Il me semble que je dois apporter à cette recension des compléments qui montrent à quel point le travail du professeur Schramm est important.Claude le Liseur a écrit :NOTE DE LECTURE
Gottfried Schramm, Anfänge des albanischen Christentums. Die frühe Bekehrung der Bessen und ihre langen Folgen, 2e édition, Rombach, Verlag, Fribourg en Breisgau, 1999, 284 pages.
L’auteur, né en 1929, est un spécialiste de la linguistique et de l’histoire de l’Europe centrale et de la Russie. Il enseigne à l’université de Fribourg en Breisgau depuis 1965.
Ce livre, dont la première édition remonte à 1994, représente une contribution de première importance dans deux domaines : l’histoire des Balkans et l’histoire du christianisme.
L’auteur s’élève contre la thèse officielle qui fait des Albanais les descendants des Illyriens. En effet, toutes sortes d’arguments linguistiques s’opposent à ce que les Albanais aient toujours été présents dans le territoire qu’ils occupent. Le professeur Schramm s’appuie en particulier sur le fait que le vocabulaire albanais de la pêche et de la mer est constitué de mots empruntés aux langues romanes et slaves, alors que les Illyriens, ancêtres supposés des Albanais, étaient un peuple de marins et de pirates. Il est aussi frappant de constater que, alors qu’il y avait une présence grecque massive sur la côte de l’actuelle Albanie dès l’époque des anciens Illyriens, le vocabulaire albanais comporte infiniment plus de mots d’origine latine que de mots issus du grec ancien, et que le dialecte tosque, parlé dans le sud de l’Albanie, ne diffère pas sur ce point du dialecte guègue parlé dans le nord de l’Albanie et au Kosovo. Enfin, le recensement des toponymes d’origine slave montre que les Slaves sont arrivés dans les plaines d’Albanie dès le VIIe siècle, qu’ils ont largement pénétré dans les montagnes du sud de l’Albanie au IXe, mais qu’ils n’ont que faiblement pénétré dans les montagnes du nord, correspondant à l’ancien Arbanon dont il sera longuement question dans la suite du livre.
Si les Albanais ne sont pas les descendants des Illyriens, ils n’en demeurent pas moins un peuple dont la présence dans les Balkans est très ancienne, aussi ancienne que celle des Grecs et des Valaques et bien antérieure à l’arrivée des Slaves. Le professeur Schramm retrouve en effet, preuves linguistiques à l’appui, l’origine des Albanais dans une population thrace qui vivait dans les montagnes du centre des Balkans : les Besses.
Si les livres d’histoire ecclésiastique mentionnent l’évangélisation des Besses, à la fin du IVe siècle, par saint Nicétas, évêque de Remesiana, l’actuelle Bela Palanka, entre Niś et Pirot dans le sud de la Serbie, le professeur Schramm est sans doute le premier à rendre à ce fait toute son importance. Il traque les documents anciens relatifs à l’évangélisation des Besses par saint Nicétas et aboutit à un certain nombre de conclusions :
a) La conversion de ce peuple au christianisme a été massive et totale du vivant même de saint Nicétas ;
b) Saint Nicétas, suivant l’exemple de ce que l’évêque arien Ulfila avait fait pour les Goths, a utilisé le besse non seulement comme langue d’évangélisation, mais aussi comme langue liturgique ;
c) Le besse s’est ainsi trouvé, dès les premiers siècles chrétiens, langue liturgique à part entière, privilège qui n’était alors partagé que par le grec, le latin, le syriaque, le copte, l’arménien et le géorgien, auxquels s’ajouteraient le guèze, le slavon et le zyriane, et aucune autre langue avant la Réforme ;
d) Il y eut des moines et des monastères besses aussi loin qu’en Terre sainte.
L’auteur suppose même que saint Nicétas, là encore à l’exemple d’Ulfila, avait mis au point un alphabet spécifique pour transcrire la langue besse. Schramm croit retrouver la dernière trace de cette écriture dans l’alphabet dit de Todhri, que l’ecclésiastique orthodoxe albanais Théodore (Todhri) Haxhifilipi (vers 1730-1805) était supposé avoir importé de Moschopolis et dont l’autrichien Hahn découvrit l’usage parmi les Albanais d’Elbasan vers 1850 (pp. 88-92, pp. 253 ss.) On est donc loin de l’image traditionnelle des Albanais, supposés avoir été un peuple sans écriture jusqu’au congrès de Monastir en 1908.
