et le temps nous presse ! Nous venons presque tous, ici, d’un substrat catholique romain plus que millénaire. Malencontreusement, lorsque la romanité s’est imposée aux peuples de l’ensemble de notre Occident, son système nous a coulés dans un moule juridique à visées aussi moralisantes qu’organisationnelles – tout sauf spirituelles, hélas. Le juridisme romain a peu à peu raidi, enfermé dans une cuirasse rigide les modes de pensée occidentaux, quelqu'aient été nos ethnies d’origine et les symboles ou les mythologies qui avaient initialement (in)formé leur identité profonde.

Cette cuirasse rigide a fait écran aux possibilités immenses de notre vie spirituelle occidentale à partir de ses plus fondamentales racines: l’élaboration initiale de notre faculté même de penser. Elle nous a, comme c’est du reste le rôle de toute cuirasse, communiqué un sentiment de sécurité tel que peu à peu, nous avons perdu toute velléité d’en sortir pour affronter la réalité de la présence du Dieu Un-et-Trine, toute audace pour nous lancer à Sa poursuite en dehors des sentiers battus de la logique, de la rhétorique, des définitions juridiques les plus propres à nous enfermer dans un monde clos, et à scléroser par avance la vie intérieure de l’Église. Seules quelques têtes brûlées l’ont osé – en catimini ; et la plupart ont vite été la proie des hérésies les plus diverses. On en a vu la conséquence assez tôt, même avant le schisme romain du XIème siècle. Dans la défiance croissante que l’Occident a opposée à ses « mystiques », les culpabilisant au lieu de les interroger, les punissant parfois au lieu de les écouter, gisait déjà la probabilité du naufrage auquel nous assistons aujourd’hui.

Alors que dans le même temps, les Grecs (qui n’avaient sans doute pas moins peur du grand vide sidéral que nous) ont su trouver les voies « paradoxales » de la doctrine apophatique - l’Occident latin s’est enfermé dans sa sclérose jusqu’à perpétrer une coupure mortelle entre nos ancêtres et le reste de l’Eglise. Ce fut le prélude à son tragique dépérissement actuel.

Heureux Grecs, qui avaient depuis tant de siècles privilégié une pensée d’ordre philosophique – ce qui les a rendus capables d’édifier une langue qui nous a permis (quoique relativement « rationnelle ») de formuler vaille que vaille notre balbutiante perception des données de la Foi ! Les Barbares que nous étions n’auraient probablement pas pu recevoir, sans cela, le vin nouveau de la Révélation sans que nos vieilles outres en éclatent ! Et dans ce sens, il a probablement été providentiel que la Révélation ne nous soit transmise qu’à travers un double filtre : celui d’abord du mosaïsme juif, certes - mais ensuite et surtout, celui des structures nouvelles de la pensée que les philosophes grecs avaient été à même d’élaborer - à partir de l’état avancé où était parvenu leur langage philosophique antérieur - pour aborder « concrètement » les concepts les plus « abstraits » du Verbe divin, et d’une certaine manière nous permettre de tenir les deux bouts de la chaîne sans nous empêtrer dedans !

Sans cette souplesse de la langue dans laquelle nous a été transmise la Bonne Nouvelle de l’Évangile, il y a fort à parier que l’arrivée des premiers illuminateurs dans notre Occident de bout du monde aurait risqué de nous embourber lamentablement dans une vue obtuse, primaire, juridique de la Divinité – qui aurait encore fait reculer l’intuition plus ou moins informelle qu’avaient pu en avoir nos sociétés primitives, dans la pénombre de leurs forêts de mythes et de légendes.

Dès sa naissance en Christ, notre Occident aurait bien pu régresser vers l’un ou l’autre de ces deux terrains (si dangereusement inadaptés à l’ineffable Incarnation du Verbe) : les sables mouvants de l’imaginaire celto-germanique ou les sommets rocailleux du moralisme juridique romain. Il n’est pas exclu que la terrible chute du Patriarcat de Rome hors des limites de l’Église (si elle a d’évidence des liens étroits avec l’efflorescence de sa théologie scholastico-aristotélicienne) ait été déjà prévisible dès son abandon quasiment disciplinaire aux charmes maléfiques de ce « Dura lex, sed lex » sur quoi toute la romanité s’était construite, et affermie au cours des siècles qui ont précédé l’Incarnation.


