La fête de la Protection de l'Environnement naturel

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Claude le Liseur
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La fête de la Protection de l'Environnement naturel

Message par Claude le Liseur »

Avec une semaine de retard, je voudrais souhaiter une bonne année ecclésiastique 2006-2007 (ou 7515 pour les plus conservateurs ou romantiques d'entre nous) à tous nos frères qui lisent ce forum.

Je voudrais en profiter pour parler d'une fête importante que nous n'avons encore que trop peu évoquée.

Le précédent patriarche oecuménique de Constantinople, SS Démètre Ier, avait proposé en 1989 que le jour de l'Indiction (nouvel an ecclésiastique) soit consacré à la protection de l'environnement naturel. La même année, le saint Synode de Constantinople a appelé tous les orthodoxes à "élever chaque année en ce jour des prières et supplications vers le Créateur de toutes choses: des actions de grâces pour le grand don de la création, des supplications pour sa sauvegarde et sa protection contre tout mal qui la menace."
Cette proposition a été adoptée par toutes les Eglises locales en 1992.

Un très bel office pour la protection de l'Environnement a été composé en 1993 par le métropolite Nicodème de Patras (Eglise de Grèce) et traduit en français en 2000 par l'archimandrite Denis (Guillaume) de Nîmes (Patriarcat de Constantinople).

On sait que la protection de l'environnement est un des chevaux de bataille de l'actuel patriarche oecuménique Barthélémy Ier, au point de lui avoir valu le surnom de "patriarche vert".

Vu d'Europe occidentale, ce souci écologique peut nous paraître risible ou démagogique.

Il n'en est rien.

Il faut d'abord voir que la plupart des Eglises locales se sont trouvées jusqu'en 1989 ou 1991 sous la domination de régimes communistes, dont l'incurie dans tous les domaines a abouti à des situations écologiques désastreuses, dont nous ne pouvons pas avoir idée dans l'ancien monde libre. Que ce soit la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, l'assèchement de la mer d'Aral pour faciliter la réalisation des plans de développpement de la culture du coton du pouvoir soviétique, la construction un peu partout de "combinats" ruineux et construits en dépit de tout bon sens pour mettre en pratique la priorité absolue donnée par le marxisme-léninisme à l'industrie lourde, les sous-marins nucléaires abandonnés en pleine mer de Barents, on pourrait multiplier la liste. Ceux qui ont connu Baia Mare avant la construction de la tour de dépollution par l'aide suisse et autrichienne auront compris.

Il est vrai aussi que certains pays capitalistes n'ont pas été épargnés par suite d'urbanisation anarchique: si Athènes ne souffre plus autant qu'il y a vingt ans du νέφος, le nuage de pollution, un collègue turc, natif d'Istanbul, me racontait l'année dernière la lente agonie de la Ville bénie de Dieu, devenue incapable de faire face à l'augmentation exponentielle de la circulation automobile et à l'engorgement des Détroits devenus un couloir de circulation pour pétroliers.

Les problèmes se posent avec une moins grande intensité dans les pays francophones, mais ils existent. Il y a quelques mois, j'ai eu à travailler pour un client sur le droit suisse de l'assainissement et du déflocage; la peur de découvrir qu'on a acheté un site contaminé non répértorié et non assaini est devenu un problème significatif chaque fois que l'on envisage l'achat d'un terrain industriel.

Loin de moi l'idée de condamner l'industrie lourde, si mal-aimée alors qu'elle a été source de travail et de richesse pour des dizaines de millions d'hommes depuis un siècle et demi. Bâle pue peut-être, mais l'industrie chimique de Bâle en fera toujours une ville plus prospère que Genève ou Zurich. Tout est question de proportions.

Toutefois, on comprend que la situation soit considérée comme préoccupante, surtout à l'heure du reflux généralisé et de la désindustrialisation menaçante: tous ces sacrifices en valaient-ils la peine?

L'autre raison pour laquelle il n'est pas ridicule que l'Eglise se préoccupe d'environnement, c'est qu'il y a aussi une théologie et une spiritualité du rapport entre l'homme et son environnement. D'abord parce que nous avons une responsabilité vis-à-vis de Dieu qui a créé ce monde pour l'homme: "Régnez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux des cieux et sur tous les animaux qui rampent sur le sol" (Gen 1, 28). Ensuite parce qu'il existe une conscience très vive du lien entre la chute et la déchéance de l'homme et la dégradation de son rapport à la nature et aux animaux. L'hagiographie abonde en figures de saints que leur ascèse mena aussi à la réconciliation avec les animaux non doués de raison, fussent-ils les plus féroces: citons l'exemple du lion de saint Gérasime du Jourdain ou de l'ours de saint Séraphin de Sarov. Ora et labora, nous avons aussi un devoir de prier pour cette création qui nous a été confiée et pour laquelle nous avons des raisons de nous faire du souci.

Alors, prions avec toute l'Eglise. Je n'ai malheureusement pas le temps de saisir tout l'office traduit par Mgr Denis. Je me contenterai dès lors de reproduire ici le cathisme qui en résume l'esprit:

Sagesse et verbe de Dieu, nous te supplions, Seigneur de l'univers: * montre-nous, Créateur, ce qui est agréable à tes yeux, * ce qui est propre et utile à ta Création, * ce qui est bon pour tous les hommes et leur est avantageux, * comment dans le monde il nous faut tous * changer de conduite et ne pas outrepasser * ce qu'à l'arbre de la connaissance il est permis de goûter. *Donne-nous le bon sens, ô notre Dieu, * de ne pas esquiver les interdits, *mais de garder sans faille tes préceptes divins.
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Merci, Claude, pour cette nouvelle car c’en est une au moins pour moi que l’existence de cette fête de la protection de l’environnement.
Un nom pas très liturgique, si j’ose râler un peu. J’aurais préféré une expression avec le mot création plutôt qu’environnement qui ne veut rien dire. Ce qui m’environne de plus près, jusqu’à déborder, c’est ma bibliothèque. Ce qui environne mon immeuble, c’est un quartier pavillonnaire. Il faut marcher dix bonnes minutes pour trouver des champs mais encore, c’est parce que j’habite en grande banlieue. Si je vivais en plein Paris, l’environnement serait à tout coup des immeubles haussmanniens ou, pire, les tours du front de Seine. Il faut en général aller assez loin de son domicile pour être environné par la nature sauvage ou même par des champs cultivés.
Je n’aime pas beaucoup non plus le terme protection. S’agit-il de materner son environnement ou de déployer un bouclier contre les agressions – contre les agresseurs ? La tâche que Dieu donne à l’homme, dans la Genèse, c’est de cultiver et garder le jardin. Par rapport à cette mission, la notion de protection est très restrictive et, surtout, s’adosse à une vison figée de la création, une vision immobiliste qui me semble un héritage de la philosophie antique tout comme l’arianisme ou l’augustinisme. Comme il se trouve que je viens de traiter cette question de manière approfondie sur mon blog (articles « Les prophètes de la grande muraille » et « The times they are a-changing »), je me permets de suggérer à nos lecteurs d’y jeter un coup d’œil. Il suffit de cliquer sur le bouton www au bas de ce message.
Autre chose encore me gêne. Dans le cathisme que vous citez, j’ai sursauté en lisant « ne pas outrepasser ce qu’à l’arbre de la connaissance il est permis de goûter ». Mais d’où le métropolite Nicodème de Patras a-t-il tiré cette idée d’un arbre de la connaissance tout court et d’une permission limitée d’y goûter ? Pour ma part, je ne connais en Genèse 3 que l’arbre de la « connaissance du bon et du mauvais », souvent traduit par les notions philosophiques du bien et du mal, ce qui est une moindre faute que de le transformer en arbre de la connaissance tout court. Ce n’est pas le fait de connaître la création, ce n’est pas la curiosité scientifique ou poétique qui sont interdits, c’est la définition purement humaine, sans Dieu ou contre Dieu, du bien et du mal, des systèmes de valeur. Et là, il n’y a pas de permission limitée. C’est interdit, point barre, parce qu’on en crève !
Il peut y avoir conflit entre le désir légitime de connaissance de la création et les commandements par lesquels Dieu, en deux étapes pédagogiques que sont le décalogue et les enseignements du Christ, nous a indiqué comment Lui définit le bon et le mauvais, nous avons eu l’exemple de tels conflits avec les questions de bioéthique. Notre relation à la création souffre de la chute, la création elle-même, dit l’apôtre Paul, « gémit dans les douleurs de l’enfantement » et sur ce point, mon cher Claude, je suis en plein accord avec vous. Nous avons le devoir de prier pour cette création, pour notre planète au moins, pour l’univers si nous avons le cœur assez vaste. Nous avons aussi le devoir de reconnaître en quoi notre péché l’afflige. Elle est aussi ce frère (plutôt cette sœur en bon français) avec qui nous devons nous réconcilier avant d’offrir le sacrifice eucharistique auquel, d’ailleurs, elle est associée car d’où viennent le pain, le vin et tous les objets liturgiques sinon de la nature transfigurée par le travail humain ? Parce que nous avons été établis comme rois, avec les devoirs d’un roi vis à vis de tous les vivants, notre responsabilité est totalement engagée, elle est immense, tellement grande que, dans notre état de chute et de péché, il nous est impossible de l’assumer comme en Eden. Oui, il existe une théologie et une spiritualité du rapport de l’homme à la création qui le tisse plus qu’elle ne l’environne, d’ailleurs. Oui, l’Eglise est parfaitement fondée à s’en préoccuper, à éclairer la réflexion et l’action des hommes en ce domaine.
Mais cela ne signifie pas que tout ce que nous racontent les défenseurs autoproclamés de « l’environnement » soit juste ou même vrai et, de ce fait, je me permets de lancer un avertissement préventif. Je ne suis pas sûre du tout que nous soyons responsables d’une crise sans précédent et d’une dégradation du climat pour le millénaire ni que nous allions à la catastrophe énergétique comme on nous le serine. En ces domaines, nous sommes bombardés par une propagande aussi virulente que celle que nous avons subie lors de l’éclatement de la Yougoslavie et ce sont les mêmes qui nous la servent, ceux qui osaient transformer les Serbes en pseudo-nazis dans les colonnes de nos médias. Alors prudence, prudence, prudence. Dernièrement, un dénommé Yves Paccalet vient de sortir un livre intitulé L’humanité disparaîtra, bon débarras !, livre certes assez délirant mais qui ne fait que pousser à son paroxysme une tendance commune à tous les mouvements « écologistes » institutionnalisés, la détestation de l’homme et de ses œuvres. Il est évident que l’inspiration d’une telle haine de l’humanité, même au nom des cormorans et des tigres du Bengale, ne vient pas de Dieu, lui qui est l’Ami de l’homme. Et quand on a vécu la merveille qu’est l’amitié renouée avec un animal ou un arbre, même à toute petite échelle, on sait que la Terre crie mais ne demande pas la destruction de l’homme. Le sang du Christ versé sur elle a paradoxalement fait taire celui d’Abel.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Pascal-Yannick
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Message par Pascal-Yannick »

