L'Amour de Dieu et l'Amour du Frère

Copier / Coller ici les messages de l'ancien forum

Modérateur : Auteurs

Antoine
Messages : 1782
Inscription : mer. 18 juin 2003 22:05

L'Amour de Dieu et l'Amour du Frère

Message par Antoine »

Date : 03.03 12h42
auteur : Éliazar

Nous, Orthodoxes, partageons avec beaucoup
d'autres Français, notamment avec les
catholiques romains, une sorte de ras-le-bol de « la
politique » - et beaucoup
d'entre nous considèrent que le fait même de
s'opposer à la guerre par des
manifestations est « de la politique. Et de ce fait, ils
condamnent au nom de la
religion une telle « ingérence » des chrétiens dans les
affaires publiques.
Or, une bonne dizaine de millions d'hommes et de
femmes, et pas seulement des
athées politicards ( !) sont descendus dans la rue pour
manifester, parfois
contre leur propre gouvernement, qu'ils ne voulaient
pas d'une guerre de plus –
contre l'Irak cette fois.
Cette attitude de retrait (cela ne nous regarde pas,
nous n'avons pas à nous en
mêler) est-elle vraiment si chrétienne qu'on le prétend
? Combien de chrétiens
n'ont-ils pas honte, aujourd'hui, de leur indifférence (et
de la passivité de
leurs hiérarques) à l'époque où la police et le
gouvernement français arrêtaient
en masse les Juifs, les Gitans, les réfugiés anti-
fasciste de nationalité
étrangère ou française, pour les livre aux camps de la
mort des Allemands ? Font-
ils (après coup, et « trop tard »…) à leur tour « de la
politique » ?
Je ne crois pas. Je crois que leur conscience les gêne
chaque fois qu'ils
voient les photos des déportés. Et que cette
conscience est (un tout petit peu)
une des marques de la présence du Saint Esprit en
eux. Cette présence qu'ils ont
préféré ignorer à l'époque pour ne pas l'écouter.
Nous négligeons beaucoup trop (me semble-t-il) l'un
des deux impératifs
fondamentaux de notre Foi : l'Amour du Frère.
Pourtant, nous connaissons et nous répétons à
longueur d'année l'injonction du
Christ : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton
cœur, et avec toute ton
âme et avec toute ta force et avec toute ta pensée - et
ton prochain comme toi-
même » (Luc 10, 27). Pourquoi n'y faisons-nous plus
attention ? Serions-nous
comme Caïn : fatigués d'être « les gardiens de notre
frère » ?

