Ce qui se passe actuellement requiert toute notre attention. J’apprécie tout particulièrement la comparaison que fait Serge Maraïta :
cette histoire resemble à une vulgaire negociation de fusion ou acquisition ou de joint venture à la Daimler Benz Chrysler ou à la Allianz-AGF.
Ce we se tiennent en Belgique les elections communales. Ici aussi, dans les négociations d'alliance (coalitions) pré electorales, on discute des mandats, des postes avant de parler programmes, contenus, substance.
Ah! ce n’est pas chez nous qu’on parlerait aussi clairement des marchandages pré-électoraux… Pauvres Belges.
Poue en revenir à nptre problème, c’est bien dans cette perspective qu’il faut comprendre les intrigues vaticanesques. Mais je reste aussi complètement convaincu que les responsables orthodoxes sous-estiment la part de panique dans le retournement du Vatican.
Car il y a bien
retournement. Reconnaître la valeur de la référence hellénique même pour les héritiers de l’Église latine, il y a là de quoi faire frémir beaucoup de catholiques traditionnalistes. Opter clairement en faveur de la négociation avec une véritable instance orthodoxes œcuménique, plutôt que de pratiquer des magouilles géo-politiques avec le patriarcat de Moscou, c’est un brutal coup de volant par rapport à la ligne qui prévalait encore récemment, jusqu’à la mort de Jean-Paul II.
Je crois que maintenant encore plus qu’auparavant il est nécessaire de n’employer qu'à bon escient le terme “œcuménique”. En prenant le nom de “Conseil œcuménique des Églises" à son congrès fondateur d’Amsterdam en 1947, les moderno-confusionnistes “dans le vent” ont emprunté un terme qui était jusqu’alors réservé à l’usage de l’ecclésiologie orthodoxe et connu seulement de quelques spécialistes occidentaux. Leur conviction était alors que les diverses “confessions” chrétiennes peuvent avoir une collaboration fructueuse en laissant provisoirement de côté leurs divergences.
Les catholiques observèrent alors un silence glacial. Les orthodoxes étaient embarrassés, mais plutôt favorables (chacun pour son propre compte, tant l’Église de Russie que le patriarcat œcuménique, avait déjà un long passé de flirt poussé avec l’Église anglicane). Cependant l’année suivante, à l’occasion du 500ème anniversaire de son autocéphalie, l’Église de Russie tint à Moscou une "Conférence des Églises autocéphales orthodoxes" au cours de laquelle des représentants d’une dizaine d’Églises dénoncèrent les prétentions du Mouvement œcuménique à se transformer en une “super-Église”.
Au cours de la période suivante toutefois, tant les Églises orthodoxes que l’Église catholique établirent des relations de moins en moins distantes avec le CŒE, et celui-ci se mit à organiser des réunions qu’il faut bien qualifier de "liturgiques interconfessionnelles", cependant qu’il tentait d’ouvrir également des relations avec des religions non-chrétiennes. Rome n’avait plus aucune retenue et le pape Jean-Paul II n’hésita pas à convoquer à Assise, la ville de saint François, une rencontre des religions mondiales priant ensemble pour la paix. Une idole païenne en or massif fut posée sur l’autel de la vénérable basilique d’Assise, qui avait été jadis, bien avant saint François, le siège d’une Église locale orthodoxe.
Maintenant le CŒE est à l’agonie. Il n’est plus qu’une organisation caritative internationale. Les Églises protestantes qui participent au CŒE, et qui étaient à l’origine de sa fondation, ne représentent plus qu’une minorité du monde protestant. Elles sont en pleine décadence.
La reprise des relations entre l’Église catholique et (il faut hélas parler au pluriel)
les Églises orthodoxes est un phénomène bien distinct. Il est dû à l’initiative de Benoît XVI et se situe exclusivement dans un cadre bilatéral catholique-orthodoxe. Il est vraisemblable que le Pape souhaite la constitution d’une sorte de “Front commun” des Églises “
traditionnelles”, selon la définition du cardinal Kasper, front qui agirait sur les gouvernements et les sociétés d'un monde naguère chrétien. B16 a compris que la présence des Uniates aux côtés de l’Église catholique, un pied en dedans, un pied en-dehors, était contre-productive et il n’hésite pas à les lâcher froidement (ce qui risque d’en pousser un certain nombre vers un retour à la maison-mère orthodoxe).
L’urgence que ressent le Vatican est telle que ce sont maintenant les catholiques qui pressent les Églises ethniques autocéphales et autonomes de retourner à l’ordre canonique de l’Orthodoxie qui condamne strictement tout ethno-phylétisme. La réponse qu’a faite le représentant de Moscou à la Conférence de Belgrade, mgr Hilarion Alfeyev, et qu’il a adressée étonnamment au cardinal Kasper, est irrecevable.
