un couple de saints: Manuel Paléologue et Hypomonie

Échangez vos idées librement ici

Modérateur : Auteurs

Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

un couple de saints: Manuel Paléologue et Hypomonie

Message par Claude le Liseur »

Je replace dans ce fil un certain nombre d'informations sur le saint empereur Manuel II Paléologue, antépénultième empereur des Romains, qui sont dispersées dans d'autres fils. Je reviendrai à l'occasion, quand j'aurai plus de temps, sur l'épisode de son séjour à Paris et sur l'intervention du malheureux roi de France Charles VI en faveur de Constantinople.

Dans le fil "Discours du pape Benoît XVI à l'Université de Ratisbonne", message du 15 septembre 2005:

Il est cocasse que le pape de Rome se serve des Entretiens avec un musulman du saint empereur Manuel II Paléologue. (La 7e controverse de ce livre a été publiée en édition bilingue grec - français dans la collection Sources chrétiennes aux Editions du Cerf, numéro 115 de la collection, Paris 1966, introduction, texte critique, traduction et notes de Théodore Khoury). Or, saint Manuel II, antépénultième empereur des Romains, était un grand théologien orthodoxe, qui, lors de son séjour à Paris où il fut l'hôte de ce grand ami de l'Orthodoxie qu'était l'infortuné roi de France Charles VI, avait écrit un mémoire de réfutation du Filioque à l'intention des docteurs de la Sorbonne. Sur son lit de mort, en 1425, saint Manuel II, qui avait passé tout son règne à faire face à la menace musulmane, donna comme ultime recommandation à son fils Jean VIII de ne jamais signer d'union avec la Papauté. Jean VIII s'empressa de renier les conseils de son père, fut à l'origine de l'union de Florence, et cette politique religieuse eut les mêmes conséquences qu'avait eue la politique semblable dans le royaume arménien de Cilicie trois quarts de siècle plus tôt: la chute face à l'Islam.

(...)

Saint Manuel II précise que ces Entretiens avec un musulman se déroulent à "Ancyre de Galatie", c'est-à-dire l'actuelle Ankara. Voilà qui devrait faire encore plus bondir les "islamistes modérés" dont le gouvernement siège dans cette ville.

Et voici maintenant le passage où le saint empereur orthodoxe s'en prend à la doctrine du djihad. Je suppose que c'est le passage dont Benoît XVI a dû faire la lecture. Je le cite ici dans la traduction de Théodore Khoury:

"Car montre-moi que Mahomet ait rien institué de neuf: tu ne trouverais rien que de mauvais et d'inhumain, tel ce qu'il statue en décrtant de faire progresser par l'épée la croyance qu'il prêchait.
"Mais il faut, je pense, m'expliquer là-dessus plus clairement. De trois choses, l'une devait nécessairement arriver aux hommes sur la terre:
- ou se ranger sous la Loi,
- ou payer des tributs et ne plus être réduits en esclavage,
- ou, à défaut de l'un et de l'autre, être taillés par le fer sans ménagement.
"Or, cela est fort absurde. Pourquoi? Parce que Dieu ne saurait se plaire dans le sang, et que ne pas agir raisonnablement est étranger à Dieu. Ce que tu dis a donc franchi, ou presque, les bornes de la déraison. D'abord en effet, comment n'est-il pas absurde de payer de l'argent et d'acheter ainsi la faculté de mener une vie impie et contraire à la Loi?
"Ensuite, la foi est un fruit de l'âme, non du corps. Celui donc qui entend amener quelqu'un à la foi a besoin d'une langue habile et d'une pensée juste, non de violence, ni de menace, ni de quelque instrument habile ou effrayant. Car de même que, quand il est besoin de forcer une nature non raisonnable, on n'aurait pas recours à la persuasion, de même pour persuader une âme raisonnable, on ne saurait recourir à la force du bras, ni au fouet, ni à aucune autre menace de mort.
"Nul ne saurait jamais prétendre que, s'il use de violence, c'est malgré soi, car c'est un ordre de Dieu. Car s'il était bon d'attaquer avec l'épée ceux qui sont totalement incroyants et que ce fût là une loi de Dieu descendue du ciel - comme Mahomet le soutient - il faudrait sans doute tuer tous ceux qui n'embrasseraient pas cette Loi et cette prédication. Il est en effet bien impie d'acheter la piété à prix d'argent. En opines-tu autrement? Je ne le pense pas. Comment le ferais-tu? Or, si cela n'est pas bon, tuer est encore bien pire."

