N’ayant pas le temps pour quelques jours d’écrire autant que je voudrais, je me borne à citer quelques morceaux une étude du père Grigorios Papathomas sur les mariages mixtes. J’ai pris un petit condensé des parties qui concernen( uniquement le mariage.
Dans le cadre de la coexistence des Communautés religieuses au sein d’une société pluraliste des citoyens, le mariage faisait et fait fonction, jusqu’à aujourd’hui encore, tantôt de facteur de rencontre, tantôt de facteur de retranchement entre ces Communautés comme entre leurs membres. Tout au long des siècles, les pratiques n’ont pas été toujours et partout les mêmes. Les unes furent adoptées dans des sociétés monoculturelles ou dans des îlots “millet”-ethnoreligieux au sein d’un empire, les autres ont émergé de facto dans des sociétés multiculturelles.
Il est également vrai que, à un certain moment de la vie humaine et de l’Histoire, le mariage fut adopté parce qu’il contribuait à la construction et à la stabilisation d’une Communauté religieuse homogène et unie. Toutefois, quand il a été exploité à cette seule fin, il a davantage favorisé l’isolement communautaire que l’ouverture vers l’extérieur et la rencontre avec les autres. L’exploitation du mariage dans ce but a donné lieu à des pratiques validées par la coutume et la loi, lesquelles, par la suite, ont creusé encore davantage le fossé. Ainsi, de nos jours, où est universellement menée une lutte pour l’unité des peuples, le mariage qui, par définition, se doit d’être non seulement le couronnement de l’amour dans une société centripète des personnes, mais aussi l’image du Royaume de Dieu, devient générateur de conflits, de séparation entre les partenaires du couple-famille, ainsi que de tendances centrifuges. Et il en est ainsi et toujours avec l’approbation institutionnelle, avouée ou tacite, des Communautés religieuses.
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Avant tout, pour la Théologie de l’Église, le mariage est ce qui constitue le mystère de la vie, de la communion des personnes et de l’union de deux existences en une seule chair telle que Dieu l’a conçue (cf. Mt 19, 6 ; Mc 10, 8 ; Éph 5, 31). Le terme “mariage” est préservé exclusivement pour distinguer l’union unique entre un homme et une femme, établie par Dieu Lui-même, pour accomplir ses visions cosmogoniques et eschatologiques. Tout événement-mariage, indépendamment de la religion et du rituel, est de tout point de vue l’accomplissement du but et du vœu cosmogoniques de Dieu qui veut que le “ genre humain se multiplie et se répande sur la terre ” dans une perspective de co-création (Gn 1, 28 ; 9, 1. 7), condition préalable de la réception et, par suite, de la métamorphose du genre humain, un et unique, en société/communion du Royaume. C’est la raison pour laquelle le verbe biblique répète avec insistance : “ Ce que Dieu a uni, qu’un homme [ou une Communauté] ne le sépare point ” (Mt 19, 6 ; Mc 10, 9). L’union conjugale introduit l’homme et la femme — les deux unis — dans une réalité nouvelle, un nouveau et unique modus vivendi et il en fait une création nouvelle d’“une seule chair”. L’aspect vital/mystérique de cette création nouvelle n’est pas limité à l’office liturgique lui-même, mais devrait continuer et croître durant toute la vie des personnes concernées. C’est ainsi qu’était vécu le mariage dans la Communauté protochrétienne et que l’a transmis la première voix théologique de l’Église, Paul, l’Apôtre des nations, en disant qu’il s’agit d’un “ Grand Mystère ” (Éph 5, 32) en soi [aspect monogame, hétérosexuel, conjugal et communionnel], mais qui, dans la perspective de la présence dans le monde adoptée par l’Église, s’exprimait profondément dans le vœu liturgique que ce mariage s’accomplisse “ en Christ et en l’Église ” (Éph 5, 32). Car, pour l’Église, le mariage chrétien est l’icône de la relation d’amour qui existe entre le Christ et son Corps tout entier, l’Église “répandue à travers tout l’univers”. Il trouve son sens ultime dans la participation à cette relation. Le mariage est donc essentiellement une réalité ecclésiale [aspect sacramentel/mystérique, ontologique, sotériologique et eschatologique].
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Durant la quasi-totalité du premier millénaire, le mariage était un fait de société, célébré dans le Mystère unique de l’Église. Étant donné que, d’ordinaire, il était célébré durant la Divine Liturgie, et jamais à un autre moment, puisqu’il s’agissait de fidèles-membres du corps ecclésial, il était procédé à une sorte de bénédiction précédant la Sainte Communion (Tertullien-Ignace d’Antioche), qui bénissait la décision commune de vie, commençait par la communion commune et le calice commun.