Je ne suis pas sûre du tout que nous soyons responsables d’une crise sans précédent et d’une dégradation du climat pour le millénaire ni que nous allions à la catastrophe énergétique comme on nous le serine.
Je ne partage pas votre point de vue:pour ce qui est de la carence énergétique elle est bel et bien proche;en l'occurence en ce qui concerne le pétrole si les industriels optent de plus en plus pour l'usage des énergies propres et renouvellables ce n'est pas tant par souci écologique,mais parce qu'ils se rendent à l'évidence que la fin de l'or noir n'est plus un mythe.D'un autre côté si l'on se met dans une perspective globale on peut se dire que le substitution des hydro-carbures par de nouvelles formes d'énergie à dompter n'aboutira pas à long terme à une crise de l'énergie qui, cependant à court terme, se ressentira avec toutes ses conséquences.Enfin j'ajouterai que la crise écologique,climatique que nous vivons actuellement,hormis la catastrophe ayant entrainé la disparition des dinosaures,est un fait sans précédent surtout du point de vue de la vitesse de dégradation;comme l'attestent les études aux pôles arctique et antarctique, la destruction progressive de la couche d'ozone...je pense que c'est une grave erreur de ne pas reconnaître l'existence de ces menaces et la responsabilité de l'homme y associée.
livre certes assez délirant mais qui ne fait que pousser à son paroxysme une tendance commune à tous les mouvements « écologistes » institutionnalisés, la détestation de l’homme et de ses œuvres.

L'écologie est tout d'abord une discipline scientifique ayant pour but l'étude des interactions entre un organisme et son milieu; fondée à la deuxième moitié du XIX ème siècle, ensuite elle a subi une "transhumance" politique pour devenir "écologie politique" dans les années 1970 (peut-être l'ombre des années 60 avec toutes leurs fantaisies) avec pour souci louable et respectable de s'interroger dans quel état nous laisserons cette planète à nos descendants.Souci hérité d'une réflexion philosophique du reste.Ces mouvements soi-disant"écologistes" devraient se plonger dans leurs sources et se garder de tels ecarts.
Et la Vérité vous rendra libre
serge maraite
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Sauvegarde de la Création

Message par serge maraite »

bonjour,

Il est étonnant de voir à quoi aboutissent les soucis terminologiques d'Anne Geneviève : elle met le doigt dans le mille ! En effet, dans nombre de textes officiels théologiques sur l'environnement, on parle effectivement de la Création, et non pas dans un sens restreint de protection mais de sauvegarde.
Anne Geneviève était d'elle même arrivée à cette terminologie plus adéquate, en tout cas plus chrétienne.
QUelques exemples ci-dessous, sur des sites internet:
http://www.sauvegardedelacreation.be.tf/
http://news.catholique.org/10967-sauveg ... benoit-xvi
http://crlib72.free.fr/sauvegarde_creation.htm
Les Conférences européennes d'Evèques (CCEE ou KEK) ont beaucoup planché là-dessus (grande rencontre de Bâle en 89).
Il semble que ce thème de la sauvegarde de la Création apparaisse avec plus de force lors de la rencontre interreligieuse d'Assise en 86.
On trouvera beaucoup d'infos sur internet à ce sujet, bonne recherche !
serge maraite
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Sauvegarde de la Création

Message par serge maraite »

Et il y a l'incontournable (mais hétérodoxe)
Cantique des Créatures de (Saint) François d'Assise, appelé par certains le St Séraphim de Sarov occidental.


Très haut, tout puissant et bon Seigneur,

à toi louange, gloire, honneur,

et toute bénédiction ;

à toi seul ils conviennent, ô Très-Haut,

et nul n’est digne de te nommer.



Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,

spécialement messire frère Soleil

par qui tu nous donnes le jour et la lumière ;

il est beau, rayonnant avec une grande splendeur :

de Toi, Très-Haut, il est le symbole.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les Etoiles ;

dans le ciel tu les as formées

claires, précieuses et belles.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent,

pour l’air et les nuages,

pour le ciel pur et tous les temps

par lesquels tu donnes soutien à tes créatures.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau,

qui est très utile et humble

précieuse et chaste.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu

par qui tu éclaires la nuit :

il est beau et joyeux,

indomptable et fort.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre,

qui nous porte et nous nourrit,

qui produit la diversité des fruits,

et les fleurs () et les herbes.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ;

Qui supportent épreuves et maladies ;

Heureux s’ils conservent la paix,

Car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés.



Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la mort corporelle,

A qui nul homme vivant ne peut échapper.

Malheur à ceux qui meurent en péché mortel :

Heureux ceux qu’elle surprendra en ta très sainte volonté,

Car la seconde mort ne pourra leur nuire.



Louez et bénissez mon Seigneur,

Rendez-lui grâce et servez-le avec grande humilité.





Saint-François d’Assise (13ème siècle)
Claude le Liseur
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Re: Sauvegarde de la Création

Message par Claude le Liseur »

serge maraite a écrit :Et il y a l'incontournable (mais hétérodoxe)
Cantique des Créatures de (Saint) François d'Assise, appelé par certains le St Séraphim de Sarov occidental.
Tout d'abord, bienvenue sur ce forum.

En laissant de côté le Cantique des Créatures, beau et poétique en lui-même, la comparaison que vous citez entre François d'Assise et saint Séraphin de Sarov me conduit à vous reproduire le texte suivant, qui est la traduction française, par un des modérateurs du présent forum (Antoine), d'un ouvrage publié par le monastère orthodoxe de la sainte Rencontre à Moscou, sur les différences entre la spiritualité de François d'Assise et la spiritualité orthodoxe.

Deux avertissements tout d'abord.

