lecteur Claude a écrit :
En ce qui concerne la Belgique, le Canada, la France et la Suisse, Assimil nous a gratifiés de volumes consacrés à l'alsacien, à l'auvergnat, au basque, au breton, au bruxellois, au catalan, au chtimi, au corse, au flamand, au francoprovençal, au gascon, au lyonnais, au marseillais, au picard, au platt lorrain, au provençal, au québécois, au schwytzertütsch et au wallon. Un volume sur le languedocien est en préparation. Il ne manque plus que le limousin, le nissart et le romanche et on aura fait le tour.
Je me rends compte que, si j'ai rendu hommage à l'effort des Editions Assimil (France et Italie) et des Editions Peter Rump (Allemagne) en faveur des langues régionales plus ou moins menacées, je n'ai mentionné le travail des Editions L'Harmattan qu'à travers la mention de l'ouvrage du professeur Schanen consacré au luxembourgeois, cette variété de francique devenue langue co-officielle dans le Grand-Duché (à la fois trilingue et fort engagé en faveur de la défense de la francophonie; je me souviens encore avec émotions de la signalétique française offerte par le Luxembourg à la ville d'Alba Iulia en Transylvanie).
Il conviendrait pourtant de rendre justice à cette maison d'édition, dont le modèle économique permet de publier des ouvrages destinés à un public restreint d'amateurs, et qui a d'ores et déjà publié un grand nombre de livres sur les langues de la France et de la Suisse. Même si je trouve que la plupart des volumes de la collection "Parlons..." sont moins bien faits que ceux de la collection Assimil Evasion (sans même parler de l'incomparable méthode Assimil classique) - encore que le
Parlons mongol du professeur Jacques Legrand soit un chef d'oeuvre -, il faut quand même rendre hommage à une collection dans laquelle ont été publiés des volumes sur le provençal, le schwytzertütsch, le francoprovençal, l'alsacien, le corse, le basque, le catalan, le breton, le gallo, le luxembourgeois, et maintenant le romanche.
Il est bien tard, mais enfin, les Editions L'Harmattan nous ont gratifiés de la première monographie en français sur la quatrième langue officielle de la Suisse. Il est bien tard, car le romanche se porte mal; il était la première langue pour 40% de la population des Grisons en 1880; il ne l'est plus que pour 14,5% de la population des Grisons en 2000. Ce travail est dû à l'infatigable défenseur du francoprovençal Dominique Stich.
Dominique Stich
Parlons romanche
Editions L'Harmattan
Paris 2007
Ce livre vient très utilement compléter la très maigre bibliographie qui existe dans notre langue sur le romanche. Il est d'autant plus dommage que le romanche ne soit en général abordé qu'à travers l'allemand et soit si peu connu des Romands, dans la mesure où le romanche est la langue la plus proche du quasi-défunt francoprovençal, lequel est la langue la plus proche du français. En raison de l'orthographe surprenante du romanche, parfois déroutante en ce qu'elle applique à une langue latine les conventions orthographiques de l'allemand, on a tendance à oublier que le romanche est plus proche du français, au moins dans son vocabulaire, que ne l'est l'italien.
Il faut aussi louer le fait que le docteur Stich explique la grammaire du romanche à partir de celle du
rumantsch grischun, la koinè romanche mise au point en 1982 par le professeur Heinrich Schmid de l'Université de Zurich. Cette koinè est désormais la forme de romanche considérée comme langue officielle par la Confédération, la langue d'enseignement des classes romanches dans la ville de Coire (capitale germanophone des Grisons) et la langue d'enseignement dans le Val Müstair. Les idiomes traditionnels ne sont toutefois pas négligées pour autant, puisque le vallader et le sursilvan sont présentés. (J'ai eu pendant deux ans comme collègue de travail un avocat qui était de langue maternelle puter, idiome frère du vallader; cela l'avait-il prédisposé à maîtriser cinq autres langues?) Cet accent mis sur le
rumantsch grischun est d'autant plus intéressant que la (maigre) documentation disponible en français sur le romanche est presque toujours axée sur l'un ou l'autre des idiomes traditionnels: si l'on excepte le petit
Mini-dico rumantsch grischun-franzos & français-romanche du même Dominique Stich (Editions Yoran Embanner, Le Fouesnant 2005), il n'y a guère que le
Dictionnaire rumantsch ladin -français du professeur canadien (d'origine anglophone!) Gilbert Taggart, édité par la Ligue romanche, Coire 1990, qui, comme le titre l'indique, concerne exclusivement le puter et le vallader, et le magnifique
Dictionnaire romanche sursilvan-français de Jean-Jacques Furer (Fundaziun Retoromana Pader Flurin Maissen, Glion 2001 - 632 pages!) qui ne se consacre qu'à l'idiome rhénan.
