Je voudrais simplement apporter une lueur d'humour (involontaire) dans une discussion que je trouve assez passionnante par ailleurs. Si cet humour dérangeait qui que ce soit, qu'il ou elle veuille bien accepter mes excuses fraternelles par avance : l'humour n'est (ici) pas de mon fait. C’est la raison pour laquelle j’ai préféré publier ce témoignage un peu trop personnel sous un autre titre ; du reste, le sujet en soi me semble dépasser de beaucoup le vacarme et la médiatisation abusivement suscités par la mort de JP 2 et l’élection de son successeur.<< Le qualificatif d’hérétique n’est certainement pas à jauger à la façon dont on reçoit un fidèle dans l’Église. Ce n’est pas parce qu’on a reçu un fidèle par la Chrismation qu’il n’était pas hérétique auparavant. Et l’encyclique appelle bien hérésies le filioque et le papisme et dénonce l’aspersion comme contraire à l’Évangile. On ne peut pas dire que la non réitération du baptême est une preuve de non hérésie. Elle est une économie appliquée aux catholiques romains en souvenir de l’appartenance passée de Rome à l’Église, et on tient également compte du fait que la formule Trinitaire qui a été prononcée dans la communauté hérétique, était, elle, conforme; car elle contient en elle-même, dans son énoncé littéral prescrit par le Christ lui même, la Vérité trinitaire; même si l’interprétation en est complètement faussée et si l'hérésie filioquiste introduite derrière la formule en altère le sens sans en altérer les mots.
<< Mais la formule n'est pas magique et la chrismation s'impose justement parce que cette formule a été appliquée dans l'hérésie. >>
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Catholique romain par mon baptême, administré peu après ma naissance, j’étais devenu athée (mais vaguement "spiritualiste") autour de l'adolescence. Ayant été comme obligé de « découvrir » - à 24 ans - que Dieu existait bien en effet, cela m'a occasionné un choc bien compréhensible et je me suis précipité dans la communauté catholique romaine qui avait été celle de ma famille. Hélas, je n'ai pas tardé à y reconnaître tout ce qui m'avait conduit à l'athéisme ... moins cet athéisme lui-même, dans quoi je ne pouvais décemment plus me réfugier. Ma position devenait terriblement inconfortable.
J'ai donc adopté une attitude d'exilé de l'intérieur : profitant des sacrements, dans la paroisse la plus proche de mon domicile, mais ne vivant complètement ma foi que dans le cadre étroit de mon foyer. Musicien, j'avais heureusement la chance de chanter à peu près juste et je pouvais ainsi participer aux offices (et pallier aux discours creux) en me réfugiant à la tribune du choeur - où par la grâce d'un curé excellent musicien, nous chantions une liturgie dite « grégorienne » presque parfaite.
Les anti-grégoriens forcenés de l’après Vatican 2 m'ont donc libéré complètement de cette cascade d'ambiguïtés. J'ai cherché à droite et à gauche et me suis pratiquement résigné à ne rien trouver de solide où m'intégrer ; j’ai donc cessé toute pratique communautaire. C’est à ce moment là que le hasard d'un changement radical de situation m'a fait habiter tout près d'une église melkite, dite "grecque catholique", c'est à dire une paroisse libano-syrienne, de rite byzantin, dans laquelle les non-arabophones étaient tolérés (presque avec une pointe de commisération) par une obligation évidente : cette communauté dite grecque-catholique dépend administrativement (et dogmatiquement, quoique son clergé en dise) du Vatican. Dans le cas de cette paroisse parisienne, elle dépend donc de Mgr Lustiger, l’archevêque latin de Paris.
La liturgie de st Jean Chrysostome, qu’on y chante partie en grec et partie en arabe translittéré, étant une découverte merveilleuse pour moi (privé que j’étais depuis des années du chant grégorien), je me suis rattaché à cette paroisse et suis entré au choeur.