Or voici qu’après ces dix interminables siècles d’estrangement, nos Derniers Temps sont entrés de plain-pied dans une ère complètement nouvelle au début du dernier siècle. Cette transformation des basesscientifiques de notre connaissance du monde est aujourd’hui encore pratiquement hors de portée des facultés d’appréhension de bon nombre d’entre nous – car c'est une ère d’élargissement constant (quasiment « galaxique » et en tout cas sans terme prévisible) de tous les concepts que nous avions cru être les plus sécurisants pour l’être humain moyen.

Ce sont les certitudes que nous avons crues les plus inaccessibles au doute ou à la désagrégation, ces dogmes scientifiques qui nous faisaient une véritable ligne Maginot de certitudes en béton armé, qui se sont comme dilués sous nos yeux en moins d’un siècle. Les travaux d’un James Maxwell, d’un Henri Poincaré, de Max Planck, d’Hermann Minkowski ou d’Einstein, des Louis de Broglie, des Rödinger, des Heisenberg et de tant d’autres dont les avancées incessantes continuent en cet instant même à tout remettre en question - ces découvertes en feu d’artifices perpétuel bouleversent de proche en proche tout ce que nous avions cru savoir sur la physique, la mécanique, la lumière, la vitesse, l’espace-temps, la biosphère… sur le cosmos, et sur nous-mêmes.
Et nous ne sommes vraisemblablement qu’au début de nos effarements !

Comment allons-nous réussir à concilier ces fulgurantes découvertes avec la formulation des dogmes de notre Foi ? Alors que dans ce Forum même, nous n’arrêtons pas de perdre notre temps si précieux à bavasser sur les divers computs possibles, licites, ou souhaitables (quand nous ne les vouons pas aux gémonies !) d’un calendrier liturgique qu’il ne nous appartient ni aux uns, ni aux autres de modifier tant que nos évêques ne le décideront pas ! Tandis du reste que la terre n’arrête pas de tourner pour si peu !

Quel langage nouveau n’aurions-nous pas plutôt besoin d’élaborer à notre tour - pour répondre à l’attente de la création toute entière – et d’abord de nos frères humains répandus par ce monde que nous sommes si loin de « maîtriser » - comme nous nous en étions si naïvement glorifiés par avance ? Un langage enfin apte à transmettre l’héritage que nous avons reçu de nos Anciens, en des termes accessibles à nos enfants, demain ?

« Car la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu. La création, en effet, a été soumise à la vanité – non de son gré mais à cause de Celui qui l’y a soumise – et toutefois elle garde l’espérance – parce que la création, elle aussi, sera libérée de l’esclavage de la corruption : en vue de la glorieuse liberté des enfants de Dieu…

« Nous savons en effet que jusqu’à maintenant toute la création gémit ensemble dans les douleurs de l’enfantement. Et elle n’est pas seule : nous aussi, qui possédons les prémices de l’Esprit, nous aussi gémissons en nous-mêmes dans l’attente de l’adoption – du rachat de notre corps. Car c’est en espérance que nous avons été sauvés … »
annonçait déjà saint Paul dans son épître aux Romains…

Je me répète : nous perdons un temps précieux à ressasser sans cesse des vérités premières que tout orthodoxe, et même tout chrétien (si peu que ce soit) devrait avoir suffisamment à l’esprit pour pouvoir avancer un peu plus loin que l’éternel retour, dans ce Forum, des questions de base du petit catéchisme !

J’espère donc qu’Anne-Geneviève, Antoine, Irène et moi ne sommes que les premiers d’une longue cohorte de nouveaux intervenants - sur ce « fil » dont la préoccupation me semble primordiale pour des chrétiens du XXIème siècle.
< Demeurons dans la Joie. Prions sans cesse. Rendons grâce en tout... N'éteignons pas l'Esprit ! >
GIORGOS
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Message par GIORGOS »

Antoine écrit:
La Tradition de l'Eglise ne doit pas craindre certaines confrontations.
La Tradition de l'Eglise n'a pas à craindre confrontation aucune.
Giorgos
SEÑOR JESUCRISTO, HIJO DE DIOS, TEN PIEDAD DE MÍ PECADOR.
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