L'Amour de Dieu et l'Amour du Frère
Publié : lun. 28 juil. 2003 21:42
Date : 03.03 12h42
auteur : Éliazar
Nous, Orthodoxes, partageons avec beaucoup d'autres Français, notamment avec les catholiques romains, une sorte de ras-le-bol de « la
politique » - et beaucoup d'entre nous considèrent que le fait même de
s'opposer à la guerre par des manifestations est « de la politique. Et de ce fait, ils condamnent au nom de la religion une telle « ingérence » des chrétiens dans les affaires publiques.
Or, une bonne dizaine de millions d'hommes et de femmes, et pas seulement des athées politicards ( !) sont descendus dans la rue pour
manifester, parfois contre leur propre gouvernement, qu'ils ne voulaient
pas d'une guerre de plus – contre l'Irak cette fois.
Cette attitude de retrait (cela ne nous regarde pas, nous n'avons pas à nous en mêler) est-elle vraiment si chrétienne qu'on le prétend ? Combien de chrétiens n'ont-ils pas honte, aujourd'hui, de leur indifférence (et de la passivité de leurs hiérarques) à l'époque où la police et le gouvernement français arrêtaient en masse les Juifs, les Gitans, les réfugiés anti-fasciste de nationalité étrangère ou française, pour les livrer aux camps de la mort des Allemands ? Font-
ils (après coup, et « trop tard »…) à leur tour « de la politique » ?
Je ne crois pas. Je crois que leur conscience les gêne
chaque fois qu'ils voient les photos des déportés. Et que cette
conscience est (un tout petit peu) une des marques de la présence du Saint Esprit en eux. Cette présence qu'ils ont préféré ignorer à l'époque pour ne pas l'écouter.
Nous négligeons beaucoup trop (me semble-t-il) l'un des deux impératifs
fondamentaux de notre Foi : l'Amour du Frère.
Pourtant, nous connaissons et nous répétons à longueur d'année l'injonction du Christ : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, et avec toute ton âme et avec toute ta force et avec toute ta pensée - et ton prochain comme toi- même » (Luc 10, 27). Pourquoi n'y faisons-nous plus attention ? Serions-nous comme Caïn : fatigués d'être « les gardiens de notre frère » ?
Pourtant nous tous, chrétiens orthodoxes, nous nous sommes convertis un jour à la première partie de ce commandement. C'est non seulement vrai des néo- orthodoxes comme moi – mais de toute âme vivant en ce monde. Même ceux qui sont nés dans la confortable orthodoxie héréditaire commune à l'ensemble de leur peuple d'origine, il a fallu quand même qu'il y ait un moment de leur vie personnelle, intime, où ils ont découvert cela : c'est la seconde naissance de tout serviteur de Dieu, celle qui le fait « sortir du ventre » d'une religion aisée, héritée sans travail particulier, signe même parfois de bienséance sociale - pour entrer violemment dans le Royaume de l'Amour. Qui est un Feu
dévorant, et qui nous a dit qu'il vomissait les tièdes : ce jour-là, pour la
première fois, nous avons com-pris, pris en nous et avec nous, la vérité de cette parole divine, et cela nous a bouleversés. Non ?
Après cette conversion à l'amour fou de Dieu, tout ce qui nous restait à vivre n'était pas de trop (aux yeux de notre cœur) pour essayer de réaliser, de rendre véritable en nous, de porter jusqu'à son accomplissement, avec la Grâce de Dieu, la seconde partie de son commandement essentiel : Tu aimeras ton prochain comme
toi-même.
C'était très difficile, et cette ascèse nous a semblée parfois insurmontable :
comment aimer le bourreau qui a torturé mon ami, mon frère en Algérie, ou massacré nos frères orthodoxes en Serbie, ou crucifié nos prêtres (oui, c'est arrivé, et il n'y a pas longtemps), ou tout simplement
abattu ma vieille voisine pour se payer de la drogue ?
L'homme, notre prochain, nous est in-supportable – comme nous aussi, nous lui sommes insupportables.
C'est l'une des pires conséquences du péché d'Adam, que les hommes aient peur les uns des autres, et horreur les uns des autres, et se
méprisent les uns les autres. Comme Adam a immédiatement rejeté le
péché qui était entré en lui sur « la femme que Dieu lui avait donnée », c'est à dire sur son prochain (la seule à l'époque !) nous aussi nous rejetons immédiatement, à la première douleur que nous éprouvons, tout le mal sur notre prochain.
Certains groupes de chrétiens ont même poussé cela jusqu'à changer les termes du Notre Père, pour demander qu'Il les délivre du mal.