Nous savons tous que la Divine Liturgie des st Basile de Césarée (4e siècle) et st Jean Chrysostome (5e siècle) est divisée en deux parties : la Liturgie des Catéchumènes (Liturgie de la Parole) et la Liturgie des Fidèles (Liturgie eucharistique) qui débute juste avant l’annonce “ Les portes, les portes, … ”. Or, quand il s’agissait d’un couple, dont l’un des membres était un fidèle baptisé et l’autre un catéchumène non baptisé, il n’était pas possible en pratique de procéder à une telle bénédiction de mariage pendant la Liturgie des Fidèles, vu que le catéchumène non baptisé devait sortir en ce moment liturgique donné, sans avoir le droit d’y assister. L’Église a alors été obligée de déplacer la bénédiction de mariage pendant la Liturgie des Catéchumènes, pour épargner au couple une attente allant jusqu’à trois ans, durée de la catéchèse jusqu’au baptême. Elle a donc déplacé cette bénédiction de mariage aussi bien pour les fidèles que pour les catéchumènes désormais avant la lecture de l’Épître apostolique et de l’Évangile, et, en fait, cette pratique du moment de la bénédiction s’y est maintenue jusqu’à aujourd’hui pour les deux types de la célébration de mariage (Divine Liturgie et Office de Mariage).
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C’est précisément dans de telles situations, pour répondre à certaines demandes, que semble être apparu le mariage dispar, comme est apparu plus récemment, à partir de la fin du 19e siècle, et pour des raisons analogues le mariage mixte.
[ G. P. appelle “mariage dispar” le mariage interreligieux, et “mariage mixte” le mariage entre chrétien]
À ceux qui rejetteraient l’historicité et la réalité de ce mariage correspondant à la réalité sociale de disparité de cultes, nous aimerions d’abord poser une question. À un moment historique donné, pour quelle raison l’Église, en plus de la cérémonie de mariage, célébrée pendant la Divine Liturgie (soit celle des Fidèles, soit celle des Catéchumènes), a-t-elle carrément admis que la cérémonie du mariage puisse sortir du cadre de l’Eucharistie, introduisant l’office du mariage tel que nous le possédons aujourd’hui, célébré hors de la Divine Liturgie et a-t-elle ainsi créé une nouvelle forme de cérémoniel, tout à fait semblable dans sa structure à la Divine Liturgie, mais excluant par définition la Sainte Communion et le calice commun ? […] Simplement, la pratique qui s’est instituée bien plus tard, dressant des obstacles institutionnels pour les raisons que nous avons vues et que nous allons voir, a changé les données et a abouti, aujourd’hui, à ce que l’Église soit sans ouverture vers la Création et le monde tout entier ou à ce que le corps ecclésial, pour se défendre, ne cesse de proposer des solutions allant à l’encontre de la liberté et des solutions contraignant à la double appartenance religieuse forcée.
Précisons que l’Église catholique a maintenu depuis toujours ce type de mariage, tandis que l’Église orthodoxe l’a aboli après la chute de Constantinople (1453). Voyons toutefois ce qui s’est passé : il est déjà fait référence au mariage dispar dans le Nouveau Testament (1 Cor 7, 1-40). L’Église primitive vit alors dans un environnement païen, idolâtre. Nombreux sont ses membres, fidèles baptisés, qui épousent des femmes idolâtres non baptisées. Et pourtant, l’Église bénit leur mariage (1 Cor 7, 14. 16). Ici encore, lorsque l’un des membres du couple d’idolâtres se fait chrétien, l’Église primitive enjoint, non seulement de ne pas se séparer, mais aussi de ne pas demander la dissolution du mariage (1 Cor 7, 10-16 et 26).
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[Enfin G. P. aborde le cas du mariage civil (actuel)]
Ce mariage célébré à la Mairie est considéré comme non-mariage de la part de l’Église catholique pour des raisons purement idéologiques, tandis que l’Église orthodoxe, pour les raisons théologiques que nous avons soulignées plus haut, l’accepte en tant qu’accomplissement du mystère et du but ultime de la vie.
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Pour consolider encore plus ce point de vue, qu’il soit permis de faire une comparaison en rapport avec la confession ecclésiale, quoique de tels arguments ne devraient pas être invoqués. Si quelqu’un, en confession, déclare à l’Église que, avant le mariage qu’il est sur le point de contracter, il a eu des liaisons, disons, avec cinq femmes, l’Église célèbre son mariage comme un premier mariage. Tandis que, s’il dit qu’il a déjà contracté trois mariages civils, l’Église orthodoxe ne célèbre pas de (quatrième) mariage. Voilà pourquoi, en fin de compte, le mariage civil constitue un mariage du point de vue aussi bien pratique que théologique. Parce qu’il constitue un engagement public à fonder une communauté de vie, icône du Royaume à venir, dans le cadre d’une communauté d’hommes.
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Enfin, il est grand temps, pour l’Église orthodoxe, de renoncer aux barrages culturels et nationalistes qui ont été élevés dans le passé récent et de se tenir théologiquement plus ouverte et d’un point de vue sotériologique plus dilatée, face aux hétéroreligieux et, en particulier à l’Islam et aux Communautés musulmanes, vu que, d’une part, une longue expérience historique passée prouve que cette ouverture est possible et que, d’autre part, dans le présent, cette possibilité existe objectivement.
J’ajouterai simplement une remarqua personnelle : il me semble tout à fait excessif de parler d’une dimension “eschatologique” du mariage, tout comme d’y voir un prolongement des relations trinitaires. Cela fait partie de la majoration du mariage trop fréquente dans le discours théo-idéologique contemporain.