Intéressant, dans ce sondage, que deux intervenants, Eliazar et Sylvie, voient dans cette phrase une dissolution dans un nirvana impersonnel – alors que deux autres, Antoine et moi, voient plutôt les liens corps/univers.
Devant un tel écart de compréhension, il me semble qu’on ne peut pas isoler cette phrase d’OC de son contexte. Or le contexte, c’est le journaliste qui trouve « touchant », le pauvre chéri, qu’OC croie à la résurrection de la chair. Et c’est dans le début de la réponse que quelque chose ne va pas :
Qu’est-ce qu’une personne, sinon un visage donné à la matière du monde ? Je pense que viendra un moment où l’Esprit soufflera si fort que toutes les haines, les bêtises, les séparations, les cruautés seront balayées et le monde apparaîtra transfiguré. Chacun de nous s’inscrira dans cette matière du monde transfiguré, et ce sera la résurrection de la chair - chaque personne, dans ce qu’elle a d’unique, assumant le monde transfiguré.
OC n’aurait-il pas sauté une marche ? Ou un enseignement patristique ? Autant je suis prête à lier corps humain et matière du monde, autant personne et matière du monde me pose problème. Si le Christ est une hypostase en deux natures, c’est que l’hypostase, parce qu’absolument unique, transcende la nature – y compris la matière qui participe à la nature humaine, y compris les composantes non matérielles mais communes dans leur essence à tous les hommes, comme l’âme, le noûs, l’intellect et tout ce qu’on voudra. Alors le visage donné à la matière du monde, c’est joli, c’est poétique, mais ça n’épuise pas le mystère de la personne. Et là, je retrouve mon objection de départ : pourquoi OC met-il personne entre guillemets ?
En relisant tout l’article, dont la phrase du sondage n’est pas forcément l’élément principal, j’ai l’impression d’un homme coincé, qui n’ose pas confesser la foi orthodoxe dans sa plénitude et qui ne peut pas non plus s’en déprendre. Il s’en tire par des contorsions.
Il reste que je ne comprends forcément non plus ce que tu veux dire, Eliazar, quand tu parles de ton corps. Relire l’apôtre Paul, I Cor. 15, 35-56. C’est une telle transformation que l’on peut difficilement maintenir une continuité avec le corps présent. D’ailleurs y a-t-il une seule cellule, une seule molécule de ton corps présent qui ait été présente dans ce corps à ta naissance ? Qu’est-ce qui fait que, du bébé vagissant à l’homme mûr et par delà toutes les transformations, tu puisses le reconnaître comme tien dans une continuité ? Tu sais que tous ses composants ou presque auront disparu quelques années après la mort, et j’en conclus avec une logique de paysanne plutôt que d’universitaire que le corps de résurrection ne comportera pas une seule molécule du corps corruptible. Alors qu’est -ce qui va te faire dire que c’est bien ton corps, porteur de ton histoire, de ton péché et de ton baptême ?
Il me semble qu’il faudrait retraduire la phrase d’OC pour ce monde-ci. Puis-je dire que la personne puise dans le monde actuel un corps mortel et que c’est le monde qui est son corps ? Eh ben c’est une formule osée mais pas si fausse. Ton corps est formé des éléments du monde et sa survie dépend bien de ce que tu y puises, air, nourriture, etc., sans parler des bactéries que tu abrites et qui t’aident à l’assimiler. Peux-tu aller jusqu’à dire que c’est le monde qui est ton corps ? Si l’on s’appuie sur la non-séparabilité, on peut aller jusque là mais c’est tout de même un raccourci un tantinet abrupt. Il manque quelques pas logiques pour l’expliquer. Sauf que c’est une notion plus familière peut-être aux lecteurs de
Nouvelles Clés qu’à d’autres. Mais susceptible aussi d'interprétations assez éloignées de l'orthodoxie.
Pourquoi pouvons-nous dire
je,
je crois,
je reçois le baptême,
je suis Untel de ma naissance à ma mort ? La mémoire ? Qui a le souvenir de sa naissance ou de ses premières tétées ? Et pourtant, tu peux dire «
je suis né » sans mentir. L’âme ? Elle aussi fait partie de la nature humaine, voir les débats christologiques contre Apollinaire. On ne peut pas ôter l’âme ou le noûs de la nature humaine sans la mutiler.
Non, ce qui demeure unique et identique, ce qui peut dire je, ce qui fait qu’Eliazar est Eliazar et pas Anne Geneviève, c’est bien la personne, appelée au mode de relation hypostatique qui est celui de la Trinité et que le Christ décrit dans l’Evangile de Jean. Et c’est bien la personne qui peut donner aux éléments du monde la touche d’unicité qui fait que ton corps, c’est pas le mien même si je respire des molécules d’air que tu as respirées ou si la salade que je mange s’est nourrie des rejets de ton corps ; et c’est bien l’apprentissage de la relation hypostatique que nous expérimentons dans la communion, même si nous n’en avons qu’une conscience voilée.
Antoine, la personne, "composite de corps et d'âme" ? La personne, composite des éléments de la nature ? Là, je perds absolument tout ce que je croyais savoir en anthropologie patristique !