Ce faisant, ils ont complètement occulté la racine même de ce mal, qui
est Satan. Et peu à peu, ils sont parvenus à oublier jusqu'à l'existence de Satan.
Beaucoup d'orthodoxes, hélas, font aujourd'hui la même erreur – gagnés qu'ils sont par une envie dénaturée de vivre leur foi « à l'occidentale ».
Jésus savait parfaitement pourquoi il nous faisait demander, au contraire :
délivre-nous du malin ! C'est à dire du maléfique - de celui qui fait entrer, et prospérer, le mal dans le monde.
En les accusant de « faire de la politique », nous démontrons notre ignorance.
C'est parce que nous voulons oublier la puissance de Satan sur ce monde que nous ne comprenons plus pourquoi, dans le monde entier,
des peuples descendent dans la rue pour protester contre leurs gouvernements : c'est à cause des horreurs de la guerre qu'ils se lèvent contre les gouvernements assez puissants pour décider tranquillement de déchaîner les chevaux de l'Apocalypse en déclarant la guerre, et en envoyant des êtres humains, des enfants de Dieu, commettre impunément des crimes atroces « par devoir patriotique ».
Et nous, pendant ce temps-là, nous penserions que les peuples qui se
souviennent de ces horreurs, qui les ont vécues dans leur chair, dans la mort ou la mutilation ou la déchéance des êtres qui leur étaient les plus chers – ne sont pas bien placés pour dire si nous devons ou ne devons pas recommencer ? Il nous suffirait donc vraiment qu'ils pleurent dans leur oreiller, et qu'ils se taisent ?
Nous penserions au contraire qu'il vaut mieux laisser cette terrible décision entre les mains de gouvernements soigneusement éloignés du champ de bataille, composés d'hommes aux pouvoirs illimités (puisqu'ils
ont le pouvoir de tuer les enfants du Bon Dieu…), des hommes qui, eux, ne subiront cette guerre ni de loin ni de près ?
Parce que nous ne voulons pas « nous souiller », nous qui sommes des êtres religieux et qui ne « faisons pas de politique », il leur sera donc aussi facile de déclencher les prochains massacres que s'ils habitaient sur la Lune, et ne regardaient les êtres humains mourir qu'au bout d'une
longue-vue interplanétaire ?
Et après cela, comme notre père Adam, nous dirons au grand jour du Jugement : ce n'était pas nous, Maître, c'était eux… ?
Je crois de toute mon âme que le devoir de tout chrétien, même «patriote» à cent pour cent, est d'arrêter ce massacre avant qu'il
ne commence – avant que l'ennemi des hommes se frotte les mains dans le sang des enfants de Dieu…
Le XXème siècle a vu les pires horreurs, les pires massacres de toute
l'histoire occidentale. Les horreurs de la IIème guerre mondiale sont
directement sorties des horreurs de la Ière guerre mondiale - comme d'une boîte de Pandore. La haine atroce qui s'est emparée
comme une folie de tous les peuples, depuis la Guerre du Rif, ou la Guerre d'Espagne jusqu'à la Sibérie des déportations de l'URSS, en passant par les massacres fascistes des Juifs, des Rom, des Slaves, etc. –cette haine est sortie toute nue des immenses charniers de 1914-1918, comme la vérité de son puits.
Si les peuples se sont jetés à corps perdu dans le fascisme comme dans le bolchevisme, c'est parce que leurs yeux et leurs cœurs étaient encore remplis du sang et des larmes qui les avaient étouffés au spectacle de ces millions de cadavres écrasés dans la boue. Une génération presque entière avait été réduite en bouillie sanglante par des obus qui n'ont pas l'air plus sérieux aujourd'hui que des jouets de Kriegspiel, comparés aux bombes que notre « civilisation » a larguées sur Hiroshima et sur Nagasaki. Et je prends que ce seul exemple, déjà bien dépassé, nous le savons tous.
Alors, devenus fous d'horreur et de haine, les peuples se sont jetés comme des fous à l'assaut de la société, de ces régimes qui avaient permis les atrocités qu'ils avaient vécues pendant quatre ans. Et dont les
privilégiés avaient tiré d'énormes bénéfices.
Le diable a diablement profité de nos guerres pour attiser des haines de plus en plus fortes entre les peuples, et à l'intérieur des peuples - parfois jusqu'au sein de chaque famille. Après avoir abattu leurs régimes assassins, les peuples égarés par la colère et par la haine ont édifié
de nouveaux régimes, opposés aux précédents certes, mais qui les ont
conduits vers les mêmes boucheries. Pires que les premières, car la science et la technologie n'avaient pas chômé, et les armes des gouvernements guerriers sont devenues des moyens de destruction comme l'humanité n'en avait jamais connu depuis le commencement de
l'Histoire.