En premier lieu, ce texte n'est évidemment pas parole d'Evangile et ne prétend pas être la Vérité avec un grand V. Considérez néanmoins qu'il est écrit et publié par des gens qui ont une connaissance et une pratique de la spiritualité orthodoxe qu'aucun d'entre nous n'a. A ce seul titre il est déjà intéressant. Je crois aussi que le fait que ce texte émane d'orthodoxes russes pourra aussi vous intéresser au plus haut point, au vu de ce que j'ai cru comprendre de vos intérêts culturels.

En second lieu, comme vous n'êtes pas orthodoxe, ce texte vous choquera peut-être en vous donnant une image de François d'Assise qui ne correspond pas du tout à celle à laquelle vous avez toujours été habitué.
En général, les hétérodoxes qui viennent sur ce forum (sauf les protestants qui sont presque toujours ouverts à la surprise...) ont des idées assez préconçues sur l'Orthodoxie et sont choqués quand ils sont confrontés à des textes qui montrent que l'Orthodoxie ne correspond pas à l'image qu'ils s'en sont faite et que l'Eglise est une réalité divino-humaine différente de toute autre réalité terrestre. Souvent, ils s'en prennent au thermomètre plutôt qu'à la maladie, et repartent furieux en appliquant un principe dont ils ont oublié qu'il est d'origine communiste ("Si les faits ne correspondent pas à l'idéologie, changeons les faits!"), parce qu'il est plus facile de rester dans des idées préconçues que de changer d'opinion.
Le peu de choses que je sais de vous m'incite à penser que vous ne tomberez pas dans ce travers, que vous êtes suffisamment ouvert pour faire face aux surprises et que vous saurez tirer votre profit spirituel ou intellectuel même des textes que vous n'aimerez pas. Dans le cas présent, il est possible que le texte que je vais reproduire ci-dessous vous déçoive et vous déplaise profondément en vous montrant combien est grand le fossé entre François d'Assise et l'Orthodoxie, ou que vous soyez choqué par certaines opinions qui y sont exprimées à propos de l'ascète ombrien. Je ne peux que vous conseiller de dépasser ce premier stade pour tirer de ce texte critique ce qu'il a de positif: en ce sens que, plutôt qu'une critique de la spiritualité franciscaine, cet opuscule présente surtout une vision assez profonde de la spiritualité orthodoxe. J'ai toujours pensé que, plutôt que de toujours rester à la surface des choses ("vous avez le Pape, nous ne l'avons pas"), il était bon d'aborder les choses vraiment profondes et intéressantes. Tant pis si c'est par le biais d'une critique. En montrant l'hétérodoxie de la spiritualité de François d'Assise, le petit texte qui suit dessine surtout, comme par contraste, un portrait de certains éléments de la vie spirituelle et de la mystique orthodoxes la plus profonde, des aspects que l'on n'évoque guère dans les conversations de salon. J'espère que cet intérêt du texte vous permettra d'en retirer un profit plus grand que la déception probable que vous causera les opinions qui y sont exprimées sur la spiritualité franciscaine, et qu'ainsi, le plaisir en dépassera la peine.
Et, de toute façon, je crois que le diacre russe qui a écrit cette étude l'a fait avec la seule préoccupation qui doit nous guider: la recherche et le respect de la vérité. Et, comme vous le savez, que la vérité nous plaise ou non, "vous connaîtrez la Vérité, et la Vérité vous rendra libres" (Jn 8, 32)...

Alors, bonne lecture, et que cette lecture vous donne l'occasion d'un intéressant voyage, fût-il parfois difficile et fatigant, au pays de la mystique, de l'ascèse et de la lutte contre les passions.

Voici donc cet extrait du livre ФРАНЦИСК АССИЗСКИЙ И КАТОЛИЧЕСКАЯ СВЯТОСТЬ, que vous pouvez commander sur Internet à l'adresse http://www.pravoslavie.ru/sretmon/izdatel/francis.htm .


FRANCOIS D’ASSISE ET LA SAINTETE CATHOLIQUE


Les éditions du Monastère de La Sainte Rencontre (Sretensky Monastyr) ont publié « François d’Assise et la sainteté catholique » . Nous proposons un court extrait de ce livre à nos lecteurs. (Pour alléger cette prise de contact nous avons enlevé toutes les références historiques de cet extrait).
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On sait que dans sa jeunesse, François s’adonnait avec passion aux joies des divertissements mondains. Nourri aux romans chevaleresques et à la poésie des troubadours, qui d’ailleurs « n’étaient pas constitués que des seules trivialités de l’amour » mais « glorifiaient également avec passion les hauts faits guerriers », dès son plus jeune âge François se mit à rêver aux exploits, à la gloire et aux honneurs. Remarquons toutefois que l’engouement pour la poésie des troubadours ne resta pas sans traces : Quelques années après la fondation de son Ordre François « lisait à ses disciples les plus dignes les œuvres des troubadours – les maîtres de sa jeunesse ». Et comme les troubadours « ont suscité des pensées et des sentiments héroïques » François, qui avait grande soif de cette gloire chercha à la gagner par n’importe quel moyen, profitant avidement de a première occasion venue.

Ainsi, encore enfant, il fut le meneur de la bande de gamins locale, organisa les fêtes et les soirées, se fit élire « roi » de la fête. Et en cette compagnie loin d’être irréprochable et pieuse, où chacun s’employait à se montrer plus mauvais que nature, François estimait de son devoir de dépasser ses compagnons de beuverie dans cette vie licencieuse. « Il était très gai et assez frivole. Rires et chansons, discussions enflammées du programme des festivités à venir ou d’une nouvelle toilette, dépenses sans compter de l’argent paternel – telles étaient les occupations de François quand il ne se plongeait pas, pendant ses temps libres, dans les pensées solitaires ou ne se noyait dans des plans romanesques embrumés.
Il demeurait dandy de la tête aux pieds et ne pensait qu’à devenir un héros. » L’encouragement d’une telle conduite par les parents de François, fiers de son éclat, de ses succès et de sa notoriété eut pour conséquence que le futur « saint » déclarait ni plus ni moins : « Un jour viendra et le monde entier s’inclinera devant moi ».

François réfléchissait longuement sur le meilleur moyen de devenir célèbre et en recherchait sans répit l’opportunité rêvant jour et nuit à la gloire et aux honneurs.
L’occasion se présenta enfin : la guerre fut déclarée entre Assise, sa ville natale et Pérouse. François eut alors un songe déterminant pour ses désirs d’armures et d’ ordres guerriers. Ainsi nourri dans l’attirance et la rêverie de la chevalerie, il concrétisa son idéal et se rua dans le combat. La soif irrésistible de gloire et de célébrité ainsi que la folie des grandeurs avaient un tel empire sur François que les derniers mots du jeune guerrier empressé au combat furent : « Je reviendrai en grand chef ».

Ayant subi à la guerre une première déroute, François ne se désespéra pas et se joignit en quête de gloire à un chevalier. Mais un événement inattendu modifia ses plans. Une nouvelle vision reçue dans son sommeil lui révéla qu’il avait mal compris les précédentes : la gloire qui lui était promise devait être bien supérieure à celle qu’il s’était imaginée.

Cependant, c’est un François déçu et attristé qui revient à Assise, n’ayant rien obtenu de satisfaisant à ses désirs. La ruine de ses plans, de ses rêves de gloire militaire et de reconnaissance dans le monde lui était devenue intolérable. C’est alors qu’il se mit à prier longuement devant la Crucifixion (on parlera plus loin de la forme de la prière de François).
« Les prières prolongées l’enflammaient, des voix émanaient de la Crucifixion, et l’espace se peuplait de visions. Après ces accès il tremblait et tombait dans une profonde mélancolie».
Lors d’une de ces prières, se trouvant dans un état d’exaltation et de ravissement extrême, ayant par ailleurs contracté la fièvre, François entendit de nouveau une voix l’exhortant à restaurer l’église catholique menacée d’effondrement et de disparition. Il comprit alors que cette gloire sans commune mesure dans le monde avec celle des campagnes militaires, des fêtes et des honneurs terrestres, c’est de Dieu qu’il pourrait la gagner. Ayant pris conscience de la sphère dans laquelle il obtiendrait ce maximum de gloire et d’honneurs dont il avait tellement rêvé, François, sans réfléchir à deux fois, s’y plongea tout entier.