Pourtant nous tous, chrétiens orthodoxes, nous nous
sommes convertis un jour à
la première partie de ce commandement. C'est non
seulement vrai des néo-
orthodoxes comme moi – mais de toute âme vivant en
ce monde. Même ceux qui sont
nés dans la confortable orthodoxie héréditaire
commune à l'ensemble de leur
peuple d'origine, il a fallu quand même qu'il y ait un
moment de leur vie
personnelle, intime, où ils ont découvert cela : c'est la
seconde naissance de
tout serviteur de Dieu, celle qui le fait « sortir du
ventre » d'une religion
aisée, héritée sans travail particulier, signe même
parfois de bienséance
sociale - pour entrer violemment dans le Royaume de
l'Amour. Qui est un Feu
dévorant, et qui nous a dit qu'il vomissait les tièdes :
ce jour-là, pour la
première fois, nous avons com-pris, pris en nous et
avec nous, la vérité de
cette parole divine, et cela nous a bouleversés. Non ?
Après cette conversion à l'amour fou de Dieu, tout ce
qui nous restait à vivre
n'était pas de trop (aux yeux de notre cœur) pour
essayer de réaliser, de rendre
véritable en nous, de porter jusqu'à son
accomplissement, avec la Grâce de Dieu,
la seconde partie de son commandement essentiel :
Tu aimeras ton prochain comme
toi-même.
C'était très difficile, et cette ascèse nous a semblée
parfois insurmontable :
comment aimer le bourreau qui a torturé mon ami,
mon frère en Algérie, ou
massacré nos frères orthodoxes en Serbie, ou crucifié
nos prêtres (oui, c'est
arrivé, et il n'y a pas longtemps), ou tout simplement
abattu ma vieille voisine
pour se payer de la drogue ? L'homme, notre
prochain, nous est in-supportable –
comme nous aussi, nous lui sommes insupportables.
C'est l'une des pires conséquences du péché d'Adam,
que les hommes aient peur
les uns des autres, et horreur les uns des autres, et se
méprisent les uns les
autres. Comme Adam a immédiatement rejeté le
péché qui était entré en lui sur « la femme que Dieu lui
avait donnée », c'est à dire sur
son prochain (la seule à
l'époque !) nous aussi nous rejetons immédiatement,
à la première douleur que
nous éprouvons, tout le mal sur notre prochain.
Certains groupes de chrétiens ont même poussé cela
jusqu'à changer les termes
du Notre Père, pour demander qu'Il les délivre du mal.
Ce faisant, ils ont
complètement occulté la racine même de ce mal, qui
est Satan. Et peu à peu, ils
sont parvenus à oublier jusqu'à l'existence de Satan.
Beaucoup d'orthodoxes,
hélas, font aujourd'hui la même erreur – gagnés qu'ils
sont par une envie
dénaturée de vivre leur foi « à l'occidentale ».
Jésus savait parfaitement pourquoi il nous faisait
demander, au contraire :
délivre-nous du malin ! C'est à dire du maléfique - de
celui qui fait entrer, et
prospérer, le mal dans le monde.
En les accusant de « faire de la politique », nous
démontrons notre ignorance.
C'est parce que nous voulons oublier la puissance de
Satan sur ce monde que nous
ne comprenons plus pourquoi, dans le monde entier,
des peuples descendent dans
la rue pour protester contre leurs gouvernements :
c'est à cause des horreurs de
la guerre qu'ils se lèvent contre les gouvernements
assez puissants pour décider
tranquillement de déchaîner les chevaux de
l'Apocalypse en déclarant la guerre,
et en envoyant des êtres humains, des enfants de
Dieu, commettre impunément des
crimes atroces « par devoir patriotique ».

Et nous, pendant ce temps-là, nous penserions que
les peuples qui se
souviennent de ces horreurs, qui les ont vécues dans
leur chair, dans la mort ou
la mutilation ou la déchéance des êtres qui leur
étaient les plus chers – ne
sont pas bien placés pour dire si nous devons ou ne
devons pas recommencer ? Il
nous suffirait donc vraiment qu'ils pleurent dans leur
oreiller, et qu'ils se taisent ?
Nous penserions au contraire qu'il vaut mieux laisser
cette terrible décision
entre les mains de gouvernements soigneusement
éloignés du champ de bataille,
composés d'hommes aux pouvoirs illimités (puisqu'ils
ont le pouvoir de tuer les
enfants du Bon Dieu…), des hommes qui, eux, ne
subiront cette guerre ni de loin
ni de près ?
Parce que nous ne voulons pas « nous souiller »,
nous qui sommes des êtres
religieux et qui ne « faisons pas de politique », il leur
sera donc aussi facile
de déclencher les prochains massacres que s'ils
habitaient sur la Lune, et ne
regardaient les êtres humains mourir qu'au bout d'une
longue-vue interplanétaire ?
Et après cela, comme notre père Adam, nous dirons
au grand jour du Jugement :
ce n'était pas nous, Maître, c'était eux… ?

Je crois de toute mon âme que le devoir de tout
chrétien, même « patriote » à
cent pour cent, est d'arrêter ce massacre avant qu'il
ne commence – avant que
l'ennemi des hommes se frotte les mains dans le sang
des enfants de Dieu…

