Par un seul homme le péché est entré dans le monde

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Silouane
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Par un seul homme le péché est entré dans le monde

Message par Silouane »

Jean-Louis Palierne a écrit :Mais il ne faut pas oublier que les êtres vivants sont comme nous soumis au règne de la mort (...) et que la mort n'est apparue dans le monde que par suite de la faute d'uy seul homme.
Merci Jean-Louis de nous le rappeler, c'est bien vrai! Toute cette nature est si belle et si passagère en même temps qu'on ne peut pas ne pas penser à la vie éternelle... Et, comment doit-on comprendre le "par un seul homme"?
Antoine a écrit :Un épisode de la vie de St Grégoire de Narek, de l'Eglise arménienne (donc d'une Eglise non chalcédonienne). Bien qu'il ne soit pas fêté dans notre synaxaire je lui laisse le titre de Saint.

Les évêques et les princes envoyèrent une délégation d’hommes sûrs auprès de Grégoire afin qu’ils l’amènent à leur tribunal pour être interrogé sur sa foi.
Les délégués arrivés à Narek, Grégoire comprit immédiatement leurs intentions.
Il leur dit : « Mettons-nous d’abord à table, avant de prendre la route. »
Il fait rôtir deux pigeons et les place devant ses hôtes.
Or c’était un vendredi. Ceux-ci, scandalisés, furent plus convaincus que jamais que ce qu’on rapportait de Grégoire était vrai.
Ils lui dirent donc : « Maître n’est-ce pas vendredi aujourd’hui ? »
Le Saint, comme s’il l’ignorait, leur répond : « Excusez-moi, mes frères. »
Et se tournant vers les pigeons : « Levez-vous, dit-il, retournez à votre volière, car aujourd’hui c’est jour d’abstinence. »
Et les oiseaux, retrouvant vie et plumes, s’envolèrent.
A ce spectacle, les envoyés tombèrent aux pieds du saint pour lui demander pardon.
Et ils s’en furent raconter le prodige à ceux qui les avaient délégués.
Antoine, mais vous êtes en forme ces jours!! Je n'arrête plus de rigoler...! Bravo pour les pigeons, ah ce saint Grégoire quel homme!! Et quel Dieu, ce Jésus Christ! On ne pourra plus dire qu'il n'a jamais ri! A moins que cela tienne à son monophysitisme?? (hihi)

Merci à tous les saints qui rient :-)
Dernière modification par Silouane le mer. 01 nov. 2006 23:14, modifié 3 fois.
Silouane
Silouane
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Message par Silouane »

PS. Pour le "par un seul homme" je comprends qu'il s'agit d'Adam, et que la citation est de S. Paul. Mais qui est Adam? Il me semble qu'on dit parfois que c'est l'humanité entière. Du moins c'est l'impression que j'ai en lisant S. Silouane et l'Archimandrite Sophrony (de ce dernier, p.ex. "De Vie et d'Esprit", où il parle de "l'Adam total" et de l'humanité comme d'un grand arbre aux milliards de feuilles). Tiens, nous revoilà à l'image de la feuille!
(Voir à ce propos le fil "La fête de la Protection de l'Environnement naturel", message de harald du 27 octobre 2006 à 0h00)

Merci à celui qui pourrait éventuellement en dire un peu plus, voire le placer dans le contexte de la Tradition des Pères? Merci d'avance!

Harald
Dernière modification par Silouane le mar. 31 oct. 2006 18:32, modifié 1 fois.
Silouane
Antoine
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Message par Antoine »

Il est difficile de penser que le péché d'Adam ait introduit la mort biologique dans le monde alors que la science nous montre tant d'espèces animales disparues avant même l'apparition de l'homme sur terre. On ne peut pas récupérer la science pour du concordisme Genèse big-bang et lui dénier ensuite le droit à la vérité pour des évidences plus criantes.
Alors que veut dire St Paul dans l'épitre aux Romains 5,12 (avec la controverse sur "epho" et le détournement de sens fait par Augustin dont il a déjà été question sur le forum) et s'agit-il vraiment de la mort biologique? Ou bien s'agit-il de la mort en tant que conscience de la mort et séparation de Dieu?
Au verset 5,14 Paul précise:
Cependant la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'avaient pas péché par une transgression semblable à celle d'Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir.
Dernière modification par Antoine le mar. 31 oct. 2006 22:14, modifié 1 fois.
Silouane
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Message par Silouane »

Ou bien s'agit-il de la mort en tant que conscience de la mort et séparation de Dieu?
Antoine, votre proposition sur la signification de la "mort" dont parle S. Paul m'interpelle fortement. Surtout en supposant, si je vous comprends bien, le premier péché commis par un seul homme (une seule personne), historiquement, sur cette planète terre, et dont les conséquences (la conscience de la mort et de la séparation d'avec Dieu) auraient été transmises à tout autre homme, et de façon involontaire (puisque selon Rm 5,14 il y en avait qui n'avaient pas péché de la façon d'Adam et pourtant la mort régnait sur eux aussi). J'étais habitué à une explication beaucoup moins réaliste, c'est-à-dire que le paradis aurait existé avant la création de la terre dans sa forme actuelle, et que le premier homme (peut-être l'humanité entière avant son "éclatement"), possédant un/des corps différent que le notre actuellement, aurait chuté là, et la perte du paradis ce serait justement la "descente" en ce monde-ci, qui ainsi vit apparaître l'homme. Bizarre, cela n'est sans doute pas orthodoxe du tout! Je ne sais même plus où j'ai pu lire de choses pareilles. Votre explication me paraît beaucoup plus valable. Mais je vais lire chez S. Paul et sur le forum ce qu'il en est dit.

Quant à la légende de S. Grégoire de Narek tiré du synaxaire arménien, ce n'était pas pour m'en moquer, mais tout en étant très belle, cette histoire me semble très amusante aussi (un peu enfantin de ma part, mais je m'imaginais déjà les pigeons tout rôtis qui s'envolent hors du plat!).
Dernière modification par Silouane le mer. 01 nov. 2006 23:21, modifié 1 fois.
Silouane
Antoine
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Message par Antoine »

Mais je vais lire chez S. Paul et sur le forum ce qu'il en est dit.
Pour vous faciliter la tâche , et tenant compte du fait que , comme le dit Anne Geneviève qui pour cela devrait recevoir le grand prix de la meilleure citation biblique "Le facteur temps passe à bicyclette dans le ciel (merci, F’murr)" voici quelques fils dans lesquels vous trouverez certains échanges à "relire":

Eschatologie, discours de fin des temps...
9 juin 2006
viewtopic.php?t=1916&start=0&postdays=0 ... highlight=

Immaculée conception
11juin 2006
viewtopic.php?t=980

Acheter et vendre : la Bête est-elle déjà parmi nous ?
8 fev 2006
viewtopic.php?t=1649

Eschatologie
5 janv 2006
viewtopic.php?t=1647

Nature humaine
5 sept 2005
viewtopic.php?t=867

(la date indiquée permet un repérage plus facile de l'emplacement de la rubrique dans la table des matières du forum)
Dernière modification par Antoine le mar. 13 nov. 2007 8:25, modifié 8 fois.
Silouane
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Message par Silouane »

Merci cher Antoine, je me lance donc à la poursuite du facteur temps en empruntant les raccourcis indiqués!!
Silouane
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Comment, j'avais cité F'murr ? Cela ne m'étonne pas mais je l'avais totalement oublié ! Sur quel fil ?
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Antoine
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Message par Antoine »