Par quoi François commença-t-il sa nouvelle vie héroïque ? Il est nécessaire de suivre au moins succinctement le développement de l’ambition et des aspirations à la gloire du jeune homme pour comprendre par quel engrenage il tomba sous ce que Saint Ignace Briantchaninov appelle le « charme terrifiant du diable » . .

Avec une incroyable audace François âgé alors de 23 ans changea complètement son mode de vie, tombant d’un extrême à l’autre. Il est très important de noter ici que le héros d’Assise s’est lui-même défini la voie à suivre sans recourir ni à un précepteur ni à un directeur spirituel. Plus loin nous verrons qu’à son endroit se sont réalisées les paroles de Saint Jean Climaque « à celui qui n’a pas débuté sa vie dans l’obéissance il ne sera pas possible d’acquérir l’humilité ; car celui qui a eu un auto-apprentissage de l’art – est en proie à l’orgueil ».

François quitta donc la maison paternelle et se mit aussitôt à prêcher.« Ses pensées étaient énoncées dans le désordre. . Il y avait plus de gestes que de mots . Il prêchait avec tout son corps se trouvant sans cesse en mouvement, les propos interrompus par des gestes enflammés et des hochements de tête, des pleurs, des rires, des mimiques exprimant ses pensées, et suppléant aux paroles ». tandis que « les yeux des auditeurs étaient baignés de larmes et que leurs cœurs bondissaient dans leurs poitrines ».

N’étant pas familier avec les enseignements et prescriptions des saints pères, c’est par volonté propre que François décida de revêtir le rôle héroïque de l’innocent (yourodivy)*, se revêtant intentionnellement de guenilles, quémandant des restes de nourriture, errant par les rues à la recherche de pierres pour construire une église et provoquant les gens en s’humiliant devant eux. Bien entendu, Piétro Bernardone,le père de François, désapprouvait la conduite de son fils et le voyant un jour sale et pauvre victime de jets de pierres et de boue, il le punit comme un père se doit de le faire. Quelques temps plus tard, François, sous jugement d’ un vol d’argent appartenant à son père, annonça publiquement qu’il reniait son père et quittait la vie du monde. Fort de cette conduite François organisera également par la suite, pour sa future fille spirituelle, « la petite plante » Clara, la fuite de la maison paternelle et le reniement des parents
Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, le monde occidental vivait à cette époque dans l’indifférence au Seigneur. Et c’est justement sur cet arrière plan que l’homme d’Assise eut l’idée de l’imitation du Christ ; mais cette imitation, comme nous le verrons, n’en avait que des apparences purement extérieures. Ainsi prit naissance ce qui fut appelé par la suite « la vertu de la sainte pauvreté », à savoir l’imitation du Christ dans la nécessité, l’imitation de la vie et de la pauvreté du Christ dans laquelle François s’était fortifié selon ses propres paroles. L’imitation de Jésus Christ était devenue l’essence même de la vie de François, le fondement de sa vocation de moine.
Cette imitation ne se matérialisait que par des manifestations extérieures : le héros d’Assise faisait tout pour ressembler à Jésus Christ par l’aspect extérieur, réalisant des actes semblables à ceux du Seigneur durant sa vie terrestre. Par exemple, comme le Christ, François se choisit 12 disciples et les envoya 2 par 2 pour prêcher dans le monde –( Mc 6,7,) « transforma » l’eau en vin, organisa une dernière cène, la faisant en tout semblable à la Sainte Cène du Seigneur. Il n’est pas sans importance de parler de l’apparition sur le corps de François de ce que l’on appelle « les stigmates » - plaies saignantes – sur les mains, les pieds, le côté (comme le Christ) témoignant du soit-disant « co-martyr » avec le Christ. Grâce à ces stigmates, François, sur son lit de mort, « semblait être le Christ à nouveau enlevé de sa croix ».

Plus encore, comme il le disait lui-même, François consacra sa vie à la réalisation d’un seul désir – souffrir pour les autres et racheter les péchés d’autrui. C’est là que la « Prière pour le Monde » de François est un exemple caractéristique : elle reflète bien son auto-identification avec le Sauveur.
« Donne-moi de faire naître l’amour dans les cœurs des méchants, d’apporter le bienfait du pardon à ceux qui haïssent, de réconcilier les ennemis. Donne-moi d’éclairer par la vérité les âmes des égarés, de renforcer par la foi ceux qui doutent ,d’éclairer de la lumière de Ta sagesse ceux qui sont dans les ténèbres. Donne-moi de faire renaitre par l’espoir les désespérés, de faire don de la joie aux affligés . . . »
En comparaison voyons la « Prière pour le Monde » du « Trebnik » orthodoxe :
« Nous Te remercions, Seigneur ami de l’homme, Roi des siècles et Donateur des biens qui a détruit les barrières de la haine, donné la paix au genre humain, faisant don maintenant encore de la paix à Tes serviteurs : enracine en leur sein Ta crainte, renforce l’amour des uns pour les autres, éteints toutes querelles, ôte toute tentation de discorde. Car Tu es notre paix, et nous Te rendons gloire , au Père et au Fils et au Saint Esprit, et maintenant et toujours et dans les siècles des siècles, amen. »
L’orthodoxe prie que ce soit justement Dieu qui fasse don de la paix et éclaire par l’amour les cœurs des hommes. François, lui, aspire à s’approprier ces propriétés.

Grâce à ces témoignages et des faits isolés de la biographie de François, ses proches et ses disciples se forgèrent une opinion conforme à toute sa vie, à savoir qu’il était devenu « un autre Christ » dont il était fait don au monde pour le salut des hommes », que le Christ s’était réincarné en lui, devenant Fils de l’Homme. Puis très peu de temps après sa mort apparut un « évangile », bonne nouvelle le concernant : « les Fioretti ».

Regardons maintenant en quoi consiste la véritable ressemblance à Jésus Christ dont témoignent les saints pères. Saint Syméon le Nouveau Théologien répond à cette question de la façon suivante : « la ressemblance au Christ est formée de la vérité, de la douceur, et en même temps de l’humilité et de l’amour des hommes ». Et l’homme qui rassemble ces qualités, Dieu (et justement Dieu et non pas l’homme lui-même) le rend « pur, chaste, juste, courageux devant la tentation, sage en ce qui concerne le Divin, compatissant, bienveillant, généreux, ami de l’homme, bon, véritable chrétien, véritable image du Christ . . . Cette ressemblance conclut-il s’acquiert par la mise en application des commandements » . Saint Pierre Damascène lui répond en écho : « Celui qui cherche le Christ doit le faire non pas à l’extérieur mais à l’intérieur de soi, c’est à dire être corps et âme comme le Christ, sans péché selon les forces humaines ». De son côté le vénérable Ambroise d’Optino dégage trois éléments sur la question de la ressemblance au Christ : 1) être miséricordieux, c’est à dire compatissant et indulgent, pardonnant aux gens tous leurs défauts, leurs offenses et vexations ; 2) mener une vie sainte, c’est à dire conserver la chasteté et la pureté du corps et de l’âme devant toutes les passions ; 3) tendre à la perfection qui est dans la profondeur de l’humilité. Autrement dit, en voyant la hauteur à laquelle il faut se hisser, il faut considérer toutes ses œuvres et ses travaux comme n’étant rien – Luc 17-10. Quant au vénérable Jean Climaque – il disait : s’étonner des œuvres des saints est très louable ; les envier est salutaire ; mais vouloir tout à coup imiter leur vie est tout à fait déraisonnable et impossible ». Si l’on parle ainsi de l’imitation des saints que dire alors de vouloir imiter la vie du Seigneur Lui-même ?


Maintenant il est temps de passer aux trois révélations et aux visions de François qui sont considérées à juste titre comme les plus importantes dans sa vie et sont naturellement les conséquences justes de sa pratique mystique extraordinaires. Les deux visions dont il sera fait mention ici on eu lieu sur le mont Alverno qui lui a été offert en présent à la fin de sa vie terrestre.

La première démontre de façon évidente où prenait racine l’auto-abaissement de François qui passe comme un fil rouge au travers de sa vie. Effectivement, comme dans cette « discussion humble » avec frère Léon, dont on a parlé plus haut, la plupart du temps l’expression de l’homme d’Assise est accompagnée de commentaires extrêmement humiliants pour lui-même : « Moi qui suit le plus indigne et le plus ignoble des hommes que Dieu ait mis sur cette terre », « je suis ignorant et sot », et beaucoup d’autres choses semblables. Un témoignage spectaculaire d’une véritable compréhension de son auto-humiliation est la phrase suivante extraite de son « Message à l’ensemble de l’Ordre » : « je suis le dernier de vos serviteurs, insignifiant et faible . . . Entendez fils de Dieu , mes frères, et écoutez mes paroles. Inclinez l’oreille de votre cœur et obéissez à la voix de Fils de Dieu ».