Les canons de l’Église reconnaissent au patriarche ?cuménique les mêmes fonctions que celles que la Tradition reconnaissait au patriarche romain, en le plaçant au-dessus même du patriarche d’Alexandrie. Mais il ne s’agissait pas de fonctions administratives, il ne s’agissait que de fonctions
au service de la vie des synodes réunissant les évêques de chaque province ; le patriarche de Rome pour l’ensemble de l’Église répandue dans l’univers, et le patriarche de Constantinople pour les Églises de l’Orient devaient exercer les fonctions de présidence, c'est-à-dire parler au nom de tous, recommander devant le pouvoir civil les requêtes valables des évêques (écartant donc les requêtes inopportunes), concilier les conflits, éventuellement juger en appel ou en cassation, confirmer les élections des métropolites et finalement dans les cas désespérés présidant et confirmant les anathèmes prononcés par les conciles.
Le refus de l’Église russe ne pourrait donc porter que sur l’alourdissement indû du rôle légitime des patriarches par des tâches non prévues par la tradition : choisir et ordonner les évêques. Un signe très caractéristique de cet alourdissement est la coutume qui prévaut à notre époque de réserver au patriarche le privilège de consacrer le saint Chrème. Tout évêque doit le consacrer, chacun pour son Église et sur son unique autel, et saint Cyprien de Carthage en fait très éloquement (et en latin) la caractéristique même de l’évêque. De même un évêque (fût-il un patriarche) ne devrait en aucun cas interférer dans les affaires d’un autre diocèse. Ou alors il faut qu’on mette en cause l’épiscopat même de cet évêque devant le synode provincial auquel il appartient — et l’évêque ainsi mis en cause pourra en appeler au patriarche.
Dans l’ensemble des Églises orthodoxes autocéphales et autonomes, c’est avant tout la pratique de
la synodalité provincialequi doit être restaurée, renouvelée, et cela ne peut se faire qu’au prix d’un effort lent et persévérant.
Le patriarche d’Alexandrie créant en son sein une véritable première métropole (missionnaire) nous montre le chemin ; la réunion des Églises autocéphales qui a accédé à la demande du synode du patriarcat de Jérusalem, ou bien lorsqu’elle a ordonné le remplacement de l’archevêque de Chypre pour raison de santé en donne d’autres exemples ; l’Archevêque de Tirana écrivant au patriarche œcuménique pour lui exprimer qu’il approuve la réception de l’évêque de Sergievo comme évêque d’Amphipolis, la création par le patriarcat d’Antioche d’une métropole aux États-Unis qui s’empresse aussitôt de proposer aux autres orthodoxes américains de fonder une Église locale unique, tous ces événements montre que la pratique d’une véritable synodalité revient et progresse peu à peu parmi les Églises orthodoxes, qui jadis se considéraient comme jalousement “indépendantes” et “nationales”, et concevaient l’universalité de l’Église orthodoxe uniquement comme une fédération de pyramides administratives.
Une autre difficulté que devra aussi surmonter l’Église orthodoxe vient de la faiblesse du patriarcat de Constantinople, faiblesse à la fois numérique et qualitative. Des siècles d’intrication avec le pouvoir musulman, puis l’aide douteuse des société secrètes des Phanariotes, et enfin la pratique de la vénalité, ont provoqué un profond affaiblissement du Patriarcat. Le retournement de la politique vaticanesque place la faiblesse du patriarcat œcuménique au premier plan des débats entre les Églises orthpdoxes.
Mais on doit s’étonner de constater que dans les brefs comptes rendus de la Conférence de Belgrade qui ont été diffusés jusqu’à présent on ne semble pas avoir évoqué les questions dogmatiques. Qu’il s’agisse de
Filioque ou de l’absence d’épiclèse dans la messe latine, il faudra bien un jour ou l’autre en parler. Il n’est pas exclu que le Vatican prenne une initiative inattendue en ce sens, ce qui lui permettrait de garder l’initiative, mais il semble qu’il préfère poser un voile pudique sur la proclamation de “l’Immaculée Conception”. Et il reste bien d'autres questions à aborder. On ne peut laisser ces débats au seuls théologiens professionnels (qui accordent de plus en plus de poids à l'opinion des théologiens orthodoxes).
Et pourquoi le Pape a-t-il déclaré qu'il renonçait au titre de “patriarche d’Occident”? Pour offrir une place numéro 2 au patriarché de Constantinople ? On retrouve les discussions de répartition des postes dont parlait Serge.
En tout cas les représentants orthodoxes se sont trouvés embarrassés pour répondre, ne pouvant ni refuser, ni accepter.
Il faut noter le rôle important qu’a joué lors de cette conférence le métropolite de Pergame, Jean Zizioulas.