[quote"Geneviève"]Sur quel fil ?[/quote]Fil: "Droit de réponse de Noël sous couvert de Vincent"
Dim 22 Jan 2006 17:16 Sujet du message: Un oeuf, c'est creux -- mais deux, c'est mieux.
viewtopic.php?p=10507&highlight=bicyclette#10507
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Merci de m'avoir rappelé ce morceau de bravoure. J'ai même ri à me relire... Mais sur Adam, pour redevenir sérieuse, je vais me permettre un copier/coller, pour une fois, à partir de mon blog :

Poussière d’étoiles (2)

Qu’est-ce que l’homme ?
Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui ? interroge le psalmiste qui répond aussitôt : Tu l’as fait de peu inférieur à Dieu, tu l’as couronné de gloire et de splendeur, tu l’as établi sur l’œuvre de tes mains, tu as tout mis sous ses pieds, les troupeaux de brebis et de bœufs et même les bêtes des forêts, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui parcourt les sentiers de la mer. Et cette vision d’une royauté originelle, eschatologique ou encore sensible en filigrane du présent lui arrache un cri de louange : O Seigneur notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre !
Je conçois que ce psaume fasse grincer les dents d’écologistes officiellement républicains, ceux en tout cas qui haïssent toute idée d’autorité parmi les hommes et, pire encore, toute idée de valeur de l’homme face au monde animal – les mêmes qui défendront bec et ongles la théorie néo-darwinienne de l’évolution mais eux non plus n’en sont pas à une contradiction près. Tout plutôt que l’émerveillement.
Il faudra qu’un jour on m’explique avec de vrais arguments pourquoi certains athées et agnostiques étiquetés à gauche, qui devraient laisser tomber les vieilles notions de faute originelle héritées de l’augustinisme, en rajoutent dans la repentance tout azimut jusqu’à, pour les plus acharnés, considérer comme une culpabilité virtuelle l’émergence même de l’homo sapiens sapiens. Ah qu’il eut été plus écologique de rester d’arboricoles cousins des bonobos ! Ce cerveau… ! Ce néo-cortex… ! Et qui pense, mon bon monsieur, qui pense ! Ah cachez ce Q.I. que je ne saurais voir !
Pour l’instant, les seuls arguments qu’on a opposés à mes sarcasmes , peut-être pour justifier le mépris du cerveau, de la pensée, de la conscience de soi et de toute cette sorte de choses tiennent du borborygme accompagné de mouvements d’épaules.
Mais revenons à ce psaume 8 et au psaume 144 qui semble le contredire : Qu’est-ce que l’homme pour que tu te souviennes de lui et le fils de l’homme pour que tu le visites ? L’homme est semblable à un souffle, ses jours sont comme une ombre qui passe.
Royauté ou brise éphémère ? Le Siracide penche aussi pour la seconde : Qu’est-ce que l’homme ? A quoi sert-il ? Que signifie le bien et le mal qu’il fait ? Le nombre de ses jours est grand s’il atteint cent ans. Une goutte d’eau de la mer, un grain de sable, telles sont ces quelques années face à l’éternité. C’est pourquoi le Seigneur est patient à l’égard des hommes et déverse sur eux sa compassion. Il voit et il sait combien leur fin est misérable, c’est pourquoi il multiplie son pardon. L’homme a pitié de son prochain, mais le Seigneur a pitié de toute créature .
Notons simplement le lien entre la faible durée de la vie humaine et le pardon divin. On retrouve ici « le bien et le mal » ou, plus exactement, « le bon et le mauvais », l’arbre dont le fruit cause la chute en Genèse 3. L’expression est un hébraïsme caractérisé, une façon de désigner un ensemble par ses polarités opposées ; ici le monde des jugements de valeur que l’homme s’invente.

Tout est signifiant, dans le récit de la Genèse. En hébreu bien sûr, en grec sans doute, mais même en français à condition de rapporter chaque terme au reste de l’Ecriture Sainte pour en comprendre la symbolique ou, si l’on préfère, la poétique. Un exemple : Gen 2,5 : aucune herbe des champs n’avait encore germé car le seigneur Dieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre. On prend une concordance et l’on cherche. Herbe des champs : Job 5, 25 : Tu découvriras que ta postérité est nombreuse Et tes rejetons comme l’herbe des champs. Psaume 72 (71) : encore mieux, on a toute la thématique puisqu’il est question d’un roi, fils de roi, à qui Dieu confie ses jugements et sa justice, donc une allusion messianique : qu’il descende comme l’averse sur les regains, comme la pluie qui détrempe la terre et plus loin il est question des montagnes qu’on voit de la ville fleurir comme l’herbe des champs. Proverbe 27, 25 : l’herbe enlevée, dans une allusion à l’hiver, à la vieillesse et à la mort. Et il est dit prends soin d’avoir un agneau pour te nourrir, allusion prophétique à l’Eucharistie . Enfin Ezéchiel 16, 7 où Jérusalem est comparée à une jeune fille : je t’ai rendue vigoureuse comme une herbe des champs. Toute la thématique de l’herbe, c’est la multiplication, l’abondance et la vigueur des hommes. Si l’on continue avec la pluie, c’est le don de Dieu, don de vie, de grâce(s), de nourriture, don de la sagesse, révélation doctrinale.
Les Pères de l’Eglise lisent ainsi, éclairant le sens d’un verset par les autres. Par exemple, dans ce même récit de la Genèse, celui où Dieu donne à l’homme et aux bêtes toute herbe des champs pour nourriture. Cela ne veut pas dire que le lion ait un jour été végétarien ! Ni que l’homme soit anthropophage, si l’on prend le symbole de manière univoque. L’herbe, c’est ce qui pousse quand Dieu a fait pleuvoir, c’est le fruit de la grâce divine. Cela signifie : pour nourriture (charnelle mais surtout spirituelle), je te donne ce que la création va produire sous l’action des énergies divines qui la pénètrent.
Nous qui vivons sur des terres humides ou, pire, en ville, nous n’avons pas toujours conscience du lien étroit entre la pluie et la vie et de la force de cette métaphore. Mais si vous passez l’été par des pays méditerranéens, si vous avez la chance de voir un orage et le bord des routes le lendemain, vous comprendrez.
Chaque verset apporte son lot de correspondances et de sens. Y compris les noms de l’homme. Dans tout ce passage l’hébreu ha adam (ce rouge) est en général bien traduit par l’homme, nom commun. Il n’y a pas dans le texte, sauf très mauvaise traduction, de monsieur Adam époux de madame Eve. D’ailleurs, lorsque la femme est séparée de l’homme durant son sommeil et qu’au réveil, il la reconnaît comme os de ses os et chair de sa chair, il s’écrie (je garde les termes hébreux) : On l’appellera isha car elle a été tirée de ish. Littéralement : elle, car elle a été tirée de lui. Jeu de mots éminemment intraduisible ; on s’en sort avec l’assonance femme/homme. Mais qu’y a-t-il de moins singulier ou personnalisé ? Toutes les femmes sont elle ; tous les hommes sont lui. Cela désigne un rapport, la complémentarité et le risque d’enfermement du couple dans le regard réciproque. Il devient lui, il a conscience de sa virilité en la nommant elle. Après la chute, les noms changent. Ish redevient adam et isha passe du statut de jumelle/clone/épouse/amante à celui de mère, eve, la vivante. Très mystérieux. Le couple ayant acquis la connaissance du bon et du mauvais, la conscience de la nudité de chaque personne, se disloque, perd cette sorte de gémellité fusionnelle mais retrouve un rapport au monde qu’il semblait avoir perdu depuis que l’homme avait nommé les animaux sans y trouver d’aide.
Alors péché – hamartia – de l’homme et de la femme, certes, sans doute, bien que le terme n’apparaisse qu’à l’épisode suivant, lors du dialogue entre Caïn et Dieu. Tous les Pères l’ont dit, à commencer par l’apôtre Paul, encore qu’ils préfèrent le plus souvent le mot chute. Les conséquences sont dures. La perspective de la mort. Loin d’Eden. La terre à travailler, l’enfantement… (...)
Mais c’est quoi, ce péché qui entraîne la mort et donc l’infime durée de la vie ? Tourner son écoute vers le serpent, présenté comme rusé. La ruse, la finasserie sur les mots au lieu de la clarté du cœur. Désirer l’interdit. Hum ! Encore un ressort important de notre psychologie ! Manger (le fruit de l’arbre de) la connaissance du bon et du mauvais . Se nourrir de systèmes de valeurs au lieu de l’amour de Dieu. Et selon l’exégèse qui en fait un figuier, se nourrir de systèmes de valeurs tirés de la parole de Dieu – mais d’une parole en quelque sorte externalisée, figée comme un texte et non plus la périchorèse de la présence trinitaire. Et c’est exactement ce que propose le serpent : décortiquer la parole divine avec une logique toute humaine et chercher d’autres sens que celui ou ceux que rappelle l’Esprit Saint.
Pour avoir tout faux, c’est sûr que l’homme a tout faux dans cette histoire.
Et je n’ai pas tiré le dixième du sens du texte.