C'est là que j'ai connu des uniates particulièrement bien au courant de la véritable doctrine orthodoxe, et qu’ils m'ont discrètement guidé vers des lectures un peu plus consistantes que le bulletin paroissial. J'ai ensuite rencontré le P. Denis (Guillaume, alors encore moine catholique romain, et même diacre du souverain pontife romain) qui a bien voulu m'aider à moins mal chanter les offices, et m'a fait participer avec lui à un congrès "oecuméniste", à Florence, où j'ai fait la connaissance du P. Boris (Bobrinskoï). Je lui ai demandé de me guider (à notre commun retour à Paris) dans les voies de l'orthodoxie, ce qu'il a fait avec une paternité spirituelle que je ne puis oublier. Je suis entré dans le choeur de la "Crypte" de la cathédrale orthodoxe russe de la rue Daru – que j’ai ensuite quitté pour rejoindre la paroisse grecque des saints Constantin & Hélène, à Montmartre, où j’ai eu le bonheur de trouver l’exemple d’un excellent protopsalte byzantin, Syméon, et de rencontrer Jean-Louis Palierne, Gregorios Papathomas (alors étudiant à St-Serge) et quelques autres amis, comme les Athéniens Spyros et Anna Marinis - dont la fidélité m’a beaucoup aidé à entrer plus avant dans cette orthodoxie dont j’essuyais alors maladroitement les plâtres.
Enfin j'ai été reçu dans la Sainte Église, par la chrismation et l'adhésion à la foi des sept premiers Conciles Œcuméniques – ce qui impliquait bien sûr la renonciation aux erreurs des Latins, c’est à dire de l’ex-patriarcat de Rome. Jusque là, rien de bien extraordinaire, si ce n'est que j'avais tout de même cheminé jusqu'à la cinquantaine bien sonnée avant d'y arriver . Comme je dirigeais à cette époque les émissions orthodoxes hebdomadaires sur Radio-Notre-Dame (il ne s’était pas trouvé d’orthodoxe qui soit disponible pour s'en charger, et faute de mieux on a confié ce poste à l'uniate que j'étais encore), mes fonctions me plaçaient sous la houlette de l'évêque grec Stephanos (Charalambidis, devenu depuis métropolite de Tallin), et donc du métropolite Jérémie. Ma chrismation a été de ce fait accomplie à la cathédrale orthodoxe grecque Saint-Étienne, rue Georges Bizet à Paris, conjointement par l’évêque Stephanos, le P. Boris (Bobrinskoï) et le prêtre de la paroisse des saints Constantin & Hélène, le P. Andreas (Fyrillas), dont la patience si paternelle accomplit de véritables miracles en dépit de mon mauvais caractère.
Puis je dus quitter Paris et rejoindre mon Comté de Nice natal, et la paroisse orthodoxe grecque St-Spyridon, dans le chœur que dirigeait Alexandre Arzimanoglou. Au bout de quelques années, supportant de moins en moins facilement les contraintes (liturgiques entre autres) d’un œcuménisme dans lequel j’étouffais, je décidai de rejoindre la plus proche paroisse V.C.O. – qui était à Lyon : j’avais rencontré à Paris le P. Ambroise (Fontrier) et celui qui devait devenir l’actuel évêque VCO Philarète, et succéder à l’évêque Photios, lors de son départ. Cette entrée chez les VCO compliqua encore ce que j’appelle mon « parcours du combattant » : l’évêque Photios exigea que je fusse baptisé - puisque les VCO ne reconnaissent aucune validité au baptême latin qui m’avait été conféré à ma naissance. Ce n’était pas une mince affaire ; je persistais à croire qu’il ne pouvait y avoir qu’un seul Baptême, et il me fallut un grand effort d’humilité pour me soumettre à l’exigence de mon nouvel évêque. Je fus donc baptisé par le rite de la triple immersion – si émouvant, surtout à l’âge adulte.
De graves problèmes personnels m’amenèrent enfin à rejoindre Nice – et cette fois je demandai mon rattachement provisoire à la paroisse de la cathédrale russe Saint-Nicolas. L’évêque « russe » était à l’époque un Anglais, Paul (Alderson), qui ne m’accepta qu’à la condition que je serais d’abord re chrismé « puisque j’étais passé à l’hérésie » depuis ma première chrismation. Là encore, je me soumis avec un certain effort, car je continue à considérer qu’en fait d’hérésie, l’actuel œcuménisme au nom menteur en est une, et de taille – alors que l’intransigeance (un peu forcée, c’est vrai) des VCO ne me semble guère mériter que le nom de schisme « intra-orthodoxe », si je puis dire. Mais l’évêque avait parlé et je m’inclinai ; ma seconde chrismation fut effectuée en son nom par un ami de longue date, le si fidèle et dévoué hiéromoine (aujourd’hui archimandrite) Nicodème.