Donc, en priant un jour sur le Mont Alverno avec ces paroles d’auto-humiliation : « Seigneur, que suis-je devant Toi ? quelle est ma signification devant Ta force, ver de terre insignifiant, Ton serviteur insignifiant ! » Et répétant ces proclamations sans cesse, François reçut la réponse qu’il espérait: deux grandes lumières lui apparurent, dans la première il reconnut le Créateur, et dans l’autre : il se reconnut lui-même. Cette assimilation au Christ à laquelle François avait passionnément aspiré en son âme durant toute sa vie consciente se réalisait enfin : il se vit égal à Dieu ! Cette vision est justement l’une des raisons principales qui poussent les disciples de François, ses continuateurs et admirateurs à proclamer d’une seule voix qu’en leur maître s’était réalisée une nouvelle incarnation du Christ.

La deuxième révélation dont il fut l’objet sur la même colline fut d’une telle force qu’elle devint par la suite une des principales bases de canonisation du héros deux ans après sa mort. Naturellement, il s’agit de l’événement le plus important (du point de vue des catholiques eux-même) de la vie de François, à savoir l’apparition des stigmates sur son corps, c’est-à-dire de plaies et d’ulcères semblables aux plaies de la crucifixion du Sauveur. Cela s’est passé comme suit : le 14 septembre 1224, le jour de l’exaltation de la Sainte Croix, François était agenouillé, les bras levés vers le ciel et priait pour que Dieu lui accorde de revivre les souffrances que le Seigneur Lui-même avait subit sur la Croix (remarquons encore une fois qu’il s’agissait d’une prière exempte de tout repentir) Un désir si inhabituel et si intéressant sera d’autant plus compréhensible si l’on se souvient qu’une telle quête irrésistible « d’avoir la vision du visage aimé du Christ et de souffrir de Ses souffrances » animait également E.I. Rerich qui lui aussi par la suite ressentira son identité avec le Christ. . . Donc, au bout d’un certain temps, priant de cette façon, François acquit la ferme certitude que sa demande allait être exhaussée. Et tout de suite après « il s’abandonna à la contemplation des souffrances du Sauveur, contemplation portée au plus haut point de concentration ». Enfin, « dans le trop-plein de l’amour et de la compassion qu’il éprouvait, il se sentit totalement transformé en Jésus Christ ».

Une telle pratique de la méditation dont est totalement exclu le repentir, base des bases de toute vie chrétienne, est uniquement tournée vers soi-même : la personne pratique la méditation pour obtenir plaisir et délectation. Se sentant digne « de la joie et de la béatitude » le méditant trouve alors une complète autosatisfaction dans sa pratique, ce qui entraîne une « autodéificaton » sans Dieu et malgré Sa volonté. De façon étonnante, la méthode employée par François nous rappelle une pratique semblable dans le bouddhisme , enseignement incompatible avec le christianisme, et ceci dans la mesure où le moteur en est un seul et même esprit – celui de l’orgueil sans limite. Par ailleurs si l’on prend en compte l’enseignement relatif à la personnalité, déformé et transformé dans le catholicisme, la raison pour laquelle François « s’est senti totalement transformé en Jésus » - deviendra parfaitement claire, transformé qu’il fut, non par vertu à laquelle nous sommes tous appelés, mais par nature, se sentant dieu dans son être même.

Après cela, complètement séduit par sa prière, le héros d’Assise ne remarqua pas le blasphème qui se présentait à ses yeux : il vit un séraphin cloué à la croix. Le terme de blasphème est le seul qui puisse s’appliquer à cette parodie du grand mystère de l’incarnation et du rachat de l’homme qui remplace le Créateur et Rédempteur par sa créature. . .
Une tempête de sentiments – de sentiments terrestres – submergea notre héros et il s’ensuivit que, « sur son corps cette manifestation laissa des traces merveilleusement conservées des souffrances du Christ, car aussitôt surgirent sur les mains et les pieds de François comme des clous. Il semblait que ses mains et ses pieds étaient en leur milieu transpercés par ces clous . . . Sur le côté droit de sa poitrine apparut la trace du coup de lance, comme une cicatrice enflammée et d’où s’écoulait le sang que l’on pouvait voir transparaître sur ses vêtements.
François portait sur sa poitrine, ses mains et ses pieds l’image et la ressemblance corporelle au Sauveur » .

Là il convient de tomber d’accord avec les catholiques : la mystique de l’ascète d’Assise atteint son apogée. Le brûlant désir de ressembler au Christ en L’imitant est devenu réalité pour François : il se sentit « transformé en Jésus », jusqu’à la ressemblance dans sa chair.

Cependant, en ce qui concerne ce genre de visions, les saints authentiques en ont une toute autre opinion.
Ainsi, le vénérable Barsanuphe répondait au questionnement d’un disciple sur l’attitude à avoir en présence d’ une vision ayant le visage du Christ: « Frère, ne te laisse jamais tenter par de tels messages du démon, car les apparitions de Dieu ne se manifestent qu’aux seuls saints, et dans le cœur de ceux-ci préexistent toujours le silence, la paix et l’indulgence. D’ailleurs, les saints qui ont eu une telle apparition en vérité ne s’en estiment jamais dignes. Alors d’autant plus, les pécheurs, connaissant leur indignité, ne doivent ils jamais croire en de telles manifestations. »
Cependant, François au contraire comme on le voit dans tout ce qui a été exposé ci-dessus, accepta tout sans le moindre doute comme étant la vérité.
Ce qui est également intéressant c’est que dès l’apparition des stigmates François se « désintéressa de tout ce qui se passait dans l’Ordre » et laissa les moines vivre à leur guise.

Pour cette raison sans doute, s’étant persuadé être l’égal de Dieu, l’homme d’Assise déclara par la suite : « Je ne vois chez moi aucun péché que je n’aurai racheté par la confession et le repentir ». Pour comprendre à quel point il s’était éloigné de Dieu on peut comparer cette phrase à la révélation spirituelle de Abba Dorothée : « Plus on s’approche de Dieu et plus on se sent pécheur » ; et plus on s’en éloigne plus on se sent pur et moins on remarque ses propres péchés.

Mais où une telle vie spirituelle a-t-elle mené François – on peut au moins le déduire des paroles prononcées sur son lit de mort : « Je pardonne à tous mes frères, à ceux qui sont présents, comme à ceux qui sont absents, leurs offenses et leurs erreurs et leur pardonne leurs péchés pour autant que j’en ai le pouvoir ».
Remarquez bien : même aux portes de la mort il ne demande pas pardon, au contraire c’est lui-même qui pardonne. Et enfin, il finit sa vie avec la pleine conscience d’être un juste : « J’ai accompli ce que je devais accomplir ». Là nous sommes complètement à l’opposé de ce qui a été dit par le Seigneur lui-même ; « Lorsque vous aurez accompli tout ce qui vous a été commandé, dites : « nous sommes des serviteurs insignifiants car nous avons réalisé ce qui devait être fait » (Luc 17,10).

Ensuite, si l’on établti une comparaison entre la mystique de François et les enseignements des saints pères, il faut se souvenir que toutes les visions et révélations de l’ascète d’Assise et de ses « frères cadets » ont été données à ces derniers à l’issue de manifestations tumultueuses de sentiments et d’émotions. Mais, ainsi que le fait remarquer Saint Isaac le Syrien, « le commencement de la vie en vérité est la présence dans l’homme de la crainte de Dieu. Et elle ne peut co-exister dans l’ âme avec un esprit qui vagabonde, car si le cœur sert les sentiments il est distrait de la jouissance de Dieu » et l’homme ressent justement des plaisirs sensuels. Celui qui a le cœur triste mais laisse ses sentiments en liberté, poursuit-il, est semblable au malade qui souffrant dans son corps laisse ses lèvres ouvertes à toute sortes de nourritures nocives pour lui. Quels que soient les efforts déployés par un tel homme pour que le spirituel descende jusqu’à lui, le spirituel ne s’y soumet pas. Et s’il a l’audace de se laisser aller à ses désirs et lève son regard vers le spirituel et tente de l’atteindre par la raison en temps inopportun, alors sa vue va faiblir et au lieu de la réalité il contemplera des spectres et des représentations imaginaires ».