Mais avant d’aller plus loin, un autre constat s’impose. Quand le mot péché apparaît-il dans la Bible ? Dans l’histoire d’adam et d’eve ? Perdu. La première occurrence est en Genèse 4, 6, lorsque Dieu s’adresse à Caïn rongé de jalousie vis à vis d’Abel et lui dit attention, le péché est tapi à ta porte, ce que tous les Pères ont compris comme la porte du cœur. Sans faire de la sola scriptura, j’aime bien vérifier ce genre de chose. La première occurrence d’un terme est souvent signifiante. Caïn va laisser entrer le péché et tuer Abel.
Que peut on tirer de ce texte ? Le péché a partie liée avec la mort d’une façon très particulière puisqu’il s’agit d’un meurtre. Toute l’exégèse juive puis patristique va ensuite appliquer ce schéma, de façon rétroactive, à la chute d’Adam et Eve. On peut : avertis par Dieu qu’il mourraient, si…, ils le font. C’est une sorte de meurtre de soi-même, de suicide assisté par le serpent. Mais qui reste une potentialité jusqu’à ce que Caïn le rende réel.
J’intitule souvent Genèse 1 (et les premiers versets de Gen 2, idiotie des numéroteurs) le Poème de la Création. L’ensemble formé par Gen 2, Gen 3 et Gen 4 pourrait s’intituler Parabole sur l’origine de la mort.
En hébreu, c’est une parabole assez énigmatique. On traduit en général : Dieu modela l’homme de la poussière de la terre. Premier problème : en hébreu, c’est ha adam, modelé de adamah. Littéralement « ce rouge modelé de rougeur ». Paradoxe : il est modelé de ce qui dérive de lui. Ensuite la formule avec article (ha) peut indiquer un terme générique et c’est le cas ici. Donc il s’agit de l’homme en tant qu’archétype, modelé à partir de la poussière de l’humanité. La poussière, en hébreu, est un symbole de légèreté, d’immortalité, de spiritualité, c’est ce qui s’élève de la terre quand on marche, pas ce qui se dépose. C’est quoi, la « légèreté » de l’humanité ? Je n’en sais rien mais je remarque que la liturgie parle de l’âme alourdie par le péché. Ou par les passions.
Le récit se développe en quatre étapes : modelage de l’homme archétypal ; distinction des sexes et émergence de la féminité ; intervention du serpent et transgression de l’interdit ; réalisation de la prophétie de mort liée à l’interdit, mais par les fils de l’homme archétype.
Quand l’apôtre Paul dit que nous sommes tous morts en Adam, ce n’est pas une figure de style. Il savait l’hébreu, lui.
D’autre part, si l’on examine l’intervention du serpent, il n’est pas question de désobéissance. Obéir, ob-éir, c’est littéralement écouter vers. Orienter son écoute. Isha obéit… au serpent. Et Ish à Isha. Ce faisant, la faculté d’obéissance en l’homme est déviée de son orientation originaire vers Dieu. Pécher, ce n’est donc pas désobéir, c’est obéir à n’importe qui ou n’importe quoi, et c’est ce que tous les spirituels appellent les passions. C’est exactement ce que fait Caïn. Il a entendu Dieu, mais ensuite il écoute ce qui se tapit à sa porte.
Autre point clef, l’arbre. Il ne s’agit pas de la connaissance tout court. Pas de « vous êtes un bon benêt, mon fils ! » dans cette histoire . Dieu n’interdit pas la connaissance à l’homme. Il s’agit, en hébreu, de la connaissance « du bon et du mauvais ». Cette forme est un hébraïsme typique qui nomme un ensemble par ses deux pôles opposés. Exemple, si je dis en hébreu « la grandeur et la petitesse », tout le monde comprendra qu’il est question de la taille des êtres, pas forcément de comparer les géants et les nains. Ici, bon et mauvais. C’est à dire l’ensemble des jugements de valeur. Qui ont partie liée avec la honte, ce qui se comprend, mais surtout avec la conscience de la nudité, ce qui est plus ardu à déchiffrer. Quand l’homme définit ses propres jugements de valeur, il a conscience, peur et honte de sa nudité devant Dieu. A ne pas raplatir en affaire de pudeur sexuelle comme l’a fait Augustin, c’est beaucoup plus profond.
Il n’y a pas de « transmission » au sens augustinien, de génération en génération parce que cette parabole ne se place pas au début du temps concret mais dans une origine que je qualifierais volontiers d’ontologique, hors du temps cosmique. Ou avant tout homme terrestre, dans un espace spirituel décrit comme un espace concret, ce que Corbin appelait l’imaginal. Ce qui explique que ce drame rejaillisse sur la nature humaine mais aussi sur toute la création car nous en sommes tissés. Comment ? Par une torsion, une déviance de la nature adamique, qui soumet l’homme aux passions et à la mort.