Le professeur Schramm souligne dans une captivante digression (pp. 144-154) les bienfaits d’une langue liturgique pour la survie d’un peuple. C’est parce que son usage liturgique avait été maintenu dans l’Église orthodoxe au moins jusqu’au IXe siècle que la langue gotique a pu survivre en Crimée pendant tant de siècles. Les Besses, ancêtres des Albanais, offrent un autre exemple de longue résistance. Alors que les autres peuples « barbares » des Balkans n’ont pu survivre aux mouvement successifs qui les ont tous assimilés – hellénisation, romanisation, invasion des Slaves – les Besses, enracinés dans une foi qui s’exprimait dans leur langue et multipliait les monastères et les ermitages dans leurs montagnes inhospitalières, ont maintenu leur identité linguistique et leur foi chrétienne pendant que le paganisme slave submergeait les Balkans. À ce titre, ils présentent des points communs avec les Roumains, et le professeur Schramm souligne la symbiose qui a existé entre les ancêtres des Albanais et les ancêtres des Valaques.
C’est bien sûr un point crucial, pour l’examen de cette thèse, que de déterminer à quelle date et dans quelles circonstances les ancêtres des Albanais ont quitté le centre des Balkans pour arriver dans leur actuelle patrie. Pour Schramm, c’est à une époque de réaction païenne et de persécution des chrétiens dans l’Empire bulgare, vers l’an 820, que les Besses, alliés de l’Empire byzantin dont ils partageaient la religion, ont été appelés par les Byzantins pour constituer une marche défendant l’enclave que Constantinople contrôlait encore sur la côte autour de Dyrrachion, l’actuelle Durrës. Les partisans de la thèse illyrienne ont donc raison sur un point : si l’Histoire ne garde pas mémoire d’une « invasion » des Albanais dans leur actuelle patrie, c’est que ceux-ci y sont venus de manière pacifique, appelés comme fédérés de l’Empire. Ils s’installèrent dans le territoire de l’Arbanon, dans le nord de l’actuelle république d’Albanie, territoire dont ils devaient prendre le nom, oubliant le vieil ethnonyme de « Besses ». Le centre spirituel et temporel de l’Arbanon se trouvait à Krujë, qui devait être six siècles plus tard la citadelle du légendaire Skanderbeg et qui est encore aujourd’hui la titulature d’un des évêques de l’Église orthodoxe d’Albanie.
La symbiose entre Albanais et Byzantins, qui s’était traduite par le rôle important que les « Arvanites » avaient joué dans la défense de l’Empire, contre les Bulgares dans les Balkans, contre les Arabes et les Normands en Italie du Sud, prit fin avec la prise de Dyrrachion, qui allait devenir Durazzo, par les Croisés en 1203.
Car c’est une histoire tragique que celle que raconte le professeur Schramm. En effet, pas un seul manuscrit ne nous est parvenu pour témoigner de ce que fut l’Église besse. Schramm pense que la tradition besse s’est petit à petit dissoute dans le sein de la tradition grecque, présente à Dyrrachion et dans les autres villes de la côte, et qui jouissait d’un prestige incomparable et d’une situation matérielle supérieure. Mais le professeur Schramm suppose que la conversion forcée au catholicisme des Albanais dans la partie septentrionale du pays, tombée sous la domination de Venise en 1203, a sans doute eu pour conséquence la persécution de l’écriture besse (p. 204). C’est donc dans le sud de l’Albanie, resté entièrement orthodoxe jusqu’à l’islamisation massive et superficielle du XVIIIe siècle, ainsi que dans les colonies albanaises constituées en Italie du Sud et en Sicile à partir du XVe siècle, les fameuses communautés arbëresh, restées fidèles au rit byzantin bien qu’elles aient du progressivement adopter la foi catholique romaine, que Schramm traque les rares vestiges qui montrent que l’albanais a été une langue liturgique dans un passé lointain, bien avant une éclipse totale de trois ou quatre siècles avant la restauration de l’albanais liturgique grâce aux efforts opiniâtres de Mgr Fan (Théophane) Noli (1882-1965), l’évêque des Albanais orthodoxes d’Amérique, qui fut aussi brièvement chef du gouvernement albanais en 1924. On est donc loin du jugement méprisant que portait le prêtre catholique français Raymond Janin en 1955 à propos du travail de traduction des livres liturgiques que menait l’Église orthodoxe d’Albanie : « l’albanais est trop peu évolué pour se prêter facilement au rôle que l’on veut lui faire jouer » (RP Raymond Janin, Les Églises orientales et les rites orientaux, Letouzey & Ané, Paris 1997, p. 260).