J’en suis resté là. Mais si je me suis permis de raconter tout ce qui précède, c’est en écho à l’autre intervention que Jean-Louis (Palierne) a faite sur notre Forum le même jour que celle d’Antoine :
* * * * * *<< … / … on emploie aujourd’hui couramment le mot “hérésie” pour désigner toute doctrine s’écartant de la stricte orthodoxie. Mais les Pères, avant toute chose, pour classer les groupes hétérodoxes, s’intéressaient d'abord à la formule et au rituel utilisés pour conférer le Baptême. Tout groupe qui baptise en vue du salut et pour effacer le péché de nos ancêtres en disant “au nom du Père, et du Fils, et du saint Esprit”, ne peut pas être classé comme hérétique, mais doit être considéré comme schismatique.
<< La preuve en est que les fidèles de l’arianisme, que les Pères ont rejeté et combattu avec la plus grande énergie, ne devaient cependant pas être baptisés, mais recevoir la Chrismation. Ce n’était pas une reconnaissance du Baptême, que les ariens ne pouvaient donner, puisqu’ils étaient hors de l’Église, c’était pour ajouter à ce Baptême vide la Grâce que seule l’Église peut donner à un Baptême, car on ne doit pas réitérer le Baptême.
<< Lorsqu’il s’agit des catholiques, qui depuis longtemps se sont écartés de l’Église … / … on ne peut pas non plus réitérer leur Baptême, qui est toujours donné dans la forme correcte, puisqu’on a vite oublié et corrigé les fantaisies des jeunes prêtres de l’après-Vatican II qui baptisaient “au nom de la Puissance, de l’Amour et de la Sagesse”. La difficulté vient de ce qu’il s’agit d’une hérésie qui a longtemps conservé les attributs apparents d’une véritable Église, qui paraît justifier son existence et la rationaliser par une théologie scolastique des “sacrements” et de la “succession apostolique”, qui n’a gagné que lentement et pas à pas les pays d’Europe occidentale (par exemple l’Église gallicane), qui se bâtit une auréole de sainteté par l’action charitable et sociale, sans oublier le Sacré Cœur et l’Immaculée Conception, etc.
Pour ma part, je crois que cette construction apparemment imposante n’est qu’une tour de carton-pâte, près de s’écrouler, et qu’une profonde crise spirituelle taraude nos contemporains… >>
Pour en finir avec ces souvenirs un peu trop personnels, c’est bien en effet une sorte de « parcours du combattant » que doit accomplir un chrétien occidental lorsque le Saint Esprit le pousse avec insistance à revenir à la Foi droite, qui a été jadis celle de nos plus lointains ancêtres. Jean-Louis a raison de le redire, à temps et à contre temps - et qui qu'en grogne. Et il est non moins vrai que nous, les « néo-orthodoxes », posons à nos frères du clergé orthodoxe beaucoup de problèmes auxquels ils n’ont guère été préparés par leurs années d’études - généralement accomplies au sein de leur propre peuple, plus ou moins profondément orthodoxe, par ailleurs - et dans des pays très éloignés, en tout cas de culture assez peu concernée par nos crises spirituelles occidentales, qui ne leur sont pas familières.
Je suis bien obligé de le reconnaître : il faut avoir la Foi chevillée au corps (et surtout une solide assistance du Saint Esprit) pour résister à une telle avalanche : de deux Baptêmes (!)forcément contradictoires, quoiqu'ils aient tous deux été accomplis "en la mort et la résurrection" du (même) Christ ... et en plus, entrecoupés par deux chrismations!
Et encore, j’ai eu la chance inouïe de ne pas passer par l’ECOF, même si je l'ai frôlée de près ! ! ! En tout cas, j’aimerais savoir si d’autres que moi ont eu, eux aussi, à vivre de leur côté des parcours aussi tourmentés …