Il est clair que les guerres n'ont servi à rien. La guerre sert par contre
formidablement à un être qui nous est infiniment supérieur : Satan. Et il est encore plus clair que ce terrorisme que nos gouvernants invoquent vertueusement pour se justifier de nous lancer dans la prochaine
boucherie a été engendré par la haine des peuples opprimés, affamés, écrasés et par-dessus tout méprisés par nos grandes puissances. Celles à qui nous abandonnons tous nos pouvoirs : pour « ne pas faire de politique ». Elles ont des armes qui suffiront pour les tuer par millions à la fois, et elles ont bien l'intention de s'en servir – parce qu'une bonne guerre rapporte beaucoup de bon argent. Par contre, ceux que les grandes puissances veulent nous envoyer massacrer, eux, ne
peuvent nous tuer qu'en se mettant une ceinture d'explosifs autour de la taille, ou en volant un de nos avions pour se jeter contre un de nos gratte-ciel. C'est de l'artisanat un peu dérisoire, mais Satan les encourage à se venger comme il encourage nos gouvernants à les faire encore plus souffrir : c'est une spirale infernale.
Et nous, qui nous prétendons chrétiens, nous laisserions faire ? Un grand
écrivain russe du temps des tzars raconta comment, voyant un soldat qu'on fouettait à mort, il n'avait pu s'empêcher de protester
auprès de l'officier qui commandait le supplice. L'officier, étonné, lui
demanda : Tu n'as donc pas lu le Règlement ? Et lui, alors, lui demanda à son tour : Tu n'as donc pas lu l'Évangile ?
Aujourd'hui, il ne servirait plus à grand'chose de parler d'Évangile à nos
gouvernants ! Il n'y a plus que quelques « pacifistes » égarés pour prétendre que si nous aimions notre prochain comme nous-mêmes, nous ne ferions pas cette guerre – mais au contraire nous descendrions dans la rue à leurs côtés, pour la refuser.
Pour moi (mais cela n'engage que moi, après tout), je me contenterai de
murmurer tout bas, le plus bas possible (pour ne pas faire de politique) que « Ceux qui auront tiré l'épée périront par l'épée » (Matth. 26, 52).
auteur : Éliazar
Nous, Orthodoxes, partageons avec beaucoup d'autres Français, notamment avec les catholiques romains, une sorte de ras-le-bol de « la
politique » - et beaucoup d'entre nous considèrent que le fait même de
s'opposer à la guerre par des manifestations est « de la politique. Et de ce fait, ils condamnent au nom de la religion une telle « ingérence » des chrétiens dans les affaires publiques.
Or, une bonne dizaine de millions d'hommes et de femmes, et pas seulement des athées politicards ( !) sont descendus dans la rue pour
manifester, parfois contre leur propre gouvernement, qu'ils ne voulaient
pas d'une guerre de plus – contre l'Irak cette fois.
Cette attitude de retrait (cela ne nous regarde pas, nous n'avons pas à nous en mêler) est-elle vraiment si chrétienne qu'on le prétend ? Combien de chrétiens n'ont-ils pas honte, aujourd'hui, de leur indifférence (et de la passivité de leurs hiérarques) à l'époque où la police et le gouvernement français arrêtaient en masse les Juifs, les Gitans, les réfugiés anti-fasciste de nationalité étrangère ou française, pour les livrer aux camps de la mort des Allemands ? Font-
ils (après coup, et « trop tard »…) à leur tour « de la politique » ?
Je ne crois pas. Je crois que leur conscience les gêne
chaque fois qu'ils voient les photos des déportés. Et que cette
conscience est (un tout petit peu) une des marques de la présence du Saint Esprit en eux. Cette présence qu'ils ont préféré ignorer à l'époque pour ne pas l'écouter.
Nous négligeons beaucoup trop (me semble-t-il) l'un des deux impératifs
fondamentaux de notre Foi : l'Amour du Frère.
Pourtant, nous connaissons et nous répétons à longueur d'année l'injonction du Christ : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, et avec toute ton âme et avec toute ta force et avec toute ta pensée - et ton prochain comme toi- même » (Luc 10, 27). Pourquoi n'y faisons-nous plus attention ? Serions-nous comme Caïn : fatigués d'être « les gardiens de notre frère » ?