Plusieurs termes hébreux puis grecs sont traduits par peccatum (bronchement), le terme latin devenu en français péché. En hébreu, on trouve : ra, mauvais, déplaisant à Dieu ; rasha, méchanceté ; asham, culpabilité ; chata, transgression dans l’épreuve, ratage de la cible ; avon, iniquité ; shagag, erreur ; taah, errance au loin ; pasha, rébellion.
En grec, le plus fréquent est un terme d’archerie, hamartia, qui signifie le ratage de la cible. Aristote va lui donner un sens figuré quand il en fait la faute ou l’erreur qui amène la chute du héros tragique et ce sens sera repris par les Septante et les Pères pour la tragédie par excellence, celle de l’homme déchu. Cela rejoint la déviation de la capacité d’obéissance. Et comme les Romains n’étaient pas des archers, c’est ce qu’ils ont transposé en bronchement du cheval.
Un autre terme grec : adikia, injustice, iniquité. Dans la Grèce païenne, il s’agit d’une démone à la peau tatouée qui s’oppose à Diké, la Justice qui est aussi la justesse. C’est un terme très fort, qu’il ne faut pas comprendre dans un contexte rétributif. L’injustice non-justesse, c’est ce qui introduit dans l’univers des processus faussés aux conséquences d’incalculable souffrance.
Anomos : ce qui est sans loi, sans règle, sans canon. Comme dirait Julie la Rousse : n’importe quoi de préférence, pourvu que ça fasse du bruit.
Kakos : mauvais, laid.
Poneros : souffrant, en mauvais état, défectueux, d’où méchant, malfaisant. C’est la peine qui accompagne tout effort, le travail, le combat. Comme dirait encore Sidonie la Brune : il n’est pas bien, celui là !
Asebè : refus ou éloignement de Dieu, impiété, sacrilège. Le verbe asebeô qui désigne la faute envers les dieux s’oppose sémantiquement à adikeô, avoir un tort, un manque de justice envers les hommes. Le sebas ou sebè, c’est la crainte respectueuse, la vénération de ce qui est saint, vénérable, digne de respect. L’attitude décrite par l’asebè, assez répandue de nos jours, c’est cet égocentrisme sans profondeur pour qui rien ni personne n’est en soi respectable, le relativisme, la désacralisation ou le laïcisme porté à un point tel que ne restent plus que les envies immédiates. Même les grandes passions en sont exclues : elles déportent la vénération, la sacralisation sur des objets qui ne peuvent combler, elles ne rendent pas l’homme, selon le mot très fort de Marcuse, « unidimensionnel ».
Enochos : tenu, fixé, d’où asservi, assujetti, exposé à une condamnation, accusé.
Parabates : c’est l’homme qui se tient à côté du combattant sur un char, mais aussi le violateur ou le contempteur ; de parabainô, marcher à côté de, s’avancer sur l’avant-scène pour parler aux spectateurs, passer par dessus d’où transgresser, violer (une limite, une loi, un serment), désobéir, omettre, négliger, oublier, laisser passer.
Agnoeô : ignorer, ne pas savoir d’où se tromper, être en faute par ignorance ou inadvertance.
Planaô : s’égarer hors du bon chemin ou s’en détourner, errer, s’écarter du but, manquer l’occasion, s’abuser, être troublé, hésitant comme celui qui, au carrefour, ne sait plus quelle route prendre.
Paraptoma : échec, revers, faute, erreur, de paraptaiô, faire un faux pas, faillir, errer, voire tomber et dégringoler la pente.
Hupocrites : que décalque le français hypocrite. Le terme est employé avec ce sens de tromperie dans la Septante qui détourne de son emploi habituel un mot qui désigne l’interprète de songes ou de visions, le devin, le prophète, mais aussi le comédien ou le rhapsode qui déclame son texte.

Les noms propres commencent aussi, dans ce texte, avec Caïn et Abel, puis Seth qui remplace Abel. Mais Abel signifie Dieu est père et Caïn forgeron. Paul Nothomb dont j’ai suivi les cours d’hébreu nous avait fait remarquer que, si l’on prend les « malédictions » énoncées par Dieu quand il chasse l’homme et eve d’Eden comme une Loi, Caïn la respecte scrupuleusement : il a été conçu « avec le Seigneur », il cultive le sol, il forge, il crée la civilisation, il offre les fruits, cette herbe donnée pour nourriture. Abel s’en moque, il vagabonde avec les troupeaux. Et il offre des prémices des animaux et de leur graisse. Un sacrifice sanglant ? Si c’était un récit historique, Dieu qui regarde favorablement le sacrifice d’Abel et se détourne de celui de Caïn semblerait un tantinet inconséquent. Mais évidemment, il y a d’autres niveaux de sens.
Première remarque. Les noms des deux frères. Caïn, l’aîné selon le texte, est nommé par un métier. Si l’on examine ensuite sa descendance, ce sont tous des êtres qui apportent quelque chose à la civilisation : agriculture, ville, élevage (eh, surprise, ce n’est pas Abel, le père des éleveurs nomades mais Yabal, presque le même nom mais pas tout à fait), musique, métallurgie.
Abel faisait paître des moutons. Dieu est père fait paître des brebis et offre en prémices un agneau. Comme prophétie du Christ, on ne fait pas mieux. Caïn tue Abel et ainsi actualise la mort . Mais c’est aussi, sous forme d’une parabole, l’origine de l’antagonisme entre « le monde » et le projet divin, incarnation, déification. Ce que nous dit cette histoire, c’est qu’un choix funeste a été fait et que la civilisation, fondée sur le meurtre et la vengeance, est devenue antagoniste de l’incarnation divine et de la déification. Un antagonisme qu’il ne faut pas absolutiser car il y a le troisième fils. Les deux premiers sont les enfants d’Eve, conçus dans la maternité. Le troisième, celui qui remplace Abel, est aussi un enfant d’Eve mais Adam l’a engendré. Deux fois dans le texte. Avec la précision que l’on commence alors à invoquer le nom du Seigneur. Donc, face à la civilisation, le sacerdoce.
Vient alors la généalogie. Terminé, Caïn et Abel, il n’est question que de Seth. Que font les descendants ? Ils engendrent un fils aîné, chef de clan donc, puis des enfants, vivent tant d’années et meurent. Pas une œuvre, que des lignages et des êtres humains. Cela dit, ils portent exactement les mêmes noms que les descendants de Caïn. Ce sont les mêmes.
On peut le comprendre comme deux regards sur la suite des générations : un regard utilitaire qui évalue l’œuvre civilisatrice, technique, pour lequel l’essentiel ce sont les choses, les rapports humains n’étant que des rapports de force ; et un regard qui s’attache aux personnes et à la fécondité des hommes, où la richesse n’est pas de l’ordre du faire mais du don de vie, des fils et des filles.
L’apôtre Paul ne s’attarde pas sur le récit, ne s’interroge pas sur son historicité mais présente Adam comme une sorte de pananthropos, l’homme humanité, celui en qui notre nature s’origine et qui nous récapitule. Nous sommes tous morts en Adam. Façon de dire aussi que nous sommes tous Adam, que nous participons non d’une personne mais de la nature humaine déchue. Mais nous sommes aussi tous ressuscités en Christ, nouvel Adam. C’est et ce n’est pas temporel. La langue française est très peu apte à exprimer ces états où le temps et le hors du temps se nouent.
Et puis il y a le philosophe, le dernier de la classe, l’homme qui n’a rien compris, comme d’hab, Augustin toujours et encore, le seul à insister sur l’historicité du récit et qui, en plus, fait l’erreur de relier la chute à la sexualité et au désir, d’où sa conception du péché originel transmis comme une MST. Tout ça parce qu’il a interprété de manière étroite la nudité et le nom d’eve.

Il fallait rappeler ces textes et leur exégèse. Ils interviennent dans un débat plus philosophique que réellement scientifique bien que les arguments de chaque camp s’appuient sur des faits de science. Si l’on n’a qu’une idée vague de leur contenu, on ne peut voir à quel point, de traduction en traduction, le sens s’édulcore jusqu’à permettre une lecture fondamentaliste presque aux antipodes du texte réel.

Fin de mon auto-citation. Mais j'ai eu le sentiment que ça apporterait un peu de grain au débat.
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Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Il me semble qu’il faut admettre que saint Paul enseigne que c’est la faute d’Adam qui a introduit dans le monde un effroyable chaos, et que Dieu lui a infligé une sanction qui allège la catastrophe inéluctable en introduisant cette mort corporelle. Elle fait dans la vie en ce monde déchu (le monde entier est déchu, et pas seulement la faute d’Adam) une épreuve transitoire et éphémère. Cela implique qu’un temps nouveau, un temps qui s’écoule irréversiblement, a été créé a titre prosoire et que nous avons acquis un passé, une genèse cosmique, une évolution biologique. La mort est un cadeau qui nous est fait pour nous éviter à vivre à perpétuité les conséquences de la faute d’Adam. Dans cette vie provisoire qui nous est concédée, nous avons la possibilité de faire la preuve de notre désir de nous conformer à la volonté divine.