Il serait pourtant temps de s'intéresser à la koinè plus qu'aux idiomes historiques. Comme on le sait, le romanche voit son statut officiel de plus en plus amélioré au fur et à mesure qu'il recule sur le terrain et a besoin de plus en plus d'aide de la Confédération et du canton des Grisons. Le romanche avait été reconnu comme "langue nationale" (
Landessprache, lingua nazionale) en 1938 par un plébisicte massif du peuple suisse destiné à affirmer la suissitude des Grisons face aux ambitions de Mussolini. Ce n'est qu'en 1996 que le romanche a été reconnu comme "langue officielle" (
Amtssprache, lingua ufficiale) au niveau fédéral, mais néanmoins à un moindre degré d'officialité que l'allemand, le français et l'italien, puisqu'il n'est langue officielle que pour les relations que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche, ce qui veut dire que les textes de loi ne sont pas systématiquement publiés en romanche, contrairement aux trois langues "vraiment" officielles. (Au plan cantonal, le romanche est une des langues officielles des Grisons depuis 1794, reconnaissance tardive quand on sait que le vallader, par exemple, a une tradition littéraire depuis au moins l'an 1527 -cf. Gabriel Mützenberg,
Destin de la langue et de la littérature rhéto-romanes, L'Âge d'Homme, Lausanne 1991, p. 21). Néanmoins, depuis la révision constitutionnelle de 1996, le romanche a obtenu une place qu'il n'avait jamais eu auparavant, et toute cette nouvelle production (jusqu'au Tribunal fédéral qui a rendu son premier arrêt en romanche le 9 juin 1996) se fait exclusivement en
rumantsch grischun. Cette koinè déborde petit à petit du strict cadre administratif et judiciaire pour devenir langue de culture et langue d'enseignement. Le
rumantsch grischun est d'ores et déjà devenu langue d'enseignement dans le Val Müstair dont le dialecte, le jauer, n'a pas de tradition littéraire, contrairement aux cinq idiomes historiques, ainsi que dans les classes romanches de la capitale cantonale de Coire, ville à majorité alémanique depuis 1464 et où les habitants romanches représentent une diaspora venue de tous les coins du canton. D'après le docteur Stich, plusieurs communes envisageraient de remplacer l'idiome surmiran, en net déclin, par le
rumantsch grischun comme langue d'enseignement et plusieurs communes de la région d'expression sursilvane seraient aussi intéressées. Il était donc plus que nécessaire que paraisse enfin un ouvrage en français consacrant autant d'attention à la koinè rhétique qu'aux cinq idiomes littéraires traditionnels.