(Saint empereur Manuel II Paléologue, Entretiens avec un musulman, 7e controverse, 2c in fine - 3d, pages 143 et 145 de l'édition de Théodore Khoury.)

N.B. : L'Eglise fait mémoire de saint Manuel II le 21 juillet: viewtopic.php?t=766&highlight=manuel


Dans le fil "Retour sur la question des azymes", message du 6 mai 2006:

Le docteur Jean Besse parle du séjour de saint Manuel II Paléologue à Paris.
"Jamais il n'envisagea, comme ses successeurs Jean VIII et Constantin XI, de sacrifier l'Orthodoxie à des calculs politiques pour gagner l'appui des Latins contre les Turcs. Même s'il n'obtint à Paris qu'une aide dérisoire, ses successeurs, promoteurs et partisans, malgré saint Marc d'Ephèse, de l'Union de Ferrare-Florence, n'obtinrent rien de plus d'un Occident inconscient et hostile, nostalgique de l'empire latin d'Orient. Olivier Clément, dans son excellent essai sur Byzance et le christianisme (1964), reconnaissait: "Si l'Empire orthodoxe se prend pour une fin en soi, et tente d'asservir ou d'utiliser l'Eglise, il perd sa raison d'être et s'effondre. (...) Au contraire, sous un empereur fidèle comme Manuel II, la situation se rétablit par miracle: en 1399 comme en 1422, les Turcs doivent abandonner le siège de Constantinople et l'on parle d'une apparition salvatrice de la Vierge, le jour de l'assaut" (Olivier Clément, Byzance et le christianisme, Paris 1964, p. 103). " (Jean-Paul Besse, Un précurseur: Wladimir Guettée. Du gallicanisme à l'Orthodoxie, Monastère orthodoxe Saint-Michel, Lavardac 1992, p. 41.)

A la décharge de Jean VIII Paléologue, rappelons quand même que, pris de remords pour ce qu'il avait fait, il empêcha le pape Eugène IV de faire brûler vif saint Marc d'Ephèse.

Les historiens hostiles à l'Orthodoxie comme le professeur Louis Bréhier, farouche défenseur de l'union de Florence, se trouvent bien empruntés quand il s'agit d'évoquer ce fait difficilement acceptable pour eux que le Ciel est venu au secours d'un confesseur de l'Orthodoxie comme saint Manuel II Paléologue et qu'il n'y a pas eu la moindre manifestation venue d'en-haut en faveur des unionistes Jean VIII et Constantin XI. Cela donne des passages comme celui-ci, où l'apparition de la Théotokos est travestie en "panique inexplicable":
"Un illuminé, vénéré de tous, le scheik Seïd-Bokhari, de la famille du Prophète, avait prédit que la ville tomberait aux mains des musulmans le lundi 24 août [1422]. L'assaut général fut donné ce jour-là et la bataille avait été longue et acharnée, lorsque les Turcs furent pris d'une panique inexplicable, brûlèrent leurs machines de guerre et battirent en retraite, mais non sans laisser quelques troupes devant la ville." (Louis Bréhier, Vie et mort de Byzance, 3e édition, Albin Michel, Paris 1992, p. 396; la première édition est de 1946.)


Je voudrais préciser à ce propos que saint Manuel II Paléologue, commémoré le 21 juillet, est un de ces nombreux "saints oubliés" dont la vénération se réduit à une mention dans le calendrier liturgique. Il en va, hélas, ainsi de la plupart des saints empereurs des Romains.

A l'heure actuelle, il n'y a plus guère que saint Constantin le Grand (+ 337, mémoire le 21 mai) et saint Jean III Doukas Vatatzès ou Vatatzis (+ 1254, mémoire le 4 novembre), qui soient encore réellement honorés, avec icônes et offices liturgiques.

Il n'en va en général pas de même des saintes impératrices. C'est ici le lieu de mentionner que l'épouse (d'origine slavo-macédonienne) de saint Manuel II Paléologue, l'impératrice Hypomonie ou Patience, manifesta les mêmes vertus que son époux. Elle figure au calendrier des saints à la date du 29 mai, qui est aussi la date où nous faisons mémoire de la chute de la Ville bénie de Dieu de Constantinople entre les mains des musulmans, bataille suprême au cours de laquelle le fils de Manuel et de Patience, Constantin XI Dragasès, racheta les errances de sa politique religieuse par une mort héroïque, ainsi qu'il convenait au dernier Empereur des Romains et à l'héritier de tant de générations de souverains, se souvenant du proverbe que sainte Théodora avait évoqué devant saint Justinien lors de la sédition Nika: "La pourpre impériale est le plus beau des linceuls."

