Dans le Tour Abdin, la persécution continue...

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Claude le Liseur
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Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Dans le Tour Abdin, la persécution continue...

Message par Claude le Liseur »


Après trois années de procédure judiciaire, la Cour de cassation de Turquie vient de donner tort au monastère syrien-orthodoxe de Mar Gabriel en l’accusant d’occuper abusivement 24,4 ha de terres.

L’affaire débute en 2008 lorsque trois villages musulmans voisins du monastère de Mar Gabriel, fondé en 397 dans la région du Tur Abdin, cœur spirituel du peuple syriaque, accusent les moines d’occuper leurs terres et d’avoir construit illégalement un mur autour des terrains. Ils s’en remettent au Trésor public, qui ouvre un procès.

Durant trois ans et demi de procédure judiciaire, un tribunal local donne raison par deux fois aux moines de Mar Gabriel, qui tentent de prouver qu’ils sont propriétaires des terres. Ils présentent le décret du sultan Abdülmecid qui, en 1851, signe la fondation « officielle » du monastère, le relevé des biens de 1936 et les relevés d’imposition existant depuis 1937 (document qui a mystérieusement disparu durant la procédure).

En vain. Le 15 juin, la Cour de cassation a statué à l’unanimité en faveur du Trésor public. Elle estime que le monastère de Mar Gabriel « occupe » illégalement ces 24,4 hectares dont une partie a été obtenue par voie de donation - ce qui, selon la Cour, est interdit pour une fondation minoritaire. Une autre partie des terres, non exploitée et arborée, reviendrait au ministère des forêts.

« Une manière de dire aux Syriaques : “Déguerpissez” »

La communauté syrienne-orthodoxe de Turquie, qui compte à peine 30'000 membres, est sous le choc. « Je ne m’attendais pas à une telle décision », avoue le président de la Fondation de Mar Gabriel, Kuryakos Ergün. « Cette décision antidémocratique vise les biens du monastère. Il n’y a pas d’autres injustices de ce type dans toute l’histoire de la République. Le Trésor public est une instance de l’État. Celui-ci aurait pu mettre un terme à la procédure. »

Le commentateur et avocat Orhan Kemal Cengiz va plus loin et estime que les villageois ont été « manipulés ». Cette décision a créé un choc auprès d’autres communautés chrétiennes du pays, confrontées aux mêmes difficultés, la politique étatique menée à leur encontre se basant depuis longtemps sur des expropriations. « Tout cela n’est-il pas de l’hypocrisie de la part d’un parti (l’AKP, au pouvoir depuis 2002, NDLR) qui affirme vouloir résoudre les problèmes des minorités et qui souligne l’idéal de vivre en citoyens égaux ? » lance le journal arménien Agos .

L’affaire fait grand bruit en Europe, notamment en Suède où vivent plus de 80 000 Syriaques ayant fui la Turquie depuis les années 1950. Dans une déclaration publiée début juillet, intitulée Touche pas à Mar Gabriel, les auteurs estiment que ce n’est « qu’une manière de dire aux Syriaques : “Déguerpissez” ».

Les Syriaques confrontés à la bureaucratie turque

Refusant de se laisser faire, les moines de Mar Gabriel porteront l’affaire, dès le mois de septembre, devant la Cour européenne des droits de l’homme, leur dernier recours.

Dans la région rocailleuse du Tur Abdin (« la Montagne des serviteurs de Dieu »), cette décision pourrait ralentir le timide retour observé ces dernières années de chrétiens installés en Europe, essentiellement en Suisse, Allemagne et Suède. « C’est évidemment un coup dur pour eux, le moral n’est pas bon », constate Kuryakos Ergün. « Ils se demandent ce qu’ils peuvent faire dans ce pays. »

Ces derniers sont confrontés à la bureaucratie turque et se retrouvent souvent acculés à réclamer, en vain, des biens qui leur appartenaient, confisqués par le Trésor public ou le ministère des forêts. Au-delà d’un nécessaire changement des mentalités vis-à-vis de Syriaques encore perçus par certains comme des « traîtres », seule une refonte de la loi des fondations non musulmanes pourrait résoudre ces problèmes récurrents d’expropriation. Celle-ci a certes été modifiée dans le cadre de la procédure d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, facilitant la récupération de certains biens. Visiblement, elle ne suffit pas.

Source: La Croix du 12 juillet 2012, article de Delphine Nerbollier
Cela fait partie d'un tour de vis généralisé, où, après avoir donné des espérances aux dernières communautés chrétiennes de Turquie (pratiquement arrivées au seuil d'extinction: 50'000 Arméniens, 30'000 Jacobites, moins de 10'000 orthodoxes - sans doute plus nombreux, à l'heure actuelle, dans la province du Hatay qu'à Istamboul, et ceci en comptant large et en ajoutant aux communautés autochtones les étrangers de passage -), le gouvernement de l'AKP revient sur ses promesses de libéralisation.
Il y a aussi un tour de vis contre les Alévis. Paradoxalement, alors que l'AKP semble oublier ses promesses du passé, l'actuel leader du CHP (Cumhuriyet Halk Partisi - parti républicain du peuple) kémaliste - parti qui, par définition, incarnait la répression de toute minorité ethnique ou religieuse -, Kemal Kılıçdaroğlu, est un Alévi d'origine kurde. Le monde à l'envers!
Pour le reste, il est tout de même extraordinaire que la République turque fondée en 1923 puisse reprocher à un monastère fondé en 397 d'occuper illégalement des terres...
Maksim
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Inscription : sam. 12 févr. 2005 12:43

Re: Dans le Tour Abdin, la persécution continue...

Message par Maksim »

Je partage entièrement vos commentaires, Claude.
La Cour de Cassation n'a jamais été tendre, ni même juste, avec les minorités, au point d'assimiler leurs fondations à des fondations "étrangères" avant même que le coup d'état de 80 n'invente le terme d'"autochtones étrangers" et l'AKP semble jouer un double jeu... mais quoi exactement ?
Avec espérance et humilité...
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