J'ajoute encore que j'ai quelques fois eu l'occasion de signaler à des interlocuteurs roumains que le romanche présentait des similitudes étonnantes de vocabulaire avec leur langue. Non seulement, le roumain et le romanche sont les deux seules langues à se réclamer directement de l'héritage de Rome jusque dans leur non, mais ce sont aussi les deux seules langues, à ma connaissance, ou "église" se traduit par un mot issu de
basilica plutôt que par un mot issu d'
ecclesia (les deux substantifs étant d'ailleurs des mots grecs, βασιλικά οἰκία et εκκλησία, latinisés par la suite): là où le reste de la latinité parle d'église,
égllése en francoprovençal ORB,
glèisa en languedocien,
lïzà en auvergnat,
chiesa en italien,
iglesia en castillan,
igreja en portugais, etc., et où les langues germaniques voisines ont aussi emprunté le même mot (
Kirche en allemand,
church en anglais,
kerk en néerlandais), le romanche dit
baselgia et le roumain
biserica. Là où, dans toutes les autres langues de la famille, le latin albus a été supplanté par un adjectif germanique
blank (d'où blanc en français,
blanc en francoprovençal ORB,
blanc en languedocien,
blanch en auvergnat,
bianco en italien,
blanco en castillan,
branco en portugais, etc.) qui voulait en fait dire "brillant, lumineux" (cf. anglais
bright, allemand
blank), le romanche continue à dire
alv et le roumain
alb. Là où la fête du cinquantième jour après Pâques est désignée par l'original grec (Pentecôte en français,
Pentecouta en francoprovençal ORB,
pentecotà en auvergnat,
Pentecoste en italien,
Pentecostés en castillan,
Pentecostes en portugais, et d'ailleurs
Pentecostes en latin, etc., tous translittérant le grec πεντηκοστή), terme repris par les langues germaniques voisines (allemand
Pfingsten, anglais
Pentecost), le romanche et le roumain me semblent bien être les seuls à traduire en néo-latin:
Tschuncaisma et
Cincizecime.
Nul ne m'a jamais donné une explication de ces similitudes entre deux langues latines séparées l'une de l'autre pour un océan germanique et une île magyare, alors que le romanche n'a pas ces similitudes avec les langues latines dont il est géographiquement le plus proche (francoprovençal, ladin des Dolomites, français, italien, etc.) Elles sont d'autant plus intéressantes que la seule existence du romanche à l'heure actuelle perpétue le souvenir de la famille des Victorides qui fit de l'évêché - alors orthodoxe - de Coire le gardien de l'identité culturelle des populations rhétiques. Les orthodoxes oecuménistes, avec leur récriture permanente de l'Histoire, devront là aussi effacer le fait qu'à l'époque carolingienne, on a à la fois changé la religion en introduisant le
Filioque et fait de l'évêché de Coire un puissant facteur de germanisation. Et oui, amis oecuménistes, la thèse du professeur Romanidis et de ses épigones, cette thèse que vous trouvez si fantaisiste à propos des évêques orthodoxes romans que la monarchie carolingienne remplaçait par des fonctionnaires francs et filioquistes, vous en avez un exemple incontestable - et que donc vous passerez sous silence, comme d'habitude - dans les Grisons en 843 (cf. Manfred Grosser, adapté par Jean-Jacques Furer,
Romanche Facts & Figures, publié en français - comme le titre ne l'indique pas - par la Lia Rumantscha, 2e édition, Coire 2004, p. 16).
Est-il besoin de préciser que les orthodoxes ne publient rien en romanche, ni d'ailleurs rien à destination des autochtones des Grisons en général, et que l'unique texte en romanche que j'ai jamais trouvé dans un recueil liturgique orthodoxe avait naturellement été recueilli par l'archimandrite Denis (Guillaume) le Traducteur dans son
Evangéliaire polyglotte de Pâques?
Pour les personnes que la question du romanche intéresse, je me dois encore de signaler que la
Lia Rumantscha (Ligue romanche), ainsi que l'association
Pro Grigioni Italiano (les quatre vallées italophones - Val Mesolcina, Val Calanca, Val Bregaglia et Valposchiavo comptaient 13'947 habitants, soit 7,4% de la population des Grisons, en 2006 - cf. Vincenzo Todisco,
Una finestra sul Grigioni italiano, Editions Lehrmittel Graubüden, Davos 2006, p. 23 -, et l'italien est langue officielle du canton depuis 1794), sont chaque année présentes au salon du livre de Genève afin de mettre à la disposition du public francophone des livres et des informations sur la situation de nos langues soeurs dans le canton des Grisons.
N.B.: Pour les traductions en auvergnat - une des langues latines les plus riches par son vocabulaire -, je me suis bien sûr référé à ce chef d'oeuvre de lexicologie et de dialectologie qu'est le
Nouveau Dictionnaire général français-auvergnat du professeur Pierre Bonnaud, Editions Créer, Nonette 1999.