Le professeur Schramm souligne aussi à quel point les Albanais ont été éprouvés par le destin à partir de ce qu’il appelle la « catastrophe de 1203 » (p. 265). À la division entre catholiques et orthodoxes provoquée par Venise est venue s’ajouter l’islamisation promue par les Turcs, puis la division des musulmans eux-mêmes entre sunnites et bektachis, l’exode d’une partie du peuple albanais vers l’Italie, puis l’un des régimes communistes les plus violents et qui plus est fanatiquement hostile à toute forme de religion (Schramm souligne l’interdiction par Enver Hoxha, non seulement du culte, mais de toute forme de pratique liée à une religion, « auch für die daheim geübte Frommigkeit », p. 198). Et pourtant, malgré toutes ces épreuves, le peuple albanais a conservé son unité, qui se retrouve à travers le droit coutumier commun à tout l’espace albanais, le Kanun de Lek Dukagjini du nord de l’Albanie ayant pratiquement le même contenu que le Kanun de Papazhuli du sud, son originalité et sa langue. Il est le seul peuple des Balkans que les divisions religieuses n’ont pas fait éclater. Pour Schramm, ce miracle s’explique dès lors que l’on comprend qu’à la base de l’identité albanaise, il y a ce demi millénaire englouti, y compris dans la mémoire actuelle des Albanais –, où ce peuple a pu forger son identité dans le cadre de la chrétienté besse fondée par saint Nicétas de Remesiana.
L’Histoire réelle du peuple albanais, telle que le professeur Schramm l’a reconstitué au terme de patientes recherches, ne satisfera sans doute guère les tenants du nationalisme à tous crins et du « protochronisme illyrien ». Elle est pourtant autrement plus glorieuse que le veulent les constructions idéologiques sous lesquelles on l’a ensevelie depuis un siècle. C’est l’histoire d’un peuple thrace, enraciné très tôt dans le christianisme orthodoxe, frère et allié de l’Empire des Romains, et qui a su, pendant huit siècles au moins, persister dans son choix initial, envers et contre tout, et même au prix de l’exil, avant que les invasions vénitiennes, puis turques, ne lui imposent un destin encore plus tragique.
Le livre se termine ensuite par la reproduction, la traduction en allemand et le commentaire des sources latines et grecques relatives à la chrétienté besse et à la fondation de l’Arbanon (pp. 207-249), par la reproduction de trois alphabets étroitement apparentés – l’alphabet copte, l’alphabet gotique et l’écriture de Todhri (pp. 250-254), ainsi que par des cartes très utiles (pp. 255-265).
En relisant cet article, je me rends compte que j'ai oublié, dans la liste des langues qui furent utilisées dans la liturgie de l'Eglise orthodoxe au cours de ses quatorze premiers siècles, l'albanais du Caucase. Mon oubli est d'autant plus dommageable que le professeur Schramm évoque les Albaniens du Caucase à trois reprises dans son livre.
Page 83:
Page 107:Wenn Maschtotz auch für die georgischen und aluanischen Nachbarvölker der Armenier "radikale Neuschriften" anregte, statt, soweit nötig, das armenische Alphabet für sie abzuwandeln, dann verrät das eine bewundernswerte Feinfühligkeit (...)
Et, enfin, un passage plus complet, page 147, sur lequel je reviendrai plus en détail.Hätte hier wirklich ein Volk das andere nach sich gezogen, dann fände das seine Parallele darin, daß die Entstehung der ersten christlichen Texte auf Armenisch, die Ende des 4. Jh. erfolgt sein wird, sogleich den Anstoß zur Schaffung zweier weiterer christlicher Literatursprachen, des Georgischen und Aluanischen, gab.
L'albanais - ou albanien- du Caucase n'a, sur le plan linguistique, rien à voir avec l'albanais des Balkans qui nous occupe dans cette recension du livre de Schramm (d'autant plus que le premier nom de l'Albanie fut Arvanon, avec un -r et non un -l, nom conservé dans celui des Albanais uniates d'Italie du Sud, les Arbëresh). Encore que l'on puisse se demander pourquoi il y avait une Albanie du Caucase et une Albanie des Balkans, et pourquoi il y avait une Ibérie du Caucase (la Géorgie - d'où le monastère d'Iviron au Mont-Athos) et une Ibérie d'Occident - dans ce dernier cas, il faut peut-être y voir une des sources de l'idée encore répandue dans certains milieux de la parenté du basque et du géorgien.