Pourtant nous tous, chrétiens orthodoxes, nous nous sommes convertis un jour à la première partie de ce commandement. C'est non seulement vrai des néo- orthodoxes comme moi – mais de toute âme vivant en ce monde. Même ceux qui sont nés dans la confortable orthodoxie héréditaire commune à l'ensemble de leur peuple d'origine, il a fallu quand même qu'il y ait un moment de leur vie personnelle, intime, où ils ont découvert cela : c'est la seconde naissance de tout serviteur de Dieu, celle qui le fait « sortir du ventre » d'une religion aisée, héritée sans travail particulier, signe même parfois de bienséance sociale - pour entrer violemment dans le Royaume de l'Amour. Qui est un Feu
dévorant, et qui nous a dit qu'il vomissait les tièdes : ce jour-là, pour la
première fois, nous avons com-pris, pris en nous et avec nous, la vérité de cette parole divine, et cela nous a bouleversés. Non ?
Après cette conversion à l'amour fou de Dieu, tout ce qui nous restait à vivre n'était pas de trop (aux yeux de notre cœur) pour essayer de réaliser, de rendre véritable en nous, de porter jusqu'à son accomplissement, avec la Grâce de Dieu, la seconde partie de son commandement essentiel : Tu aimeras ton prochain comme
toi-même.
C'était très difficile, et cette ascèse nous a semblée parfois insurmontable :
comment aimer le bourreau qui a torturé mon ami, mon frère en Algérie, ou massacré nos frères orthodoxes en Serbie, ou crucifié nos prêtres (oui, c'est arrivé, et il n'y a pas longtemps), ou tout simplement
abattu ma vieille voisine pour se payer de la drogue ?
L'homme, notre prochain, nous est in-supportable – comme nous aussi, nous lui sommes insupportables.
C'est l'une des pires conséquences du péché d'Adam, que les hommes aient peur les uns des autres, et horreur les uns des autres, et se
méprisent les uns les autres. Comme Adam a immédiatement rejeté le
péché qui était entré en lui sur « la femme que Dieu lui avait donnée », c'est à dire sur son prochain (la seule à l'époque !) nous aussi nous rejetons immédiatement, à la première douleur que nous éprouvons, tout le mal sur notre prochain.
Certains groupes de chrétiens ont même poussé cela jusqu'à changer les termes du Notre Père, pour demander qu'Il les délivre du mal.
Ce faisant, ils ont complètement occulté la racine même de ce mal, qui
est Satan. Et peu à peu, ils sont parvenus à oublier jusqu'à l'existence de Satan.
Beaucoup d'orthodoxes, hélas, font aujourd'hui la même erreur – gagnés qu'ils sont par une envie dénaturée de vivre leur foi « à l'occidentale ».
Jésus savait parfaitement pourquoi il nous faisait demander, au contraire :
délivre-nous du malin ! C'est à dire du maléfique - de celui qui fait entrer, et prospérer, le mal dans le monde.
En les accusant de « faire de la politique », nous démontrons notre ignorance.
C'est parce que nous voulons oublier la puissance de Satan sur ce monde que nous ne comprenons plus pourquoi, dans le monde entier,
des peuples descendent dans la rue pour protester contre leurs gouvernements : c'est à cause des horreurs de la guerre qu'ils se lèvent contre les gouvernements assez puissants pour décider tranquillement de déchaîner les chevaux de l'Apocalypse en déclarant la guerre, et en envoyant des êtres humains, des enfants de Dieu, commettre impunément des crimes atroces « par devoir patriotique ».
Et nous, pendant ce temps-là, nous penserions que les peuples qui se
souviennent de ces horreurs, qui les ont vécues dans leur chair, dans la mort ou la mutilation ou la déchéance des êtres qui leur étaient les plus chers – ne sont pas bien placés pour dire si nous devons ou ne devons pas recommencer ? Il nous suffirait donc vraiment qu'ils pleurent dans leur oreiller, et qu'ils se taisent ?
Nous penserions au contraire qu'il vaut mieux laisser cette terrible décision entre les mains de gouvernements soigneusement éloignés du champ de bataille, composés d'hommes aux pouvoirs illimités (puisqu'ils
ont le pouvoir de tuer les enfants du Bon Dieu…), des hommes qui, eux, ne subiront cette guerre ni de loin ni de près ?
Parce que nous ne voulons pas « nous souiller », nous qui sommes des êtres religieux et qui ne « faisons pas de politique », il leur sera donc aussi facile de déclencher les prochains massacres que s'ils habitaient sur la Lune, et ne regardaient les êtres humains mourir qu'au bout d'une
longue-vue interplanétaire ?
Et après cela, comme notre père Adam, nous dirons au grand jour du Jugement : ce n'était pas nous, Maître, c'était eux… ?
