Je salue Henri, qui me semble poser une question assez juste pour me donner envie d'y répondre sans même attendre la réponse de Claude - premier intéressé par la dite question.
Vous dites, Henri :
" ...apparemment, le fait d’être en dehors de la nature corruptible héritée par le genre humain n’empêche pas la liberté de dire non à l’économie divine. Si la Vierge, par la Grâce de Dieu, avait pu recouvrer cette condition d’avant la chute, elle aurait aussi gardé, me semble-t-il, la possibilité de dire non à l’économie du Salut."
A première vue, on ne voit là rien qui ne soit évident. Mais les myopes (dont je suis) sont parfois obligés d'y regarder à deux fois. Après quoi, me viennent de tout autres précisions sur l'objet - des précisions qui me semblent tout aussi évidentes, et me deviennent alors beaucoup plus claires (toujours sous réserve d'une parole un peu plus autorisée que la modeste mienne).
1° Ève a librement choisi de refuser d'obéir à un commandement qui ne lui semblait plus l'engager, une fois sa compréhension personnelle modifiée (et même déviée) sous l'influence d'une intelligence supérieure à la sienne : celle disons de Lucifer...
2° La partie n'était pas égale entre elle et l'ex Ange porteur de Lumière; sa seule sauvegarde eut été l'humilité d'obéir sans comprendre, ou mieux : de continuer à obéir même après avoir cru comprendre qu'elle pouvait (voire, qu'elle avait intérêt à) désobéir.
Le plein exercice de sa liberté serait ainsi devenu la liberté de
ne pas faire usage de sa liberté - et de
préférer sa soumission à la volonté de son Créateur, telle qu'Il l'avait exprimée par le commandement en question.
3° La proposition contestée ici correspondrait donc à :
"Si la Vierge a été préservée du péché originel, ce qui voudrait dire dans un sens orthodoxe, préservée de la nature corruptible commune à toute l’humanité, alors son oui n’a plus de réelle valeur, car elle n’aurait pas vraiment eu la possibilité de dire non. Or, Ève, avant la chute, était en dehors de notre nature corruptible a dit non à Dieu refusant d’obéir à son économie divine à l’égard de l’humanité, en répondant librement à la tentation de Satan plutôt qu’à l’appel de Dieu. "
Mais il me semble au contraire que si la Mère de Dieu
"est rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils", nous devons convenir que sa situation (vis à vis de l'obéissance) est bien différente de celle de notre première mère Ève, dont le libre choix s'est opéré en effet avant que sa (notre) nature fut devenue corruptible.
Selon la Foi de l'Église, en effet, la Génitrice de Dieu ayant bien hérité de la même nature corruptible que vous et moi, c'est à dire ayant pleinement en elle les conséquences de la chute originelle de l'humanité (en nos premiers parents), sa lumineuse acceptation du message de Gabriel est d'un mérite incomparable : rien ne portait Éve à croire plutôt le serpent que le Créateur - et donc sa liberté de choisir le refus d'obéissance a été totale. Tandis que sa nature déjà corrompue inclinait a priori Marie à douter, à ne pas être sûre que l'Ange puisse dire la vérité, à se demander avec angoisse si la conception du Messie (en elle qui avait consacré sa virginité, dès son enfance dans Temple) ne signifiait pas au contraire une tentation (extrêmement subtile) de rompre son voeu sous l'apparence d'obéir au Très-Haut dont l'archange était le messager.
On comprend du reste qu'un tel débat (un tel désarroi ?) intérieur a bien dû avoir lieu en elle, puisqu'elle demande à l'Ange : "Comment cela se fera-t-il ?" Il y a là comme la trace, en elle, d'une hésitation à s'engager. Nous y voyons un mérite de plus, en ceci qu'elle ne demande pas comment cela "
se ferait", mais comment cela se "
fera" - mais il est évident pour moi qu'elle se laisse tout de même le temps de la réflexion, pour le dire familièrement. Son obéissance est sous-entendue par ce "
fera", mais elle n'est pas im-médiate : là je crois bien voir une
conséquence de la chute originelle - qu'Ève n'a pas eu à subir.
4° De ce qui précède, découle bien évidemment ce qui suit.
Dans le cas (que je conteste) où Marie la Vierge aurait possédé (par cette prétendue Immaculée Conception ...) une sainteté
"absolument unique" dont elle eut alors été "
enrichie dès le premier instant de sa conception" et qui lui serait alors venue, de manière pour ainsi dire préventive : "
toute entière du Christ" - la Theotokos n'aurait plus même bénéficié de la liberté d'Ève, et aurait été totalement prise en mains par une sorte de pseudo Grâce : une Grâce ...contraignante !
Marie n'a pas répondu Oui (à la proposition que lui transmettait l'Ange) sous la contrainte d'une nature hors-normes de l'humanité d'après la chute, comme déjà engagée par le Christ (qui n'était pas encore en elle, et dont la possibilité actuelle d'exister dépendait encore elle-même de son Fiat) - mais c'est dans toute l'ambiguïté de notre nature corrompue par les conséquences de cette chute que sa volonté droite est parvenue à trouver la force d'accepter l'inconcevable. Jamais Ève ne s'est trouvée placée dans une situation aussi "impossible" (je parle ici en homme trop humain, certes), car le commandement de Dieu était clair et net, la contestation qu'en faisait le serpent était aussi claire et aussi nette, et le choix d'Ève n'était pas entaché d'aucun doute préalable sur ce qu'elle avait vocation de faire. Elle et Adam ont désobéi en pleine connaissance de cause.
De tout ce développement (hélas bien pesant, parce que je ne suis pas théologien pour un sou) je ne puis tirer qu'une seule certitude :
- l'affirmation du très jésuitique Bernard Sesboüé, co président du groupe des Dombes, selon qui "l’Immaculée Conception n’est pas contraire à l’Écriture», et qu'il y a une "avancée importante" en ce que "les deux parties s’accordent en effet à reconnaître que l’Assomption de Marie se trouve en consonance avec l’Écriture", n'est qu'une illusion totalement hérétique.
J'ajouterai qu'à mon sens cette affirmation mensongère, et trompeuse, et visiblement
destinée à tromper les croyants sincères qui s'y laisseraient prendre a en soi toutes les caractéristiques du discours du serpent de la Genèse. Car de même que ce discours (destiné à tromper nos premiers parents) était ouvertement opposé à la Parole de Dieu, de même celui qui enchante le jésuite Bernard Sesboüé est non seulement ouvertement opposé à l'Écriture, mais il l'est encore à toute la Tradition de l'Église. Ce qui n'a pas même l'air d'effleurer l'intelligence de ce prêtre latin pourtant d'un haut niveau d'études.
Ceci dit, je reconnais qu'une réponse documentée, issue de la sainte doctrine orthodoxe, me rendrait le même service qu'à vous, cher Henri : celui de dire enfin avec clarté et autorité la vérité que je n'ai pu ici que tenter de discerner - à la lueur clignotante de mes médiocres lumignons.
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