Le XXème siècle a vu les pires horreurs, les pires
massacres de toute
l'histoire occidentale. Les horreurs de la IIème guerre
mondiale sont
directement sorties des horreurs de la Ière guerre
mondiale - comme d'une boîte
de Pandore. La haine atroce qui s'est emparée
comme une folie de tous les
peuples, depuis la Guerre du Rif, ou la Guerre
d'Espagne jusqu'à la Sibérie des
déportations de l'URSS, en passant par les
massacres fascistes des Juifs, des
Rom, des Slaves, etc. – cette haine est sortie toute
nue des immenses charniers
de 1914-1918, comme la vérité de son puits.
Si les peuples se sont jetés à corps perdu dans le
fascisme comme dans le
bolchevisme, c'est parce que leurs yeux et leurs
cœurs étaient encore remplis du
sang et des larmes qui les avaient étouffés au
spectacle de ces millions de
cadavres écrasés dans la boue. Une génération
presque entière avait été réduite
en bouillie sanglante par des obus qui n'ont pas l'air
plus sérieux aujourd'hui
que des jouets de Kriegspiel, comparés aux bombes
que notre « civilisation » a
larguées sur Hiroshima et sur Nagasaki. Et je prends
que ce seul exemple, déjà
bien dépassé, nous le savons tous.
Alors, devenus fous d'horreur et de haine, les peuples
se sont jetés comme des
fous à l'assaut de la société, de ces régimes qui
avaient permis les atrocités
qu'ils avaient vécues pendant quatre ans. Et dont les
privilégiés avaient tiré
d'énormes bénéfices.
Le diable a diablement profité de nos guerres pour
attiser des haines de plus
en plus fortes entre les peuples, et à l'intérieur des
peuples - parfois
jusqu'au sein de chaque famille. Après avoir abattu
leurs régimes assassins, les
peuples égarés par la colère et par la haine ont édifié
de nouveaux régimes,
opposés aux précédents certes, mais qui les ont
conduits vers les mêmes
boucheries. Pires que les premières, car la science et
la technologie n'avaient
pas chômé, et les armes des gouvernements
guerriers sont devenues des moyens de
destruction comme l'humanité n'en avait jamais connu
depuis le commencement de
l'Histoire.

Il est clair que les guerres n'ont servi à rien. La guerre
sert par contre
formidablement à un être qui nous est infiniment
supérieur : Satan. Et il est
encore plus clair que ce terrorisme que nos
gouvernants invoquent vertueusement
pour se justifier de nous lancer dans la prochaine
boucherie a été engendré par
la haine des peuples opprimés, affamés, écrasés et
par-dessus tout méprisés par
nos grandes puissances. Celles à qui nous
abandonnons tous nos pouvoirs : pour «
ne pas faire de politique ». Elles ont des armes qui
suffiront pour les tuer par
millions à la fois, et elles ont bien l'intention de s'en
servir – parce qu'une
bonne guerre rapporte beaucoup de bon argent. Par
contre, ceux que les grandes
puissances veulent nous envoyer massacrer, eux, ne
peuvent nous tuer qu'en se
mettant une ceinture d'explosifs autour de la taille, ou
en volant un de nos
avions pour se jeter contre un de nos gratte-ciel. C'est
de l'artisanat un peu
dérisoire, mais Satan les encourage à se venger
comme il encourage nos
gouvernants à les faire encore plus souffrir : c'est une
spirale infernale.
Et nous, qui nous prétendons chrétiens, nous
laisserions faire ? Un grand
écrivain russe du temps des tzars raconta comment,
voyant un soldat qu'on
fouettait à mort, il n'avait pu s'empêcher de protester
auprès de l'officier qui
commandait le supplice. L'officier, étonné, lui
demanda : Tu n'as donc pas lu le
Règlement ? Et lui, alors, lui demanda à son tour : Tu
n'as donc pas lu
l'Évangile ?

Aujourd'hui, il ne servirait plus à grand'chose de parler
d'Évangile à nos
gouvernants ! Il n'y a plus que quelques « pacifistes »
égarés pour prétendre
que si nous aimions notre prochain comme nous-
mêmes, nous ne ferions pas cette
guerre – mais au contraire nous descendrions dans la
rue à leurs côtés, pour la
refuser.
Pour moi (mais cela n'engage que moi, après tout), je
me contenterai de
murmurer tout bas, le plus bas possible (pour ne pas
faire de politique) que « Ceux qui auront tiré l'épée périront par l'épée »
(Matth. 26, 52).
Répondre