Ce n’est pas pour rien que les ascètes expérimentés, comme le vénérable Jean Climaque, connaissant en profondeur la prière, ont témoigné des révélations mensongères qui peuvent se produire en disant : « J’ai ressenti que ce loup voulait me séduire en provoquant dans mon cœur une joie indicible, les larmes et la consolation, et par mon inexpérience j’ai pensé que j’avais reçu le fruit de la vertu et non la vanité et le charme ». C’est pourquoi ils mettaient en garde : « Examine les délices qui s’installent : ne sont-ils pas empoisonnés par des médecins amers pire que les assassins cruels de l’âme humaine » et ils enseignaient : « De la main de l’humilité et non de l’orgueil, de la glorification, et du sentiment de sa ressemblance au Christ écarte la joie qui apparaît comme en étant indigne pour ne pas t’en enorgueillir et ne pas accueillir le loup au lieu du pasteur ».

Cependant François lui-même, négligeant tous les conseils et enseignements des pères anciens, pense différemment sur le sujet : « Dieu est doux et agréable, aimable, aimé et plus que tout désirable » c’est pourquoi j’accompli « les paroles embaumées de mon Seigneur ».

De quelle façon le martyr d’ Assise accomplissait-il ces « paroles embaumées » reçues dans de nombreuses révélations ?
Voici un exemple caractéristique :
Un jour, avec son frère d’Ordre Masséo, François entra dans une église pour prier et recevoir une nouvelle révélation. « Dans cette prière, il ressentit une telle clémence sans borne qui enflamma si fort son âme d’un amour pour la sainte pauvreté, qu’on aurait dit que le feu de l’amour s’échappait de la rougeur de ses joues et des ses lèvres entrouvertes. Et comme en proie à ce feu il s’approcha de son camarade et lui dit « Ah ! Ah !, Ah ! mon frère Masséo, donne-toi à moi ! » Ayant dit cela trois fois, saint François souleva d’un seul coup Masséo en l’air et le projeta à une distance d’un jet d’une grande perche. Et le frère Masséo était grandement ébranlé par cela et racontait à ses camarades qu’à l’instant même où saint François le soulevait en un clin d’œil et le projetait en l’air il ressentit un délice de l’âme et une consolation du Saint Esprit, tel qu’il n’en avait jamais ressenti de sa vie ».
Elle est vraiment étrange n’est-ce pas cette « consolation du Saint Esprit » qui suite à cette phrase ambiguë « donne-toi à moi », défiant les lois de la gravitation, te projette en l’air et te précipite vers le bas la nuque contre les dalles de pierre . . .


Diacre Alexis BEKORIOUKOV


NdL= * юродивый, grec σαλός, roumain nebun pentru Hristos. On notera au passage que cette "folie" a dû aussi exister, au moins dans le monde germanique, avant le schisme du XIe siècle; je me demande autrement quelle serait l'origine des Narrengeschichten, et il me semble parfois que Til Eulenspiegel n'est que la version laïcisée d'un fol-en-Christ, le souvenir affaidi de quelque chose qui avait existé avant, mais le sujet mériterait un fil entier.
Dernière modification par Claude le Liseur le mar. 12 sept. 2006 12:27, modifié 1 fois.
serge maraite
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Message par serge maraite »

Merci beaucoup pour votre réponse, pour ce texte et vos précisions en ouverture.
Merci pour votre accueil sur ce forum (qui est un peu le vôtre) et cette mise en garde personnalisée, quasi sur mesure. Vous avez vu juste.
On va prendre le temps de lire tout cela.
Etant (parfois naïvement) de nature constructif, je me demande s'il existe également de solides textes sur le contenu orthodoxe des propos ou de certains propos ou de la vie de François ? Des textes sérieux faisant un parallèle entre lui et des saints orthodoxes ?
Si le forum a déjà abordé la question, je vous présente toutes mes confuses.
bien cordialement,
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Juste un mot pour Pascal Yannick.
L’alternative au pétrole existe déjà, et je ne parle pas des éoliennes qui découpent les oiseaux en rondelles. La question est politique, pas technique ; mais ce forum n’est pas le lieu pour en débattre.
Quant aux modifications climatiques, on a déjà vécu pire depuis que l’homme existe, par exemple les glaciations de Würm et les hoquets du réchauffement qui a suivi. Ce n’est peut-être pas non plus le lieu d’en débattre mais je suis d’accord pour en parler par courriel ou sur mon blog.
Ma critique portait sur l’utilisation en liturgie de termes idéologiquement connotés et quelque peu en contradiction avec la tradition théologique. Et ça, c’est le lieu d’en débattre.

Merci, Claude, pour ce texte plus qu’intéressant sur François d’Assise. Dieu seul sonde les reins et les cœurs mais le seul fait qu’on puisse analyser ainsi le comportement de François tel qu’il nous a été rapporté par les documents d’époque devrait inciter à la prudence. Il se passe d’ailleurs à notre époque quelque chose de curieux. François s’inscrit dans tout un mouvement de son temps, toute une discussion sur richesse ou pauvreté de l’Eglise et dans l’Eglise qui dépasse largement son aventure personnelle. Chez lui, cette question semble devenue obsessionnelle. Or ce n’est pas la relecture qu’en fait notre temps qui voit plutôt en lui un amoureux de la nature, un ami des bêtes et des fleurs, assez nunuche au demeurant. Sur ce point, j’aimerais donner en antidote quelques réflexions de Théodore Monod dans son article « Une foi à repenser » :
Théodore Monod a écrit :1. c la relation de l'homme et du monde animal
Un autre sujet difficile concerne l'attitude des Églises chrétiennes à l'égard du monde animal. Consultons la Bible : les animaux y sont mentionnés environ deux mille fois. On pourrait espérer y trouver des préceptes interdisant la cruauté à l'encontre des animaux. On y rencontre des maximes utilitaires : "Tu n'emmuselleras pas le boeuf qui foule le grain" ; "Quand tu déniches des oiseaux, prends soin d'épargner la mère" ; il n'est pas conseillé d'agir ainsi par pitié pour l'oiseau, mais dans l'espoir de disposer d'une autre nichée... Deux versets seulement suggèrent des devoirs possibles à l'égard des animaux. Le premier se trouve dans l'Ecclésiaste : "Qui pourrait prétendre que l'esprit de l'homme monte alors que l'esprit de l'animal descend ?" ; le second dans Jonas, lorsque Dieu questionne : "Comment pourrais-je ne pas pardonner à cette ville où il y a un nombre incroyable d'habitants et des animaux en grand nombre ?" Mais l'animal est le plus souvent considéré comme un objet.
Autrefois, j'ai mené une recherche sur l'animal face à la pensée et à la morale chrétienne. J'ai étudié les Pères de l'Église dans l'abondante littérature patristique. Il existe deux patrologies, l'une grecque, l'autre latine. Elles représentent deux cents volumes. Les Pères de l'Église connaissaient fort bien la Bible.
L'un d'eux, Isaac de Ninive, a dit au sixième siècle quelque chose d'admirable : "Je veux un coeur qui s'enflamme de charité pour la création entière, pour les hommes, pour les oiseaux, pour les bêtes, pour les démons, pour toutes les créatures. Priez aussi pour les animaux et même pour les reptiles, dignes eux aussi d'une pitié infinie."
Mais peu de disciples, dans les Églises chrétiennes, se sont intéressés à ce problème. Les théologiens se montrent gênés par tout ce qui tend à créer une sympathie avec l'ensemble des êtres vivants, à réduire l'ampleur du gouffre qu'ils ont établi entre l'homme et les autres animaux. L'homme est, paraît-il, le roi de la création ; par conséquent il a tous les droits. Bien entendu, le roi n'est pas toujours un tyran. Il peut être bénéfique. Dans la pratique, il n'en fut pourtant pas ainsi.
Dans la tradition biblique, au chapitre 9 de la Genèse, après la fin de l'épisode de l'Arche de Noé, on trouve ce terrible verset : "Soyez la terreur des êtres vivants, ils sont livrés entre vos mains..." Là commence, d'après la tradition judaïque, la carnivorité. Dans le jardin d'Éden, on ne mangeait pas les animaux ; on les nommait, ce n'était déjà pas si mal. Tout change à partir de ce moment relativement tardif. S'agit-il d'un commandement ou d'une constatation ?
C'est un phénomène étrange, que les Églises chrétiennes refusent de s'intéresser à la condition animale. On a trouvé un évêque pour défendre la corrida, alors que plusieurs de ses prédécesseurs l'avaient courageusement combattue. L'un d'eux avait même décelé la honteuse complicité qu'apporte à la corrida la rencontre entre le sadisme et l'érotisme. Mais il est vrai que l'amateur de corrida est évêque de Nîmes...
On a trouvé un autre évêque pour approuver la chasse, un théologien lyonnais pour approuver la chasse à courre, pourtant supprimée en Allemagne dès 1934, devant l'être prochainement en Belgique et, probablement, bientôt en Angleterre. L'Europe avance quand même peu à peu, mais la France reste cependant la lanterne rouge du continent.
3. Pour une théologie de la nature
Quelle doctrine théologique devons-nous construire ? Beaucoup d'efforts ont été consacrés à cette tâche descriptive. Certains furent singuliers. Le Pasteur Babel de Genève a publié une Théologie de l'énergie. C'est un aspect de la question. Mais je voudrais qu'on travaille à une théologie de la nature. Ce sujet fut fortement négligé par la pensée chrétienne. Les apologistes ont abusé d'une description idyllique de la nature. Ils nous ont beaucoup parlé des petits oiseaux, des papillons, des fleurs ; voilà qui était charmant ! Cependant, ceux qui connaissent la nature savent qu'elle n'a rien d'idyllique. Il s'agit d'un monde particulièrement cruel, empli de sang et de brutalité.
Les animaux herbivores sont constamment menacés par des prédateurs, lesquels n'hésitent pas à les dépecer vivants quand ils le peuvent. Nous disposons par exemple de terribles documents sur la chasse des lions. La nature est emplie d'horreur, de souffrance et de sang. Jeune encore, lorsque je commençais à m'intéresser à l'histoire naturelle, j'ai rencontré en Normandie un malheureux crapaud, dont le visage, la face était partiellement détruite par la croissance d'une larve de diptère. Certaines pondent dans les fosses nasales des crapauds ; la larve, en se développant, détruit une partie de la tête de ce malheureux animal. Songeons aussi aux parasites ! Les apologistes n'y pensaient pas. Ils ne savaient peut-être pas qu'il en existait. Or, les parasites composent un monde incroyable. Il s'en trouve partout. Il n'est pas une espèce animale qui ne connaisse ses parasites externes ou internes. Ces derniers peuvent causer des ravages physiques considérables, provoquant des souffrances qui ne le sont pas moins.
Imaginer que tout provient de la volonté d'un Dieu miséricordieux, compatissant à l'égard de ses créatures, voilà qui paraît difficile à admettre, quand on contemple la vérité physique de l'affreux spectacle de la nature. Pour aborder de tels problèmes, peut-être faudrait-il posséder des connaissances, dont ne disposent pas la plupart d'entre nous.
Le texte entier est disponible sur www.theolib.com/monod.html
Bien entendu, Théodore Monod n’était pas orthodoxe ; il s’inscrivait dans une longue lignée de huguenots et des plus rigoureux. Mais c’était un homme qui avait une curiosité vive et une sympathie pour la tradition orthodoxe, qui lisait les Pères, qui avait compris la spiritualité du désert en traversant le Sahara. J’ai toujours trouvé ses réflexions décapantes.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
Silouane
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Message par Silouane »