Pourtant, l'histoire de l'Albanie du Caucase offre un appui fort intéressant à la thèse de Schramm. Nous y viendrons après un bref rappel de ce que fut la vie ecclésiastique des Albaniens.
Ce royaume d'Aghbanie ou Albanie du Caucase (grec Ἀλβανία - Alvania, arménien Աղվանք - Akhvanq - l'historienne arménienne Nina Garsoïan, dans son monumental ouvrage L'Eglise arménienne et le grand schisme d'Orient, Peeters, Louvain 1999, transcrit ce nom d'après l'arménien en Ałuank ) s'étendait sur le territoire de l'actuel Azerbaïdjan et sur le sud de l'actuel Daghestan. Les Azéris d'aujourd'hui, peuple turcophone, ne sont pas les descendants directs des anciens Albanais du Caucase, qui parlaient une langue caucasique. Comme il y eut un temps - avant sa séparation d'avec l'Orthodoxie - où l'Eglise arménienne fut missionnaire, il convient de signaler que les Albanais du Caucase furent évangélisés par les Arméniens, leur roi Ournaïr ayant été baptisé par saint Grégoire l'Illuminateur, probablement vers 313. De même, c'est un moine arménien, saint Mesrop Machtots, qui créa à la fois l'alphabet arménien, l'alphabet géorgien et l'alphabet albanien. La mémoire de ce grand missionnaire, à l'origine de deux prestigieuses cultures écrites - l'arménienne et la géorgienne - est pieusement conservée au sein de l'Eglise apostolique arménienne, où il est célébré parmi les "saints Traducteurs"; il est dommage qu'il soit si peu connu parmi les orthodoxes, bien qu'il figure dans notre calendrier.
L'Eglise d'Ałuank - comme la chrétienté besse fondée par saint Nicétas de Remesiana - eut ses propres monastères en Terre Sainte et l'usage liturgique de sa propre langue, bien que dépendant de l'Eglise d'Arménie jusqu'en 590.
La fin du VIe siècle de l'ère chrétienne vit en effet "l'éclatement de l'union transcaucasienne", pour reprendre le titre du chapitre V (pp. 283-353) de l'ouvrage cité de Nina Garsoïan: les Eglises d'Ałuank et de Géorgie restèrent orthodoxes, l'Eglise d'Aménie rejeta le concile de Chalcédoine et le rejette encore à ce jour, malgré diverses tentatives de réconciliation. Le livre de Madame Garsoïan nous indique que c'est en 607 que le nouveau catholicos des Arméniens Abraham Ier imposa à tous ceux qui voulaient être réintégrés dans sa juridiction d'anathémiser le concile de Chalcédoine et le Tome de Léon (p. 362), et qu'à cette époque l'Ałuank rejetait le monophysisme soutenu par le chah de Perse Chosroès II et, par conséquent, la juridiction du catholicos arménien, ainsi que le proclame une encyclique du catholicos Abraham Ier, datée de 608, anathématisant les Géorgiens et les Albaniens (p. 373):
La suite de l'histoire des Albaniens du Caucase paraît fort obscure. L'Ałuank fut submergée par les invasions successives des Perses, des Arabes, des Turcs et des Mongols; le plus grand nombre des Albaniens fut turquifié et islamisé; d'autres rejetèrent le concile de Chalcédoine, passèrent dans la juridiction de l'Eglise d'Arménie et s'arménisèrent totalement; un troisième groupe conserva la foi chalcédonienne, passa dans la juridiction de l'Eglise de Géorgie et s'assimila totalement au peuple géorgien. Les choses sont ainsi résumées par des savants allemands:"Le même décret demeure inchangé en ce qui regarde les Ałuank afin qu'ils reviennent respectueusement du mauvais chemin."
"Du 8e au 13e siècle se déroula un processus d'islamisation que le rattachement de l'Albanie à la Géorgie aux 11e et 12e siècles ne parvint pas à enrayer, d'autant plus que les Perses et les Turcs prirent bientôt le relais des Géorgiens. Le changement de religion accéléra le processus de perte d'identité nationale et favorisa la recomposition ethnique. Les Albaniens demeurés chrétiens se fondirent parmi les Arméniens et les Géorgiens tandis que la partie islamisée de la population fut absorbée par les tribus turques qui progressaient vers le Nord au départ de la province perse d'Azerbaïdjan et finirent par donner à leur nouveau territoire le nom de leur ancienne zone d'établissement." (Gertrud Pätsch, artcile "Albaniens", in Julius Assfalg et Paul Krüger e.a., traduits de l'allemand en français par le Centre informatique et Bible de l'abbaye de Maredsous, Dictionnaire de l'Orient chrétien, Brepols, Turnhout 1991, p. 5.)