Pour la mémoire de sainte Patience, cf. viewtopic.php?t=680 .

Contrairement à son mari, elle reste dans la piété du peuple orthodoxe, car elle est vénérée au très populaire monastère de Loutraki, non loin de Corinthe et au-dessus d'un village réputé pour son eau de table. Le monastère de Loutraki abrite les reliques de l'ascète inoubliable que fut saint Patapios.

C'est sans doute pour cette raison que, si je ne connais aucune icône de saint Manuel II Paléologue, il y a en revanche des icônes contemporaines de son épouse sainte Patience: viewtopic.php?t=1926 .

Le couple avait eu huit enfants ensemble, dont deux furent empereurs. Sainte Patience survécut vingt-cinq ans à son mari.
Alexandr
Messages : 85
Inscription : sam. 15 oct. 2005 10:59

Message par Alexandr »

Est ce que Constantin XI a été couronné? Je ne sais plus dans quel livre, il me semble avoir lu que le dernier "empereur" n'a pas été couronné. Je reviendrai dessus plus tard.
Claude le Liseur
Messages : 4352
Inscription : mer. 18 juin 2003 15:13

Message par Claude le Liseur »

Alexandr a écrit :Est ce que Constantin XI a été couronné? Je ne sais plus dans quel livre, il me semble avoir lu que le dernier "empereur" n'a pas été couronné. Je reviendrai dessus plus tard.
Non, le dernier empereur des Romains, Constantin XI Dragasès, fils de saint Manuel II Paléologue et de sainte Hélène Dragaš (Patience dans le monachisme)a été couronné à Mistra, capitale du despotat de Morée, le 6 janvier 1449 (cf. Georges Ostrogorsky, Histoire de l'Etat byzantin, traduit de l'allemand par J. Gouillard, Payot, Paris 1996, p. 589). Le nouvel empereur est arrivé à Constantinople deux mois plus tard, après avoir réglé les affaires du despotat de Morée.

Si vous passez par le Péloponnèse, je vous recommande vivement la visite des ruines de Mistra, et en particulier de grimper jusqu'au sommet de la citadelle.

A part cela, je viens d'apprendre, ce que je ne savais pas, que sainte Hypomonie (ex-impératrice Hélène Dragaš) était à ce point opposée à la trahison religieuse de son fils Jean VIII, artisan de l'union de Florence, qu'elle avait interdit, après la mort de Jean VIII le 31 octobre 1448, que la mention du nom de son fils figurât parmi ceux des empereurs lors de la liturgie (cf. Ivan Djurić, Le crépuscule de Byzance, Maisonneuve et Larose, Paris 1996, p. 381). Il restera donc à Madame Murr Nehmé à démontrer que la dernière impératrice douairière était un agent des Ottomans. Les esprits plus rationnels se contenteront de penser que la mère des deux derniers empereurs restait fidèle à la conviction que l'Empire ne pouvait être sa propre fin et qu'un souverain qui avait ainsi vendu sa foi ne méritait plus d'être commémoré aux côtés des empereurs qui avaient porté jusqu'au bout la croix du Christ.

Car, "si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, et qu'il prenne sa croix et me suive" (Mt XVI, 24).

Cela étant, le professeur Djurić (op. cit., p. 376) a raison de rappeler un fait que j'ai aussi évoqué dans les précédents messages sur ce sujet. Jean VIII Paléologue a certes créé l'union de Florence pour des raisons politiques, mais il n'était pas un homme cruel. Il n'y a rien de comparable avec ce qui s'est passé au temps où Michel VIII Paléologue, où l'empereur et sa créature, le patriarche Jean Vekkos, tentèrent d'imposer la fausse union de Lyon par le fer et par le feu, brûlant les moines de l'Athos et remplissant les prisons de Constantinople d'orthodoxes fidèles à leur foi. (Michel VIII Paléologue faisait visiter ces prisons au légat pontifical pour lui montrer son ardeur unioniste.) Jean VIII a permis à saint Marc d'Ephèse d'échapper au bûcher auquel le pape voulait l'envoyer et il s'est contenté de le mettre en prison. Ce manque d'ardeur à imposer l'union de Florence lui a valu les critiques de la Curie romaine, et il est mort isolé.
Répondre