Je trouve ce fil très intéressant et en particulier les réflexions d'Anne Geneviève (ainsi que la citation de Monod). Il y a chez les Pères (du moins chez certains... je les connais trop peu) une approche de la nature (la création...) dépassant celle du "bon gérant" (p.ex., épargner la mère oiseau pour ne pas mettre en péril la transmission de la vie, la continuation de la lignée), sans toutefois avoir rien de sentimentaliste. On a cité Isaac le Syrien. Cela me rappelle aussi cette profonde sensibilité de S. Silouane, comme nous le rapporte l'Archimandrite Sophrony:
Le Starets disait que l'Esprit Saint nous apprend à avoir pitié de toute créature, de façon à ce que nous ne voudrions même pas abîmer la feuille d'un arbre "sans nécessité". "La feuille de l'arbre est verte, et tu l'as arrachée sans nécessité. Bien que ce ne soit pas un péché, pourtant, le coeur qui a appris à aimer, pour quelque raison, a pitié de la feuille, il a pitié de toute créature." (Starets Silouane, édition russe, p. 41 & 156)
(Excusez la traduction; je n'ai pas ici celle de l'Archimandrite Syméon malheureusement...). Quelle délicatesse devant la "moindre" créature, quelle tendresse... qui pourtant ne s'attache pas à la créature en soi mais s'adresse, à travers elle, à son Créateur! C'est touchant cette simplicité: "La feuille est verte...". Verte, elle est verte! C'est immense, cette prière qui se renouvelle à la vue de la moindre feuille, fleur, oiseau ou abeille. Et plus encore, à la vue de tout homme, en particulier de celui qui s'égare. C'est aussi le plus difficile pour nous qui n'avons pas l'état d'esprit de Silouane. Grâces à Dieu qu'il y a aussi la nature (malgré la violence venue avec la chute) pour nous aider à nous souvenir de Lui et de la tendresse avec laquelle Il a tout créé. Et puis, surtout, la prière en Eglise, la Liturgie, le chant sacré, les icônes. Comme j'ai aimé l'explication, donnée sur un autre fil, de l'origine des styles du chant sacré à partir des oiseaux et des insectes qui, à leur façon, chantent le Seigneur et font sourdre en nous une prière, un chant de l'âme vers Dieu!
Silouane
Sylvie
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Message par Sylvie »

Cher Harald,

Vous rapportez un extrait de saint Silouane.
Le Starets disait que l'Esprit Saint nous apprend à avoir pitié de toute créature, de façon à ce que nous ne voudrions même pas abîmer la feuille d'un arbre "sans nécessité". "La feuille de l'arbre est verte, et tu l'as arrachée sans nécessité. Bien que ce ne soit pas un péché, pourtant, le coeur qui a appris à aimer, pour quelque raison, a pitié de la feuille, il a pitié de toute créature." (Starets Silouane, édition russe, p. 41 & 156)
Je n'ai pas encore lu sa vie. Je ne connais pas toute sa spiritualité.

Mais ce simple extrait me donne l'impression que c'est plus que la beauté extérieur de la nature qu'il saisissait. Cet extrait me fait penser qu'il comprenait la relation entre l'homme et la création. Si Dieu a pitié de nous pécheurs, nous devons avoir pitié des autres, des personnes d'abord et même de la nature qui est complètement à la merci des hommes. Alors pourquoi abîmer la feuille d'un arbre "sans nécessité".

Je continue ce que j'en comprends de cette phrase. Surtout que la feuille est verte. Elle est en santé. Était-ce pour faire une étude biologique pour un besoin médicinal ? Est-ce que la feuille était porteuse de maladie qui aurait affecté tout l'arbre ? D'accord, il peut y avoir une nécessité.

La création répond aux besoins des hommes. A tout ses besoins, médicinaux, nourriture etc. Même la beauté de la création répond aux besoins des hommes pour sa réjouissance. Pour rendre gloire à Dieu pour tant de beauté. Dieu a créé même ce qui n'était pas essentiel pour la survie de l'homme. Mais pourquoi arracher la feuille si elle est encore verte, en santé et la jeter par terre inutilement ? Dieu ne nous rejette pas alors que nous sommes pécheurs. Alors pourquoi briser ce qui est sans défense et surtout s'il est sain si ce n'est pas pour répondre à une nécessité ?

C'est ainsi que je comprends cet extrait.


Sylvie-Madeleine
Silouane
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Message par Silouane »

Oui, c'est bien ça! En continuant ma lecture je retrouve bien le sens que vous indiquez. C'est la clémence, la grâce de Dieu envers toute créature que S. Silouane vivait:
"Le Starets se conduisait avec sollicitude même envers les plantes; il estimait que même par rapport à elles, toute sorte de brutalité, leur faisant du tort, est contraire à l'enseignement de la grâce." (p. 41)
Et le P. Sophrony de se rappeler comment un jour, alors qu'il se rendait du monastère à son ermitage accompagné du Starets, en s'apercevant des touffes d'herbe sauvage qui bordaient le sentier, il (le P. Sophrony) frappa de sa canne une tige pour la briser juste en-dessous de l'épi, afin d'éviter qu'en répendant ses semences, l'herbe finisse par envahir le sentier. Voyant cela, le Starets exprima son incompréhension par un léger mouvement de la tête, et le P. Sophrony sentit aussitôt de la honte.