En ce qui concerne l'Eglise d'Albanie du Caucase en tant qu'organisme administratif, elle renonça à son autocéphalie vers 705 et devint une dépendance de l'Eglise arménienne. Il y eut au sein de l'Eglise arménienne un catholicossat d'Ałuank, suffragant du catholicossat suprême de la sainte Etchmiadzine, et dont le siège fut transféré vers 1400 au monastère de Gandzasar, dans l'actuel Haut-Karabakh, assez loin des sièges historiques du catholicossat des Albaniens, qui avaient été Chola (peut-être l'actuelle Derbent, dans la république du Daghestan de la Fédération de Russie) puis Partaw (aujourd'hui Barta en république d'Azerbaïdjan). Ce catholicossat arménien d'Ałuank se trouva, aux temps modernes, dans la même situation que le catholicossat d'Aghtamar, sur une île du lac de Van (fondé en 1113): il s'agissait d'un catholicossat honorifique, sans la vitalité des sièges d'Etchmiadzine, de Sis ou d'Istamboul. On sait que le catholicossat d'Aghtamar fut emporté lors de la première vague d'extermination des Arméniens ordonnée par le gouvernement turc en 1894 - le RP Janin indique pudiquement que "vacant depuis 1895, le catholicat d'Aghtamar était administré provisoirement par un évêque. Il a disparu lors de la première guerre mondiale" (RP Raymond Janin, Eglises orientales et rites orientaux, Letouzey & Ané, Paris 1997, reproduction anastatique de l'édition de Paris 1955, p. 354). L'antique catholicat d'Albanie du Caucase, quant à lui, avait été aboli par le gouvernement russe en 1836; le monastère de Gandzasar n'est plus aujourd'hui que le siège d'un simple évêché arménien grégorien.
Je doute fort que l'actuel Azerbaïdjan, turcophone, musulman, et où l'on tenta en 1990, lors des pogroms de Soumgaït et de Bakou et lors de l'invasion du Haut-Karabakh, de répéter les horreurs anti-arméniennes du génocide mené par l'Etat turc en 1915, se reconnaisse dans cet antique royaume chrétien, caucasophone et arménophile de l'Ałuank - si ce n'est peut-être pour revendiquer, au nom d'une pseudo-continuité historique, des territoires peuplés d'Arméniens. Toujours cet effacement total du passé préislamique qu'Anne-Geneviève, sur le présent forum, avait relevé à propos du Maghreb (ici: viewtopic.php?f=1&t=2054&p=13336 , message du 8 octobre 2006 à 16h18).
Mais il reste un point intéressant à discuter à propos de ces fameux Albanais du Caucase - un point qui nous montrera, par analogie, toute la valeur du travail du professeur Schramm. Comme je l'ai écrit quelques lignes plus haut, ces Albaniens avaient une langue écrite, utilisée dans la liturgie, et qui leur était propre. Suite aux invasions des Arabes, des Turcs et des Mongols, tous les textes écrits dans cette langue passaient pour avoir disparu et il était même tentant de rejeter d'un revers de main les mentions de la langue albanienne comme relevant du mythe - un peu comme certains veulent aujourd'hui, un peu facilement, écarter les travaux du professeur Schramm et les mentions de la chrétienté besse. Citons de nouveau la savante compatriote du professeur Schramm:
"Il ne nous est rien parvenu de la littérature albanienne. En 1937, le linguiste Abuladze découvrit un manuscrit du 15e siècle qui avait originellement appartenu à la bibliothèque d'Etchmiadzine. Il contenait une série d'alphabets avec leur transcription arménienne suivie d'une transcription albanienne. Le phonétisme de cete dernière indique l'appartenance de l'albanien au groupe linguistique ibéro-caucasien. Les fouilles effectuées dans le village azerbaïdjanais de Mingetchaur ont mis au jour des inscriptions albaniennes du 6e siècle qui n'ont cependant pas pu être déchiffrées, le tracé de leur lettres s'éloignant par trop de celui de l'alphabet susmentionné." (Gertrud Pätsch, loc. cit., p. 6).
Voilà qui devient intéressant, dans la perspective d'une comparaison avec le travail fait par Schramm sur les Besses / Albanais des Balkans. Mais nous verrons qu'il y a encore plus intéressant.
(à suivre...)