C’est évidemment une vision assez étrange pour tous ceux qui attachent une énorme importance à la réussite de leur vie dans le monde — réussite selon des critères d’ailleurs très variables. C’est une opinion très largement répandue aujourd’hui que l’on doit avant tout répondre aux besoins des hommes et que l’Histoire humaine a une signification propre. Je crois que non : tout est entre les mains de Dieu, même l’Histoire et même la Création du cosmos.

Ne concevons pas la mort comme une catastrophe inéluctable. Et au Jour du Royaume nous réintégrerons le monde sous sa forme initiale, c’est-à-dire le Paradis.

L’homme a été laissé à demi-mort, comme dans la parabole du Bon Samaritain, Une certaine liberté d’action est laissée à Satan, et nous devons faire nos preuves.

PS. Bien que la vie et la mort soient peu de choses, je ne voudrais pas mourir idiot. Qui est F’murr ???
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

PS. Bien que la vie et la mort soient peu de choses, je ne voudrais pas mourir idiot. Qui est F’murr ???
F'murr est un créateur de B.D maniant un humour de l'absurde, du loufoque, de l'anachronisme etc...en mettant en scène des moutons par exemple.
Il me semble qu’il faut admettre que saint Paul enseigne que c’est la faute d’Adam qui a introduit dans le monde un effroyable chaos, et que Dieu lui a infligé une sanction qui allège la catastrophe inéluctable en introduisant cette mort corporelle.
Oui et non. Le sujet de ce passage de l'épître aux Romains n'est pas une pseudo antériorité du péché sur la mort dans le monde mais de montrer que la Résurrection du Christ est aussi la notre tout comme la chute fut aussi la nôtre.
Rm5.12 Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort,[…]

Puis ensuite il nous parle de la loi, mais il s’agit de la loi de Moïse.
Rm5.13-14 car, jusqu'à la loi, le péché était dans le monde et, bien que le péché ne puisse être sanctionné quand il n'y a pas de loi, pourtant, d'Adam à Moïse la mort a régné, même sur ceux qui n'avaient pas péché par une transgression identique à celle d'Adam, figure de celui qui devait venir.

Puis il nous dit que la grâce efface tous les péchés et qu’elle a été donnée en surabondance en justification de nombreuses fautes. On retrouve encore cette thématique du «de même que» , «comme» qui met en parallèle la chute dont nous héritons la nature déchue et le sacrifice du Christ dont nous héritons une nature restaurée.

Rm5.15-16 Mais il n'en va pas du don de grâce comme de la faute; car, si par la faute d'un seul la multitude a subi la mort, à plus forte raison la grâce de Dieu, grâce accordée en un seul homme, Jésus Christ, s'est-elle répandue en abondance sur la multitude. Et il n'en va pas non plus du don comme des suites du péché d'un seul: en effet, à partir du péché d'un seul, le jugement aboutit à la condamnation, tandis qu'à partir de nombreuses fautes, le don de grâce aboutit à la justification.

Rm5.17 Car si par un seul homme, par la faute d'un seul, la mort a régné, à plus forte raison, par le seul Jésus Christ, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et du don de la justice.


Puis toujours cette problématique mise en parallèle condamnation/ justification avec toujours la même locution adverbiale «de même que»

Rm5.18 Bref, comme par la faute d'un seul ce fut pour tous les hommes la condamnation, ainsi par l'œuvre de justice d'un seul, c'est pour tous les hommes la justification qui donne la vie.

Rm5.19 De même en effet que, par la désobéissance d'un seul homme, la multitude a été rendue pécheresse, de même aussi, par l'obéissance d'un seul, la multitude sera-t-elle rendue juste.

Rm5.20 La loi, elle, est intervenue pour que prolifère la faute, mais là où le péché a proliféré, la grâce a surabondé,

La problématique n’est pas une absolutisation du fait que «le péché a engendré la mort» dans l'univers.
Paul répond avec cet argument de la chute déjà fermement établi dans le judaïsme à l'objection que le sacrifice d'un seul ne saurait justifier la multitude.
Il établi ainsi ce parallèle que le péché d’un seul a engendré la mort et donc le sacrifice d’un seul peut justifier la multitude.
C’est bien une preuve qu’il tente d’apporter que la Résurrection du Christ est aussi la notre. C'est la finalité de ce chemin de l'incarnation à la résurrection qu'il tente d'expliciter à son auditoire.

Que le péché ait engendré la mort de l’homme dans le monde , sans doute, mais qu’il ait engendré la mort de tout être vivant, y compris de tout animal ou cellule vivante ayant vécu et disparu avant même la création de l’homme c’est une autre histoire qui n'est plus du tout en accord avec les données de la science moderne et qui serait même contradictoire avec la Loi et le sens recherché par Paul. La mort doit être comprise comme la séparation d’avec Dieu et comme notre rapport au monde. Mais je reviendrai sur tous ces points de façon plus explicite avec appui patristique . Je voulais juste proposer cet axe de réflexion pour ce soir.
Silouane
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Message par Silouane »

harald a écrit :J'étais habitué à une explication beaucoup moins réaliste, c'est-à-dire que le paradis aurait existé avant la création de la terre dans sa forme actuelle, et que le premier homme [...] aurait chuté là, et la perte du paradis ce serait justement la "descente" en ce monde-ci, qui ainsi vit apparaître l'homme. Bizarre, cela n'est sans doute pas orthodoxe du tout! Je ne sais même plus où j'ai pu lire de choses pareilles.
En lisant l'ancien fil "Eschatologie" que me conseillait Antoine parmi d'autres, c'est chez Anne-Geneviève que j'ai trouvé la réponse (message du 24/12/2005 à 18h04):
Parce qu’enfin, que je prenne le récit poétique de la Genèse ou l’astrophysique, la création de l’univers précède largement celle de l’homme et donc le péché d’Adam. Votre phrase me rappelle Origène qui voit dans les tuniques de peau l’incarnation d’Adam et Eve et dans la matière de l’univers un don fait à l’homme pour qu’il puisse se redresser du péché.
Quant aux derniers approfondissements d'Anne-Geneviève, Jean-Louis et Antoine sur le fil présent, quelle belle matière à méditer, je n'en reviens pas!
Silouane
Antoine
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Message par Antoine »

1,1 Lorsque « Dieu » Créa-dans-la-tête-au commencement la Réalité (« le ciel et la terre »).