Et plus loin, encore à propos de la feuille verte:
"Mais chez lui cette pitié pour la verte feuille d'arbre ou de la fleur des champs à ses pieds s'accompagnait d'un rapport tout à fait réel avec toute chose dans le monde. Il en était chrétiennement conscient que toute créature est créée pour rendre service aux hommes, et donc, quand c'est "nécessaire", l'homme peut tout utiliser. Lui-même coupait le foin, abattait des arbres, se préparait des bûches pour l'hiver et mangait du poisson." (p. 42)
Et:
"Il disait que tout est créé pour servir l'homme, et c'est pourquoi, quand on en a besoin, on peut tout utiliser dans la création; mais en même temps repose sur l'homme le devoir de prendre soin de la création entière; et donc tout dommage causé à un animal et même à une plante contredit la loi de la grâce. "
S. Silouane pouvait longuement déplorer sa "cruauté envers la créature" pour avoir, "sans raison", tué une mouche ou une chauve-souris; ou, en apercevant sur le chemin un serpent mort coupé en morceaux, il "avait pitié de toute créature et de tout être qui souffre".

En même temps il considérait que l'attachement aux animaux est contraire à la nature humaine et "attriste le Seigneur". Ainsi il écrit: "Mais toute passion envers les animaux contredit également le commandement divin, parce qu'elle diminue l'amour envers Dieu et les hommes". Et: "Envers les animaux il ne faut pas avoir de passion, il faut seulement avoir un coeur qui a pitié de toute créature". (Je me demande si S. Silouane rejetterait les préoccupations comme celles du WWF par exemple. Dans la mesure ou cela peut détourner l'attention de Dieu et des hommes peut-être...? Mais si cela est fait "sans passion", dans un mouvement de pitié? Ou suffit-il à la pitié de ne pas faire de mal "sans nécessité" et de prier Dieu pour les créatures?).

Enfin S. Silouane n'avait pas seulement pitié des animaux et des plantes, mais il se réjouissait aussi de leur beauté:
"L'âme du Starets s'émerveillait de la beauté du monde visible. Cet émerveillement, il ne l'exprimait ni par sa posture, ni par des mouvements; on ne pouvait s'en apercevoir qu'à travers l'expression de son visage et l'intonation de sa voix. Une telle retenue, sans chercher à s'exprimer, rendait plus forte encore l'authenticité son expérience profonde. Toujours concentré dans son homme intérieur [NB. traduction littérale], il observait peu le monde extérieur, mais quand son regard se tournait vers la beauté visible du monde, c'était une nouvelle occasion de voir la gloire de Dieu et un nouveau retour du coeur vers Dieu.

De ce point de vue il était semblable aux enfants: tout l'émerveillait. De façon tout à fait juste, il remarque dans ses notes que celui qui a perdu la grâce ne perçoit pas dûment la beauté du monde et ne s'émerveille de rien. Toute cette création de Dieu inexprimablement magnifique ne le touche pas. Et inversement, quand la grâce de Dieu est avec l'homme, chaque phénomène dans le monde frappe l'âme de son insondable splendeur, et par la contemplation de la beauté visible elle entre dans un état de sentiment (чувство) de Dieu, vivant et merveilleux en tout.

Le Starets observait avec une grande sensation de beauté les nuages, la mer, les montagnes, les forêts, les prairies, un arbre en particulier. Il disait que la gloire du Créateur est magnifique même en ce monde visible, mais que voir la gloire du Seigneur Lui-même dans l'Esprit Saint est une vision qui dépasse infiniment toute pensée humaine.

Une fois, en contemplant le mouvement des nuages dans le ciel attique bleu émeraude, il dit: 'Je pense: que notre Seigneur est grand! Quelle beauté Il a créée pour Sa gloire, pour le bien de Son peuple, pour que les peuples glorifient leur Créateur dans la joie... O Souveraine, rends ton peuple digne de voir la gloire du Seigneur'.

Ainsi, s'arrêtant un court moment à la contemplation de la beauté visible et de la gloire de Dieu [présente] en elle, il revenait de nouveau à la prière pour le peuple." (p. 42-43)
Silouane
Jean-Louis Palierne
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Message par Jean-Louis Palierne »

Oui il noud faut admirer la Nature et aimer les êtres vivants, et les protéger autant que nous pouvons. Mais il ne faut pas oublier que les êtres vivants sont comme nous soumis au règne de la mort (toute la biosphère est le théâtre d'un perpétuel carnage où plantes et bêtes s'entredévorent, meurent et se décomposent pour fournir de la matière vivante aux autres) et que la mort n'est apparue dans le monde que par suite de la faute d'uy seul homme.

C'est l'homme qui donne leur nom aux espèces animales et il peut en apprivoiser ou en cultiver certaines et vivre en symbiose avec.
Jean-Louis Palierne
paliernejl@wanadoo.fr
Antoine
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Message par Antoine »

Oui il noud faut admirer la Nature et aimer les êtres vivants, et les protéger autant que nous pouvons.
Un épisode de la vie de St Grégoire de Narek, de l'Eglise arménienne (donc d'une Eglise non chalcédonienne). Bien qu'il ne soit pas fêté dans notre synaxaire je lui laisse le titre de Saint.

Les évêques et les princes envoyèrent une délégation d’hommes sûrs auprès de Grégoire afin qu’ils l’amènent à leur tribunal pour être interrogé sur sa foi.
Les délégués arrivés à Narek, Grégoire comprit immédiatement leurs intentions.
Il leur dit : « Mettons-nous d’abord à table, avant de prendre la route. »
Il fait rôtir deux pigeons et les place devant ses hôtes.
Or c’était un vendredi. Ceux-ci, scandalisés, furent plus convaincus que jamais que ce qu’on rapportait de Grégoire était vrai.
Ils lui dirent donc : « Maître n’est-ce pas vendredi aujourd’hui ? »
Le Saint, comme s’il l’ignorait, leur répond : « Excusez-moi, mes frères. »
Et se tournant vers les pigeons : « Levez-vous, dit-il, retournez à votre volière, car aujourd’hui c’est jour d’abstinence. »
Et les oiseaux, retrouvant vie et plumes, s’envolèrent.
A ce spectacle, les envoyés tombèrent aux pieds du saint pour lui demander pardon.
Et ils s’en furent raconter le prodige à ceux qui les avaient délégués.


Ce passage de la vie de St Grégoire de Narek est empruntée au site "Etudes sur l'orthodoxie copte en France".
http://eocf.free.fr/text_elegies_narek.htm
Anne Geneviève
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Message par Anne Geneviève »

Oui, j’apprécie l’histoire des pigeons. On retrouve des épisodes du même genre dans plusieurs vies de saints mais cela me turlupine quelque peu car, bien souvent, l’hagiographe en fait une preuve de sainteté, un miracle pédagogique pour confondre des persécuteurs. Il y a là comme une pointe de vanité attribuée au saint par l’hagiographe qui me gêne beaucoup. J’aime mieux la vie de saint Goar, un ermite de chez nous, des forêts du diocèse de Trèves au VIIe siècle si ma mémoire est bonne ; l’affaire s’engage de la même manière : il reçoit ses accusateurs et leur sert un bon repas, ce qui finit de les convaincre d’avoir affaire à un imposteur. Il les suit docilement chez l’évêque, plusieurs jours de voyage. Mais quand les provisions manquent, il prie, une biche s’approche et il va la traire, ce qui frappe ses gardiens et change leur cœur. En présence de l’évêque qui l’invite à quitter sa houppelande, il l’accroche distraitement… à un rayon de soleil. Tout le monde s’en aperçoit, sauf lui ? Disons que, s’il sait ce qu’il fait, c’est avec humour et légèreté. Il ne force personne à lui attribuer une auréole. Il ne commande pas à la nature, elle le sert de son bon gré, dans une relation de confiance réciproque qui est comme un écho d’Eden.
"Viens, Lumière sans crépuscule, viens, Esprit Saint qui veut sauver tous..."
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