Je crois de toute mon âme que le devoir de tout chrétien, même «patriote» à cent pour cent, est d'arrêter ce massacre avant qu'il
ne commence – avant que l'ennemi des hommes se frotte les mains dans le sang des enfants de Dieu…
Le XXème siècle a vu les pires horreurs, les pires massacres de toute
l'histoire occidentale. Les horreurs de la IIème guerre mondiale sont
directement sorties des horreurs de la Ière guerre mondiale - comme d'une boîte de Pandore. La haine atroce qui s'est emparée
comme une folie de tous les peuples, depuis la Guerre du Rif, ou la Guerre d'Espagne jusqu'à la Sibérie des déportations de l'URSS, en passant par les massacres fascistes des Juifs, des Rom, des Slaves, etc. –cette haine est sortie toute nue des immenses charniers de 1914-1918, comme la vérité de son puits.
Si les peuples se sont jetés à corps perdu dans le fascisme comme dans le bolchevisme, c'est parce que leurs yeux et leurs cœurs étaient encore remplis du sang et des larmes qui les avaient étouffés au spectacle de ces millions de cadavres écrasés dans la boue. Une génération presque entière avait été réduite en bouillie sanglante par des obus qui n'ont pas l'air plus sérieux aujourd'hui que des jouets de Kriegspiel, comparés aux bombes que notre « civilisation » a larguées sur Hiroshima et sur Nagasaki. Et je prends que ce seul exemple, déjà bien dépassé, nous le savons tous.
Alors, devenus fous d'horreur et de haine, les peuples se sont jetés comme des fous à l'assaut de la société, de ces régimes qui avaient permis les atrocités qu'ils avaient vécues pendant quatre ans. Et dont les
privilégiés avaient tiré d'énormes bénéfices.
Le diable a diablement profité de nos guerres pour attiser des haines de plus en plus fortes entre les peuples, et à l'intérieur des peuples - parfois jusqu'au sein de chaque famille. Après avoir abattu leurs régimes assassins, les peuples égarés par la colère et par la haine ont édifié
de nouveaux régimes, opposés aux précédents certes, mais qui les ont
conduits vers les mêmes boucheries. Pires que les premières, car la science et la technologie n'avaient pas chômé, et les armes des gouvernements guerriers sont devenues des moyens de destruction comme l'humanité n'en avait jamais connu depuis le commencement de
l'Histoire.
Il est clair que les guerres n'ont servi à rien. La guerre sert par contre
formidablement à un être qui nous est infiniment supérieur : Satan. Et il est encore plus clair que ce terrorisme que nos gouvernants invoquent vertueusement pour se justifier de nous lancer dans la prochaine
boucherie a été engendré par la haine des peuples opprimés, affamés, écrasés et par-dessus tout méprisés par nos grandes puissances. Celles à qui nous abandonnons tous nos pouvoirs : pour « ne pas faire de politique ». Elles ont des armes qui suffiront pour les tuer par millions à la fois, et elles ont bien l'intention de s'en servir – parce qu'une bonne guerre rapporte beaucoup de bon argent. Par contre, ceux que les grandes puissances veulent nous envoyer massacrer, eux, ne
peuvent nous tuer qu'en se mettant une ceinture d'explosifs autour de la taille, ou en volant un de nos avions pour se jeter contre un de nos gratte-ciel. C'est de l'artisanat un peu dérisoire, mais Satan les encourage à se venger comme il encourage nos gouvernants à les faire encore plus souffrir : c'est une spirale infernale.
Et nous, qui nous prétendons chrétiens, nous laisserions faire ? Un grand
écrivain russe du temps des tzars raconta comment, voyant un soldat qu'on fouettait à mort, il n'avait pu s'empêcher de protester
auprès de l'officier qui commandait le supplice. L'officier, étonné, lui
demanda : Tu n'as donc pas lu le Règlement ? Et lui, alors, lui demanda à son tour : Tu n'as donc pas lu l'Évangile ?
Aujourd'hui, il ne servirait plus à grand'chose de parler d'Évangile à nos
gouvernants ! Il n'y a plus que quelques « pacifistes » égarés pour prétendre que si nous aimions notre prochain comme nous-mêmes, nous ne ferions pas cette guerre – mais au contraire nous descendrions dans la rue à leurs côtés, pour la refuser.
Pour moi (mais cela n'engage que moi, après tout), je me contenterai de
murmurer tout bas, le plus bas possible (pour ne pas faire de politique) que « Ceux qui auront tiré l'épée périront par l'épée » (Matth. 26, 52).