La traduction classique de nos bibles « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre » est combattue par Rachi qui voit dans cette première phrase de la Bible une subordonnée et non une principale, et dans son verbe un infinitif et non un « accompli ». Pour Rachi il faut lire « Lorsque Dieu commença à créer le ciel et la terre » car ce n'est pas une sorte d'adverbe mais une sorte de conjonction que constitue la première unité graphique de la Bible, composée de 6 consonnes B R' (SH) Y T (prononcez «béréshit »).
Ce « béréshit » est très important. Dans le Judaïsme c'est le titre du livre de la Genèse, et on peut dire qu'il le résume par son contenu « implié ». En jargon linguistique c'est un syntagme, composé d'une préposition et d'un substantif qui en hébreu forment un seul graphe, et qu'on peut traduire « dans un commence-ment » ou « avec un commencement » ou encore « par un commencement ». Mais ce graphe unique en son genre par la place qu'il occupe l'est aussi par le nombre de « signifiés » qu'il recèle comme autant de poupées russes. Si l'on s'arrête à ses trois premières lettres, qui est la dimension normale des racines hébraïques, on a B R' (prononcez « bara ») verbe qui signifie « Créer » et véritable leitmotiv de ce premier récit de la Création même s'il n'y apparaît que rarement de façon explicite. Si on s'arrête à ses quatre premières lettres, on a le syntagme B R' (SH) (prononcez « bérosh » ou « barosh ») qui veut dire « dans une tête » ou « dans la tête » – et aussi « avec » ou « par » « une tête » ou « la tête » (Et même si on s'arrêtait à ses cinq premières lettres, ce que je ne fais pas, cela voudrait dire encore « dans ma tête »). Enfin les six lettres du graphe B R' ; (SH) Y T nous ramènent au sens englobant signalé au début.
Littéralement le « signifiant » B R' (SH) Y T peut donc se « déplier » en une suite de « signifés » se reliant entre eux et se lire, ou plutôt s'entendre « Créa-dans-la-tête-au-commencement » le tout donnant « dans un commencement » ou une de ses variantes possibles (voir plus haut) qui pour Rachi introduit, en tant que conjonction, le verbe qui suit dans le texte. Or ce verbe est précisément B R' signifiant « créer » et cette fois graphiquement isolé, si bien que la seconde unité graphique de la Bible reproduit les trois premières lettres de la première, qui l'anticipent en quelque sorte dans cette première position, deux fois occupée. J'y vois une invitation du texte, dont les premiers mots certes n'ont pas été choisis par hasard, à traduire comme je le pro-pose ci-dessus, en mettant l'accent sur «tête » au sens propre comme au sens figuré dans l'acte de la Création.
La conception traditionnelle en effet – et pour Rachi encore, bien sûr, au XIème siècle de notre ère – est de lire ce récit, dit des six jours de la Création, comme un essai – de nos jours tout à fait dépassé – de cosmogonie « objective ». Mais je pense au contraire qu'il faut le lire comme un essai – et celui-là pas du tout dépassé – de cosmogonie subjective. Qui a lieu donc non pas en dehors de l'Homme mais dans sa tête et cela dès le « premier jour ». C'est ce que je vais tenter de montrer dans ces commentaires.
La troisième unité graphique de la phrase en hébreu est 'L H Y M (prononcez « élohim ») que je traduis par « Dieu », les guillemets reflétant ma méfiance envers ce nom vague et passe-partout, qui ne se précisera quelque peu que dans le second récit de la Création (antérieur chronologiquement dans sa rédaction, comme on sait, à celui-ci).
Quant au double complément direct en hébreu du verbe B R', I'expression qui termine la phrase et que nos bibles traduisent littéralement « le ciel et la terre » (ou « les cieux et la terre » n'importe), elle représente à mon avis le premier exemple, dans ces récits des origines qui en comptent plusieurs, de cette «réunion formelle des notions contraires », procédé de la langue hébraïque pour suggérer, au-delà de la simple somme de ces opposés apparents, l'idée d'une totalité parfaite. Ici la Réalité, Créée au commencement dans la tête de l'Homme. Nous en aurons une confirmation tout à la fin du récit.


1,2 Le futur monde était (C'est en vain que vous essayerez de comprendre). Et de l'obscurité au-dessus d'un abîme et du vent – « Dieu » – planant au-dessus des eaux.

Normalement en hébreu le verbe précède le sujet. Ici c'est l'inverse et le verbe « être » est à 1'« accompli », ce qui indique qu'il ne s'agit pas de la proposition principale qu'on attend mais d'une incidente à la subordonnée, décrivant dans quelle situation l'action qu'elle annonce s'est produite. C'est un démenti au dogme de la « Création ex nihilo ». Avant la Création affirme ici la Bible, il n'y avait pas rien mais l'inconnaissable. C'est le vrai sens du fameux « tohu-bohu » de notre langage courant. En hébreu l'expression compte une syllabe de plus (« tohu wabohu ») et réunit deux verbes au cohortatif par une conjonction de coordination, mystérieusement disparue en français. Je la traduis par une phrase d'avertissement adressée aux lecteurs, littéralement « Interrogez-vous et restez bouche bée » c'est-à-dire « C'est en vain que vous essayerez de comprendre ». Le texte parle de « terre » 'R (TS) au sens de « monde » que je traduis par « futur monde » pour compenser l'imparfait que je substitue au plus-que-parfait virtuel du verbe « être » qu'appelle son « accompli ».
Ce verset prend parti dans la querelle moderne sur l'existence, postulée par la Science classique, d'un monde « objectif », indépendant de l'observation qu'on en fait. Pour le « constructivisme » un tel monde, que nous appelons la réalité, avec ses richesses, ses formes, ses couleurs, ses lois, est une invention du cerveau humain. Si pour la Bible, nous venons de le voir, il existe quelque chose avant la Création, donc avant l'Homme, mettons la « matière éternelle » ce n'est pas un monde. La Création est la Création du monde, qui commence par celle de la Réalité dans la tête de l'Homme qui donne un ordre, un sens au chaos primordial qui n'en a aucun. Et même si la « Chute » a dégradé cette Réalité de l'origine, c'est toujours à par-tir de ce qui lui en reste, que le cerveau humain invente aujourd'hui encore son environnement, que nous appelons à juste titre la réalité (toujours subjective) ou a tort le monde objectif. Le «constructivisme » serait donc plutôt « biblique »...

Cette traduction ci-dessus et les justifications de ses choix est extraite du livre de Paul Nothomb paru aux Editions de la différence: "Les récits bibliques de la création."


Bien Sûr il faudra replacer les analyses de Paul Nothom dans le contexte d’une Tradition orthodoxe. Mais il ne me semble pas en contradiction avec les écrits des Pères. Lorsqu’il s’agit de la sentence « tu mourras » beaucoup de Pères ont souligné que cette mort signifiait une séparation d’avec Dieu. Et cette séparation contient bien évidemment une infinité d’aspects, surtout si on la considère comme étant une fragmentation par l'homme de la simplicité de Dieu avec pour simultanéïté un processus d'individuation de la personne humaine.
La mort est d’abord un problème de relation au monde, de relation à l’autre et de relation à Dieu avant même d’être une « réalité» biologique externe.
Le monde n’a pas d’existence en dehors de la relation que j’entretiens avec lui. Il n’a d’existence qu’en tant qu’il est ma conscience du monde. Alors bien sûr on peut objecter que le monde existait avant moi. Oui mais cette antériorité elle même est une relation de ma conscience à cette antériorité. C’est ainsi que Paul Nothom traduit : 1,2 Le futur monde était (C'est en vain que vous essayerez de comprendre). Et de l'obscurité au-dessus d'un abîme et du vent – « Dieu » – planant au-dessus des eaux.
Cette incompréhensibilité se retrouve chez les Pères lorsqu’ils méditent sur le « à l’image» Dieu est inconnaissable et nous sommes à son image tout aussi inconnaissable nous disent ils. Nous ne trouverons pas chez les Pères une définition unique de l’image. Ce concept est un axe de recherche qui s’orientera selon les écrits vers des notions aussi diverses que le rationnel, le libre arbitre, l’esprit, la personne en tant qu’elle se distingue de la nature, etc…
L’apôtre Paul, écrit dans le premier chapitre de l'Epître aux Colossiens, à propos du Christ donc de Dieu fait homme : Il est l'Image du Dieu invisible, premier-né de toute la Création. Car en Lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les choses visibles et les choses invisibles, les trônes, les dominations, les principes, les puissances, tout a été créé par Lui et pour Lui. Et Lui est avant tout, et Il a tout constitué en Lui, et Il est la Tête du corps de l'Église (Col 1, 15-18) Et les Pères développeront une anthropologie de l’homme « image de l’image. » (Le « en Lui » mériterait également un développement. Car « en Lui » n’est pas la même chose que « par Lui » pour nous les hommes. Mais pour Dieu c’est sans doute la même chose et cette identité se retrouve alors dans notre création à son image. (1,1 Lorsque « Dieu » Créa-dans-la-tête-au commencement la Réalité (« le ciel et la terre »).)
Ainsi :
Jean Damascène, Sur les deux volontés du Christ, 30, PG 95, 168 B : « A combien de sujets parle-t-on du " à l'image "? (Au sujet) du rationnel et du spirituel, du libre arbitre, de ce que l'intellect engendre la parole et que l'esprit le profère, du principe... »

Epiphane de Chypre, Panarion, 70, PG 42, 344 B : « Mais il est à croire que le " à l'image " est plutôt en tout en l'homme, et pas en une seule chose. […] « Où se trouve et où s'accomplit le " à l'image "? Cela est connu de Dieu seul, lui qui a donné par grâce le " à l'image " à l'homme. »

Anne Geneviève nous dit :
« Tout est signifiant, dans le récit de la Genèse.[…]
Mais c’est quoi, ce péché qui entraîne la mort et donc l’infime durée de la vie ? Tourner son écoute vers le serpent, présenté comme rusé. La ruse, la finasserie sur les mots au lieu de la clarté du cœur. Désirer l’interdit. Hum ! Encore un ressort important de notre psychologie ! Manger (le fruit de l’arbre de) la connaissance du bon et du mauvais . Se nourrir de systèmes de valeurs au lieu de l’amour de Dieu. Et selon l’exégèse qui en fait un figuier, se nourrir de systèmes de valeurs tirés de la parole de Dieu – mais d’une parole en quelque sorte externalisée, figée comme un texte et non plus la périchorèse de la présence trinitaire. Et c’est exactement ce que propose le serpent : décortiquer la parole divine avec une logique toute humaine et chercher d’autres sens que celui ou ceux que rappelle l’Esprit Saint.[…]
Le péché a partie liée avec la mort d’une façon très particulière puisqu’il s’agit d’un meurtre. Toute l’exégèse juive puis patristique va ensuite appliquer ce schéma, de façon rétroactive, à la chute d’Adam et Eve. On peut : avertis par Dieu qu’il mourraient, si…, ils le font. C’est une sorte de meurtre de soi-même, de suicide assisté par le serpent. Mais qui reste une potentialité jusqu’à ce que Caïn le rende réel. »

La mort devient alors non plus simple mort biologique(les Pères écrivent qu'Adam devait mourir sans quitter le regard de Dieu comme un serpent quitte sa peau) mais son actualisation par un acte délibéré et usurpateur de l’homme qui s’estime en droit de gérer ce qui n’appartient qu’à Dieu.
Pas seulement le meutre d'abel par Caïn mais la hierarchisation même de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Le meurtre n'est qu'un des produits de cette hiérarchisation anarchiquement arbitraire dont Dieu est exclu.
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Pour ma part j’ignore, et je tiens à ignorer le texte hébreu des livres de l’Ancienne Loi. Je ne veux connaître que le texte des Septante, traducteurs inspirés, les derniers des prophètes.

“En archè epoièsen o Theos ton ouranon kai tèn gèn.” Il n’y a pas là de “dans la tête”, mais un mot “archè” qui désigne à la fois le début, le commencement et le commandement. Je propose “Dans le principe” pour garder cette polysémie. Pour interprêter ce texte nous devons avoir présent à l’esprit les premiers mots de l’Évangile de Jean : “Dans le principe était le Verbe, et le Verbe était vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était dans le principe vers Dieu. Et sans Lui rien n’a été fait qui a été fait.”

Le récit de la Genèse est à l’aoriste, pas au parfait. Nous ne nous trouvons donc pas après la Création. Dieu créa les êtres vivants, plantes et animaux, avant l’homme; L’homme a péché, et par la faute d’un seul homme la mort a établi son règne, comme nous le dit saint Paul. Il faut donc croire que les êtres vivants ont été créés (Adam compris) sans connaître la mort.

Toute la nature physique telle que nous la connaissons est assujettié à la mort. Les bancs de roches sédimentaires qui recouvrent la majeure partie de la terre sont tissés de cadavres d’êtres vivants primitifs. Toute l’expansion de l’univers suppose la naissance et la mort d’une quantité inimaginable pour nous d’objets cosmiques; Est-ce là le Paradis de lumière tel que Dieu l’avait créé ?

Ce qui nous étonne est que Dieu ait pu remodeler le cosmos qu’il avait créé en nous faisant à posteriori hériter d’un passé. Chose pour nous inconcevable, mais pour Dieu c’est un jeu d’enfant. Que ne ferait-il pas pour cet être humain qu’il veut s’associer ?

Il faut être très réaliste quand nous lisons l’Écriture ; Ce n’est pas un jeu d’allégories. Nous avons du mak à nous représenter ce qu’a été la faute d’Adam, car nous ne savons pas ce qu’était la Création dant l’état qu’il a connu. Mais la faute a bien été une fate réelle, un espoir fallacieux de désobéissance inspiré par Satan. Le cosmos en a été entièrement altéré. Il existe des textes de l’hymnographie orthodoxe qui nous montrent êtres vivants et éléments de la Création éclatant de colère à la face d’>Adam déchu, lui reprochant sa responsabilité. Malheureusement je n’ai pas pu retrouver ces textes. Quelqu’un pourrait-il m’aider ?

Non seulement Dieu a créé la mort pour faire de notre existence altérée un instant passager d’épreuve et de retour à Lui, mais il a créé la génération charnelle, qui renoue les liens brisés entre les membres de l’espèce humaine dégénérée. Il nous a aménagé un monde transitoire où l’homme crée des cultures et des civilisations et des langues et des nations provisoires et éphémères, toujours tentant de construire pour l’éternité. Nous serons jugés sur ce que nous avons fait de notre liberté, non de notre volonté propre

Nous œuvrons beaucoup, et nous ne pouvons pas éviter d’œuvrer. Mais nous devons ne jamais en oublier le caractère illusoire. Ce n’est pas nous construisons la maison, c’est Dieu qui la bâtit.
Jean-Louis Palierne
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Antoine
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Message par Antoine »

Non seulement Dieu a créé la mort pour faire de notre existence altérée un instant passager d’épreuve et de retour à Lui,
Non, Tous les Pères sont unanimes pour affirmer que Dieu n’a pas créé la mort. Et le livre de la Sagesse 1,13-14 déjà dans l’ancien Testament écrit :Dieu, lui, n'a pas fait la mort et il ne prend pas plaisir à la perte des vivants. Car il a créé tous les êtres pour qu'ils subsistent et, dans le monde, les générations sont salutaires; en elles il n'y a pas de poison funeste



Pour ma part j’ignore, et je tiens à ignorer le texte hébreu des livres de l’Ancienne Loi.
Ce n'était pas la position des Pères. J'ai déjà dit que lorsqu'une divergence importante apparaissait ayant des répercutions sur le sens typologique du texte il faut se fier à l'arbitrage du texte grec. Mais sur les points que nous avons évoqués il n'y a aucune raison de se fermer à l'intelligence du texte et d’ignorer systématiquement l’hébreux au profit du grec seul. Je trouve que c’est une injure faite à la langue dans lequel le Logos à décidé de s’incarner.
Que la Traduction des Septantes soit une traduction inspirée il faut encore montrer en quels endroits la Septante est plus inspirée que le texte hébreux. Cela n’est pas uniforme et continu sur chaque verset. Les Pères avec Origène en tête, ont toujours dans le cadre de l'herméneutique orthodoxe, chercher à la fois le "sens littéral" ou "historique" du texte et le "sens spirituel" ou "plénier", qui représente la Parole que Dieu prononce dans l'aujourd'hui de notre existence personnelle comme dans l'ensemble de la vie ecclésiale ? (Cf Le Père Jean Breck) Le texte de la Genèse ferait-il exception et à quel titre?


En réduisant le texte à une cosmogonie objective vous en faites un simple récit mythologique qui se différenciera d’autres récits mythologiques par certaines spécificités : Unicité de Dieu, création ex-nihilo etc…(spécificités qui se retrouvent aussi bien en grec qu’en hébreux.) Mais nous retombons inévitablement dans un schéma explicatif primitif. Le concordisme fait entre création et big bang montre les limites de ce type d’approche et ces recours en trahissent l’insuffisance. Cette façon d’aborder le texte n’est pas la démarche des Pères qui ont plusieurs niveaux de lecture.
La lumière de « que la lumière soit » dans la Genèse est-elle vraiment assimilable à de simples photons ? Ou la rencontre de cette lumière est-elle assimilable à celle de la Transfiguration ?
"Illumine nos coeurs, demandons-nous pendant la liturgie eucharistique, pour que nous comprenions ton message évangélique".Est-ce que « illumine nos cœurs a quelque chose à voir avec les photons ou bien avec la lumière originelle de la Genèse ?Je penche plutôt pour la deuxième solution et nous le verrons avec le texte d’Origène ci-dessous.

Vous ne parvenez pas à expliquer en quoi un péché commis dans un certain temps aurait introduit la mort dans l’univers à une époque où l’homme n’existait pas encore. Alors vous échaffaudez l'idée que "Dieu ait pu remodeler le cosmos qu’il avait créé en nous faisant à posteriori hériter d’un passé. Chose pour nous inconcevable, mais pour Dieu c’est un jeu d’enfant." Quels Pères ont soutenu cette hypothèse? Et comment voudriez vous enseigner cela face aux données de la science?Vous nous enfermez dans une linéarité historique du temps et vous empêchez alors le texte de fonctionner, texte que les Pères lisaient aussi bien en grec qu’en hébreux. Sinon Jérôme n’aurait pas Traduit la Vulgate par exemple.
Les Pères n’ont pas composé une anthropologie définie en un système, mais des anthropologies diverses et inépuisables. Je ne vois pas au nom de quoi vous fermeriez des portes.
En traduisant "En arkhe" par dans son principe vous ne faites que déplacer le problème car il faut aussi commenter ce qu’est le « principe ». Que signifie « dans son principe » ? Arkhe peut renvoyer à la sagesse de Dieu comme dans (pr 8,22s) ou à son logos (Ps 32,6), au Christ comme le soutient Irénée,. Chez St Basile et Grégoire de Nysse nous aurons des développements portant sur le sens de "en une seule fois".
Lorsque vous dîtes que Il n’y a pas là de “dans la tête”,dans le terme de « En arkhe » vous avez à la fois tort et raison. Raison sur le fait que le mot grec ne génère pas autant de sens que l’hébreux de par l’emploi des consonnes, même si sa polysémie est importante comme vous le soulignez, mais tort si l’on cherche l’explication du sens de « principe ». Un principe est ce que l’esprit découvre comme premier au terme de son analyse ou qu’il pose comme base de départ d’un processus synthétique. Alors si ce n’est pas dans la tête dîtes moi où c’est.
De plus le « dans la tête » que Paul Nothomb donne comme un midrash, nous renvoie également à ce qu’est le temple. Dans le Judaïsme le temple en tant qu’élément extérieur reste toujours très important Et vous semblez faire de cette cosmogonie une sorte de construction d’un temple extérieur qui serait le monde. Mais le christianisme affirmera que nous sommes le temple de l’Esprit, que Dieu fait sa demeure en nous. De là à penser que c’est aussi en nous donc qu’il fait sa création, vous voyez que nous atteignons là quelque chose de très profond dans le mystère qui nous unit au Christ , au Logos. Je ne vois donc rien de contraire à ce que les Pères ont développé.
Il nous faut examiner avec les pères ce qu’est le commencement ou le principe, ce qu’est le ciel. Prenons Origène dans un commentaire qui ne fait pas l’objet d’anathème.
Origène nous dit sans sa première homélie sur la Genèse :

« Quel est le commencement de tout, sinon Jésus-Christ, notre Seigneur et « le Sauveur de tous », « premier-né de toute créature e » ? C'est donc dans ce commencement, c'est-à-dire dans son Verbe, que « Dieu fit le ciel et la terre », selon ce que dit l'Évangéliste Jean au début de son Évangile : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. Tout par lui a été fait et, sans lui, rien n'a été fait . » Il ne parle pas ici d'un commencement temporel ; mais il dit que le ciel et la terre et tout ce qui a été fait ont été faits « au commencement », c'est-à-dire dans le Sauveur .
[…]
A s'en tenir à la lettre, Dieu appelle la lumière Jour et les ténèbres Nuit.
Mais, selon le sens spirituel, voyons pourquoi Dieu, après avoir dans ce « commencement » dont nous avons parlé plus haut « fait le ciel et la terre », après avoir dit aussi que la lumière fût, puis séparé la lumière et les ténèbres, appelé la lumière Jour et les ténèbres Nuit et dit qu'il y eut un soir et qu'il y eut un matin, voyons pourquoi Dieu n'a pas dit : « premier jour », mais « jour un ».
C'est parce que le temps n'existait pas avant le monde. Mais le temps commence d'exister avec les jours suivants. Le second jour, en effet, le troisième, le quatrième et tous les autres commencent à indiquer le temps.
[…]
« Et Dieu dit : Qu'il y ait un firmament au milieu de l'eau et qu'il sépare l'eau d'avec l'eau. Et il en fut ainsi. Et Dieu fit le firmament .»
Une fois fait le ciel, Dieu fait maintenant le firmament. Il fit, en effet, en premier lieu le ciel, dont il dit : « Le ciel est mon trône ° », et il fait ensuite le firmament, c'est-à-dire le ciel corporel. Tout corps, évidemment, est ferme et consistant ; c'est ce qui explique que le firmament « sépara l'eau qui est au-dessus du ciel de celle qui est au-dessous . »
Comme tout ce que Dieu allait faire était constitué d'esprit et de corps, il est dit que le ciel, c'est-à-dire toute substance spirituelle sur laquelle Dieu repose comme sur un trône , fut fait «au commencement» et avant toutes choses. Mais l'autre ciel, c'est-à-dire le firmament, est corporel. C'est pourquoi le premier ciel, que nous avons qualifié de spirituel, est notre esprit qui est essentiellement spirituel, c'est-à-dire notre homme spirituel qui voit et contemple Dieu. Mais l'autre, le ciel corporel, appelé firmament, c'est notre homme extérieur, celui qui voit avec les yeux du corps.
Et de même que le firmament a été appelé ciel, du fait qu'il sépare les eaux qui sont au-dessus de lui de celles qui sont au-dessous, ainsi l'homme, établi dans un corps, s'il peut séparer et distinguer entre les eaux supérieures qui sont «au-dessus du firmament» et celles qui sont au-dessous du firmament », sera lui aussi appelé ciel, c'est-à-dire «homme céleste », selon la parole de l'Apôtre Paul : « Notre demeure est dans le ciel . »


Quand Paul Nothomb dit « Tête », Origène dit « homme spirituel ».
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